top of page

127

Bulletin

Transition

126

Bulletin

La vie monastique aujourd’hui

125

Bulletin

« Toute la vie comme liturgie »

124

Bulletin

Les Chapitres généraux cisterciens
(OCSO et OCist, sep. et oct. 2022)

123

Bulletin

Vie monastique et synodalité

122

Bulletin

La gestion de la Maison commune

121

Bulletin

Fratelli tutti,
la fraternité dans la vie monastique

120

Bulletin

La formation monastique aujourd’hui
(2e partie)

119

Bulletin

La formation monastique aujourd’hui
(1re partie)

118

Bulletin

La vie et la mort dans l’idéal monastique

Respecter les anciens, aimer les jeunes

Bulletin n° 117, année 2019

Sommaire

Editorial

Dom J.-P. Longeat, OSB, Président de l’AIM


Lectio divina

Le jeune homme riche (Mt 19, 16-26)

Mère Escolástica Ottoni de Mattos, OSB


Méditation

Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel. L’art de discerner (extrait)

Document final du synode des évêques


Témoignages

• Être moine dans un jeune monachisme

Dom Alex Echeandía, OSB (Lurín)


• Devenir soi-même au monastère

S. M.-T. dos Santos, OSB (Encontro)


• Une expérience de liberté intérieure en vue de l’union à Dieu

Frère Edmond Zongo, OSB (Koubri)


• La fragilité et la force d’une communauté

F. Nichodemus Ohanebo, OSB (Ewu)


• Les défis et les joies de la vie monastique

Sœur A. Ndubane, OSB (Elukwatini)


• Premier pas dans la vie monastique

Sœur Rosa Ciin, OSB (Shanti Nilayam)


Ouverture sur le monde

Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel. 1ère partie, chapitre 2

Document final du synode des évêques


Economie et vie monastique

• Contributions du monastère de Bafor au développement local

Dr Katrin Langewiesche


• Projet de recherche sur la kora

Dr Katrin Langewiesche


Liturgie

Vie monastique et poésie

Sœur Thérèse-Marie Dupagne, OSB


Moines et moniales, témoins pour notre temps

Geronda Aimilianos

Hiéromoine Sérapion et Archimandrite Basile


Nouvelles

• Voyage en Chine continentale

Dom Jean-Pierre Longeat, OSB


• Voyage au Tchad

Sœur Christine Conrath, OSB


• Réunion des Ctés contemplatives de Madagascar et de l’Océan indien

Sœur Agnès Brugère, OSB


• Session de l’ABECCA

Dom Alex Echeandía, OSB


• Le Parcours « Ananie »

Frère Moïse Ilboudo, OSB

Sommaire

Éditorial

Un des aspects marquants de la vie d’une communauté monastique consiste dans le côtoiement de générations diverses. Ce phénomène est accentué aujourd’hui plus particulièrement en Occident par l’allongement de la durée de la vie. La société moderne a pris le parti de séparer les générations ; les communautés monastiques conservent la pratique de la vie commune intergénérationnelle dans la mesure du possible. Il est fréquent d’avoir ainsi des communautés de quatre voire de cinq générations.

Ce numéro du Bulletin de l’AIM, dans le prolongement du synode romain sur « Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel », présente quelques aspects de cette thématique en relation avec la vie monastique. Plusieurs témoignages venant de différents continents donnent à sentir comment de jeunes moines ou de jeunes sœurs se situent dans leur engagement aujourd’hui. Chacun a interprété à sa manière la question initiale qui portait sur la vision qu’un jeune pouvait avoir de la vie monastique dans le contexte du pays ou de la culture dans lesquels il vivait. Cela donne une assez grande diversité d’approches !

Différentes rubriques et quelques nouvelles se partagent le reste de ce numéro.

Dom Jean-Pierre Longeat, OSB

Président de l'AIM

Articles

Respecter les anciens, aimer les jeunes

1

Dom Jean-Pierre Longeat, OSB

Président de l'AIM


Respecter les anciens, aimer les jeunes

RB 4, 70, 71 ; 63, 10

 

 

Dans un premier temps, accueillons ce que nous dit saint Benoît sur notre thème. Saint Benoît est surtout attentif au bon équilibre à l’intérieur de la communauté de l’apport des jeunes et des frères et sœurs âgés. Au chapitre 4 des instruments de l’art spirituel, il a cette injonction : « Respecter les anciens, aimer les jeunes » (4, 71-72). Il s’agit de replacer les réactions des uns et des autres dans une attention réciproque.

Dès le début de la règle de saint Benoît, le moine est situé comme un fils à l’écoute de son Père. Comme on le sait, cela est une référence au livre des Proverbes (Pr 1, 8), mais plus encore c’est une disposition évangélique. Jésus se situe lui-même dans son rapport de filiation à son Père qui est aussi notre Père, et de ce fait, il nous invite nous aussi à être comme les enfants très chers de ce Père qui nous aime. Quel que soit l’âge d’un moine, d’une moniale, d’un disciple du Christ, il est toujours comme un fils, une fille à l’écoute de celui dont il reçoit tout.

Le chapitre 7 concernant l’humilité revient sur cette question. Il définit le moine comme un enfant qui repose en confiance sur le sein de sa mère tel le disciple à l’écoute de son Dieu (cf. Ps 130). Étonnante définition du moine si l’on y pense vraiment. Tout le propos est donc de reposer en Dieu comme un enfant, un petit enfant contre sa mère sans avoir le cœur fier ni le regard ambitieux, sans poursuivre des projets autonomes dans la certitude de soi. Dans une telle attitude de confiance, de foi, une maturité s’acquiert progressivement et, comme le dit le 12e degré d’humilité : « Le moine parviendra bientôt à cet amour de Dieu qui, s’il est parfait, bannit la crainte » (RB 7, 67). C’est vraiment là le chemin de toute vie monastique.

L’école que saint Benoît veut fonder pour tous ceux qui se mettent dans cette disposition permet d’envisager une course dans la voie des commandements : « Au fur et à mesure que l’on avance dans la vie religieuse et dans la foi, on court avec un cœur dilaté [de plus en plus jeune…], rempli d’une incroyable douceur d’amour ! » (Prologue 49). Il n’est pas sûr que cela se vérifie toujours et chez tous, mais en tout cas, c’est la perspective ouverte par saint Benoît… Quoi qu’il en soit, personne ne peut évaluer de l’extérieur ce qui se passe à l’intime du cœur de chacun : Dieu seul le sait.

Dans le prolongement d’un tel propos, saint Benoît présente les moines cénobites comme des commençants (RB 1 et RB 73) qui s’aguerrissent dans les rangs d’une armée fraternelle. Progressivement, ils se détachent de la simple ferveur des débuts pour entrer dans l’épreuve d’un combat contre l’adversité intérieure jusqu’à devenir plus autonomes en prenant de l’âge. Certains même peuvent prétendre à l’érémitisme au bout du compte. On peut constater d’ailleurs, dans nos monastères, que la plupart des anciens finissent leurs jours dans cette forme de solitude, que ce soit dans le cadre de l’infirmerie ou même dans la vie plus courante. Les anciens, même s’ils restent présents à la vie communautaire, acquièrent une certaine distance par rapport aux choses qui passent et aident toute la communauté, et notamment les jeunes, à prendre un peu de recul par rapport à toutes les querelles, les confrontations, ou les discussions nécessaires mais très relatives de la vie quotidienne. Cette liberté donne aussi aux anciens, assez souvent, une belle complicité avec les plus jeunes, car au fond, les premiers n’ont plus rien à perdre et les seconds n’ont encore rien à perdre.

Saint Benoît est bien conscient de l’apport spécifique des uns et des autres à la vie de la communauté et c’est pourquoi il tient à ce que tout le monde soit consulté lorsqu’il y a une affaire importante à traiter dans le cadre du monastère (RB 3, 1). Il précise alors ceci : « Ce qui nous fait dire qu’il faut consulter tous les frères, c’est que souvent Dieu révèle à un plus jeune ce qui est meilleur » (3, 3). Comme il est bon d’entendre cela de la part d’un homme d’expérience tel que Benoît ! Loin de considérer le fait de se reconnaître fils, enfant de Dieu, comme une condition de dépendance irresponsable, l’auteur de la Règle précise au contraire qu’être jeune dans une communauté est aussi un appel à jouer pleinement son rôle avec cette caractéristique propre. Comme nous sommes loin des fonctionnements infantilisants que nous voyons si souvent dans nos saintes institutions ! Il arrive dans nos communautés – surtout dans l’hémisphère Nord – que même après avoir passé la cinquantaine, on soit toujours considéré comme un petit jeune qui n’a pas trop le droit de donner un avis divergent. Cela s’appelle de l’infantilisme et il est bon de le combattre avec vigueur. D’autant plus que les « jeunes » qui intègrent nos communautés  peuvent être aussi des adultes de trente, quarante ans et plus, nourris d’expériences multiples.

Après avoir donné son traité spirituel dans les premiers chapitres de la Règle, saint Benoît traite de questions pratiques où justement il décline les grandes orientations qu’il a posées au début.

C’est le cas au chapitre 22 où saint Benoît souligne l’importance du mélange des générations en parlant…. du sommeil des moines : « Les plus jeunes frères auront leurs lits entremêlés parmi ceux des anciens » à une époque où l’on dormait encore en dortoir. Concrètement, il s’agit d’éviter les ambiguïtés de relations entre jeunes frères, de profiter de l’encouragement de ceux qui sont plus aguerris à l’égard des débutants, mais également de conforter les plus anciens pour garder l’élan de la jeunesse. De telles mesures paraissent bien décalées dans un monde où l’on craint davantage les abus de la part de personnes plus âgées à l’égard de plus jeunes ! Mais faut-il tout considérer à l’aune d’une telle crainte ? L’encouragement mutuel des générations doit trouver des médiations. Celles-ci comportent toutes des dangers abusifs. Dans le cadre des monastères, mis à part ceux qui ont des structures éducatives, l’abus pourrait davantage consister en débordements homosexuels. La vigilance et la correction s’imposent bien sûr, elles ne doivent pas pour autant empêcher l’échange de richesses à l’intérieur de la communauté.

Il y avait aussi dans le monastère de saint Benoît des enfants qui étaient confiés aux moines par des familles afin qu’ils reçoivent une bonne instruction (cf. RB 59). Ils étaient traités de la même manière que les moines s’ils commettaient des erreurs ou des fautes. On leur appliquait d’abord la peine de la mise à l’écart pour un temps, et s’ils ne comprenaient pas la gravité de cette peine, on les soumettait à des mesures plus rudes. Saint Benoît veut croire à la capacité de perception spirituelle de cette jeunesse qui peuplait les monastères et qu’il n’était pas toujours facile d’accompagner (RB 20).

Le chapitre 68 sur la manière d’accueillir un nouveau membre est sans doute celui qui nous en apprend le plus sur ce que saint Benoît souhaite concernant les jeunes moines. Tout d’abord, l’entrée dans la communauté n’est pas rendue facile : « Il faut éprouver les esprits pour discerner s’ils sont de Dieu » (68, 2). Cela tranche sur l’attitude bien souvent rencontrée de la facilité avec laquelle on reçoit les jeunes dans la vie monastique. C’est une expérience exigeante qui nécessite une mise à l’épreuve pour prendre conscience de ce qui est en jeu.

Au temps de saint Benoît, il y a d’abord pour celui qui frappe à la porte, un séjour à l’hôtellerie puis, s’il persévère, l’introduction dans le lieu où vivent les novices ; ils y sont vraiment à part, y dormant et prenant leurs repas, et menant les différentes pratiques spirituelles.

Un ancien expérimenté, « capable de gagner les âmes », sera désigné pour les accompagner. Trois critères sont donnés pour cet accompagnement : examiner si le jeune cherche vraiment Dieu, s’il est fervent pour l’Office divin, s’il vit bien l’obéissance et les contrariétés qui ne manquent pas.

On peut donc reconnaître à la fois que les jeunes ne sont pas rois dans le monastère de Benoît mais qu’en même temps, leurs besoins spécifiques sont pris en compte : c’est pourquoi ils sont formés à part sous la conduite d’un ancien. Il y a une entrée progressive dans la communauté avec un soin particulier sur le cheminement intérieur. Cela tranche sur notre sensibilité actuelle qui cherche à intégrer le plus possible les nouveaux dans la vie de toute la communauté en valorisant leur apport spécifique. Il faut sans doute trouver un bon équilibre entre ces deux positions. Il y a là un enjeu important pour la vie monastique d’aujourd’hui. On mesure trop mal le décalage de mentalité entre les générations dans le monde contemporain ; décalage qui ne cesse de s’accélérer et qui demande des étapes d’approche pour permettre un sain dialogue entre des personnes d’âges différents et parfois de cultures différentes, autour de la médiation d’une même Règle.

Cette intégration progressive est d’autant plus importante que la valeur de l’engagement est aujourd’hui très relativisée. Il n’est pas rare de voir des moines ou des sœurs, après avoir fait solennellement profession, remettre en cause leur parole sans presque aucun scrupule. Ils peuvent même quitter le monastère sans préavis d’aucune sorte, pratique qui ne pourrait avoir lieu dans le milieu professionnel. Mais l’engagement monastique relève plus de la sphère privée, à l’exemple de ce qui a lieu dans le contexte de la famille pouvant aujourd’hui se faire et se défaire de plus en plus facilement.

Saint Benoît évoque le rang à garder dans la communauté (RB 63). Il préconise que celui-ci repose sur l’ancienneté de l’entrée au monastère et non sur l’âge de naissance ou à plus forte raison sur les distinctions sociales. Ainsi, « Celui qui sera entré au monastère à la seconde heure du jour, se reconnaîtra, quel que soit son âge ou sa dignité, plus jeune que celui qui est arrivé à la première heure » (63, 8). De la même manière, saint Benoît rappelle que « nulle part, il y aura avantage ou préjudice du simple fait de l’âge dans l’ordre à garder, puisque Samuel et Daniel, encore enfants, ont jugé les anciens » (63, 5-6). Dans ce même chapitre, en plus de sa mention au chapitre 4, saint Benoît redit que les jeunes honoreront les anciens et que les anciens auront de l’affection pour les jeunes. Il rappelle pour ce faire quelques règles de conduite fraternelle qui ne sont pas sans conséquences pour la vie ordinaire : le fait par exemple d’appeler les jeunes « frère, sœur » ou les anciens « nonnus, nonna » qui d’ailleurs a donné le substantif de « nonne » et qui signifie encore en italien « grand-père, grand-mère ». Le premier terme marque de la part des anciens une reconnaissance de fraternité selon le Christ et non de supériorité paternelle ou maternelle. Le second manifeste tout à la fois le respect et une certaine familiarité. Il pourrait s’interpréter comme « petit père, petite mère ». Ce n’est probablement pas la bonne expression à employer aujourd’hui, mais cela mériterait de trouver un équivalent.

Saint Benoît rappelle aussi quelques manières élémentaires, comme par exemple de se saluer lorsqu’on se croise, le plus jeune frère en prenant l’initiative. Dans la Règle, cela se traduit en appelant la bénédiction de Dieu par l’intermédiaire de l’ancien. De même, saint Benoît rappelle qu’un jeune se lèvera au passage d’un ancien et lui fera place pour s’asseoir. Tous ces petits gestes du quotidien sont le signe d’une attitude de respect plus générale de manière à constamment se prévenir d’honneur les uns les autres.

Dans des sociétés occidentales où les anciens sont souvent regroupés en des maisons spécialisées, l’exemple des monastères où se côtoient différentes générations peut avoir force de témoignage ; à condition cependant que les anciens, majoritaires dans certaines communautés dans le monde occidental, se gardent de la tentation de mettre à leur service des jeunes en très petit nombre ou parfois même réduits à l’unité ! À plus forte raison, si ce sont des jeunes moines ou moniales que l’on fait venir de l’étranger dans ce but non avoué !

Saint Benoît, par ailleurs, est très soucieux que deux membres de la même famille (dont souvent l’un est plus jeune) ne prenne la défense l’un de l’autre du fait des scandales que cela peut engendrer comme déséquilibre dans le groupe. Il demande aussi que les plus jeunes et les anciens – du fait de leur plus grande fragilité – ne soient pas repris à tout propos par les autres de façon désordonnée, comme par manière de défoulement.

Au final, la règle bénédictine, selon son auteur, a été écrite pour des débutants comme on l’a déjà dit. Si bien que dans le monastère, tous doivent être soucieux de garder un cœur d’enfant, désireux d’avancer sur la voie du commandement de l’amour afin que, dans un encouragement mutuel, le cœur de chacun puisse se dilater, et que tous courent avec joie vers le but qui n’est autre que l’union à Dieu. Cette finalité garde à tous le dynamisme de ceux qui vivent la nouveauté et la créativité de Dieu. En cette matière, l’âge importe bien peu !


Fête pour les jeunes professes de Ndanda (Tanzanie), congrégation des Bénédictines Missionnaires de Tutzing. © AIM.
Fête pour les jeunes professes de Ndanda (Tanzanie), congrégation des Bénédictines Missionnaires de Tutzing. © AIM.

Le jeune homme riche (Mt 19, 16-26)

2

Lectio divina

Mère Escolástica Ottoni de Mattos, OSB

Abbesse de Santa Maria, São Paulo (Brésil)

 

Le jeune homme riche (Mt 19, 16-26)

Une question, clé d’une recherche

 

19, 16 Et voici que quelqu’un s’approcha de Jésus et lui dit : « Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? ». 17 Jésus lui dit : « Pourquoi m’interroges-tu sur ce qui est bon ? Celui qui est bon, c’est Dieu, et lui seul ! Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements ». 18 Il lui dit : « Lesquels ? ». Jésus reprit : « Tu ne commettras pas de meurtre. Tu ne commettras pas d’adultère. Tu ne commettras pas de vol. Tu ne porteras pas de faux témoignage. 19 Honore ton père et ta mère. Et aussi : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». 20 Le jeune homme lui dit : « Tout cela, je l’ai observé : que me manque-t-il encore ? ». 21 Jésus lui répondit : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi ». 22 À ces mots, le jeune homme s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.

23 Et Jésus dit à ses disciples : « Amen, je vous le dis : un riche entrera difficilement dans le royaume des Cieux. 24 Je vous le répète : il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux ». 25 Entendant ces paroles, les disciples furent profondément déconcertés, et ils disaient : « Qui donc peut être sauvé ? ». 26 Jésus posa sur eux son regard et dit : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pour Dieu tout est possible ».

 

En lisant ce passage de Mt 19,16-26, arrêtons-nous sur les premiers mots : « Quelqu’un s’approcha de Jésus ». Contemplons la diversité des personnes qui s’approchent de Jésus dans l’évangile de Matthieu et leurs différents motifs. Mettons-nous aussi dans ce mouvement de rapprochement de Jésus, allons à sa rencontre :

4, 3 : le tentateur s’approche de Jésus pour le mettre à l’épreuve ;

4, 11 : les anges s’approchent pour le servir ;

8, 2 : un lépreux s’approche pour être purifié ;

8, 19-20 : un scribe s’approche et se propose pour le suivre partout ;

13, 36 : les disciples s’approchent pour demander le sens d’une parabole ;

17, 14 : un homme s’approche pour implorer pitié pour son fils lunatique ;

26, 7 : une femme s’approche avec un flacon d’albâtre pour oindre la tête de Jésus ;

26, 49 : Judas s’approche pour donner à Jésus le baiser de la mort.

Ici, en 19, 16, quelqu’un s’approche et demande : « Que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? ». La personne qui s’approche dans ce passage est appelée « quelqu’un » (eis en grec). Ce peut être chacun de nous. Cependant, c’est quelqu’un qui s’adresse à Jésus comme « Maître » ;

– il cherche à avoir la vie éternelle ;

– c’est un jeune homme ;

– il observe les commandements ;

– il est sans demi-mesure, dût-il s’éloigner tout triste parce qu’il se voit dans l’impossibilité de recevoir l’unique chose qui lui manque...

Ne rien avoir, seulement « un trésor dans les cieux », telle est la leçon finale.

Regardons le texte avec attention. Il est composé de deux scènes distinctes très structurées littérairement :

 

I. Dialogue de quelqu’un avec Jésus

a) s’approcher de Jésus (v. 16a)

            b) interroger Jésus (v. 16b)

                        c) recevoir une réponse de Jésus (v. 17)

            b’) interroger Jésus (v. 18a)

                        c’) recevoir une réponse de Jésus (v. 18b-19)

            b’’) interroger Jésus (v. 20)

                        c’’) recevoir une réponse de Jésus (v. 21)

a’) s’éloigner de Jésus (v. 22)

Ce dialogue est encadré par l’antithèse relevant un conflit et un combat d’autant plus forts qu’ils concernent un engagement de toute la vie et même de « l’après-vie ». Pour LE TOUT, tout est demandé :

v. 16 : « S’approcher » est opposé à « s’éloigner » (v. 22) ;

v. 16 : « Avoir la vie éternelle » est opposé « à avoir de grands biens » (v. 22).

À l’intérieur du débat, dans le verset 21, les antithèses sont nombreuses : aller ≠ venir ; vendre ≠ posséder ; donner aux pauvres ≠ avoir un trésor. Ces parallélismes antithétiques font contraste avec la synthèse très stable de l’annonce de Jésus : entrer dans la vie, entrer dans le royaume des cieux, entrer dans le royaume de Dieu (v. 17.23.24).

Le jeune homme est préoccupé d’AVOIR ; étant riche et habitué à tout posséder, il veut aussi en toute bonne intention et logique avoir la vie éternelle. Jésus lui présente une autre réalité : « Être parfait... me suivre » et pour cela ne rien avoir. Il s’agit d’une dépossession totale en vue de l’Absolu qui l’appelle. Comme le souligne Romano Guardini : « Posséder quoi que ce soit, c’est déjà être riche. (...) Ce qui importe est la possession elle-même et en elle-même »[1]. Saint Benoît nous rappelle bien cela au chapitre des bonnes œuvres : « Ne rien préférer à l’amour du Christ » (RB 4, 21). De même, à la fin de sa Règle, comme un témoin qui a fait un sérieux parcours dans la vie chrétienne et monastique, il dit : « Ne préférer absolument rien au Christ qui veuille bien nous conduire tous ensemble à la vie éternelle » (RB 72, 11-12).

Les commandements de la Loi, exprimés sous forme négative, montrent déjà la nécessité d’un manque qui creuse un vide, un vide nécessaire à une plénitude : se déposséder de l’instinct de tuer, de commettre l’adultère, de voler, de porter un faux témoignage. Paul Beauchamp affirme : « Les interdits du dialogue font le vide devant un espace où Dieu ne demande rien »[2]. Dans les commandements cités ici se concentrent toute la Loi.

Alors « Que me manque-t-il encore ? » (v. 20). « Si tu veux être parfait » (v. 21). L’adjectif teleios, du verbe teleio signifie littéralement : « une action accomplie », « menée à son terme », « parvenue à maturité ». C’est d’ailleurs ce qu’évoque déjà la racine du mot grec qui traduit « commandement », entolé : en teleios, en vue de l’accomplissement. Ce jeune homme n’est pas encore parvenu à maturité, bien qu’il observe les commandements ; il est pris dans un va-et-vient entre vendre et posséder, donner aux pauvres et avoir pour soi ; il n’est qu’au début du chemin. Le fondateur du hassidisme, Baal-Shem-Tov, rabbin du 17e siècle, nous livre cette perle de la tradition juive :

« Voici les paroles que dit Moïse à tous les fils d’Israël, au delà du Jourdain, dans le désert (Dt 1, 1). Il en est plus d’un qui estime avoir trouvé Dieu et ne le connaît point. Et il en est plus d’un qui croit soupirer vers Dieu de loin alors que Dieu est tout près de lui. Pour toi, pense toujours que tu te trouves au bord du Jourdain et que tu n’es pas encore entré dans le pays. Et si tu as déjà observé nombre de commandements, sache bien que tu n’as rien fait »[3].

Le jeune homme dans toutes ses approches et ses éloignements, dans ses nombreux va-et-vient, garde la nostalgie d’être comblé par ses propres biens. Il ne peut accepter le manque qui est la place de l’autre, du Christ, en lui.

 

II – Dialogue de Jésus et ses disciples

a) La parole de Jésus :

            1. difficilement un riche entrera (v. 23)

            2. plus facile à un chameau de passer (v. 24)

                        b) La question des disciples à Jésus: « Qui donc peut être sauvé? » (v. 25)

a’) La parole de Jésus :

            1. impossible aux hommes (v. 26)

            2. possible à Dieu (v. 26)

Au cœur d’une antithèse aiguë – « Difficilement... plus facile » – la question des disciples jaillit comme un drame, elle concerne le salut : « Qui donc peut être sauvé ? » (v. 25). « Être sauvé » est une réalité qui apparaît souvent dans l’évangile de Matthieu, depuis le début. Mettons nous en présence de ce questionnement :

– elle est liée au nom même de Jésus : « Et tu l’appelleras Jésus, car il sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1, 21) ;

– elle peut concerner aussi un péril : « Seigneur, sauve-nous, nous périssons » (Mt 8, 25) ;

– une infirmité : « Si je peux seulement toucher son vêtement je serai sauvée » (Mt 9, 21-22).

Ce qui est visé dans notre péricope est exprimé dans ce verset : « Celui qui tiendra bon jusqu’à la fin (eis telos) sera sauvé (sotesetai)” » (Mt 10, 22). Voici à nouveau la perspective de l’accomplissement. Rien ne peut aboutir en dehors de cette visée dernière. Mais concrètement, pour Jésus, aller jusqu’à la fin signifie aller jusqu’à la croix, la porte par laquelle on entre dans la vie. La question est si sérieuse que Jésus laisse entendre qu’une telle tâche n’est possible qu’à Dieu. Par là, Jésus nous apprend la nécessaire dépendance de Dieu pour être sauvé. Jésus lui-même ne s’est pas sauvé tout seul. C’est pourtant ce à quoi on l’invite lorsqu’il est sur la croix : « Sauve-toi toi-même si tu es le Fils de Dieu et descends de la croix » (Mt 27, 40). Et encore : « Il en a sauvé d’autres et il ne peut pas se sauver lui-même » (Mt 27, 42).

Jésus, Dieu et homme, n’a pas voulu s’exempter du manque, comme le dit saint Paul aux Philippiens 2, 16 ss : « Lui qui était de condition divine n’a pas retenu comme une proie à saisir le rang qui l’égalait à Dieu, mais il s’est vidé de lui-même, […] s’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, devenant obéissant jusqu’à la mort et la mort sur une croix ». Se sauver soi-même, c’est ne pas aller jusqu’au bout de la dépossession de soi, c’est descendre de la croix, ne pas avoir besoin d’elle. Pourtant c’est elle qui nous donne la clé de la dépossession.


Conclusion

Comme nous le dit l’épître aux Hébreux, Moïse « considéra l’humiliation du Christ comme une richesse plus grande encore que les trésors de l’Égypte, car il avait les yeux fixés sur la récompense dernière » (He 11, 26). La tradition juive nous dit que Moïse est entré dans la vie par le baiser de Dieu[4]. Même si nous parvenons à vivre cent vingt ans en dialogue avec Dieu, nous avons surtout, comme lui, à nous laisser courageusement désinstaller de nos certitudes trop formelles et de nos illusions. « De commencement en commencement »[5], mis en chemin, à la suite du Christ, par la trouée abyssale et fascinante et par l’innovation intarissable de cette question : « Que me manque-t-il encore ? ».


[1] Romano GUARDINI, Le Seigneur, Tome I, Paris, Ed. Alsatia, 1945, p. 322.

[2] Paul BEAUCHAMP, D’une montagne à l’autre, la Loi de Dieu, Paris, Ed. du Seuil, 1999, p. 33.

[3] Martin BUBER, Vivre en bonne entente avec Dieu selon le Baal-Shen-Tov, Ed. du Rocher, 1990. p. 106.

[4] Ovadiah CAMHY, Paroles du Talmud, Ed. Stock, 1951, p. 79.

[5] Cf. Grégoire de Nysse, Vie de Moïse, SC n. 1.


Un dromadaire en marche.
© AIM.

Être moine dans un jeune monachisme

3

Témoignages

Dom Alex Echeandía, OSB

Prieur de la communauté de Lurín (Pérou)

 

Être moine dans un jeune monachisme

 

Le mot « expérience » est habituellement utilisé pour une personne plutôt âgée, un homme ou une femme qui a vécu suffisamment dans le cadre d’une grande tradition d’habitudes, de coutumes et d’un style de vie. En ce sens, la tradition du monachisme péruvien est assez neuve, puisqu’elle est aussi récente que le premier monastère bénédictin qui y a été fondé dans les années 60.

L’Église du Pérou ne connaissait pas le mot « monachisme » quand les ordres mendiants sont arrivés. De fait, les moines n’étaient pas autorisés à venir par la Couronne espagnole parce que les nouvelles Indes étaient considérées comme une terre de mission. L’histoire rapporte que lorsque Christophe Colomb accomplit sont deuxième voyage en Amérique, il y avait déjà des frères franciscains. Le but principal était d’évangéliser le Nouveau Monde. L’évangélisation nécessitait la catéchèse et la disparition de toute forme d’idolâtrie.

Mais étrangement, l’évangélisation a été réalisée par des moines bien avant que les ordres mendiants n’existent dans l’Église. Dans l’Église des premiers siècles il y eut des moines missionnaires très célèbres comme saint Colomban, saint Augustin de Canterbury, saint Boniface de Fulda et bien d’autres qui portèrent l’Évangile en Europe et vers l’Est.

Le fait que les Ordres mendiants étaient bien vivants à la fin du 15e siècle a été crucial pour la décision des espagnols d’envoyer principalement des franciscains et des dominicains évangéliser l’Amérique. Par ailleurs la vie monastique en Espagne connaissait alors une période de réforme. Si bien que la Couronne ne demanda pas aux moines de se joindre à ce nouveau mouvement d’évangélisation. Seules les moniales de ces mêmes Ordres étaient invitées à porter l’intention de ces missions par leur prière et leur mode de vie. Dans l’histoire du Pérou, cependant, on doit dire qu’il y eut un petit groupe de moines qui vinrent d’Espagne. En effet, des Jéronimites et des moines de Montserrat s’établirent dans le pays mais comme une simple présence sans aucun développement.

Il y eut aussi, d’une manière étonnante, un monastère cistercien fondé au 16e siècle à Lima par une mère et sa fille, Lucretia de Sanzoles et Mencia de Vargas : le monastère de la Sainte-Trinité. Avec l’approbation du Pape, la fondation fut érigée par saint Toribio de Mogrovejo, alors archevêque de Lima. Le monastère a existé du 16e siècle jusqu’à sa suppression dans les années 1960. Les moniales cisterciennes de Las Huelgas (Espagne) sont venues en 1992 pour refonder le monastère dans la banlieue sud de Lima, à Lurín, et ont repris ainsi l’histoire de ce monastère. Elles sont retournées en Espagne en 2017 en raison d’un manque de vocations, et nous ont demandé de reprendre ce monastère où sont enterrées les fondatrices et des moniales cisterciennes décédées. Nous vivons maintenant sur place, continuant l’histoire, la tradition et surtout la prière d’une communauté monastique dans l’Église du Pérou. Les faits historiques manifestent assurément combien Dieu travaille selon des perspectives inattendues.

Je mentionne ces faits historiques parce que, après quatre projets avortés venant de différentes régions et de congrégations bénédictines, nous avons survécu si longtemps par la grâce de Dieu. Nous sommes la première communauté bénédictine au Pérou vivant la vie monastique avec uniquement des moines péruviens. Le monachisme masculin est quasiment inconnu au Pérou. Mais le Seigneur a inspiré des hommes pour vivre un style de vie qui existe depuis les premiers siècles de l’Église, et au sein d’une riche tradition.

Personnellement, je ne connaissais pas grand chose de la vie monastique du fait qu’il n’y avait pas beaucoup d’informations à ce sujet dans l’Église du Pérou. Les premiers Ordres établis dans le pays étaient les mieux connus. Cependant, le Seigneur appelle des hommes et des femmes à le chercher dans la perspective dynamique d’une vie de prière et de travail, avec l’Office divin, la lectio et l’étude, l’accueil et l’accompagnement spirituel à l’intérieur même du cloître et pour le monde entier et l’Église entière.

J’ai rejoint le monastère quant j’avais vingt ans. J’y ai rencontré  une petite communauté fondée en 1981 (seulement deux ans avant ma naissance !) par l’abbaye de Belmont en Angleterre. Je fus invité à le visiter, sans savoir l’immense joie qu’allait produire en moi le première heure de prière à laquelle j’allais participer : l’office de Complies. Je fus captivé et touché au plus profond de mon être. Quelque chose d’étrange et de nouveau se produisit. Je faisais par expérience la connaissance de ce qu’était la vie monastique. Prier les psaumes était concrètement pour moi une rencontre de Dieu dans ma propre vie de foi.

Monastère de Lurín.
Monastère de Lurín.

Je ne connaissais presque rien sur la culture monastique. Progressivement, j’en appris davantage sur l’histoire, le sens, la richesse et le but de ce genre de vie. C’était une rencontre de Dieu par un chemin bien mystérieux. Le Seigneur me fit faire l’expérience de son appel et de ma réponse dans le contexte d’une vie monastique.

Comme je l’ai dit, il n’y avait pas vraiment d’histoire monastique dans les pays de langue espagnole en Amérique du Sud. À la différence du Brésil, qui est portugais, les autres pays d’Amérique du Sud n’ont reçu les premières fondations monastiques qu’à la fin du 19e siècle. Il est intéressant de noter que si le monachisme est le point de départ de la vie religieuse dans l’Église, c’est une réalité totalement neuve dans la vie religieuse sur ce continent latino-américain.

Moi-même et ma communauté au Pérou avons fait l’expérience de la présence de Dieu au fur et à mesure que nous nous sommes développés dans la terre désertique du Pérou. La communauté comprend maintenant sept moines de vœux solennels, il y a aussi deux jeunes stagiaires et un certain nombre se préparant à entrer.

Le Seigneur m’a appelé à vivre la vie monastique dans un temps et un espace donnés. Il m’a invité, ainsi que mes frères, à suivre le Christ en vivant selon la règle de saint Benoît. C’est ainsi que la vie monastique s’est établie dans notre pays pour qu’en toutes choses, Dieu soit glorifié.

Devenir soi-même au monastère

4

Témoignages

Sœur Maria Terezinha Bezerra dos Santos, OSB

Monastère do Encontro (Brésil)

 

Devenir soi-même au monastère

 

On m’a demandé un témoignage sur mon expérience de la vie monastique, mais je préfère appeler cela un partage sur ce que la vie monastique consacrée signifie dans mon cheminement humain, chrétien et spirituel.

Je suis moniale bénédictine du monastère d’Encontro situé à Mandirituba, dans l’état du Paraná, Brésil. Je suis née à Palmeira dos Índios, Alagoas. J’ai quinze ans de vie monastique et neuf ans de profession solennelle.

Nous savons que la vie chrétienne est déterminée par des verbes de mouvement, même quand elle est vécue dans un monastère ; c’est une recherche continue[1]. Dans la règle de saint Benoît, nous le savons, chercher Dieu est le premier critère de discernement d’une vocation monastique[2]. Chercher Dieu dans l’Office divin, c’est notre premier service, d’où dépend toute l’organisation de notre vie. Découvrant cela, j’ai compris que mon travail ne serait « vu » ni apprécié que par bien peu de monde, qu’il n’y aurait pas d’éloges ni de louanges. Au début, je le reconnais, ce ne fut pas facile, mais avec le temps, j’ai compris que mon service, notre service, au monastère d’Encontro, même s’il n’est pas reconnu comme on pourrait l’espérer, est d’abord une grâce que l’on reçoit. Je sais que notre vie de prière, d’intercession pour toute l’Église et pour le monde, donne des fruits, mais c’est le Seigneur lui-même qui les cueille.

Je dois dire en toute sincérité que je n’ai jamais pensé être religieuse, et encore moins moniale. Mais Dieu a conduit ma vie d’une telle façon que ce fut impossible de dire non à son appel. Je ne connaissais pas la vie monastique, mais j’avais un ami moine bénédictin, et j’ai été dans son monastère à Santa Rosa, au Rio Grande do Sul, pour faire une retraite de préparation à une possible entrée dans une congrégation de vie apostolique. Quand j’ai participé aux Vêpres pour la première fois avec les moines, je ne sais pas ce qui s’est passé, mais ce fut clair pour moi que Dieu m’appelait à une vie comme celle-là. J’en suis revenue décidée à entrer dans un monastère, mais je ne savais pas où. Mon ami m’a donné des adresses de quelques monastères, entre autres le monastère d’Encontro.

Quand je suis arrivée dans ce lieu, mon premier désir fut de m’enfuir tout de suite. J’ai pensé que ma place n’était pas là, mais je suis tout de même restée les huit jours prévus. À la fin du séjour, j’ai demandé à faire une expérience de trois mois. Et voilà quinze ans que j’y suis. Mon oui est passé et continue à passer par beaucoup de purifications. Et j’en rends grâce au Seigneur ! Quand je suis entrée, je pensais que, dans la vie religieuse, la sainteté était « automatique ». J’étais très tournée vers moi-même, et je pensais qu’au monastère je pouvais vivre tranquille dans mon coin. Je dois reconnaître que ce ne fut pas facile pour moi d’accepter que la vie monastique, ce n’était pas prier et vivre dans mon monde. Petit à petit, j’ai découvert que la vie monastique, c’était justement le contraire : sortir continuellement de moi, aller à la rencontre de l’autre, que ce soit dans la prière, dans la vie communautaire, ou dans l’accueil de ceux qui arrivent au monastère.

Le monastère a un nom qui est très parlant : monastère de la Rencontre, surtout quand on pense que le pape François insiste souvent sur la culture de la rencontre. Je puis dire que j’ai fait cette expérience plusieurs fois et de différentes manières, mais je ne soulignerai que trois expériences où j’ai vécu et continue à vivre ce mystère de la Rencontre.

La première rencontre fut avec moi-même. Dès le début, j’ai découvert une sœur Maria Terezinha que je ne connaissais pas. Cela ne signifie pas qu’elle n’existait pas, mais je la maintenais cachée sous d’autres apparences. J’ai toujours vécu mes sentiments et mes relations très superficiellement, ayant peur de toucher mes fragilités. J’avais peur aussi que les personnes puissent découvrir une Terezinha capable d’avoir des sentiments condamnables. Je ne voulais pas qu’on touche ma rage, mes jalousies, je ne voulais pas regarder en face une Terezinha avec ses limites humaines et spirituelles. Vraiment, je me suis vue face à mon humanité. Cette rencontre a été indispensable pour que je puisse faire un chemin d’auto-acceptation et de réconciliation avec ma propre histoire de salut. Au monastère, j’ai fait l’expérience de me sentir aimée telle que je me découvrais, sans avoir besoin de me montrer autre. Je pouvais être moi-même, avec mes qualités et mes limites, et cela m’a donné du courage pour continuer mon chemin de conversion. J’ai expérimenté la patience de mes sœurs qui, même en silence, exprimaient qu’elles croyaient en moi.

Et c’est la seconde rencontre, la rencontre avec ma communauté. L’expérience d’être acceptée et accueillie par ma communauté m’a fait découvrir combien j’avais besoin des autres qui osaient m’affronter, et qui m’aidaient à sortir de mon confort. En même temps, grâce à la vie communautaire, j’ai découvert des dons en moi que je ne connaissais pas et j’ai pu les développer. Mon expérience dans la vie communautaire a été pour moi une « renaissance ». Chaque jour, je sens que le Seigneur me recrée à partir de « la matrice » qu’est ma communauté. Il m’apprend à recommencer, il guérit mes blessures et me révèle son amour par des personnes que je n’aurais jamais pensé rencontrer. Je dois apprendre à créer des relations avec des personnes différentes qui ne sont pas toujours d’accord avec mes idées, ni moi avec les leurs, et que je dois respecter comme elles sont. Ce n’est pas un chemin facile, mais ce processus m’apprend à chercher le vrai sens d’être et de rester au monastère. Avec la vie communautaire, j’apprends de plus en plus que je ne peux pas marcher seule et que j’ai besoin de relations vraies pour vivre ma consécration comme le Seigneur me le demande.

Quand j’ai compris que je ne pouvais pas vivre ma consécration avec des réserves dans mon monde à moi et que je devais marcher avec mes sœurs, faisant souvent mourir ma volonté propre, j’ai découvert ce que signifie être consacrée à cause du Royaume, pour construire le Royaume, déjà ici et maintenant. C’est en vivant, marchant et servant la communauté que je réponds vraiment au désir d’être fidèle dans la suite du seul Seigneur.

Vitrail de la Rencontre, chapelle du monastère.
Vitrail de la Rencontre, chapelle du monastère.

La troisième expérience de la rencontre, c’est avec les personnes qui viennent au monastère. Saint Benoît dit que les gens qui arrivent doivent être accueillis comme le Christ[3]. Dans la pratique, et au jour le jour, ce n’est pas si simple que cela. Au début, je ne comprenais pas pourquoi je devais accueillir ceux qui arrivaient à des heures inappropriées… Je ne comprenais pas pourquoi je devais laisser le travail ou la prière pour aller à la rencontre de ceux qui venaient. Petit à petit, j’ai compris que ceux qui viennent cherchent la paix. Ils veulent être accueillis, écoutés, se sentir aimés et valorisés en tant que personnes. Beaucoup de gens qui viennent ont souvent tout ce que le monde et l’argent peuvent donner, mais ne rencontrent pas l’essentiel. Alors j’ai compris que ceux qui viennent cherchent Celui qui seul peut rassasier leur faim et remplir leur vide. Ces personnes cherchent Dieu, et ma façon de les accueillir peut aider à cette rencontre. Aujourd’hui, je sais que chaque fois que j’accueille quelqu’un, je peux être un instrument de Dieu pour cette personne. Mais je sais aussi que ces personnes sont encore plus un instrument de Dieu pour moi, en ma vie. Dieu peut nous utiliser et peut se servir des autres, nos frères et nos sœurs, pour manifester sa grâce et sa présence en nos vies.

Je ne peux pas finir ce partage sans remercier toute l’équipe de l’AIM, qui, depuis le début de ma vie monastique, a été présente avec son aide pour la formation initiale, a aidé pour que je puisse participer à l’école des formateurs, et dernièrement au cours de formation monastique cistercienne à Rome. Le Seigneur agit en nous avec sa grâce, mais je sais bien que je dois m’ouvrir à tout ce qu’il nous offre. Que l’AIM soit bien remerciée pour son dévouement en faveur de notre formation, nous donnant non seulement les moyens mais aussi les outils pour bien vivre la vie monastique.


[1] Ano da vida consagrada, Alegrai-vos: Carta circular aos consagrados e às consagradas do magistério do Papa Francisco, São Paulo, Ed. Paulinas, p. 23.

[2] Règle de saint Benoît 58, 7.

[3] RB 53, 1.

Une expérience de liberté intérieure en vue de l’union à Dieu

5

Témoignages

Frère Edmond Amos Zongo, OSB

Monastère de Koubri (Burkina Faso)

 

Une expérience de liberté intérieure

en vue de l’union à Dieu

 

Par ces lignes je voudrais essayer de dire ce que représente la vie religieuse dans l’Église et, en conséquence, ce que la vie monastique représente pour moi.

De nos jours, la vie monastique apparaît aux yeux de beaucoup de jeunes chrétiens comme un mode de vie religieuse d’une époque dépassée, car pour eux le moine ne fait pas d’apostolat direct. Je ne chercherai pas à me justifier car pour moi la vie monastique a sa source dans l’Évangile, Parole vivante, actuelle, qui lui donne toujours son utilité. Il est facile d’apprécier positivement ou négativement la vie monastique de l’extérieur, mais parler d’une expérience singulière est à la fois plus difficile et plus utile. Je suis jeune et presque sans expérience pour parler de ce que je vis là. Seuls les vrais moines, c’est-à-dire ceux qui ont au moins une trentaine d’années de vie religieuse, pourraient le faire. Mais néanmoins je dirai le peu que je ressens.

Je me nomme frère Edmond Amos Zongo. J’ai senti l’appel à la vie religieuse comme beaucoup d’autres quand j’étais très jeune ; j’en ai parlé au prêtre chargé des vocations dans ma paroisse d’origine. Il m’a tout d’abord orienté vers le petit séminaire pour devenir prêtre diocésain. Mais je lui ai fait savoir que je sentais en moi l’appel à une vie plus contemplative qu’active ; cependant ne connaissant pas de monastère en Afrique, cela me paraissait difficile. Il m’a fait savoir qu’il existait un monastère bénédictin dans l’archidiocèse de Ouagadougou. Il s’est chargé de faire les démarches pour moi. Dieu soit loué !

La première prise de contact avec le monastère eut lieu en août 1995. Après différents stages, je suis rentré définitivement en octobre 1997. À la fin du noviciat, je me suis engagé par la profession temporaire le 18 octobre 2001 et solennelle le 10 février 2007.

La vie monastique est une vie religieuse comme les autres formes de vie religieuse avec l’engagement à suivre les conseils évangéliques que l’histoire a résumé dans les trois vœux de pauvreté, chasteté et obéissance. Pour les moines qui suivent la règle de saint Benoît il y a le vœu d’obéissance, celui de stabilité et celui de conversion de sa vie qui englobe la pauvreté, la chasteté et d’autres dimensions de la vie religieuse. Le monachisme est beaucoup plus ancien que les autres formes de vie religieuse chrétienne. Sa particularité pour moi est le fait d’être plus centré sur la prière que sur le travail. Notre Ordre a pour devise : « Ora et labora ». Sciemment Ora est en tête de cette devise. La tradition l’a placé en premier lieu car saint Benoît ne voulait pas que le travail domine sur la prière : la tendance naturelle de l’homme c’est de mettre le travail en premier lieu. Un proverbe des commerçants dit que « le client passe mais le Bon Dieu est stable ». Ainsi le travail passe mais tu peux toujours prier à l’heure que tu veux. Par cette même devise « ora et labora », saint Paul fustige les chrétiens : « Celui qui ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » (2 Th 3,10). Car Dieu a mis l’homme sur la terre pour la continuation de son œuvre : « Tu vivras à la sueur de ton front » (Gn 3, 17-19). Malgré tout, une gloire de saint Benoît est aussi d’avoir réhabilité l’amour du travail, « L’oisiveté est l’ennemi de l’âme » (RB 48). Dans les vœux monastiques, chacun a son importance et joue un rôle complémentaire par rapport aux autres, cependant le moine doit prier en toute chose y compris en accomplissant sa charge de travail.

Les frères du monastère de Koubri.
Les frères du monastère de Koubri.

La pauvreté : de prime abord il faut faire une nette distinction entre la pauvreté dont parle Jésus et une certaine pauvreté qui est synonyme de misère. Dans la misère on ne peut pas chercher Dieu. Un proverbe l’affirme bien : « Celui qui est tenaillé par la faim est sourd à toute parole ». La pauvreté évangélique est une pauvreté librement choisie pour atteindre le but que Jésus propose dans les béatitudes, « Heureux les pauvres car le Royaume des cieux est à eux ». En tant que disciple de Jésus j’ai choisi cette forme de pauvreté pour être libre de tout attachement dans le but de pouvoir servir librement. C’est seulement dans la vie chrétienne et religieuse que la pauvreté est vue comme une vertu. Notre monde a horreur de ce mot, car chacun, jeune ou vieux, désire être libre alors que la pauvreté contraint à être sous la dépendance de quelqu’un.

La chasteté également aide les religieux/ses à se consacrer entièrement au service de l’Église pour pouvoir être frère ou sœur de tous sans exception de race ou d’ethnie. N’ayant pas de femme ou d’enfants, nous cherchons à aimer toute personne par le même amour que celui du Christ : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Sans ce vœu de chasteté, je pense qu’il me serait difficile, voire même impossible, de me consacrer entièrement au service de l’Église universelle. Mais je n’ignore pas que c’est le vœu le plus difficile et le plus compliqué. Actuellement l’une des faiblesses de l’Église catholique vient de ce vœu qui crée des ennuis aux hommes et femmes consacrés au service de l’Église. Pour moi, seule la vie communautaire peut m’aider à vivre pleinement ce vœu. Il est très exigeant et peut nous mettre parfois vraiment mal à l’aise.

De ce vœu j’aboutirai au vœu d’obéissance. Saint Benoît parle de l’obéissance dans plus de trois chapitres : RB 5 ; 68 ; 71 (72 qui est selon moi un complément du 71). L’obéissance pour moi en tant que Mossi (une des ethnies du Burkina) n’est pas très difficile, car dans notre culture, l’enfant est contraint d’obéir à ses aînés. Mais est-ce la même obéissance que celle dont parle saint Benoît ? Je dirais non car saint Benoît parle de deux sortes d’obéissance. Au chapitre 5 de la Règle, c’est l’obéissance aux supérieurs alors qu’en RB 71, il est question de l’obéissance mutuelle. C’est là que l’obéissance demande un discernement : il est difficile d’obéir à un inférieur. Pour que cela devienne plus aisé, il faut que le moine soit vraiment imprégné de la vie monastique. Il n’obéit pas à un être humain mais à un ordre venu de Dieu transmis par son prochain. Celui qui arrive à un tel degré de perception spirituelle ne souffre plus de l’obéissance.

La stabilité, vœu propre aux moines, attache le moine à un lieu fixe. Là où le moine s’engage, cette communauté devient pour lui une nouvelle famille, plus encore qu’une famille adoptive, cette communauté devient pour lui comme un bien privé. Le vœu de stabilité nous aide et même nous oblige à cultiver un climat de paix car nous sommes désormais condamnés à voir tous les jours les mêmes visages, c’est-à-dire les mêmes personnes. Avec le vœu de stabilité nous nous découvrons complètement : nous pouvons affirmer que nous connaissons un tel car nous avons vécu avec lui pendant quinze ans, quarante ans, voire plus, dans le même monastère. La vie monastique est caractéristique d’un tel phénomène. La stabilité est une valeur à cultiver.

Pourquoi les moines se retirent du monde pour vivre à l’écart ? Plus l’âme se dégage, plus elle se rend libre et plus elle est apte à atteindre son Créateur et disposée à accueillir les grâces de Dieu. C’est Jésus qui nous a montré l’importance du retrait pour un temps de face à face avec Dieu. Quand Jésus se retirait, ce n’était pas pour aller se détendre mais pour aller implorer celui qu’il nommait son Père. Les moines n’ont pas inventé la prière ni la retraite pour pouvoir s’unir à Dieu. Chaque fois que Jésus avait quelque chose d’important à faire ou à décider, il se retirait sur les hautes montagnes. Pour moi les altitudes symbolisent le désert dont parlent les anciens. Dans toute religion il y a la prière : c’est le lieu par excellence du silence qui permet de rentrer en contact avec le Dieu au-delà de tout. Chaque jour le moine cultive ce climat de silence en lui et autour de lui. C’est l’amour du silence qui pousse le contemplatif à prendre un temps de recul, à se retirer dans le désert. Ce silence lui permet d’être seul avec le Seul. En se retirant du monde, j’ai plus de temps pour louer Dieu et en même temps implorer la bonté divine pour toute l’humanité.

Ce qui me plaît le plus dans la vie monastique ce sont : la vie communautaire, la prière avec sa dimension de silence, et le travail. La vie est faite pour être partagée. Le moine cénobite est celui qui vit sans être seul. Dieu est avec lui et il est rattaché à une communauté. Dans la vie communautaire, je vis avec des frères ; on s’épaule mutuellement pour essayer ensemble d’avancer pas à pas, en suivant le rythme de chacun, jour après jour, vers la perfection. Ce véritable soutien ou partage concerne tous les domaines : service rendu, encouragement mutuel et particulièrement l’amour que nous avons les uns pour les autres. Dans cette vie communautaire, je retrouve le type de famille que j’ai quittée. C’est dans la prière que la communauté puise sa force pour la vie fraternelle. Une communauté qui ne prie pas ne peut pas être vraiment une communauté religieuse ; c’est au mieux une association pour un but donné.

C’est par le travail que la communauté des frères gagne sa vie : car notre père saint Benoît souhaite que « les frères vivent du travail de leurs mains » (RB 48, 8). Pour moi, la vie monastique est pour l’Église universelle ce qu’est le souffle pour le corps humain. Sans une vie entièrement consacrée à la prière pour soi-même et pour les autres, notre monde sera sous l’emprise du Mauvais. Je suis très heureux d’être moine car je suis convaincu de l’utilité de la vie monastique ; même si mon ministère est invisible, il est capital et irremplaçable. Mon ministère à moi, c’est de prier pour l’humanité tout entière. Et c’est Dieu qui sait à qui et à quoi ma prière peut aider. C’est lui qui répartit mon petit effort de tous les jours. Les autres formes de vie religieuse sont, elles aussi, importantes et même très importantes mais pas irremplaçables. Même si l’Église cesse de tenir des écoles pour l’instruction des enfants, chaque pays peut et doit assurer cette responsabilité, tandis que pour la prière ce n’est pas le cas. Même dans les pays à caractère religieux, l’état ne peut pas imposer à tout le monde de prier.

La prière dans la vie monastique : dans la vie monastique nous donnons à Dieu notre vie, notre foi, tout notre être. Il devient notre sécurité, notre force et tout simplement notre source de vie. Je peux être trahi par mon prochain mais jamais par Dieu. Ma foi, ma confiance s’appuie sur le Fils de Dieu mort et ressuscité pour sauver l’homme, à commencer par moi-même. Quoi de plus normal que de faire tout mon possible pour lui montrer ma reconnaissance. Dieu est miséricordieux, cette miséricorde de Dieu se ressent fortement dans la vie monastique car chaque jour je compte sur lui. J’ose dire que l’originalité de notre vie consiste à montrer que l’agapè (amour) de Dieu se concrétise, ou plutôt doit se concrétiser, quand nous nous aimons comme Dieu le commande. Surtout quand je chante le psaume 132 (« Qu’il est bon, qu’il est doux pour des frères de vivre ensemble et d’être unis »), je vis la joie de l’idéal monastique qui est si difficile à atteindre. C’est dans la prière que je rencontre Dieu et que je peux causer avec lui comme mon Maître et mon Sauveur. Je suis créé pour vivre en présence continuelle de Dieu : c’est là que je réponds à mon titre de religieux. Le religieux est un homme relié à l’Être suprême. Celui-ci veut que nous le découvrions toujours plus. Dans cette forme de vie religieuse, comment l’homme peut-il entrer en contact avec Dieu sinon par la prière ? Dans ma prière de chaque jour je ne cesse de penser à tous ceux qui mettent leur confiance en Dieu et j’implore la miséricorde de Dieu pour tous ceux qui ont besoin d’une quelconque prière. La vie monastique devrait nous faire tendre tous les jours vers la perfection : connaître le Seigneur, l’aimer, c’est là mon plus grand bonheur.

Maintenant je voudrais invoquer un autre point de la prière si propre aux moines : la lectio divina. Le concept de la lectio divina mérite d’être précisé car ce terme peut désigner une étude ou la lecture d’un ouvrage spirituel. En fait, son vrai sens porte sur une lecture des saintes Écritures. D’autres traditions religieuses connaissent la méditation. La lectio divina est une lecture qui aboutit à la méditation. C’est quand on a mangé qu’on digère. La méditation c’est quand on a quelque chose dans la mémoire et que l’on y accède. La lectio divina s’ouvre à la méditation, qui se transforme en prière ou en contemplation. La méditation des Écritures saintes équivaut à mâcher la nourriture. Cette « rumination » du texte consiste à lire l’Écriture en se laissant transformer par elle. De cet éclairage du texte jaillit le sens spirituel. Cet éclairage, c’est le Christ qui nous le donne. Donc, tout moine doit être un spécialiste de la lecture car chaque jour il fait sa lectio. Avec la lectio, je dirais que la lecture est un art qu’on doit apprendre. Ce n’est pas parce qu’on sait déchiffrer l’alphabet qu’on lit. Dans la lectio on lit en sachant ce dont on veut profiter.

Depuis que je suis dans la vie monastique, bien que chaque vie ait ses problèmes et ses difficultés, je suis généralement très à l’aise.

Le proverbe dit qu’il n’y a pas de bon pays mais qu’il faut savoir vivre et bien s’intégrer. Quand je suis entré dans cette vie, j’avais un projet auquel j’aspire toujours : la perfection. Vivre sans objectif conduit au découragement. Au jour de découragement, si tu as un objectif, tu peux vaincre le découragement.

Cher frères et sœurs lecteurs, pour conclure ce travail je demande votre clémence car c’est l’expérience d’un jeune moine et non d’une personne expérimentée. Je sais que certains trouveront cette expérience édifiante mais d’autres penseront le contraire. Qu’est-ce qu’un novice peut apporter à des gens qui ont dévoré les écrits des grands spirituels comme saint Benoît, saint Anselme, saint Dominique et bien d’autres ? Un sincère merci à tous ceux qui porteront un intérêt particulier à cette lecture.

La fragilité et la force d'une communauté monastique

6

Témoignages

Frère Nichodemus Ohanebo, OSB

Moine de Ewu-Ishan (Nigeria)

 

La fragilité et la force

d’une communauté monastique

 

Dans une des belles pages de son livre « Lettres du désert », Carlo Caretto écrivait : « Dieu construit son Église avec des pierres aussi fragiles que nous » – c’est exactement ce qui s’est passé et continue de se passer pour mon monastère. La solidité de telle ou telle maison de Dieu et de telle ou telle partie du Corps du Christ ne tient pas à la force des vertus ou à la faiblesse des péchés de tel ou tel de ses membres, mais à l’amour de Dieu qui considère qu’il convient, pour révéler sa divine volonté, de créer telle communauté, d’établir un lien entre tel corps et le grand Corps du Christ. Autrement dit, ce ne sont pas les pierres fragiles qui consolident l’Église, mais c’est l’amour prévenant de Dieu, au cœur des pierres elles-mêmes.

Pour présenter ma communauté, comme la politesse l’exige, je dirai que le monastère Saint-Benoît, qu’on appelle « le monastère d’Ewu », parce qu’il est situé sur une simple colline du village d’Ewu-Esan, au sud du Nigéria, est une communauté monastique masculine qui mène la vie cénobitique sous la règle de saint Benoît de Nursie (480-547), et fait partie de la congrégation bénédictine catholique romaine de l’Annonciation. Nos activités quotidiennes vont de la prière au travail, du travail au service des autres et du service à l’essentiel partage de la vie communautaire. Mais à quoi ressemble la vie au monastère d’Ewu ?

Sans me casser la tête et m’engager dans de grandes réflexions sur ce qu’est cette vie, je dois avouer que cette communauté est un groupe d’hommes décidés, chez qui se retrouvent toutes les expressions les plus spontanées et les plus normales (et parfois les plus anormales) de notre humanité, sans la moindre modération. En menant concrètement cette vie d’hommes, nous prenons conscience que la conversion et l’ascèse des moines ont tout leur sens et à tout instant, que les hommes doivent écouter la Parole de Dieu et y prêter attention. De même qu’on voit pousser toutes sortes de plantes dans le moindre recoin du monastère, on voit germer parmi les moines d’Ewu – chacun selon sa grâce particulière – toutes les fleurs bien humaines de notre humanité. Essayer de comprendre les frères d’Ewu, c’est parfois comme écrire quelques vers d’un poème tout simple, suivant l’inspiration du moment, au fur et à mesure que les événements de la vie quotidienne se succèdent, car on n’y arrive qu’en affrontant carrément la vie ordinaire, toute naturelle et bien réelle. Les frères ici sont tout à la fois réfléchis et spontanés à divers niveaux. Notre communauté est un continuel surgissement, une invention de tout instant.

Les frères du monastère d'Ewu-Ishan.
Les frères du monastère d'Ewu-Ishan.

Pour moi, la vie à Ewu est une expression vivante de la vie chrétienne à la fois tout à fait ordinaire et extraordinaire, en un beau mélange d’expériences et d’expressions de notre humanité. La vie qu’on mène ici est pratiquement une découverte et une redécouverte de soi-même, au-delà du visible. À Ewu, tout en prenant au sérieux la prière, le travail et diverses études, nous sommes aussi attentifs à l’originalité de chaque frère en tant que personne – cette personne qui doit être sauvée, cette personne avec ses imperfections, et cette personne qui sait très bien comment être elle-même, comment être moi-même. Un exemple : en l’absence de tout autre frère ancien, un novice assez dégourdi s’est trouvé prendre place à table tout près du Prieur. Après le repas, un autre frère lui demanda ce qu’il avait ressenti de s’être assis si près du Prieur et il répondit d’une voix forte : « J’avais l’impression d’être quasiment devenu sous-prieur », et tous d’éclater de rire. Si un novice avait dit la même chose dans une autre communauté, les rires se seraient peut être transformés en injonction à prendre la porte, pour avoir ainsi prouvé, par son manque d’humilité, qu’il n’avait pas la vocation. Mais c’est le genre de choses qui arrivent à Ewu. Cela ne veut pas dire qu’on admette tous les excès et tous les extrêmes, mais cela montre que notre communauté n’est guère parfaite et que les frères cherchent à faire vibrer, sous le doigt de Dieu, la corde qui fera jaillir le plus beau son du chant mystique qui résonne au cœur même de la vie la plus simple et la plus ordinaire.

À Ewu, disputes et réconciliations, incompréhensions et querelles finissent par s’harmoniser en une vision commune d’où, en fin de compte, les différences ont disparu ; on y commet bien des erreurs et si quelques-unes sont corrigées, d’autres demeurent béantes telle une cicatrice sur le visage de la communauté, un visage où, comme en miroir, on se regarde et où l’on découvre les effets des mauvais choix qu’on a pu faire, même en tant que communauté. Quand je regarde la vie qu’on mène à Ewu, à travers les yeux de ma propre faiblesse, je vois chaque frère avec certaines de ses limites (sinon presque toutes), et pourtant il reste tout à la fois un saint potentiel et bien réel. Notre façon de vivre me fait parfois penser que nous aurions besoin d’aide et qu’en même temps nous pourrions en aider d’autres, que ce soit sur le plan spirituel, matériel psychologique et même médical, émotionnel et tout autant sexuel, dans le domaine du tangible et de l’inconnaissable, du concret comme de la mystique.

Quiconque se complaît à être moins que lui-même se rend d’autant moins capable de changer en vérité et en profondeur. Et c’est parce que, à Ewu, nous sommes imparfaits qu’il nous faut avant tout, à mon sens spirituel, toucher du doigt nos imperfections, reconnaître nos zones d’ombre, leur donner si possible un nom et les mettre en pleine lumière, en les offrant à Dieu dans le genre de vie que nous menons. Nous cherchons Dieu, le Père de Jésus, c’est clair à mes yeux. Ce qui signifie, à mon avis, que si vous cherchez une communauté de moines parfaits, il ne faut pas venir à Ewu, mais qu’en contre-partie, vous risquez bien d’y rencontrer quelques saints.

Enfin, et je ne dis pas cela parce que je suis un des frères de la communauté, mais parce que je le constate ici : les frères d’Ewu sont en marche vers le milieu ou le cœur, ou le centre d’une vie authentiquement vécue en Dieu. Certes, ils traversent encore certaines crises, comme il est normal à tout groupe humain, mais s’ils continuent à mener leur vie quotidienne et à vivre leur expérience en toute simplicité et consciente spontanéité, ils feront exactement vibrer la corde de la note que Dieu, l’Absolu, est en train de chanter, et ce qu’ils sont résonnera parfaitement en harmonie avec ce qu’est le grand Corps du Christ. Nous prions pour atteindre ce sommet, afin que le Christ soit glorifié en toutes choses et qu’il puisse « nous conduire tous ensemble à la vie éternelle » (RB 72, 12).

En Afrique du Sud, les défis et les joies de la vie monastique

7

Témoignages

Sœur Antoinette Ndubane, OSB

Communauté d’Elukwatini (Afrique du Sud)

 

En Afrique du Sud,

les défis et les joies de la vie monastique

 

Introduction

Le sujet de ce titre « La vie monastique en Afrique du Sud » suscite différents questionnements :

– la réalité de la vie monastique en Afrique du Sud,

– ce qui donne envie de devenir religieux ou moine en Afrique du Sud,

– les challenges et les joies de la vie monastique dans ce pays.


La réalité de la vie monastique en Afrique du Sud

Lorsque je suis devenue bénédictine en 2002, je ne savais pas que j’embrassais la vie monastique. Je pensais que j’entrais simplement dans une congrégation religieuse qui ressemblait à d’autres que je connaissais. J’ai mis un certain temps à comprendre les différences qui existent entre les ordres apostoliques et monastiques. Si la confusion peut encore exister, cela est peut-être dû à un manque d’identité claire des congrégations.

Peu à peu, j’ai compris que vivre dans un monastère ne consistait pas simplement à vivre entre les murs d’un bâtiment religieux. Cela signifie une appartenance de son être tout entier à ce monastère, à cette communauté. Le monastère, pour moi, c’est comme une université ou une école où les études portent sur la vie telle qu’elle est ; on peut y apprendre ce que l’on veut : par exemple se laisser envahir par ce qui est négatif, ou plus positivement, étudier ce qui est bon, ou, même, avoir les deux approches en même temps.

Comment est-ce possible ? Parfois j’entends des gens dire : « Au début, je ne savais pas répondre de manière inconvenante lors d’un affrontement, mais maintenant je sais ». Il est donc possible de choisir d’apprendre de mauvaises choses ; pourtant il y a des quantités de belles choses à cultiver : le travail manuel, la prière, la manière de vivre, de devenir un chrétien meilleur et plus sérieux, et tant d’autres choses… Un monastère est une maison de prière où vivent des consacrés. C’est aussi comme une maison où Dieu réside, ce qui peut permettre aux monastères d’aller bien. D’après ce que j’ai pu voir jusqu’ici, un monastère est une maison, ou une fontaine où l’on puise pour donner à ceux qui n’en partagent pas la vie ordinaire. Par exemple, il y a un temps pour prier et pour méditer : on peut ainsi savoir quoi offrir à ceux qui sont en recherche de Dieu et de ses grâces. C’est pourquoi le silence est si important dans la vie monastique ; c’est quand le silence m’habite que j’entends la voix de Dieu.

 

La vie monastique est-elle une réalité en Afrique du Sud ?

Dans cette partie du monde, est-ce que la réalité de la vie monastique est évoquée ? Oui et non. C’est une réalité, certes, car il y a des monastères en Afrique du Sud et des gens qui y vivent, mais on ne peut ignorer qu’ils ne sont pas nombreux et avec peu de moines indigènes.

Vient aussi la question : ceux qui vivent dans les monastères se rendent-ils compte de ce qu’ils sont ou non ? Il peut arriver par ailleurs que même ceux qui vivent dans un monastère, en raison de leur âge ou de leur ancienneté dans la vie religieuse, ne comprennent plus bien le sens de leur vocation. Les exigences du monde extérieur font se demander si la vie monastique est une réalité vivante ou non dans cette partie de l’Afrique.

Les difficultés de la vie actuelle entraînent aussi la question suivante : aujourd’hui, en 2019, est-il possible de vivre une vie monastique en totale vérité ? et comment concrètement ? ». C’est une question que l’on peut se poser à soi-même durant toute sa vie et cela peut favoriser la vitalité de sa vocation, permettre de la vivre mieux et en rapport avec ce qu’elle a de personnel. Quoi qu’il en soit, la vie monastique reste à la fois étrangère et locale ; elle donne l’impression d’être arrivée sur un bateau : les gens qu’il transportait nous l’ont apportée, et bien qu’on en attende beaucoup, elle paraît toujours étrangère aux yeux de l’Église et du peuple de la région. Et pourtant plusieurs aspects de la vie monastique semblent bien correspondre à la manière de vivre des indigènes : à savoir le respect, l’hospitalité, et quelques autres points.

 

Comment peut-on être moine ou religieux en Afrique du Sud ?

Je pense qu’il est normal de ressentir parfois ce qui manque par rapport aux membres étrangers de la communauté ; mais ce type de pensées ne dure pas, surtout quand on a le sentiment d’appartenir à une famille monastique très large. Ce sentiment est notamment encouragé par l’existence d’une structure qui réunit les supérieur(e)s, les formateurs et les jeunes en formation de notre région d’Afrique du Sud. Cette structure se nomme BECOSA (Benedictine Communities of South Africa, communautés bénédictines d’Afrique du Sud).

L’un des aspects les plus essentiels de la vie monastique ou de la vie religieuse en général est la formation : formation initiale et formation continue. Dans cette partie sud de l’Afrique, les bénédictins ne négligent pas ces questions de formation lorsqu’ils se rencontrent aux conférences du BECOSA ; c’est une grande aide pour la vie des moines et des religieuses qui vivent dans cette région. À chaque rencontre ou presque, les participants abordent un sujet spécifique concernant la formation initiale et continue des membres de nos communautés. Cela nous aide à approfondir notre connaissance de ce que nous sommes et de la manière dont nous sommes appelés à mener notre vie monastique. Les réunions annuelles du BECOSA et les ateliers que nous y organisons parfois sont très importants pour nos vies, notamment en ce qui concerne la formation et le sentiment d’appartenir à une grande famille. Le BECOSA est une source de soutien à la fois individuel et collectif. Chaque fois que l’on participe à une réunion ou à un atelier du BECOSA, on se sent nourri. Nous avons toujours un ardent désir d’avoir plus d’ateliers BECOSA, en particulier ceux d’entre nous qui ont besoin de plus de nourriture, comme les formateurs et ceux qui sont en formation initiale.

Monastère d'Elukwatini.
Monastère d'Elukwatini.

Difficultés et joies

La vie monastique est vraiment une vie épanouissante. Elle m’a apporté tout ce que je souhaitais pour développer une vie chrétienne plus belle. En tant que jeune sud-africaine menant la vie bénédictine, je trouve cela stimulant dans les deux sens, négatif et positif. La plupart des gens de mon âge ont des responsabilités dans différents domaines : famille, propriétés, profession, etc. Ils paraissent aimer posséder des objets de valeur. Pour ma part, il semble que je n’ai rien à moi, mais est-ce vrai ? Le détachement met en rapport avec un autre genre de trésor, un trésor qui ne passe pas. Je me sens vraiment appelée à une vie heureuse. Cela fait du bien.

Pour ce qui est de la famille, on s’attend parfois à ce que les enfants devenus adultes aident les autres membres d’une manière ou d’une autre. Dans mon cas, je ne suis peut-être pas en mesure d’aider d’une manière visible les gens de chez moi, mais je suis là pour intercéder pour eux. Vivre une telle conviction ne vient pas du jour au lendemain. Pourtant, je pense que je les aide plus encore, parce que je les porte devant Jésus Christ qui est tout pour moi. Je ne prie pas seulement pour ma famille, mais pour mes amis et tous ceux qui ont besoin de mon attention.

La communication par le biais des médias sociaux paraît être un autre défi, particulièrement de nos jours. Presque tous les jeunes d’Afrique du Sud ont un smartphone. Il faut faire preuve d’autodiscipline lorsqu’il s’agit de médias sociaux. Je ne peux pas nier le fait qu’ils existent, que nous les utilisons, mais les utiliser avec mesure n’est pas une petite affaire. Il est très important que je me demande, chaque fois que je décroche mon téléphone, si c’est nécessaire. Est-ce pour le bien de ma vie religieuse ? Est-ce que cela m’aidera ou me détruira ? Où dois-je mettre une limite ? Lorsque j’ai embrassé la vie religieuse, il y a dix-sept ans, si nous voulions envoyer une lettre, la supérieure devait la lire avant qu’elle ne parte ; pareillement pour le courrier reçu : il devait être lu avant de parvenir entre les mains du destinataire. Aujourd’hui, la plupart d’entre nous utilisent des emails et WhatsApp : qui est là pour contrôler ? Personne, sinon moi et ma conscience.

Il y a encore une autre chose qui concerne la vie religieuse ou la vie monastique en tant que telles. Chacun a le sentiment d’avoir de plus ou moins grandes opportunités dans la vie. Cela peut concerner les études, les découvertes, la liberté, etc. Regardant de loin, on peut penser que les personnes qui vivent dans les monastères ont des risques d’égarement plus limités que les autres, et pourtant, si l’on observe de plus près, il semble que ce soient elles, en fonction bien sûr de la mission ou du champ d’action de chacun, qui puissent être les plus touchées par toutes ces facilités qui se présentent à elles. La vigilance, cette vertu si prônée dans la vie monastique, est vraiment à promouvoir.

 

Le silence

Le silence est l’un des éléments essentiels de la vie monastique. Pourtant, bien que ce soit important, il n’est pas facile de demeurer silencieux. Quand quelqu’un ne dit pas un mot, cela ne signifie pas pour autant qu’il est entré dans le silence : cela peut seulement signifier qu’il ne parle pas à ce moment précis alors qu’à l’intérieur il est habité par des préoccupations « bruyantes » qui peuvent le perturber. Un monastère est capable de procurer une atmosphère de calme qui doit permettre à ceux qui l’habitent comme aux visiteurs, d’être en mesure de rencontrer Dieu. Il est cependant nécessaire de se créer son propre type de silence pour se tenir prêt à entendre Dieu. Il y a une multitude de choses qui peuvent troubler notre silence intérieur, mais chacun doit rendre son silence prioritaire pour être prêt à entendre la voix de Dieu. Il est difficile de garder le silence, mais c’est extrêmement gratifiant. C’est une joie que de converser avec Dieu. Nous vivons dans un monde bruyant, mais au monastère j’ai trouvé le silence de manière habituelle, quoique parfois, nous puissions être distraits par la réalité des bruits extérieurs.

Il y a d’autres éléments structurants dans notre vie monastique : la prière communautaire que nous faisons plusieurs fois par jour, l’eucharistie quotidienne, la Lectio divina, la vie communautaire elle-même, les retraites annuelles, la direction spirituelle, etc. Ce sont là quelques-unes des activités qui nous soutiennent. Même si la vie monastique est quelquefois difficile, je me suis rendu compte que si l’on prend au sérieux les perspectives qui s’y offrent, elle devient alors possible. J’ai souvent pensé – et je le pense toujours – que le Christ est parmi nous, bien que par moments, certaines circonstances nous empêchent de le reconnaître et d’y croire. Nous avons vraiment à considérer comme réelles la présence divine et son appel ; c’est ce qui a été mon soutien dans la vie jusqu’à ce jour. La vraie joie et la consolation viennent du Seigneur lui-même.

 

Conclusion

Qu’une « jeune » sud-africaine du 21e siècle puisse vivre dans un monastère, cela doit certainement poser question : pourtant cela est la conséquence d’un appel de Dieu, non pas destiné à tous, mais à ceux qui ont été choisis pour le vivre. Cette vie précieuse est comme un trésor venu d’en haut et donné par amour. Je n’ignore pas que Dieu appelle où il pense que l’on va le chercher et mieux le servir ; cependant on peut parfois constater que si dans un chœur, tous ne sont pas doués pour chanter, certaines voix soutiennent les autres : on peut considérer cela, soit en appréciant que la vie ensemble permet une telle harmonie, soit en pensant qu’elle est perpétuellement gênante. Puisqu’un monastère est une école, tous les genres d’étudiants peuvent y entrer : mais quel type d’étudiant suis-je donc ? Et comment est-ce que je me comporte avec les autres élèves de l’école ? C’est réellement pour moi un sujet de méditation pour aujourd’hui.

Premiers pas dans la vie monastique

8

Témoignages

Sœur Rosa Ciin, OSB

Communauté de Shanti Nilayam (Inde)

 

Premiers pas dans la vie monastique

 

Tout d’abord, j’aimerais commencer par dire comment j’ai entendu la voix du Seigneur alors que j’étais heureuse avec mes amis et que j’étais engagée dans les choses du monde. Un jour où je marchais vers l’église de la paroisse, je vis un papier sur la route, je le pris et je le lus. Il parlait d’un monastère de bénédictines et tout de suite j’ai aimé ce dont parlait ce papier à tel point que je désirai entrer au monastère.

J’ai commencé à réfléchir sur le sens réel de l’existence. J’ai senti que cet événement était un signe venant de Dieu. Si bien que je décidai de suivre le Seigneur dans la voie monastique. J’éprouvais le désir d’être plus proche de Dieu. Dans le monde, il y avait beaucoup de distractions qui m’éloignaient du Seigneur. Finalement, je rejoignais le monastère bien que mes parents n’en soient pas très heureux. Mais je dois reconnaître aussi qu’il ne m’était pas très facile de quitter mes parents, mes frères, mes sœurs et mes amis.

Dès que je fus au monastère, je me suis sentie chez moi. Les sœurs se sont montrées très accueillantes et ont tout fait pour que je me sente tout à fait à la maison. Le monastère ressemble à la première communauté chrétienne où les membres partagent toutes choses, vivant dans l’unité malgré les langues et les fonds de culture différents. Mon cœur était plein de joie ; j’ai trouvé un bon esprit de famille dans la communauté. Cette expérience m’a fait oublier les plaisirs des réseaux sociaux et du téléphone mobile… L’utilisation de ces moyens procure une joie passagère mais au monastère, j’ai trouvé la véritable joie en aimant le Seigneur et toutes les sœurs de la communauté. Après avoir fait l’expérience de cette chaleur fraternelle, j’ai oublié les plaisirs du monde. Et maintenant, je peux apprécier le monde et tout ce qu’il offre d’une manière tout autre : toute chose est bonne si elle est utilisée pour le bien de tous.

Cependant, même si au début tout était magnifique, il arriva un moment où je rencontrai des problèmes. La nature humaine a spontanément envie de plaisirs et de facilités mais toute forme de vie a ses difficultés. Dans la vie monastique cependant, j’expérimente une joie intérieure profonde.

À titre d’exemple, tout est commun à tous et nous utilisons le mobile et internet, etc., uniquement en cas de nécessité véritable ; ou bien encore, ce n’est pas facile de s’adapter à des bases culturelles différentes, mais en entrant dans la vie communautaire, je me suis sentie très paisible et joyeuse malgré tous les obstacles. L’atmosphère de silence et de calme dans le monastère nous aide à entendre le cri du pauvre et de la personne démunie dans le monde et nous pouvons les aider par notre prière et tout ce à quoi nous renonçons.

La vie de communauté m’aide à vivre en harmonie avec tous et à servir chacun. Cela me permet de sortir de moi-même, de ressentir et de partager avec chacun ses problèmes et ses difficultés. Ainsi, je suis moins centrée sur moi-même et davantage tournée vers l’autre.

Je me sens aussi très à l’aise avec la règle de saint Benoît, en particulier pour ce qui est de l’hospitalité et de l’amour des pauvres. Comme jeune religieuse, je n’ai pas beaucoup de contact avec l’extérieur mais je prends le monde entier dans ma prière et dans l’offrande que je fais de ma vie au Seigneur.

La communion à l’intérieur de la communauté et l’amour fraternel sont un signe pour le monde : il est possible de vivre et d’aimer les autres en dépit des différences. J’apprécie de plus en plus la vie monastique au fur et à mesure que les années passent. Saint Benoît dit dans son prologue de la Règle :

« Lorsqu’on avance dans la vie religieuse et dans la foi, le cœur se dilate et l’on court sur la voie des commandements de Dieu dans l’ineffable douceur de l’amour ».

En tout cela, j’apprends petit à petit combien la vie monastique est facile et heureuse si l’on porte vers le Seigneur chaque situation de notre vie. Il n’est possible de mener cette vie qu’avec l’aide du Seigneur et dans une relation étroite avec lui. Son joug est facile et son fardeau léger quand je lui livre tous mes soucis. Les gens ne comprennent pas toujours la vie monastique mais je l’aime chaque jour un peu plus. Ma plus ardente prière est que beaucoup répondent à l’appel du Seigneur, le suivent plus étroitement dans la vie religieuse.


La communauté de Shanti Nilayam à l'Office divin. © AIM.
La communauté de Shanti Nilayam à l'Office divin. © AIM.

Contributions du monastère de Bafor au développement local

9

Économie et vie monastique 

Dr Katrin Langewiesche

Institut für Ethnologie und Afrikastudien,

Universität Mainz (Allemagne)

 

Entre coopération et conflit

Contributions du monastère de Bafor (Burkina Faso) au développement local

 

 

Résumé du mémoire de Master II en sociologie de Anne Nonna Dah, Université catholique de Bobo-Dioulasso, Burkina Faso, soutenu sous la direction du professeur Amandé Badini et du docteur Jacques Thiamobiga : « Intégration des cisterciennes de Notre-Dame de Bafor dans les villages environnants ».

 

Le mémoire du Master II d’Anne Dah analyse les transformations sociales et économiques induites par la présence du monastère des sœurs Cisterciennes Bernardines d’Esquermes à Bafor, au Burkina Faso. Les résultats de ses recherches sont sans doute intéressants autant pour la sociologie du développement, discipline à laquelle Anne Dah appartient, que pour la sociologie du monachisme. Implantées en 2005 à Bafor, les Cisterciennes Bernardines d’Esquermes mènent une vie contemplative. Malgré leur retrait du monde, leurs actions produisent inévitablement des effets sur la société dans laquelle elles se sont implantées et induisent des changements environnementaux et sociaux qu’Anne Dah propose d’interroger dans son travail. La première partie de l’étude est consacrée aux perceptions sociales du monastère et de ses habitantes par la population locale. Comment les voisins du monastère perçoivent-ils les moniales ? La seconde partie analyse les interactions entre le monastère et son environnement et la contribution du monastère au développement du village. L’auteur conceptualise le développement comme un processus de transformations en lien avec les dimensions environnementales et sociales, une forme de changement social induite par des opérations volontaires donnant lieu parfois à des résultats inattendus.

Le village de Bafor est situé au sud-ouest du Burkina Faso, à quinze kilomètres au sud de Dano, chef-lieu de la province du Ioba. Localisé dans le diocèse de Diébougou, il accueille le projet de l’érection d’un monastère depuis les années 2000. Sur l’invitation de Mgr Jean-Baptiste Somé, les Cisterciennes Bernardines d’Esquermes se sont établies dans ce diocèse. L’installation des cinq premières sœurs venues de Goma, en République Démocratique du Congo, a eu lieu le 19 novembre 2005, après la bénédiction du nouveau monastère Notre-Dame de Bafor. Bafor est un village dagara dont la majorité de la population reste attachée aux cultes ancestraux. Si cette population a accueilli le monastère, cela ne signifie pas pour autant qu’elle a adhéré à sa religion ni au mode de vie des moniales.

Fondation du monastère de Bafor. © AIM.
Fondation du monastère de Bafor. © AIM.

« Si tu vas chez elles, il faut sonner la cloche » :

Représentations sociales autour du monastère

En milieu dagara, la place de la femme est au foyer et le destin de la fille, le mariage et la procréation. Elle n’a pas de droit sur le foncier. Cette société conçoit difficilement une vie de femme hors de ces conventions. En conséquence, les contemplatives apparaissent aux yeux de la population comme des êtres radicalement autres. Leur mode de vie est toléré puisqu’il s’agit d’étrangères, mais reste pourtant suspect puisqu’elles montrent aux jeunes filles dagara qu’une vie est possible en dehors du ménage et du mariage. Aux yeux de la population, devenir religieuse active est déjà une curiosité qui a fini par être tolérée tandis que les moniales sont perçues comme des marginales : sans maris, sans enfants et sans pères ni mères. Sans juger ce mode de vie, les habitants de Bafor acceptent de voir les moniales évoluer selon leur vision du monde et s’accommodent avec certaines de leurs pratiques : « Sonner la cloche pour rentrer en contact avec elles ». Ils laissent la liberté aux enfants d’aller au monastère et de participer aux messes et prières. Parfois, des parents y accompagnent leurs petits enfants pour les grandes fêtes comme Noël et Pâques.

Les sœurs sont peu nombreuses. Leur communauté varie entre cinq et sept membres. Leurs sorties restent limitées, ce qui rencontre l’incompréhension de la population. Un vendeur de kiosque s’étonne : « J’ai rencontré l’une d’elles la fois passée et elle me disait que cela fait douze ans qu’elle est ici, mais elle n’a jamais été au centre du village de Bafor. Sa limite, c’est la route goudronnée ». L’image que les moniales renvoient à la société est celle de « femmes de prière », enfermées et entre elles. La réglementation des entrées, le silence du lieu et l’appel régulier à la prière y ont contribué. « Pour moi, elles sont des femmes de prière. Quand je vais là-bas, je les vois rarement. Elles ne sortent pas, seulement la prière. »

Les voisins du monastère ont donc saisi l’un des principes essentiels de la vie monastique féminine : la prière et la clôture. En revanche, le travail nécessaire pour nourrir la communauté et venir en aide aux indigents n’est pas mentionné comme un trait essentiel de la vie des sœurs de Bafor. Les représentations du monastère de Bafor évoluent évidemment en fonction des interactions des Cisterciennes Bernardines avec les uns et les autres ainsi qu’avec leur environnement naturel. En effet, les moniales ne communiquent pas fréquemment avec la population, à la fois à cause des restrictions qu’impose la clôture, de la non-maîtrise de la langue dagara, de l’isolement du site et de la volonté de limiter les interactions pour ne pas être envahie par les multiples demandes de la part de la population.

 

Une cohabitation entre coopération et conflit

Le vivre ensemble des moniales et de la population hôte se caractérise par une cohabitation qui oscille entre non-connaissance réciproque, coopération et conflit autour de l’accès à la terre et l’exploitation des ressources naturelles. Les différents acteurs n’ont pas les mêmes points de vue sur ces questions. Pour les uns, les sœurs entretiennent des relations de convivialité et de confiance avec la population locale depuis leur installation grâce à leur délicatesse et disponibilité, « leur manière de contacter les gens, de savoir prendre les gens, cette amabilité et compréhension, je crois que ça fait beaucoup » pour l’entente, explique l’aumônier. Pour les autres, c’est surtout leur capacité à transformer le milieu qui leur attire la sympathie. Les moniales mènent entre autres des activités de plantation d’arbres, de jardinage et d’élevage. Elles exportent leur yaourt dans la région du sud-ouest où leur savoir-faire est très apprécié. Plus encore, la dimension caritative du monastère (prise en charge de scolarités) et les commodités dont il s’est doté au fil du temps (forage, électricité), le place en premier lieu des institutions avec lesquelles les populations veulent entretenir une proximité. « Avant c’était deux familles seulement à côté du monastère. Maintenant, il y a trois ou quatre bâtiments de plus parce qu’il y a l’eau là-bas, les femmes vont prendre l’eau. » Une nouvelle dynamique de peuplement est en train de se réaliser autour du monastère et avec elle, de nouvelles demandes sociales. Après avoir facilité l’accès à l’eau pour les familles voisines, celles-ci demandent maintenant l’accès à l’électricité. Ainsi, certains des travaux de mise en valeur, mis en œuvre par les moniales pour leurs propres besoins, ont largement profité aux populations environnantes et facilité l’arrivée de nouveaux habitants.

Les bons rapports de voisinage peuvent se transformer en conflit dès lors que la terre et ses ressources deviennent objet de convoitise. L’installation du monastère à Bafor et son besoin en terres cultivables a généré des tensions entre l’Église locale et la société villageoise. Lors de l’installation du monastère Notre-Dame de Bafor, il fallait un grand espace pour que les moniales puissent produire. Une partie du site de l’actuel monastère était le champ des Sœurs de l’Annonciation de Bobo (SAB) qui l’ont abandonné au profit des Cisterciennes Bernardines. Des acquisitions de terrain se sont ajoutées à l’espace initial pour permettre au monastère d’obtenir 30 hectares. À cet effet, certains producteurs agricoles proches du site ont dû céder leurs terrains pour agrandir le domaine du monastère. Cela ne s’est pas fait sans difficulté. Comme partout, l’accès à la terre devient compétitif et concurrentiel sous les effets conjugués des migrations interrégionales intenses, de l’insertion de l’économie paysanne dans le marché, de l’instabilité des règles coutumières de la gestion foncière ainsi que de l’affaiblissement des pouvoirs traditionnels, mais aussi sous les pressions de groupes d’intérêts comme dans le cas de Bafor, de l’Église catholique.

Ce que les interlocuteurs traduisent par : « Ça n’a pas été facile » indique que le rôle social du chef de terre comme gestionnaire de la terre villageoise n’a pas été efficace. En effet, la situation foncière autour de ce monastère a mobilisé des acteurs coutumiers, comme c’est habituellement le cas dans des conflits fonciers, mais aussi des acteurs ecclésiastiques qui savent que la propriété foncière est un moyen de sécurisation de leur investissement et un garant de la stabilité de leur entreprise. Les moniales sont bien conscientes de ses enjeux et savaient que certains paysans craignaient de perdre leurs terrains d’exploitation. En conséquence, ces agriculteurs se sont radicalement opposés à céder leurs champs. Les convaincre « n’a pas été du tout facile ». Ici comme ailleurs, les conflits autour de la question foncière sont liés à la position sociale et à des intérêts des différents acteurs : le chef de terre, l’exploitant du site et le diocèse. Les enjeux tournent autour de la terre et du pouvoir : le grand producteur de la localité tente de préserver ses terres et son pouvoir économique, le chef de terre, de son côté, veut garder sa notoriété et son autorité sur la gestion du foncier communautaire, tandis que le diocèse veut imposer sa vision de la propriété privée. Ces disputes ont conduit jusqu’à des menaces de mort et les différents protagonistes se sont trouvés convoqués à la gendarmerie. Cependant, le recours à l’administration publique et à ses institutions n’a pas eu grand effet sur la régulation de ces conflits. C’est la coutume dagara, notamment « la parenté à plaisanterie » (lõluoru) qui a joué un rôle primordial pour la résolution pacifique du conflit. La parenté à plaisanterie est un système de médiation capital pour la société dagara, comme pour beaucoup d’autres sociétés ouest-africaines, un outil de réconciliation comparable à un pacte de non-agression qui unit et rapproche les patri-clans, groupes basés sur la lignée des pères de famille regroupés sous l’appartenance réelle à un ancêtre commun[1]. Le parent à plaisanterie est le tãpεlυ-sob ce qui signifie littéralement « l’homme à la cendre », car la cendre est perçue comme un élément de réconciliation et de pacification. L’intervention de ce dernier permet de ramener la paix, l’harmonie, l’entente, la joie. Ce système a joué aussi un rôle important dans la régulation du conflit autour du monastère à Bafor grâce à l’intervention de l’aumônier qui était en même temps parent à plaisanterie. L’intervention de ce médiateur reconnu à la fois par les moniales et par l’exploitant dagara a permis une réconciliation durable. Après l’intervention de la justice, des médiateurs et du parent à plaisanterie, un compromis entre les différents protagonistes a été trouvé.

Après son installation conflictuelle, quel est l’impact de la présence de ce monastère sur le développement de Bafor ?

La cour et la chapelle du monastère de Bafor.
La cour et la chapelle du monastère de Bafor.

La contribution du monastère au développement de Bafor

Avec la fondation Dreyer, à Dano, qui attire des touristes par sa situation surplombant le barrage et son architecture, le site du monastère, en brousse à quelques kilomètres de la petite ville de Dano, est un lieu de retraite et de visite important dans le sud-ouest. Le monastère de Bafor contribue sans aucun doute au patrimoine architectural et touristique de la région. Bien que la population locale apprécie également l’apport esthétique du site – « Elles ont su humaniser l’espace, il fait si bon se promener au monastère » –, elle bénéficie plus directement des quelques emplois que le monastère propose aux jeunes, aux ouvriers et aux femmes de la zone en tant qu’employés journaliers ou permanents. En plus d’un salaire régulier, les employés et leurs familles bénéficient d’un apprentissage de nouvelles méthodes de travail et de gestion de leurs revenus. Les moniales motivent leurs ouvriers à associer l’élevage à l’agriculture, à éviter les engrais et pesticides chimiques, à diminuer les feux de brousse et à constituer une épargne. Les savoir-faire assimilés par les employés ont une répercussion évidente dans leurs familles comme le reconnaît cet employé :

« Nous avons payé des moutons avec les moniales et les voisins pour commencer à élever nous aussi. Actuellement, je peux dire que j’ai environ seize moutons. Je dispose de fumier aussi pour mettre dans le champ. Tout ça là, ça aide ».

Le changement des habitudes est aussi lié à l’exemple que les sœurs donnent pour protéger l’environnement. Bien que hésitants et même opposés au début, leurs voisins dagara reprennent au fil des années les initiatives des sœurs. Notamment la pratique des pare-feu pour éviter les feux de brousse est petit à petit imité par la population.

« Je crois que même certains voisins commencent à regretter d’avoir brûlé leur terrain. Elles ont beaucoup planté, entretenu la flore naturelle qui était déjà là. »

Les Bernardines d’Esquermes ont une orientation éducative qui se traduit par la construction d’écoles et de centres d’accueil dans tous les lieux où elles s’installent. Le monastère de Bafor constitue une exception au sein de l’Ordre qui est liée à la demande de l’évêque de créer uniquement un lieu de prière et de recueillement. À Bafor, même si le monastère n’a pas pour l’instant construit d’école, les Cisterciennes Bernardines contribuent activement à l’éducation des enfants. Leur présence influence les enfants qui accourent vers le monastère et auxquels elles donnent des cours de catéchisme. Les sœurs réfléchissent actuellement comment traduire leur charisme d’enseignement à Bafor en cherchant une adaptation au contexte local, notamment dans le cadre d’un enseignement rural.

Implantées depuis peu dans un environnement plutôt hésitant et après une installation conflictuelle, les tâches que les moniales Cisterciennes Bernardines exercent quotidiennement montreront leur influence sur l’environnement et la société dans la longue durée. Leur vie cachée s’est révélée, de fait, germe de changement social. La construction des monastères va partout de pair avec des conflits, des ruptures, des résistances et des négociations avec des hiérarchies. La recherche monastique concerne ces conflits, et produit souvent plus de questions et d’ambivalences qu’elle n’apporte de réponses et de garanties. Le mémoire d’Anne Dah a le mérite d’aborder la thématique de la contribution du monastère de Bafor au développement local en termes positifs comme aussi en termes de limites de l’échange, du transfert et de l’interaction.


[1] La parenté à plaisanterie autorise, voire parfois oblige, des membres d’une même famille, certaines ethnies ou des habitants de même région, territoires et provinces à se moquer ou s’insulter sans conséquence. Ces affrontements verbaux sont analysés par les anthropologues comme des moyens de décrispation, de cohésion ou réconciliation sociale, voire une pratique sacrée. C’est l’unique pratique qui permet qu’aucune parole ou qu’aucun comportement ne vexe, l’essentiel est de ne pas verser le sang. Elle résout les crises sociales, car on ne s’énerve pas avec un parent à plaisanterie, et lorsqu’une famille ou un clan est en conflit, c’est leurs parents à plaisanterie qui doivent servir de catalyseur de conciliation. Il n’est pas rare que cette plaisanterie véhicule un message très fort qui pousse l’autre partie à une conversion, à un changement positif.

Vie monastique et poésie

10

Liturgie 

Sœur Thérèse-Marie Dupagne, OSB

Prieure du monastère d’Hurtebise (Belgique)

 

Vie monastique et poésie[1]

(liturgie, lectio, vie fraternelle)

 


Pour ma part, lorsque l’on parle poésie, j’entends une parole qui est de l’ordre de l’évocation et non de la définition. Une parole qui voile autant qu’elle ne révèle, une parole qui fait signe, qui appelle vers un au-delà, vers un ailleurs qu’elle se refuse à saisir, un ailleurs qu’elle touche et qui la touche… Une parole qui ouvre à la communion, sans l’imposer. Une parole qui suggère une relation tissée de liberté, de désir, de soif, une parole qui creuse un terrain qui lui est inconnu, qui explore, une parole qui envisage une quatrième dimension…

Cette parole poétique, je la rencontre dans la LITURGIE.

La liturgie est l’horloge du moine, son rythme… sa respiration. La liturgie est œuvre de Dieu, action de Dieu, invitation. Elle est aussi réponse de la communauté humaine, chant et silence, écoute et désir. La liturgie en sa constitution est tissée de paroles poétiques : paroles qui nous sont données.

S’il est bienvenu de composer une hymne, une prière universelle, une oraison… une bonne part de la poésie liturgique nous est donnée. Il y a à l’accueillir, se laisser atteindre par elle, qu’elle nous enchante ou non, qu’elle nous parle ou non… qu’elle nous éveille ou non… Dans l’accueil de la liturgie, il y a un appel au consentement, qui ne va pas toujours sans lutte.

Entrer en poésie liturgique, suppose d’entrer en des mots qui ne sont pas nôtres, sans vouloir qu’ils deviennent totalement nôtres, c’est accepter un écart en soi ; la poésie en liturgie nous ouvre, nous écartèle, nous dispose à une relation loin de toute fusion. La liturgie pointe ainsi vers la communion.

Poésie que les psaumes, ces vieilles prières, lues, chantées, cantillées : louange, lamentation, exultation, mémoire de l’histoire, balbutiement d’une loi… Les psaumes nous sont donnés, ils nous résistent, ils nous viennent d’un ailleurs, antique murmure d’un tutoyeur de Dieu comme l’appelle Chouraqui[2].

On ne met pas la main sur un psaume. Il nous est confié, autant qu’une musique est confiée à un joueur de flûte, les psaumes attendent notre souffle pour nous traverser, bousculer et quelquefois enchanter. Ils nous détachent de nous-mêmes, nous entraînent en l’ailleurs d’un peuple, d’une communauté, par-delà le temps, par-delà l’espace. On se l’envoie, d’un chœur à l’autre, sans l’épuiser… On le dit, on le chante, et on l’écoute, il passe et revient, toujours ancien, toujours nouveau.

La liturgie est HYMNE. L’hymne s’élance vers l’Autre, cet Autre qui nous a conviées et que nous ne connaissons que par évocation, tâtonnement. On demande à l’hymne de le rejoindre par un chemin que nous ne connaissons pas. L’hymne s’élève, à moins qu’elle ne s’enfonce… Elle emporte, se trace un chemin, elle est, comme le psaume, pétrie de la vie du poète, et elle dépasse cette vie, l’approfondit ou la creuse… et creuse celui qui la chante.

Le psaume, l’hymne écorchent, entament, ouvrent… ils rejoignent le cœur, et qui connaît le cœur, qui peut le saisir ? L’hymne le touche et le provoque, à moins qu’elle ne l’effleure avant de le laisser sans voix, et de fuir loin de lui. L’hymne crée la magie du silence qui la suit.

La liturgie est poésie en ses longues LITANIES : demande, demande encore, demande toujours… elle est l’appel de cœur insatisfait ou de cœur tant satisfait qu’il en demande encore. Elle réveille le cœur enfant, qui joue les mots…

L’expérience de la liturgie est l’expérience de cette poésie qui évoque, invoque, et jamais ne saisit. La poésie enseigne ce pas de danse qui tient, rapproche et distance. Si tu veux cerner la poésie elle te glisse entre les doigts, comme la neige qui fond dans la main de l’enfant qui veut la faire captive.

La poésie liturgique est DIALOGUE, entre deux, elle nous situe… en face ? au cœur ? qui sait ? Elle nous dit l’Autre, et nous dit autre. En faisant de moi un tutoyeur de Dieu, elle m’apprend à me tenir dans le vertige de mon humanité, devant ce « Tu » irréductible, elle m’appelle à dire « Je ».

La poésie trouve sa source ; je pense, dans l’Esprit, ce souffle qui danse entre le Père et le Fils. Ce souffle qui les fait Un, tout en les maintenant irrésistiblement deux. Tellement deux qu’ils en sont trois. La poésie est comme cet ESPACE que je devine entre eux, comme une ouverture, définitive, un creux qui me donne de découvrir au cœur de notre Dieu, non point Dieu, mais un espace, un creux, un vide, qui l’ouvre à l’autre, aux autres. La poésie qui chante dans le silence des Trois m’apprend qu’au cœur de Dieu, il n’y a pas Dieu, il y a l’espace pour le chant, il y a l’appel à l’altérité. Au cœur de Dieu, il y a cet espace d’infini silence, qui est attente, ouverture à l’autre. Comme le chante une hymne de frère Pierre-Yves Emery : « Intimité de Dieu ouverte sans mesure, pour accueillir – ô merveille – les hommes ses créatures ».

La poésie en liturgie est DOXOLOGIE : gloire au Père, au Fils, au Saint Esprit… et Benoît nous invite à un déplacement de soi, en cette doxologie. Lève-toi, incline-toi profondément. Lève-toi, dresse-toi en ton humanité, tu as du prix, du sens. Respire, inspire, aspire. Incline-toi… vers celui qui guette ton regard, ta vie, ton amour, incline-toi vers l’imperceptible, l’indicible, dont tu n’auras encore rien dit, tant que tu ne te seras prosterné dans le silence. Mystère des yeux qui s’ouvrent lorsque le cœur se prosterne[3]… Incline-toi, expire, soupire… sourire de l’être enfin dépouillé de lui-même.

La poésie de la liturgie, m’invite à une contemplation respectueuse de l’Autre, de la Source, sans mainmise, elle inscrit une parole que se fait calice, un regard qui est tout accueil. Et cette poésie liturgique est poésie pour un peuple, elle n’est pas mienne, elle est nôtre, et nous dépasse.

Se greffe en la liturgie, lui fait suite et y invite la démarche de LECTIO. Cette lecture priante de la Bible à laquelle nous sommes conviées au jour le jour. Un temps pour lire l’Écriture, l’étudier, la méditer, ruminer, mâchouiller, et, au moment où on croit enfin l’avoir assimilée, voir s’ouvrir un univers au-delà, qui échappe. Lire, étudier, méditer, contempler… Recevoir l’Écriture Sainte non comme un théorème, une démonstration, une définition, mais comme une poésie, une évocation…

On dira, oui, mais il y a la loi inscrite dans l’Écriture, quelle poésie une loi ? La loi d’Israël s’inaugure en un appel, une voix : « Écoute »… Elle se décline en une invitation : « Choisis »… et une conclusion : « Tu vivras ». Elle est chemin et non prison.

La loi, deux rives qui donnent à la vie de courir comme un fleuve plutôt que de stagner en marécage. La loi, deux rives qui lancent vers un ailleurs. La loi tourne vers un au-delà d’elle-même.

Il y a la prophétie dans l’Écriture, un cri, une déchirure du quotidien, pour permettre l’irruption de l’autre.

Il y a la sagesse, un espace, partage d’une expérience du passé, qui s’offre comme une trame, où tisser un chemin nouveau.

La lectio, c’est un temps d’accueil, d’ouverture, qui s’achève en la voix d’un fin silence. Et ce silence est sans doute la plus belle expression du dialogue.

Et de cette expérience, s’ouvre un chemin pour une VIE FRATERNELLE. Comment vivre avec l’autre, ma sœur, mon frère, d’ici et d’ailleurs ?

La vie fraternelle, au quotidien, n’est sans doute pas d’abord perçue en poésie. Et pourtant, elle est partage d’un espace de vie, d’un espace de chant, elle est construction d’un réseau de relations. Qu’est-ce qui l’aide, la fonde ? N’est-ce point d’abord l’expérience liturgique : la découverte de ce vide au cœur de Dieu, de cet espace offert au cœur de notre Dieu, m’est présentée comme un chemin pour la vie fraternelle. Le respect de la différence, le respect et plus que le respect : l’encouragement, que l’autre devienne lui-même, elle-même, et donc toujours plus autre, voilà qui édifie la communauté en image et ressemblance. Accueillir l’autre et le souhaiter autre, accueillir sa foi différente, sa voie différente, et choisir d’avancer ensemble.

La poésie me donne de dire, de vivre l’aspect insaisissable de l’autre, son aspect irréductible, et de le saisir comme une chance, comme la sortie d’un univers clos sur lui-même, d’un univers étouffant, vers une respiration nouvelle.

Quand, dans nos relations, les paroles sont affirmations intransigeantes, couperets, la relation meurt…

Quand l’échange est évocation, invitation, la place se creuse entre nous, qui permet au chant commun de s’élever, qui permet la vie, la suscite et l’enchante.

La poésie creuse entre nous un espace qui nous décentre, nous ouvre. Elle appelle la communion entre nous, et bien au-delà de nous.

Je voudrais au pied des murs de la violence,

sur les champs de l’exclusion, du rejet, ou de la fusion

pouvoir lancer un poème d’espérance…

ouvrir un espace de communion…

prononcer une parole qui n’est qu’invitation…

et se refuse à toute captation.

 

La poésie est une chance offerte à notre humanité, pour un vivre ensemble respectueux de chacun, heureux de chacun.


[1] Écrit pour le week-end sur les moines poètes, octobre 2014.

[2] Nathan André Chouraqui (1917-2007) est un avocat, écrivain, penseur et homme politique israélien, connu pour sa traduction de la Bible. Il fut entre autres cofondateur de l’association « Fraternité d’Abraham » qui promeut le dialogue interreligieux ; délégué permanent de l’Alliance israélite universelle.

[3] Cf. Nombres 24, 4 : oracle de Balaam, qui témoigne d’un regard qui s’ouvre lorsqu’il se prosterne.

Geronda Aimilianos

11

Moines et moniales, témoins pour notre temps

D’après un texte écrit par le Hiéromoine Sérapion

Monastère de Simonos Petra (Mont Athos, Grèce)

 

Geronda Aimilianos

du monastère de Simonos Petra


 

« Tu m’as fait connaître les voies de la vie. Tu me rempliras de joie en me montrant ta face » (Ps 15, 11)


 

L’archimandrite et Geronda Aimilianos, dans le monde Alexandre Vafidis, higoumène du monastère de Simonos Petra de 1973 à 2000, naquit à Nicée du Pirée.

En 1906, sa famille s’établit à Simandra, en Cappadoce, puis après la catastrophe d’Asie Mineure et l’échange des populations, elle arriva en Grèce. Bien que mariés, les parents du petit Alexandre vivaient comme des moines, s’adonnant aux veilles nocturnes et à la prière. Après leurs veuvages, sa grand-mère devint moniale ainsi que sa mère.

Alexandre accomplit ses études secondaires puis poursuivit à l’Université d’Athènes, d’abord à la Faculté de droit, pendant deux ans, puis à la Faculté de théologie selon son désir. À l’Université, avec plusieurs camarades, il déploya de remarquables efforts pour le développement de la foi et de la vie chrétienne. Il pensait devenir prêtre et même missionnaire. Mais il croyait préférable de se préparer en commençant sa formation dans un monastère.

L’évêque de Trikala le remarqua et, en 1960, le jeune Alexandre se confia à lui. Finalement, il devint moine sous le nom d’Aimilianos pour le monastère de Saint-Vissarion de Doussiko. Puis il fut bien vite ordonné diacre par l’évêque qui l’envoya en différents monastères des Météores jusqu’à son ordination sacerdotale. Après quoi, il vécut au monastère de Saint-Vissarion de Doussiko pendant quelque temps. Il s’y appliqua à la solitude et à la recherche de la paix intérieure. Il y nourrit un profond désir de renaissance du monachisme.

Quelque temps après, il fut choisi pour être higoumène au Saint Monastère de la Transfiguration, du Grand-Météore. D’abord quasiment seul, il mena la vie ascétique. Il veilla, pria et intègra progressivement les éléments de la tradition monastique. Devant un tel sérieux, l’évêque lui confia une charge pastorale et il reçut de plus en plus de fidèles qui voulaient se confier à lui. Beaucoup de jeunes vinrent le trouver pour se confesser. Bientôt il devint le père spirituel d’un grand nombre.

Parmi ces jeunes, nombre d’entre eux pensaient à la vie monastique et, avec le temps, constituèrent le premier noyau de la communauté du monastère du Météore, tandis que d’autres s’orientaient vers le clergé ou la vie familiale. Tous, de toutes les manières, constituaient comme une même famille spirituelle élargie, ayant pour centre le monastère.

C’est à cette époque encore que le père Aimilianos commença à se rendre à la Sainte Montagne pour y recueillir la richesse de son héritage spirituel. Il connut le père Païssios, et Papa Ephrem de Katounakia avec lequel il noua une grande amitié spirituelle.

En 1972, il accompagna la fondation d’une communauté féminine aux Météores.

En 1973, il fut choisi comme higoumène du monastère de Simonos Petra par les anciens frères. Les pères de la Sainte Montagne saluèrent avec beaucoup d’espoir l’installation de la communauté des Météores au Mont Athos. En effet, d’autres communautés suivirent à leur tour et les moines athonites virent leur nombre augmenter considérablement.

Tout en menant sa vie monastique avec vigilance, célébrant la divine liturgie et s’acquittant de ses autres devoirs, le père Aimilianos s’adonna à la réorganisation de la vie interne de la nouvelle communauté. Avec respect et amour, il sut greffer sur l’expérience des anciens l’enthousiasme juvénile, le dévouement et le zèle des moines plus jeunes, qui contribuèrent ainsi à l’agrandissement de la communauté. Sa bonne administration générale et sa surveillance paternelle lui permirent de restaurer l’autorité et de remettre en valeur la tradition multiséculaire de ce Saint Monastère renommé depuis longtemps.

Après la mise en place de sa communauté à la Sainte Montagne, le père Aimilianos eut le souci de la vie de la communauté féminine d’Ormylia rassemblée le 5 juillet 1974 dans l’ancienne maison dépendante (metochion) de Vatopédi : « L’Annonciation de la Mère de Dieu » qui fut acquise par le monastère de Simonos Petra avec l’approbation de l’évêque du lieu et l’aide de la Sainte Communauté. Les sœurs s’y établirent et y vécurent, à partir de ce moment, comme metochion du monastère de Simonos Petra. Mais tout cela ne fut pas sans peines ni labeurs.

Geronda Aimilianos accueillit un certain nombre d’étrangers qui devinrent moines sous sa direction. Ce fut le cas notamment des pères Placide Deseille et Élie Ragot venus de France et ceux qui étaient avec eux. Entre 1979 à 1984, furent fondées trois maisons dépendantes en France : Saint-Antoine-le-Grand pour les moines, la Protection-de-la-Mère-de-Dieu (Solan) et la Transfiguration-du-Sauveur (Terrasson) pour les moniales où le Père Aimilianos se rendit souvent par la suite.

Il fut beaucoup sollicité pour des conférences ou des accompagnements spirituels, accueillant toutes choses comme une bénédiction de Dieu.

Au milieu des années 90, sa santé se dégrada de façon irrémédiable. Le Père Aimilianos dut quitter progressivement sa charge d’higoumène. En 2000, il rejoignit le monastère d’Ormylia où il devait passer les presque vingt dernières années de sa vie, dans le dénuement et la patience face à la souffrance.

Son enseignement spirituel a été rassemblé en plusieurs volumes par les sœurs d’Ormylia. Un certain nombre ont été traduit du grec en français :

– « Le sceau véritable » (1998).

– « Sous les ailes de la colombe » (2000).

– « Exultons pour le Seigneur » (2002).

– « Le Culte divin » (2004).

– « De la chute à l’éternité » (2007).

– « Discours Ascétiques d’Abba Isaïe » (2015).

– « La voie royale – Saint Nil de Calabre » (2017).

Selon les paroles même de son successeur Geronda Elisée :

« L’higouménat de Geronda au Saint Monastère de Simonos Petra a marqué un tournant important dans l’histoire récente du monastère. Ce fut une période bénie, où le monastère a retrouvé un grand rayonnement, période qui a coïncidé aussi avec l’accroissement du nombre des moines et du rayonnement de l’ensemble de la Sainte Montagne, grâce à la protection agissante de la très sainte Mère de Dieu. Cependant, comme Geronda lui-même le formule dans la Règle monastique (le Typikon) d’Ormylia (I, 9) : “La communauté monastique du Cœnobium, vivant selon son propre rythme, vit substantiellement dans l’Église et pour l’Église, comme le cœur ou quelque membre du corps. Elle n’est pas appréciée pour le développement d’une activité, mais principalement pour la recherche amoureuse de Dieu. De cette façon, les moniales deviennent images parfaites de Dieu, attirant ainsi les autres à la vie divine” ».

Après de longues années passées en silence sur un lit de douleur, Geronda Aimilianos a rejoint les demeures célestes tout doucement, le 9 mai 2019. Qu’éternelle soit sa mémoire !


Archimandrite Basile, Prohigoumène

Monastère d’Iviron

 

Homélie lors des funérailles

de Geronda Aimilianos

27 avril/10 mai 2019, Ormylia

 


Aujourd’hui, par la grâce de Dieu, Geronda Aimilianos nous a tous rassemblés pour cette synaxe pascale. Je connais le père Aimilianos depuis nos années d’études. Nous étions ensemble dans le groupe de catéchèse dirigé par l’actuel archevêque d’Albanie, Anastase (Gianoulatos). Les années sont passées et lui est parti pour les Météores. Le fait qu’il ait fait de tels progrès spirituels, le fait qu’il ait rassemblé des jeunes et qu’il ait fondé cette communauté qui s’est installée ensuite au Mont Athos, et après cette dernière la communauté des sœurs, montre qu’il avait l’assistance et la bénédiction de Dieu.

Ensuite, l’autre fait notable est qu’il soit resté vingt à vingt-cinq ans comme un mort non enterré. Cela est un autre témoignage de la foi, car le père Aimilianos n’a pas seulement œuvré comme higoumène, mais comme prédicateur dans le fait qu’il ne disait rien. Mais lorsqu’il ne disait rien, il nous transmettait les paroles ineffables de la vie éternelle. Et quand il ne comprenait rien, il se trouvait déjà avec les anges. Je pense que nous comprenons tout cela aujourd’hui.

Le père Aimilianos s’en va, mais il nous a laissé cette instruction, c’est-à-dire qu’il a beaucoup travaillé, il a fondé ces deux communautés vivantes, et ensuite, pendant vingt-cinq ans, il nous a parlé sans rien dire. Les femmes Myrophores avaient reçu de l’ange l’ordre d’annoncer l’événement de la Résurrection et « en se retirant, elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur ». Elles avaient peur et elles ne voulaient pas porter atteinte à l’inexprimable en parlant. De même, je pense que le père Aimilianos nous parlait. Et je peux vous dire en guise de confession, qu’il nous a conquis, et qu’il m’a conquis moi aussi. Oui, pendant tant d’années, une telle Croix ! Et moi, je venais en pensée jusqu’à sa porte, je faisais une métanie et j’en tirais de la force.

Maintenant, ceux qui ne comprennent pas la raison du silence du père Aimilianos, je pense qu’ils peuvent la comprendre aujourd’hui, dans cette communauté, en entendant ces chants si vivants, dans cette église magnifique, au sein de cette communauté.

Le père Aimilianos s’en va, mais la grâce de Dieu reste et je pense que ce qu’il nous laisse derrière lui c’est ce grand événement : Nous assistons aujourd’hui à l’abolition de la mort, et nous ne nous adressons pas seulement à quelques personnes qui parlent la même langue, nous parlons à tous les hommes. L’Église parle par son silence à tous ceux qui injurient le Christ et la Mère de Dieu. Ce sont ces gens qui ont surtout besoin d’aide. Cet événement que nous vivons aujourd’hui montre bien que ce dont nous avons besoin c’est d’un père Aimilianos qui repose en Christ, qui nous parle par son silence, qui part, mais laisse cette communauté vivante. Et qu’est-ce que cette communauté vivante va faire ? Elle va vivre et continuer cette tradition. En suivant cette route, on peut soudain se demander : « Mais je ne fais rien ? ». C’est précisément lorsque je ne fais rien, qu’il y a Celui qui « offre et est offert, qui reçoit et est distribué ».

Rendons donc grâce au Christ, à la Mère de Dieu et à tous les saints, car ils nous ont accordé un père Aimilianos, parce qu’il nous a parlé par sa propre vie, par ses actions, et par son silence. Et demandons au Christ et à la Mère de Dieu que le père Aimilianos prie désormais, du lieu où il se trouve, en compagnie de tous les anges. Et nous, nous allons prendre patience, et en nous exerçant à la patience, nous espérons atteindre les biens inouïs du royaume des cieux, que Dieu a préparés pour nous, tous les hommes.

Voyage en Chine continentale

12

Nouvelles

Dom Jean-Pierre Longeat, OSB,

Président de l’AIM


Voyage en Chine continentale[1]

 

 

Dans le prolongement de la réunion internationale du BEAO à Taïpei (Taïwan), le père Mark Butlin et moi-même avons eu la possibilité de visiter quelques aspects de la Chine continentale et quelques réalités monastiques dans ce pays. Il n’est pas possible de restituer ce voyage dans le détail et tout spécialement les nombreux échanges que nous avons eus. Cependant, il est utile de rendre compte des grandes lignes de cette impressionnante plongée dans l’Empire du Milieu.

Au lendemain de notre arrivée à Pékin, nous commençons par une visite émerveillée de la Grande Muraille de Chine, histoire de se mettre en condition !

Dans l’après-midi, nous nous rendons dans une des grandes églises au nord de Pékin, connue sous le nom de cathédrale du Saint-Sauveur, où nous pouvons rencontrer le curé et parler longuement avec lui. L’église vient de bénéficier d’une restauration complète. L’allée qui conduit à l’église est bordée d’anges jouant de la trompette, c’est déjà Noël ou presque. Une cérémonie de premières Vêpres va ouvrir le Temps de l’Avent. Tout le monde s’affaire.

Rappelons qu’en septembre 2018, un accord a été signé entre le Saint-Siège (qui a reconnu sept évêques de l’Église patriotique) et la Chine qui ne nommera plus d’évêques sans l’accord du Vatican. Il y aurait actuellement entre 10 et 15 millions de catholiques en République populaire de Chine. L’Association catholique patriotique de Chine dénombre 97 diocèses officiels. Mais l’Église catholique elle-même en compte jusqu’à 138, avec de nombreux sièges vacants.

Pour le premier dimanche de l’Avent, nous célébrons la messe à l’actuelle cathédrale de Pékin dédiée à l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, au sud de la ville.

Après la messe avec une assistance très nombreuse et une belle liturgie, nous allons visiter les bâtiments restés en l’état de l’université Fu Jen. Cette grosse institution a été établie à Pékin en 1933 par des moines de Saint-Vincent de Latrobe en Pennsylvanie.

Nous nous rendons ensuite au séminaire de Pékin dont le recteur a fait l’essentiel de sa formation théologique à Saint-Vincent de Latrobe. Nous croisons les cinquante séminaristes ; nous visitons le lieu spacieux et bien organisé. La bibliothèque qui vient d’être construite est très adaptée ; l’église est vaste et sert aussi de paroisse où un certain nombre de séminaristes sont en service pastoral.

En la fête de saint François-Xavier, en ce 3 décembre, nous partons de très bonne heure vers la Mandchourie où nous devons rencontrer la communauté de la Sainte-Croix à près de deux heures de la ville de Changchun.

Nous sommes à côté de Songhur, à 60 km environ de Jilin. Le prieuré est le fruit d’une longue histoire. En effet, les moines de Saint-Ottilien (Allemagne) avaient fondé un monastère à Yenki, devenu par la suite vicariat apostolique. Mais entre 1946 et 1952, les moines furent persécutés et sous contrôle des autorités civiles. Certains revinrent en Allemagne, d’autres s’enfuirent en Corée du Sud où ils établirent un monastère qui poserait les racines de celui de Waegwan, lequel existe encore de nos jours et est florissant. En 2001, après cinquante ans d’absence du territoire chinois, la congrégation de Saint-Ottilien revint fonder un monastère dans la région de Jilin, d’abord dans une paroisse, puis maintenant dans la maison où nous nous trouvons. C’est un prêtre chinois venu se former à Saint-Ottilien qui, après avoir prononcé ses vœux solennels, fut le maître d’œuvre de cette initiative.

Les moines vivent la règle de saint Benoît. Une maison pour personnes âgées est liée au monastère ainsi qu’un centre de ressourcement pour les prêtres des diocèses voisins. Les moines sont aussi chargés de la paroisse où ils avaient leur première implantation.

Le lendemain, nous partons vers la ville de Jilin où nous allons découvrir en premier lieu la cathédrale qui a été rénovée il y a peu de temps. Nous allons ensuite au séminaire du diocèse de Jilin où nous sommes reçus par le recteur et l’économe du lieu. Nous partageons la table avec les séminaristes. Ils sont au nombre de soixante-dix, pour une vingtaine de diocèses. Cet établissement a une très bonne réputation. Le recteur a fait ses études de théologie en partie à Rome. Il a un esprit ouvert et se montre accueillant à des réalités qui lui sont étrangères.

Puis, nous prenons le chemin du retour en nous arrêtant à l’église que possèdent encore les moines sur le lieu de leur premier établissement et qu’ils desservent. Au repas du soir nous commentons abondamment la journée.

Le mercredi 5 décembre, nous rejoignons l’aéroport de Changchun pour retourner à Pékin où nous visitons la Cité impériale : éblouissement !

Prieuré de Xishan, fondé par dom Joliet et les moines de Saint-André de Bruges.
Prieuré de Xishan, fondé par dom Joliet et les moines de Saint-André de Bruges.

Le jeudi 6 décembre, nous nous envolons vers Chengdu, la capitale du Sichuan. Nous devons nous rendre dans la ville de Xishan où nous allons visiter l’ancien monastère fondé par dom Jehan Joliet et les moines de Saint-André de Bruges.

Le monastère n’est pas loin de la ville, nous l’atteignons par une petite route qui nous mène au pied d’un mont où se tient en son sommet le cimetière chrétien du lieu. Les bâtiments monastiques ont conservé leur apparence. Ils ont été construits dans les années trente. Ils sont maintenant la résidence de l’évêque de Nanchong. Ils abritent aussi une maison pour personnes âgées. Là a été construit un sanctuaire avec un immense chemin de croix qui conduit jusqu’à la tombe des deux premiers prieurs, de quelques moines, de quelques sœurs et d’autres chrétiens.

Nous nous entretenons longuement avec l’évêque et nous visitons les lieux en détails. Le chapitre, les cellules, le réfectoire…. puis nous allons par le chemin de croix jusqu’aux tombes des fondateurs. Selon la coutume chinoise, ils ont été incinérés et placés dans des niches funéraires ornées d’une plaque illustrant leur sagesse.

Le premier fondateur est dom Jehan Joliet. Il est né en France à Dijon en 1870. Après avoir fait des études navales chez les jésuites, il devint officier de marine et découvrit la Chine dans l’exercice de ses fonctions. Il fut fasciné par la richesse et la profondeur de la culture de ce pays. Il fut choqué par le peu d’estime que les missionnaires avaient alors de cette culture et il réfléchit à une possible évangélisation dans le respect des mentalités du lieu. Il entra en 1894 à l’abbaye de Solesmes alors réfugiée en Angleterre sur l’île de Wight, avec l’espoir de pouvoir un jour fonder en Chine. Il fut par la suite en contact avec dom Théodore Nève, l’abbé de Saint-André de Bruges, et partit finalement avec un moine de Saint-André en terre chinoise avec la mission de fonder. Le monastère devait être totalement chinois avec une perspective de prière contemplative et d’études. La fondation eut lieu en 1929 dans la province du Sichuan, en un lieu nommé Xishan. Dom Joliet en fut le premier prieur. Cependant au bout de quelques années, une divergence de vues sur la perspective de l’inculturation, poussa dom Joliet à quitter sa charge et à se retirer comme ermite. Il mourut en 1937. Il laisse une pensée originale, très en avance sur son temps.

Après le déjeuner nous retournons vers Chengdu où nous devons également rencontrer l’évêque dans la soirée. Il n’est en charge que depuis deux ans. Il nous parle de son ministère.

Le lendemain nous rejoignons Shanghaï. Nous avons rendez-vous avec un jésuite français présent à Shanghaï après avoir passé de longues années à Taïpei. Nous restons avec lui pendant près de deux heures. C’est un véritable feu d’artifice. Nous nous promettons de nous revoir en France. Nous aurions encore beaucoup de choses à nous dire !

Nous nous rendons ensuite à la cathédrale de Shanghaï qui a été fondée par les jésuites. Nous arrivons à la fin de la messe célébrée en chinois. L’Église est archicomble ; elle a été totalement rénovée ces dernières années. Après la messe, le curé de la cathédrale et un prêtre ami nous font visiter les lieux dont la maison diocésaine où vivent un certain nombre de prêtres.

Nous marchons le long du fleuve dans le quartier mythique du Bund. Nous nous rendons le soir même par avion à Hong Kong. Le lendemain, le Père Abbé de Lantao, dom Paul Kao, vient nous chercher pour rejoindre son monastère sur l’île de Lantao.

La fondation du monastère remonte à 1946. Elle a été menée à bien par deux groupes de moines ayant fui la Chine continentale à la suite des persécutions du régime communiste. Une communauté d’une quinzaine de moines dont l’un avait une formation d’architecte, bâtit ce monastère dans un lieu quasi désert où les efforts de transports des pierres et d’aménagement des chemins relevaient de l’exploit. Les bâtiments consistent en un rectangle formé par deux ailes où se trouvent les lieux réguliers, les cellules et deux corridors de jonction à leurs extrémités. Au-delà se dresse l’église comme une proue de bateau au-dessus de la mer avec son clocher de pierres en guise de mât. Une autre extension récemment restructurée correspond à l’infirmerie. En contre-bas, l’hôtellerie spacieuse accueille des retraitants nombreux. Elle consiste en quelques seize chambres avec des salles de réunions et un réfectoire.

Nous rencontrons la communauté pour l’office et le déjeuner. L’après-midi avance très vite. Dans la soirée Mark présentera le travail de l’AIM à la communauté. Le lendemain, il se rendra à Macao pour rencontrer la nouvelle fondation des trappistines de Vitorchiano. Pour ma part, je repars pour Paris où après seize heures de voyage, je reprends pied sur le sol français !


[1] Suite du compte rendu de voyage à l’occasion de la rencontre de l’association bénédictine de l’Est asiatique et de l’Océanie (BEAO) paru dans le Bulletin 116, pp. 61-66.


Bâtiments maintenant vides de l'ancienne université de Fu-Jen, fondée par les moines de Saint-Vincent de Latrobe (USA).
Bâtiments maintenant vides de l'ancienne université de Fu-Jen, fondée par les moines de Saint-Vincent de Latrobe (USA).

Voyage au Tchad

13

Nouvelles

Sœur Christine Conrath, OSB,

Secrétaire de l’AIM


Voyage au Tchad,

juin-juillet 2019

 

 

Dans le cadre des voyages de l’Équipe Internationale de l’AIM, j’ai été invitée à passer quelques jours au Tchad, dans la communauté de Sainte-Agathe de Lolo, premier et unique monastère de notre famille bénédictine au Tchad. Depuis longtemps, cette communauté qui se trouve très isolée dans le pays, souhaitait une visite fraternelle. Depuis la fondation, l’AIM a beaucoup soutenu les projets présentés par ce monastère. Le moment était venu de manifester plus concrètement encore notre présence fraternelle auprès de ces sœurs tellement courageuses.

J’ai voyagé avec Royal Air Maroc, avec une escale à Casablanca, aéroport international splendide. Il faut compter, en plus du vol Paris-N’Djamena, dix heures de trajet en autobus, pour parcourir les 475 km de N’Djamena à Moundou, puis 11 km de Moundou à Lolo. On calcule non pas en kilomètres mais en heures de voyage, vu l’état de la route (bon aux alentours de la capitale du Tchad, très bon aux alentours de Moundou – seconde ville du pays – mais déplorable en certains endroits, au milieu). L’intérêt d’un voyage en bus est multiple : bain dans la population locale et visite du pays ! Les sièges sont confortables et permettent de se reposer. On peut visionner sur un écran communautaire des spectacles de variétés, en français ou en arabe (deuxième langue officielle du Tchad) et même des films chinois sous-titrés.

L’avion s’est posé à N’Djamena à l’heure, mais une de mes valises avait été égarée, d’où modalités de litige-bagage, en plus des formalités d’entrée dans le pays. Pendant ces démarches, je pensais à sœur Denise qui a dû m’attendre pendant plus de deux heures devant l’aéroport.

Le monastère Sainte-Agathe a été fondé en 2004 par les sœurs congolaises de Lubumbashi (congrégation Reine des apôtres). Tout y est jeune, et j’avais tout à découvrir. Dans la bibliothèque des sœurs, un merveilleux livre m’a guidée : « Origines de l’Église catholique au Tchad, diocèse de Moundou, Journal d’un missionnaire » par Marie-André Pont, capucin. L’Église du Tchad n’est pas encore centenaire. Les huit diocèses du pays sont desservis par 131 prêtres diocésains et 111 prêtres religieux, 375 religieuses… Sainte-Agathe est la fierté du diocèse de Moundou, m’a confié un prêtre diocésain rencontré en ville.

Avant mon départ, nous avions pu, le père J.-P. Longeat et moi-même, rencontrer à Paris un missionnaire, le père Michel Guimbaud, capucin français arrivé au Tchad dès 1957, trois ans avant l’Indépendance. Il nous a partagé son zèle apostolique et son estime du peuple tchadien. Les capucins célèbrent l’eucharistie à Sainte-Agathe trois fois par semaine, et rendent de multiples services à la communauté. Ils se rendent notamment disponibles comme vaguemestres pour transmettre les mails et diverses informations aux sœurs.

Pendant le voyage en autobus, j’ai remarqué les semi-remorques chargés de containers qui montent depuis Douala et Yaoundé au Cameroun. Le pays est enclavé, sans accès à la mer, d’une superficie égale à deux fois et demi la France ; la moitié Nord est désertique. En plus des conditions climatiques difficiles, le paysage politique est conflictuel : les zones contrôlées par Bokko Haram ne sont pas éloignées. En étudiant l’histoire récente du Tchad, notamment sous la dictature de Hissène Habré (1982-1990), on comprend la souffrance du peuple tchadien. Le 30 mai 2016, ce dictateur a été condamné à la prison à perpétuité pour crimes contre l’humanité, tortures, crimes de guerre. L’avènement du procès, vingt-cinq ans après la chute de Habré et sa fuite vers le Sénégal, est entièrement dû à la persévérance et à la ténacité des victimes.

Comme ma valise avait été perdue, j’ai expérimenté l’accueil évangélique selon Luc 10 : « N’emportez pas de bourse, pas de besace, pas de sandales. En quelque maison que vous entriez, dites : Paix à cette maison ! Demeurez là, mangeant et buvant ce qu’on vous donnera ». Les sœurs m’ont installée dans une belle cellule, avec tout le nécessaire pour passer la nuit et toute la semaine. Les moustiques ont été cléments, la moustiquaire a suffi à les écarter – l’aérosol ad hoc était naturellement dans la valise.

Le monastère est bien construit et spacieux. La belle église a été dédicacée le 29 juin 2018. La cuisine, agréable et bien aérée, sert également de réfectoire. Les sœurs viennent de construire dix chambres supplémentaires pour élargir leur capacité d’accueil à l’hôtellerie. En effet, beaucoup de personnes viennent se ressourcer au monastère. Les hôtes apprécient le cadre et la communauté. Pendant mon séjour, un groupe de religieux était en retraite, animée par un prêtre venu de Centrafrique.

L'église du monastère. © AIM.
L'église du monastère. © AIM.

J’ai été touchée par le sérieux de la vie religieuse de ces sœurs, dans des conditions de confort très relatives. L’emploi du temps est serré : vigiles à 04 h 30, complies à 20 heures, une courte sieste après le déjeuner. Sœur Denise, la supérieure, sœur Gisèle, hôtelière, sœur Myriam, directrice de l’école, sont Congolaises de Lubumbashi. La première professe tchadienne, sœur Priscille, est actuellement à Lubumbashi pour sa formation. Les effectifs de la communauté se complèteront bientôt par le retour de sœur Eulalie et de sœur Philomène notamment. La communauté est accueillante, une sœur de Babété (Cameroun voisin), est là pour quelques semaines de repos. J’ai eu le plaisir de retrouver sœur Myriam, que j’avais rencontrée il y a trois ans à une session de formateurs ; elle a suivi le parcours « Ananie » (pour les formateurs de langue française) et en a énormément profité. Elle va partir étudier la Bible à Yaoundé pendant trois ans, c’est un gros sacrifice pour la communauté, généreusement consenti.

En accompagnant sœur Denise dans les champs cultivés par le monastère, j’apprends que trois sarclages sont nécessaires avant la récolte de l’arachide. Hélas, la plantation est clairsemée par endroits, soit parce qu’il n’a pas plu quand on a planté, soit parce que les troupeaux de bœufs sont venus brouter de manière intempestive, franchissant la frêle clôture. Autrefois, ces troupeaux de 180 têtes descendaient du Nord après la récolte ; ils nettoyaient et fumaient les champs, pour l’agrément des cultivateurs. Désormais ils descendent plus tôt et les conséquences pour les cultures sont désastreuses. Parmi les ouvriers travaillant sur l’exploitation des sœurs, notons les « choristes » de la paroisse voisine qui veulent s’acheter des instruments de musique et un ampli ; leur rémunération est mise de côté pour qu’ils puissent acheter un jour ce dont ils rêvent. J’ai vu aussi les femmes du village venant travailler avec leurs plus jeunes enfants sur leur dos ou marchant bravement à côté de maman. Les sœurs sont une providence pour les villageois ; par exemple elles vendent à crédit la semence pour les cultures.

Pressage des arachides pour récolter l'huile. © AIM.
Pressage des arachides pour récolter l'huile. © AIM.

Cette année, en plus du sésame, de l’arachide, du mil, de l’igname, sœur Denise va se lancer dans la culture du coton ; elle a fait des études agronomiques. La terre est sableuse, facile à sarcler ; mais une forte pluie déracine les arbres sans difficulté. L’État a lancé une politique de reboisement ; il est interdit d’abattre les arbres, mais on a besoin du charbon de bois pour la cuisine…. Le monastère possède une machine à presser les arachides ; pendant mon séjour, trois ouvriers l’ont fait tourner pendant toute une journée et le lendemain nous avons apporté les bidons d’huile à un client de Moundou.

La vie au monastère est rythmée par la venue des voisins. Le matin départ aux champs, vers 11 heures on donne du thé aux ouvrières, vers 15 heures on vient chercher le repas (farine mélangée avec du mil et maïs, sauce au gombo, un peu de poisson). À 17 heures fin du travail. Chacun rentre chez soi avant la tombée de la nuit, à 18 heures.

Les sœurs ont une petite école. Au début elles assuraient tout l’enseignement, maintenant elles ont recruté des enseignants qui demandent un salaire légitime. Mais les villageois peinent à verser le droit d’inscription. Les enfants sont trop tôt retirés de l’école ; l’école publique aussi est payante. L’argent manque. La pompe à eau, mise à la disposition du village, attend la troisième réparation ; les sœurs demandent aux usagers de se cotiser... Il faut terminer les cours de l’école primaire au 30 mai, car les parents emmènent les enfants travailler aux champs dès le début de juin (saison des pluies). Le hangar de l’école du monastère a été financé en partie par les élèves de l’école de Lubumbashi, belle opération de partage solidaire.

Les sœurs font face aux rudes contingences, avec un courage qui force l’admiration. À ce jour, elles auraient besoin de clôturer leurs champs pour protéger les cultures, et de pouvoir tabler sur une distribution d’électricité plus fiable – notamment pour alimenter leur réfrigérateur, donc un groupe électrogène puissant. Pour l’accès internet, cela semble complexe. Le monastère est dans une cuvette, il faut prendre la voiture et monter sur une colline voisine, à 1,5 km, pour capter les signaux – comment surmonter cet éloignement ?

Durant tout mon séjour dans cette communauté, j’ai expérimenté que tout est grâce. Je remercie la communauté de Sainte-Agathe pour son accueil et pour m’avoir ouvert les yeux sur une nouvelle réalité. Notons en terminant que tant l’évêque du lieu que les sœurs et les frères capucins qui les desservent souhaiteraient ardemment l’établissement d’un monastère d’hommes à proximité. Un terrain est disponible. L’appel est lancé à tous ceux qui pourront y répondre !

Session des supérieures de Madagascar et de l'Océan indien

14

Nouvelles

Sœur Agnès Brugère, OCSO,

Prieure d’Ampibanjinana


Compte rendu de la session des supérieures

des communautés contemplatives

de Madagascar et de l’Océan indien

 Monastère de Ampibanjinana, mai 2019

 


Notre assemblée s’est déroulée du 7 au 14 mai chez les sœurs cisterciennes d’Ampibanjinana, Fianarantsoa. Le thème de notre session, animée par le père Louis-Martin Rakotoarilala, assomptionniste et docteur en droit canonique, était : « Étude de Vultum Dei Quaerere et Cor Orans ; élaboration des statuts de notre groupe en vue de les présenter à l’approbation du Saint-Siège ».

Étaient présents :

– La Présidente : sœur Agnès, prieure des cisterciennes d’Ampibanjinana.

– Le Père Assistant du bureau : P. Jean-Chrysostome, prieur des cisterciens de Maromby.

– 2e Assistant : P. Luc-Ange, prieur des bénédictins de Mahitsy.

– Sœur Victoire, prieure du carmel de Fianarantsoa, conseillère.

– Sœur Marie-Goretti, prieure des clarisses d’Ihosy, conseillère.

– Sœur Martine, prieure des clarisses d’Ampasipotsy.

– Sœur Jeanne, prieure des bénédictines d’Ambositra.

– Sœur Marie-Berthe, prieure des bénédictines de Mananjary.

– Sœur Marie-Jeanne, prieure des bénédictines de Joffreville.

– Sœur Mireille, déléguée de sœur Magdalena, prieure du carmel de Tana, empêchée.

– Sœur Odette, prieure du carmel de Morondava.

– Sœur Carméla, prieure du carmel de Moramanga.

– Sœur Elisabeth, prieure du carmel de Tuléar.

– Sœur Ange-Daniella, déléguée de sœur Myriam, abbesse des clarisses d’Antsirabe, empêchée.

Quelques communautés dont celles de la Réunion et de l’Île Maurice n’ont pu venir cette année.


I- Formation

Les 8 mai, 10 mai après-midi, 11 et 12 mai nous avons écouté le père Louis-Martin nous expliquer et commenter divers passages de la Constitution apostolique Vultum Dei Quaerere et surtout de son Instruction d’application Cor Orans, sur la vie contemplative féminine, publiée le 1er avril 2018. Il a clarifié notamment un bon nombre de termes canoniques nous aidant à entrer dans la compréhension de ce document qui a force de loi pour nos monastères contemplatifs.

Nous avons lu ensemble les numéros de Cor Orans qui définissent les différentes structures de communion entre les monastères (fédération, association, congrégation et conférence) que Cor Orans, à la suite de Vultum Dei Quaerere, encourage. Nous avons pris conscience que notre association inter-monastique qui existe à Madagascar depuis 2008 est prévue dans le document au n° 9 et s’appelle : « Conférence de monastères ».

 

II- Élaboration de nos statuts

Avant de passer à la lecture et aux amendements de l’ébauche des statuts rédigés par le bureau, nous avons relu ensemble la lettre du Nonce apostolique son Éminence Augustin Kasujja, datée du 12 juin 2008 qui nous encourage à former cette « Union des monastères féminins ayant un assistant religieux élu par les monastères membres » et nous indique les documents à envoyer à la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique pour que cette Union soit constituée, notamment les délibérations des chapitres des monastères désirant faire partir de l’Union et une copie des statuts de l’Union

À la fin de la session, une version révisée des statuts provisoires a été distribuée à toutes les participantes et aux Assistants de notre association qui prend désormais le nom de : « Conférence des monastères de l’Océan indien ».

Ces statuts doivent être soumis aux chapitres conventuels de chacune de nos communautés, et l’adhésion de chaque communauté doit faire l’objet d’un vote de chaque chapitre. Les résultats des votes doivent être envoyés à la Présidente afin qu’elle les fasse parvenir au Saint-Siège avec les statuts pour approbation. L’examen de ces statuts par les communautés fera peut-être surgir des demandes d’amendements : dans ce cas nous les étudierons lors de notre prochaine assemblée en 2020. Les statuts ne seront envoyés au Saint-Siège que lorsque toutes les communautés se seront exprimées.

L’élaboration et l’amendement des statuts ont fait surgir de nombreuses questions : nous avons tenté de préciser quels monastères peuvent y adhérer et les droits et obligations qu’entraîne cette adhésion. Nous avons été attentifs à la question des sorties de clôture, multipliées par les exigences de Cor Orans et qui provoquent des réticences de la part de certaines d’entre nous, avec cette question sous-jacente : notre Conférence des monastères de l’Océan indien garde-t-elle sa pertinence à l’heure où nous mettons en place les fédérations telles que nous le demande Cor Orans ?

Les articles 1,2, 4 et 7 veulent répondre à ces questionnements : le but de notre Conférence est de promouvoir la vie contemplative entre les monastères de la région et de favoriser la collaboration entre nous. La vie contemplative est riche de différents charismes et les formations que nous recevons ensemble nous aident à rester fidèles à notre appel et à nous soutenir mutuellement. Nous sommes peu nombreux dans une vaste région dans des Églises encore jeunes. La plupart de nos communautés sont jeunes encore et nous sentons fortement, comme prieures, le besoin de formation et d’entraide. Notre adhésion à la Conférence est aussi un témoignage de notre unité dans l’Église. L’article 2 détaille les services que rend la Conférence aux monastères qui y adhèrent.

Nous avons souligné dans l’article 7 la nécessité pour les communautés adhérentes de participer à l’assemblée des supérieures, au moins en y envoyant une déléguée si la supérieure elle-même ne peut s’y rendre, de manière à garder un lien vivant avec la Conférence. Nous avons conscience cependant que les monastères des îles de l’Océan indien, étant donnée la distance qui les sépare de Madagascar et l’impossibilité financière pour les communautés malgaches de se rendre dans les îles, n’auront pas la possibilité de se joindre à toutes les assemblées ou formation. C’est pourquoi, à l’article 7, nous leur donnons la possibilité de déléguer une moniale résidant à Madagascar pour les représenter lorsqu’elles ne pourront venir.

Il nous a semblé sage de ne pas fixer dans les statuts (art. 7) la fréquence de nos assemblées de supérieures : actuellement, nous avons un rythme de réunions annuelles, mais nous pourrions envisager de nous réunir tous les deux ans à l’avenir. Ainsi, c’est le règlement intérieur qui indiquera la fréquence de nos assemblées en fonction du choix des membres de la Conférence.

Lors de nos échanges sur les droits et les devoirs des adhérentes à la Conférence, il nous a semblé important de rappeler que la participation à l’assemblée des supérieures conditionne la participation des communautés aux autres activités proposées par la Conférence. Les formations proposées aux communautés sont facultatives mais la présence (ou la représentation) de tous les membres à l’assemblée est absolument nécessaire pour le bon fonctionnement de la Conférence.

À l’article 22, nous avons mentionné les Pères assistants de la Conférence comme étant de droit les supérieurs des bénédictins de Mahitsy et des cisterciens de Maromby qui accompagnent notre association depuis ses premières réunions. Étant eux-mêmes moines contemplatifs, ils nous semblent les plus à même de remplir cette fonction.

Nous souhaitons exprimer notre reconnaissance au père Louis-Martin qui a mis ses compétences de canoniste au service de notre Conférence pour accomplir ce travail de rédaction des statuts.

 

III- Échanges sur différents sujets et prospectives pour les années à venir

Nous avons partagé sur nos souhaits pour la formation des supérieures dans les années à venir : il nous semble important de continuer le travail sur Cor Orans car bien des points n’ont pas pu être abordés, notamment : les fondations, l’érection canonique, la formation et les moyens de communication. Nous avons donc demandé au père Louis-Martin de revenir l’an prochain pour continuer de lire avec nous Cor Orans, et aussi pour nous aider à la rédaction du règlement intérieur de notre Conférence (le Bureau rédigera encore une ébauche qui sera amendée en assemblée). De plus, si les communautés proposent d’autres amendements aux statuts nous les discuterons ensemble.

Notre prochaine assemblée se déroulera du 27 avril au lundi 4 mai 2020. Nous serons de nouveau à Fianarantsoa, pour faciliter la présence du père Louis-Martin.

Dans le but de renforcer la communion entre nous, entre les assemblées, voici quelques propositions :

– En fin d’année, à l’occasion du partage des vœux par exemple, chaque communauté pourrait communiquer à sœur Agnès les sessions ou conférences dont elle a bénéficié durant l’année, avec si possible les noms des conférenciers, afin de donner des idées aux autres. En janvier, sœur Agnès fera parvenir à l’ensemble des communautés ces informations.

– De même, lorsqu’une communauté vit un événement important, heureux ou malheureux, elle peut en faire part à sœur Agnès qui retransmettra à toutes nos communautés.

– Il y a parfois des talents dans nos communautés qui pourraient être partagés : pouvons-nous envisager une entraide mutuelle entre nous, pour le chant par exemple, ou tout autre sujet… ? Cela nécessiterait de permettre à l’une de nos sœurs d’aller passer quelques jours dans une autre communauté…

– En 2021 ou 2022 nous pourrions envisager une formation pour les jeunes professes solennelles ; quelques thèmes ont été évoqués : la consécration, la persévérance, la gestion des crises, liberté et discernement dans l’usage des moyens de communication, l’importance de la vie intérieure.

– Mère Marie-Jeanne, de Joffreville, a proposé d’envisager une session soit pour les supérieures soit pour les jeunes, à Joffreville. Ce serait en outre l’occasion d’organiser une rencontre témoignage avec les chrétiens du diocèse autour de la vie contemplative qui est très mal connue dans le Nord, encore peu christianisé. Mère Odette, du carmel de Morondava, nous partage que sa situation est semblable et désire elle aussi nous inviter. Nous sentons l’utilité de soutenir ces communautés par notre présence mais la distance et le coût des voyages est aussi à prendre en compte. Nous réalisons que Mère Marie-Jeanne et Mère Odette parcourent de grandes distances sur de mauvaises routes pour nous rejoindre chaque année…

Tous les participants ont exprimé chaleureusement leur reconnaissance à l’AIM qui nous a aidés financièrement pour cette assemblée et aussi pour la session de formation des formateurs qui aura lieu à Maromby du 19 au 26 septembre 2019 avec S. Marie-Florence, pfm, sur le thème de l’accompagnement (19-22 sept) puis Père Georges, sj, sur le thème du discernement (23-26 sept). Il y a déjà une quarantaine d’inscrits.


IV- Invitation pour une rencontre des contemplatives avec le Saint-Père François le 7 septembre

Nous avons beaucoup partagé aussi durant cette assemblée sur les moyens de répondre à l’invitation de la Conférence des évêques de Madagascar pour la rencontre des moniales contemplatives avec le Saint-Père, au carmel d’Ampasanimalo à Tananarive, le 7 septembre au matin.

Nous pensons être cent-trente moniales à pouvoir venir et sept postulantes, si c’est possible pour elles d’être avec nous. La rencontre avec le Saint-Père comportera un mot d’accueil de Mère Maddalena, prieure du carmel, une exhortation du Saint-Père et la prière de l’office du milieu du jour avec le Saint-Père. La liturgie est déjà préparée et validée par le Saint-Siège, nous arriverons assez tôt le matin pour répéter ensemble. L’offrande d’un cadeau est exclue du protocole ; malgré tout, nous avons fait une cotisation de 7000 ar par communauté et demandé à nos sœurs du carmel de Tuléar de réaliser une broderie (une carte de Madagascar avec la mention de chacune de nos communautés) ; les sœurs d’Ambositra prépareront une carte en bambou que nous signeront toutes sur place. Nous pourrons sans doute remettre ce cadeau au secrétaire du Saint-Père.

Merci à chacun et chacune pour sa participation active à cette rencontre de formation.




Programme des formateurs monastiques de l'ABECCA

15

Nouvelles

P. Alex Echeandía, OSB,

Président de l’ABECCA

 

Compte rendu du programme des formateurs monastiques de l’ABECCA

Guatemala, 14-23 juillet 2019

 


L’ABBECA (Association bénédictine et cistercienne pour les Caraïbes et les Andes), créée en 1978, rassemble cinquante-trois communautés des dix-sept pays de cette partie de l’Amérique latine. Tous les quatre ans, dans différents pays de la Région, bénédictins et cisterciens se réunissent pour un partage d’expériences accompagnées de conférences. C’est un temps privilégié où les communautés parviennent à se retrouver malgré les difficultés liées aux longues distances et au faible nombre de personnes à envoyer de chaque communauté.

La dernière assemblée de l’ABECCA a eu lieu à Bogota en juillet 2017. À la suite de cette rencontre, les participants ont exprimé le besoin d’aider les formateurs en exercice ou en formation, car ils représentent beaucoup pour l’avenir de la vie monastique en Amérique latine et dans les Caraïbes. Certains ont demandé à l’ABECCA d’organiser un cours pour les juniors et les novices, mais d’autres ont pensé qu’il serait mieux à ce stade d’aider d’abord les formateurs à remplir leur rôle pour que cela affecte aussi les jeunes en formation et toute la communauté en lien avec la formation continue.

En octobre 2018, le Conseil de l’ABECCA s’est réuni au Guatemala pour fixer les dates, les thèmes et les intervenants du premier cours monastique pour formateurs organisé par l’ABECCA. L’idée était de trouver un sujet qui puisse servir de base solide pour les cours futurs et qui puisse aider les communautés. Ainsi, après mûre réflexion, il a été décidé d’aborder le thème lié au problème du manque de maturité dans le processus de formation, avant et après la profession.

L’attention s’est d’abord portée sur les fondements de la tradition monastique afin de savoir comment les transmettre des aînés aux plus jeunes, d’une maison mère à une maison fille, des formateurs à ceux qui sont en formation. Il est intrinsèque à la vie monastique de connaître les Pères monastiques, la règle de saint Benoît et l’application de cette tradition à la vie présente.

Le deuxième accent portait sur l’attention à la personne humaine : Comment les affects et les émotions s’intègrent harmonieusement dans le processus de formation pour aider les candidats à mûrir dans la vie monastique et comme chrétiens ? Cet aspect humain concerne, bien sûr, à la fois ceux qui sont en formation, les formateurs et toute la communauté. L’humanité touche la profondeur de chaque membre d’une communauté.

Enfin, l’attention s’est portée sur l’aspect spirituel à partir des deux premiers fondements, la tradition monastique et le comportement humain, afin de permettre à l’Esprit d’agir dans le cadre de l’appel de Dieu à vivre avec maturité une vie monastique.

Du 14 au 23 juillet, moines et moniales, frères et sœurs, se sont donc réunis au Guatemala pour participer à ce premier cours de formation monastique de l’ABECCA. Il y avait vingt-six participants venant du Mexique au Pérou, du Nord et du Centre et de l’Amérique du Sud et des Caraïbes. Certains participants avaient des années d’expérience en tant que formateurs, d’autres venaient d’être nommés pour accompagner les nouveaux venus.

Des conférenciers de renom étaient présents : L’abbé Paul Stonham, osb, de l’abbaye de Belmont, a dirigé les trois premiers jours portant sur la connaissance des Pères monastiques et a souligné l’importance de la tradition monastique, depuis le christianisme primitif jusqu’aujourd’hui en Amérique latine. Sœur Marta Inés Restrepo, psychanalyste et licenciée en accompagnement spirituel, a animé deux journées de conférences sur le comportement humain et la dignité de la personne. Enfin, l’abbé Bernardo Olivera, ocso, le célèbre ancien Abbé général des cisterciens, a animé pendant trois jours des conférences sur le cheminement spirituel, utilisant la tradition et le comportement humain afin de montrer le but réel de la vie monastique en utilisant des exemples pratiques pour montrer comment vivre une vie monastique avec maturité. Les trois orateurs ont été grandement appréciés.

D’autre part, les participants ont pu partager leurs expériences, leurs doutes et leur richesse dans leur rôle de formateurs. Ils se réunissaient deux fois par jour, après chacune des deux conférences données le matin. En fin de journée, nous avions une séance plénière où chacun pouvait parler et partager ce qui avait été discuté en groupes. C’était un encouragement et une aide récipropre pour mieux affronter la situation propre de sa communauté.

Cette approche en commun d’une vie monastique dans la pluralité des mises en œuvre a permis au premier cours monastique pour formateurs d’être fécond. Les instruments culturels l’ont rendu possible comme aussi le besoin de grandir comme instrument de la grâce de Dieu dans sa propre communauté.

Cependant, on peut dire que dans l’ABECCA il y a aussi des pays où il n’y a qu’un seul monastère masculin ou féminin. Une communauté isolée trouve difficilement la possibilité d’être en relation avec un autre formateur monastique et donc de partager les fardeaux et les défis que présente la société. Il semble évident qu’il soit nécessaire de promouvoir de telles réunions et de les rendre efficaces et précieuses. En organisant des cours comme celui-ci, l’ABECCA trouve là un moyen d’aller de l’avant en permettant aux communautés de grandir là où elles se trouvent. Ainsi, ce premier cours de formateurs monastiques a été une réponse de la volonté de Dieu pour le bénéfice de chaque communauté dans la région.

Le parcours de formation Ananie

16

Nouvelles

Frère Moïse Ilboudo,

Bénédictin de Koubri (Burkina Faso)


Témoignage sur le parcours de formation

francophone « Ananie »

 

 

Je suis très content d’avoir participé à la session d’Ananie pendant ces trois mois avec un programme bien défini. Et avec les intervenants, nous n’avons pu l’épuiser. Ces trajets parcourus de monastère en monastère représentent pour moi comme les Rois mages (cf. Mt 2, 1-12) à la vue de l’étoile de Celui qui les guidait, et comme la Vierge Marie parcourant les montagnes pour aller rendre visite à sa cousine Elisabeth.

Cette session m’a replongé dans mon choix : la vie monastique dans ses profondeurs de grâces et ses bienfaits. J’ai fait cette expérience que former des novices à la vie monastique commence d’abord par se laisser soi-même transformer ; et que donner exige qu’on sache aussi recevoir, comme nous le dit le fascicule : « Petite réflexion sur Ananie ». Ananie, le disciple du Christ, l’initiateur de Paul à la vie dans le Christ, doit être un modèle, une icône dans n’importe quelle charge pour moi. Comme notre religion chrétienne est une transmission, une foi vive qui se réalise dans la Parole célébrée et priée, les trois premières semaines de notre séjour à la Pierre-qui-Vire nous ont fait plonger dans les Mystères du Christ : Passion –Mort – Résurrection ! Ces enseignements nous ont conduits jusqu’à la fin de la session.

Dans ses interventions, le pasteur Pierre-Yves Brandt a allumé une petite flamme en moi que j’ai essayé de protéger jusqu’à la fin de la session. Elle doit être bien protégée pour qu’elle puisse grandir car elle est comme une graine semée en terre. Elle doit pouvoir pousser et donner ses fruits dans le temps, dans ma vie monastique de chaque jour, pour que les autres aussi mangent ces fruits. Comme il n’y a pas de rose sans épine, la vie monastique est pleine de beauté formée par un ensemble d’individus dont chaque personne a son caractère propre qu’elle doit gérer face aux autres : c’est la vie fraternelle ! Pierre-Yves m’a appris, grâce à ses exercices pratiques, à trouver une solution dans telle ou telle situation. Pour les gérer, comment m’y prendre ? Lire et relire ma vie, revenir en moi-même, m’y prendre à temps pour mieux transmettre ce que j’ai reçu. Me référer toujours aux Écritures saintes, à la règle de saint Benoît, aux Constitutions et au Coutumier – des outils pratiques. Je dois prendre en compte la situation actuelle où je me trouve. Je dois être responsable de moi-même dans telle ou telle situation, et me mettre à la place de l’autre, pour mieux agir et non pour me défendre. Il y a toujours mille solutions, mille manières de gérer une situation et de savoir écouter l’Esprit Saint.

C’est dans la Lectio divina que le moine écoute l’Esprit Saint, la Parole de Dieu. La Lectio divina est le lieu d’apprentissage de la lecture des Écritures saintes, pour mieux écouter une parole qui va me permettre de lire, relire ma vie et de la déchiffrer. La tradition est un trésor d’où l’on tire du neuf et de l’ancien, elle est une dynamique de vie qui nous entraîne à la rencontre de Dieu. Le père Armand Veilleux nous disait que transmettre la tradition c’est transmettre l’expérience de la vie monastique. La formation est un processus.

Nous avons été formés à l’image du Christ, déformés par le péché et reformés par la grâce du Christ. Le rôle du formateur, c’est l’intégration et la formation : aider la personne qui vient au monastère à se transformer, à s’intégrer dans la communauté qui l’accueille.

bottom of page