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Loi et vie
Bulletin n° 128, année 2025
Índice
Éditorial
Dom Bernard Lorent Tayart, osb,
Président de l’AIM
Perspectives
• La mise à jour des Constitutions
P. Aitor Jimenez
• La révision des textes juridiques de la congrégation Subiaco-Mont-Cassin
Dom Étienne Ricaud, osb
• La CIB
Sœur Lynn McKenzy, osb
• La Fédération N.-D. de la Rencontre
Sœur Marie-Benoît Kaboré, osb
• Statut sur l’accompagnement des communautés fragiles et sur la suppression d’un monastère
Texte officiel OCSO
• Questions pour deux nouveaux présidents de congrégations
Dom Bernard Lorent Tayart, osb
Témoignages
Trouver la communion dans le changement
F. J.-B. Donleavy et P. J. George, osb
Réflexions
Réflexions sur la présence/absence des moines à la vie de l’Église aujourd’hui
P. Manuel Nin i Güell, osb, Exarque
Une page d’histoire
Le concile de Nicée
M. Jérôme de Leusse
Grandes figures de la vie monastique
Dom Kevin O’Farrell
Dom David Tomlins, ocso
Nouvelles
• Le millénaire de Montserrat
P. Bernat Julio, osb
• Jubilé d’or de l’ISBF
Dom James Mylackal, osb
• Jubilé d’argent du monastère de Teok
P. Sibi Joseph Vattapara, osb
• Dom Javier Suárez
Information de Sankt-Ottilien
• La commission sur la Chine
Dom Bernard Lorent Tayart, osb
Editorial
Ce nouveau numéro du Bulletin de l’AIM donne un écho de l’évolution permanente de la vie monastique dans le monde. La vitalité des moines et des moniales s’accompagne d’une régulation pour le bien commun, c’est pourquoi ce numéro s’intitule « Loi et vie », la vie comme on le sait, précédant toujours le droit.
Un aspect nouveau aujourd’hui est celui de l’évolution de la solidarité entre les monastères. Sous l’impulsion de Cor orans (pour ce qui est des moniales) apparaissent de nouvelles fédérations ou de nouvelles congrégations avec la prise en compte des communautés isolées ou fragiles et l’engagement dans de nouvelles initiatives. Cela se traduit aussi dans le droit par l’adaptation des Constitutions, comme on le voit, à titre d’exemple, pour la congrégation de Subiaco-Montecassino.
On donne ici aussi la parole à deux présidents de congrégations récemment élus (Sankt-Ottilien et Subiaco-Montecassino).
Deux témoignages abordent la question de la place de la vie monastique dans l’Église, quelque fois trop « manquante » et toujours en nécessité de renouveau.
Comment ne pas donner aussi un écho dans ce Bulletin du jubilé du concile de Nicée qui a tellement marqué l’émergence et l’engagement de la vie monastique dans un 4e siècle foisonnant.
L’évocation d’une grande figure de la vie monastique est toujours un stimulant : celle de dom Kevin O’Farrell, premier abbé de la Trappe de Tarrawara (Australie), en est une illustration.
On trouvera enfin dans ce numéro des nouvelles venues de tous les continents.
À titre personnel, deux voyages récents me permettent de mettre en évidence la vie monastique et l’éducation de la jeunesse.
Le premier était à Nairobi au Kenya pour la préparation du 2e congrès africain sur l’éducation catholique qui se tiendra en novembre 2025. Une belle occasion pour rencontrer les autorités académiques des trois institutions universitaires catholiques : l’Université des conférences épiscopales d’Afrique de l’Est, l’Institut des jésuites et l’Université Tangaza tenue par un consortium de 22 congrégations religieuses. Les bénédictins y sont bien représentés par le P. Edward Etangu, responsable de la maison d’études de Sankt-Ottilien et chancelier de l’Université Tangaza. Une visite à la communauté des sœurs de Tutzing et à Mère Prieure Rosa Pascal s’imposait. Une communauté bien sympathique d’une vingtaine de sœurs qui tiennent une école très réputée de Nairobi.
Le second voyage était à Bengalore, en Inde, au monastère d’Asirvanam où se tenait le 50e anniversaire des rencontres des supérieur/es d’Inde et du Sri Lanka. Les moines d’Asirvanam sont responsables d’une très importante institution d’éducation qui compte plusieurs milliers d’étudiants, des maternelles à l’université.
Saint Benoît compare le monastère à une école du Seigneur. Beaucoup de nos communautés incarnent cette image en se dédiant à l’éducation et à l’enseignement. On peut réaliser de belles choses mais il faut aussi faire en sorte que nos écoles soient des sanctuaires où les jeunes sont en sécurité car le danger des abus peut venir du dehors mais aussi du dedans. Le « safeguarding » doit être une préoccupation majeure de la part de chacun et de chacune et il est bon que les écoles bénédictines, mais aussi tous nos lieux d’accueil, soient à la pointe dans cette lutte contre les abus.
Le pape François est retourné au Père après 12 ans d’un pontificat fécond, marquant l’Église de son empreinte par la miséricorde, la synodalité, l’écologie et le dialogue interreligieux. Son successeur, le pape Léon XIV, s’est d’abord exprimé par les mots du Christ ressuscité lui-même : « La paix soit avec vous. » Beaucoup de régions du monde sont en guerre et on y trouve nos communautés monastiques en premières lignes, auprès des populations éprouvées. Cette parole du Christ, prononcée par notre nouveau Pape, a dû les réconforter dans leur effort permanent d’être des artisans de paix, d’accueil et de prière. Renouvelons notre communion entre nos communautés et avec notre nouveau Pape.
Dom Bernard Lorent Tayart,
Président de l'AIM
Artigos
La mise à jour des Constitutions dans les congrégations religieuses
1
Perspectives
Père Aitor Jimenez Echave
Sous-secrétaire du Dicastère pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique
La mise à jour des Constitutions
dans les congrégations religieuses
Résumé du discours du père Aitor Jimenez Echave au Chapitre général de la congrégation Subiaco-Montecassino (septembre 2025).
– Tout processus de modification et d’« aggiornamento » des Constitutions est motivé par les modifications de la vie humaine, de la personne, de la société et aussi de l’Église. Un processus de révision naît toujours d’un regard qui se veut réaliste sur le vécu de la vie, et naît aussi de la nécessité d’adaptation pour répondre aux défis et aux requêtes de l’Église et de la société, et aussi pour éliminer tout ce qui serait un obstacle à l’accueil de l’Évangile.
– La nécessité impose un changement pour ne pas demeurer anachronique. Cela est d’autant plus vrai si l’on considère que le monde vit un changement rapide et que l’on ne peut pas alors surseoir à des modifications et à un « aggiornamento ».
– Il est aussi nécessaire d’avoir toujours comme point de référence le contexte ecclésial et social dans lequel vit une communauté ou une congrégation, afin d’éviter l’erreur de réaliser une réforme étrangère au contexte et à la réalité ambiante.
– Le corpus législatif d’une famille religieuse peut être considéré comme l’expression humaine de l’alliance entre Dieu et son peuple. D’où il ressort qu’aucune loi ou norme ne peut être comprise uniquement au sens littéral, mais comme la forme compréhensible de la langue que Dieu parle à son peuple. C’est ainsi que l’on peut dépasser la dichotomie entre la loi et la pastorale, entre la loi et la vie.
– Il y a diverses manières de se positionner en face d’une norme : au sens négatif, on peut l’entendre comme un élément simplement décoratif, ou bien comme une arme à brandir, à l’occasion, pour se défendre ou obtenir quelque chose qui n’est pas concédé.
– Tout immobilisme doit être évité ; il est, au contraire, nécessaire d’être prêt au changement qui aidera à démasquer les incohérences de la vie religieuse, sans avoir peur des nouveautés et du dialogue avec la réalité et le contexte culturel et ecclésial. Est donc requise une attitude de transparence pour se livrer en toute vérité à Dieu et aux hommes, dans la consécration religieuse.
– Les Constitutions peuvent être comprises comme un pèlerinage, un chemin de vie : elles doivent donc construire et non pas scléroser, afin de rendre la vie crédible. Elles servent à « constituer », donc à dire notre appartenance à une famille religieuse, et à éviter de tomber dans le libertinage et l’anarchie. Elles indiquent donc un chemin, dessinent une trajectoire que tous sont appelés à suivre, chacun à son rythme propre, mais tous avec le même but.
– La mise à jour des Constitutions pourrait représenter une mode passagère, surtout à notre époque. D’autre part, elle pourrait aussi être un piège pour les religieux, chaque fois qu’ils « vivent au rabais », en relâchant la tension spirituelle et charismatique de l’institut et aussi la radicalité de la sequela Christi, s’adaptant ainsi aux us et coutumes du monde.
– Pour renforcer précisément la tension spirituelle, la référence à la règle de saint Benoît et au Magistère de l’Église, y compris celui antérieur à Vatican II, reste fondamentale et indispensable, afin de garantir la continuité historique et charismatique entre un passé même lointain et le présent. Cela contribue à mettre toujours plus en évidence la catégorie théologique du « peuple de Dieu » et à éviter ainsi la détérioration d’une vie communautaire toujours plus individualiste, sans brader le charisme et mourir d’inanition.
– Le décret conciliaire Unitatis redintegratio déclare que le renouveau de l’Église consiste dans la fidélité croissante à la vocation. C’est pourquoi il importe d’éliminer tout ce qui s’oppose au renouveau et à établir des normes qui favorisent la fidélité au charisme. En cela, les monastères se trouvent en contradiction avec la société qui vit, de façon toujours plus faible, ce concept de fidélité.
– La déstructuration de la vie consacrée est aussi un sujet important, parallèlement à tant de tentatives de déstructuration actuellement en cours dans la société. Cette tendance qui progresse aussi dans l’Église suscite présentement la préoccupation, car il se peut que l’on perde ainsi de vue quel type de consécration l’on peut réaliser, transmettre et offrir. C’est pourquoi toute mise à jour doit aller aux fondements des structures monastiques et offrir une alternative crédible à tout ce que la réalité sociale prêche aujourd’hui.
– Les paroles du bienheureux cardinal Pironio sur les changements législatifs demeurent toujours pleines de sens : ces changements doivent toujours faire référence à l’inspiration originelle sur laquelle est basée la vie religieuse. Il faut donc souligner l’exigence fondamentale de la fidélité et le sens de l’appartenance qui sont à la base de la façon de vivre et de l’engagement de chacun, et auxquels doivent être sacrifiées aussi les commodités et les aspirations personnelles.
– On peut retenir, du décret conciliaire Perfectae caritatis (2-4) trois points particulièrement significatifs :
• La meilleure forme d’actualisation ne pourra pas être une réussite si elle n’est pas animée par un renouveau spirituel.
• Le renouveau et l’adaptation ne sont jamais réalisés une fois pour toutes, mais il faut vivre dans une attitude constante d’actualisation.
• Le renouveau consiste plus dans une observance plus grande de la Règle et des Constitutions que dans la multiplication des lois.
La révision des textes juridiques de la congrégation bénédictine de Subiaco-Mont-Cassin
2
Perspectives
Dom Étienne Ricaud, osb
Procureur de la congrégation Subiaco-Mt.-Cassin
La révision des textes juridiques
de la congrégation bénédictine
de Subiaco-Mont-Cassin
Le 21e chapitre général de la congrégation bénédictine de Subiaco-Mont-Cassin[1], célébré à Montserrat du 30 août au 8 septembre 2024, a consacré la majeure partie de son temps à discuter et voter un bon nombre de modifications à sa législation. Pourquoi un tel travail ?

1. Nature et rôle des Constitutions d’un institut religieux
Les Constitutions d’un institut décrivent son charisme, c’est-à-dire sa vocation propre (cf. Code de droit canonique, can. 578), et lui donnent sa traduction juridique, afin de réguler la vie de ses membres et leur fournir des normes de référence pour tous les aspects de leur vie religieuse : elles précisent ses structures essentielles, son mode de gouvernement, sa discipline, la formation de ses membres, etc. En harmonie avec le Droit général de l’Église, auquel elles ne peuvent déroger, elles le complètent et le précisent.
Ces textes législatifs cherchent à éviter deux excès opposés : une rédaction trop spirituelle, avec de pieuses considérations, ou au contraire un texte d’une pure technicité juridique. Ils tendent à s’exprimer de façon concise et claire, la plus précise possible, afin d’éviter le flou et l’ambiguïté.
2. Pourquoi retravailler nos Constitutions ?
Les Constitutions d’un institut religieux ne sont pas figées et peuvent évoluer, afin à la fois de préserver le charisme originel et de l’adapter aux conditions présentes. En effet, celles-ci changent, l’institut évolue, la législation canonique de l’Église se modifie (depuis le début de son pontificat, le pape François y a introduit beaucoup de changements), certaines dispositions deviennent obsolètes, de nouveaux problèmes apparaissent : il devient alors nécessaire de reformuler les règles ou d’en créer de nouvelles.
Le Chapitre général de l’institut est l’instance habilitée à faire ce travail, même si les textes votés doivent ensuite être soumis à l’approbation du Saint-Siège : il ne s’agit pas là d’un simple contrôle technique, mais d’une démarche de communion par laquelle l’Église authentifie l’identité de l’institut, sa traduction juridique et sa conformité avec le droit universel.
Cependant, en amont de notre Chapitre général, tout une préparation a été réalisée par la Commission juridique de la Congrégation, et les monastères n’ont pas manqué d’être consultés sur les modifications proposées : il est normal que ce qui devra être appliqué par tous soit au préalable soumis à la réflexion de tous. Alors, pour ceux qui participent à un tel travail, c’est un moment privilégié d’appropriation du charisme et des structures de l’institut.
3. Brève histoire de cette révision
Cette révision n’est certes pas la première ; elle s’inscrit dans la suite de celles qui ont jalonné l’histoire de notre Congrégation. Notons seulement ici ses grandes étapes, depuis ses premières Constitutions rédigées en 1867 et approuvées par le Saint-Siège en 1872, mais qui, dès 1880, furent entièrement rénovées pour les rendre plus conformes à la tradition bénédictine et aux exigences de l’heure. Ces Constitutions, accompagnées des Déclarations sur la Règle restèrent en vigueur pour l’essentiel jusqu’en 1959[2]. Le Concile Vatican II provoqua la remise en chantier de ce corpus législatif, et en 1967 était approuvé un nouveau texte, confirmant notamment la division tripartite des Constitutions approuvées en 1959, partant non du sommet (comme les Constitutions de 1880), mais de la base : les monastères (titre I), puis la Province (titre II) et enfin la Congrégation (titre III), ce qui correspond mieux au charisme bénédictin. Alors que cette nouvelle mouture semblait avoir acquis son expression stable, il fallut la réviser dès 1980 pour se conformer au Motu Proprio Ecclesiae Sanctae demandant aux instituts religieux de distinguer dans leur législation entre un codex fundamentalis, rassemblant les principes doctrinaux et les normes juridiques les plus stables, et des codices additicii contenant des normes secondaires et adaptables. Puis ces textes durent encore être retouchés pour se conformer au nouveau Code de droit canonique promulgué en 1983, ce qui fut fait au Chapitre général de 1988. Enfin, au gré des Chapitres généraux célébrés depuis lors, des corrections mineures furent apportées en 1996, 2008 et 2012.
La révision approuvée par le 21e Chapitre général est à la fois modeste, car elle ne modifie pas l’architecture de notre législation, mais plus ambitieuse qu’un simple toilettage du texte, car elle l’amende et le complète sur des points importants, et modifie pas moins d’une centaine de numéros sur les deux cent quarante-deux que totalisent Constitutions et OCG.
Selon les distinctions requises par le Saint-Siège en 1980, notre corpus législatif s’articule entre les Constitutions, texte fondamental relevant d’une certaine stabilité, et des codes secondaires, textes d’application précisant et développant les normes essentielles figurant dans les Constitutions : il s’agit des Ordonnances des Chapitres généraux (OCG) et provinciaux (OCP). Il faut y ajouter la Ratio formationis et la Ratio studiorum, textes qui tracent pour chaque Province le programme de la formation et des études des jeunes frères, ainsi que les Coutumiers de chaque monastère.
Cet ensemble, en amont duquel, bien sûr, se trouve la règle de saint Benoît, forme une architecture complexe à plusieurs étages ; quand on le retouche, il faut veiller constamment à la cohérence entre ces strates juridiques, afin qu’aucune ne contredise ou ne soit contredite par une autre, et à la conformité de l’ensemble avec le Droit général de l’Église. Dans notre travail de révision, nous avons dû exercer constamment cette vigilance, portant parfois sur des détails n’apparaissant pas à première lecture. Et dans l’usage quotidien, supérieurs et religieux doivent être attentifs à agir conformément au droit, en tenant compte du Code de droit canonique, des Constitutions et des codes secondaires.
4. Programme de cette révision
Les modifications proposées et adoptées furent regroupées de façon thématique en cinq parties.
A/ Ajustements divers
Dès 2011, avaient été repérées dans nos textes des erreurs et des lacunes, des divergences entre certaines traductions en langue vernaculaire et le texte original latin (avec des ajouts non approuvées), des références incomplètes. Tout cela a été corrigé. Par souci de cohérence, ont été opérés des déplacements de numéros à l’intérieur des Constitutions ou des OCG, ou bien des Constitutions vers les OCG et vice versa, afin de mieux distinguer les dispositions plus stables des normes secondaires et adaptables.
B/ Votes des Chapitres et Conseils
Les normes régulant la manière de délibérer à l’intérieur d’un Conseil ou d’un Chapitre ont été précisées. Il faut en effet bien distinguer entre votes collégiaux, où c’est le groupe lui-même qui décide – par exemple lors d’une élection –, le supérieur n’étant alors qu’un votant parmi les autres, et votes délibératifs ou consultatifs, où le groupe ne fait que donner au supérieur un consentement ou un avis, afin qu’il puisse ou non décider et agir ; celui-ci, alors, ne participe pas au vote, car il ne peut être son propre conseiller. Il fallait aussi préciser le mode de calcul de la majorité des suffrages. Sur ces points régnait en effet un certain flou dans la pratique de nos communautés : elles ne saisissaient pas toujours la différence entre vote collégial, vote délibératif et vote consultatif, et les supérieurs ne savaient pas toujours si et quand ils devaient voter avec leur Conseil ou leur Chapitre. Les modifications adoptées clarifient tout cela. Du bon usage de ces pratiques de délibération dépend une bonne gouvernance, évitant à la fois les abus de pouvoir et une molle démocratie.
C/ Critères et processus de réduction et de suppression d’un monastère
Notre législation a été originellement conçue dans la perspective de la croissance des maisons, depuis leur fondation jusqu’à leur autonomie ; de nos jours, surtout en Europe, il faut prendre acte que le mouvement s’est inversé et qu’il faut souvent accompagner la décroissance des maisons et disposer pour cela de procédures adaptées. Certes, celles-ci existaient déjà, mais l’expérience récente a montré qu’elles étaient insuffisantes et requéraient plus de précisions. Les modifications apportées dotent notre Congrégation de meilleurs outils juridiques pour accompagner les maisons affaiblies. La procédure prévue se déploie en trois étapes : énumération des critères permettant de discerner qu’une maison n’est plus en état de garder son autonomie, processus visant à son raffermissement, d’abord avec l’aide du supérieur d’une maison plus solide, ensuite, si les moyens utilisés n’y parviennent pas, réduction de cette maison en maison affiliée à la maison plus forte. Enfin, dans le cas où ce remède n’a pas agi, processus de suppression de la maison dans le respect des personnes et des biens.
D/ Gouvernement de l’Abbé Président et de ses Conseils
Cette question revient régulièrement dans notre Congrégation, car l’équilibre entre l’autonomie des monastères et le gouvernement central est toujours à doser avec délicatesse, de telle sorte que « la Congrégation, en s’appuyant sur les principes du pluralisme et de la subsidiarité, apporte son aide aux monastères eux-mêmes en leur procurant des instruments juridiques et des secours fraternels, par les instances des Provinces, dirigées par le Chapitre provincial et par le Visiteur avec ses Conseils et, d’autre part, par le gouvernement général exercé par le Chapitre général et par l’Abbé Président avec ses Conseils » (Constitutions, n° 4). Or, il apparaît que, lorsque des monastères ou des provinces sont en état de faiblesse, ils ont davantage besoin des services du gouvernement central. Aussi, les modifications adoptées dotent l’Abbé Président de meilleurs moyens pour remplir sa mission ; celle-ci consiste non seulement à confirmer, soutenir et stimuler dans leur vie monastique provinces et monastères, favoriser leur unité et entretenir le lien avec le Saint-Siège, mais aussi à régler des problèmes délicats qui remontent au gouvernement central, voire relèvent du Saint-Siège. Et ceux-ci ne manquent pas !
E/ Supérieurs majeurs non-clercs
La récente dérogation accordée par le pape François aux instituts cléricaux de droit pontifical de pouvoir se doter de supérieurs majeurs non-clercs[3] a été examinée par le Chapitre général, car, selon l’interprétation officielle qu’en a donné le Dicastère pour l’interprétation des textes législatifs, c’est aux instituts dans leur ensemble, et non aux personnes en particulier, de décider s’ils souhaitent ou non s’en prévaloir. C’est pourquoi le P. Abbé Président dom Guillermo Arboleda a-t-il d’abord émis le 9 novembre 2023 un décret à ce sujet, valable jusqu’à ce Chapitre ; et ce dernier l’a confirmé et en a inscrit les dispositions dans nos Constitutions. Selon celles-ci, notre Congrégation peut recourir à cette dérogation uniquement pour les supérieurs majeurs des monastères sui iuris, mais non pour les Visiteurs ni pour l’Abbé Président. Rappelons qu’un supérieur majeur non-clerc n’est pas Ordinaire au sens du canon 134 § 1 du Code de droit canonique ; par conséquent, les actes d’un supérieur majeur requérant le pouvoir ordinaire de juridiction, lequel découle du sacrement de l’Ordre (cf. can. 129 § 1 ; 274 § 1), doivent être accomplis par un autre que lui, doté de ce pouvoir ordinaire, qu’il appartient à chaque institut de prévoir et désigner. Les dispositions adoptées par le Chapitre général déterminent que ce sera alors le Visiteur pour les monastères de sa province, et l’Abbé Président pour les monastères hors province ; c’est pourquoi le Chapitre a conservé la disposition selon laquelle l’un et l’autre doivent être prêtres (cf. Constitutions n° 120 ; 138), jouissant de ce fait du pouvoir ordinaire de gouvernement.
Ce labeur canonique quelque peu austère a pu être mené à bien par le Chapitre avec souplesse et sans tension, et les propositions faites ont été toutes adoptées en peu de temps à la majorité requise. La phase préparatoire, longue et soignée, a permis d’aboutir à ce résultat.
[1] Le père Josep Enric Parellada en a publié un compte rendu dans le no 127 (2024) du Bulletin de l’AIM, p. 94-96.
[2] Voir Giuseppe TAMBURRINO, OSB, Lex militiæ nostræ. La legislazione sublacense nella sua evoluzione. Abbazia di Praglia/Congregazione Benedettina Sublacense, 2009.
[3] Rescrit du 18 mai 2025, no 3.
Communio Internationalis Benedictinarum
3
Perspectives
Sœur Lynn McKenzie, osb (Cullman, USA)
Modératrice de la CIB
Communio Internationalis Benedictinarum
Évolutions envisagées
La Communio Internationalis Benedictinarum (CIB) est l’organisation internationale des femmes bénédictines fondée il y a environ 40/50 ans, à l’invitation de l’Abbé primat de la Confédération mondiale des moines bénédictins. La CIB se réunit chaque année. Actuellement, les réunions de la CIB comprennent une déléguée et une suppléante de chacune des 19 régions du monde que la CIB a établies il y a environ 30 ans. En outre, la CIB est dirigée par une modératrice (actuellement Lynn McKenzie, osb, Sacred Heart Monastery, Cullman, Alabama, USA), une modératrice adjointe (actuellement Franziska Lukas, OSB, St. Scholastika Abbey, Dinklage, Allemagne) et quatre autres membres du conseil (actuellement Cecile Lañas, Philippines, Maria del Mar Albajar i Viñas, Espagne, Anna Brennan, Royaume-Uni, et Hilda Scott, Australie), ainsi qu’une secrétaire exécutive (Mary Luke Jones, USA).
Depuis 2021, durant la pandémie, la Conférence des déléguées de la CIB s’est réunie virtuellement et a discuté d’un changement possible de la structure de la CIB. Jusqu’à présent, la CIB était un organisme « associé » au sein de la Confédération bénédictine. Lors de notre réunion de septembre 2023, qui s’est tenue dans mon monastère d’origine à Cullman (Alabama, USA), nous avons poursuivi la discussion, menée par la Commission d’étude juridique de la CIB. Cette Commission est présidée par sœur Scholastika Häring (Allemagne) et les autres membres sont sœur Nancy Bauer (USA), sœur Patricia Henry (Mexique) et sœur Noemi Scarpa (Italie). Nous sommes reconnaissantes pour le travail qu’elles ont accompli ces dernières années en étudiant nos documents actuels et en imaginant une autre façon d’être la CIB.
Une proposition de changement actuellement à l’étude consiste à imaginer deux branches égales de l’ordre bénédictin – celle des femmes dans la CIB et celle des hommes dans la Confédération. La CIB serait dirigée par une Modératrice qui, bien que n’ayant aucune compétence technique, aurait des responsabilités à plein temps pour établir des liens avec les bénédictines du monde entier et assurer la liaison entre les bénédictines et l’Abbé primat et la Confédération, ainsi qu’avec le Dicastère du Vatican pour les instituts de vie consacrée. Il s’agirait d’une structure parallèle à la Confédération.
L’organe de décision de la CIB (actuellement appelé Conférence des déléguées de la CIB) aurait une nouvelle structure qui ne serait plus basée sur les régions géographiques mais plutôt sur les congrégations et les fédérations, dont beaucoup se sont formées depuis l’époque de Cor orans, le document du Vatican qui exige, entre autres choses, que les monastères féminins de moniales fassent partie soit d’une congrégation monastique, soit d’une fédération. Les responsables de ces congrégations et fédérations, telles que les présidentes et les prieures générales, seraient les membres d’un tel organe de décision de la CIB. Pour les congrégations mixtes d’hommes et de femmes, la congrégation devra déterminer qui sera le représentant de la CIB parmi les femmes de la congrégation mixte.

Il s’agit là des éléments de base d’une CIB restructurée, de nombreux détails pratiques devant encore être réglés. La Commission d’étude juridique de la CIB a présenté ses propositions à la Conférence des déléguées de la CIB en septembre 2023 et a été guidée dans son travail futur par les discussions qui ont eu lieu entre les déléguées à Cullman. Les étapes suivantes ont été discutées lors de la réunion de la Conférence des délégués de la CIB qui s’est tenue à Assise, avant la réunion du Congrès des abbés à Rome, en septembre 2024. L’un des sujets centraux de cette dernière réunion était ces changements structurels proposés à la CIB, afin de lui permettre de mieux servir les bénédictines du monde entier. En fait, l’objectif de la CIB est de construire une communion forte entre les bénédictines. Tout ce que la CIB peut faire pour promouvoir cette mission est ce qu’elle devrait être. Ayant reconnu, entre autres, que notre structure basée sur les régions (il y a 19 régions de la CIB dans le monde, dessinées de façon quelque peu arbitraire) ne fonctionne pas aussi bien qu’elle le pourrait – étant donné les difficultés de communication, nous avons entrepris de trouver la meilleure façon d’y remédier. La commission d’étude juridique de la CIB qui a été nommée travaille pour nous aider à trouver une bonne façon d’avancer.
La proposition générale de faire de la CIB une organisation parallèle à la Confédération bénédictine a été bien accueillie et a été généralement approuvée par celles qui ont participé aux réunions de la CIB depuis 2021. La proposition de passer d’une organisation basée sur les régions à une organisation basée sur les congrégations et les fédérations de bénédictines permettrait des communications plus organiques à travers les systèmes déjà employés par les congrégations et les fédérations. Ces propositions de changements organisationnels ont également été présentées au Congrès des abbés à Rome, qui s’est également tenu en septembre 2024.
Les prochaines étapes de cette réorganisation de la CIB comprennent l’élaboration des statuts par la Commission juridique et leur examen lors de la prochaine réunion de la CIB qui se tiendra en septembre 2025 à Montserrat.
La Commission juridique a précisé les points suivants :
1. Nous considérons la structure, l’organisation des bénédictines au niveau mondial. Nous ne considérons pas la structure juridique, le statut juridique au niveau du monastère lui-même, ni au niveau des congrégations (de sœurs, de moniales, féminines, mixtes) et des fédérations.
2. L’objectif est :
- de mieux représenter les femmes bénédictines,
- d’être sur un pied d’égalité avec les moines,
- d’avoir notre propre voix dans l’Église.
3. Notre fondement est le développement de la CIB au cours des 50 dernières années sous l’égide de la Confédération des moines.
4. La vision est d’avoir un seul Ordre bénédictin, avec une branche masculine et une branche féminine.
Notre vocation monastique, bien sûr, est de chercher Dieu dans le monastère, l’école du service du Seigneur. La manière dont cela est vécu localement à travers les continents, les cultures et les langues témoigne de la sagesse de saint Benoît dans la Règle qu’il nous a laissée. C’est un document qui fournit une bonne structure, tout en étant flexible et adaptable aux femmes et aux hommes, aux différents lieux, chacun avec ses propres défis et ses propres luttes. La façon dont nous pouvons nous soutenir et nous stimuler les unes les autres pour vivre la joie, la foi et la fidélité, en étant stables dans un monde instable, en faisant de notre mieux pour porter la lumière qui brille dans nos cœurs est un travail monastique quotidien au sein des monastères de la CIB. La CIB, communion de femmes bénédictines, s’efforce de soutenir ce mode de vie monastique tel qu’il est vécu dans le monde entier.
La Fédération Notre-Dame de la Rencontre
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Perspectives
Sœur Thérèse-Benoît Kaboré, osb
Moniale de Koubri (Burkina Faso)
et membre de l’Equipe internationale de l’AIM
La Fédération Notre-Dame de la Rencontre
Pour répondre à la requête de la Constitution apostolique Vultum Dei quaerere sur la vie contemplative féminine et de l’Instruction d’application Cor orans, une quinzaine de monastères en France et dans quelques pays d’Afrique de l’Ouest ont décidé de constituer ensemble une fédération : la « Fédération Notre-Dame de la Rencontre » qui voit officiellement le jour le 22 février 2022. Si des liens existaient déjà entre la grande majorité de ces monastères, cette nouvelle structure rend plus formelle les relations et favorise une plus grande communion.
Pour une meilleure compréhension de notre contribution, nous partirons de quelques considérations sur Cor orans avant d’aborder les relations qui existent entre les monastères de la fédération Notre-Dame de la Rencontre. Nous parlerons également du lien qui existe entre cette Fédération et la congrégation de Subiaco-Mont Cassin.
1. Quelques considérations g énérales[1]
Le mot fédération dérive du latin foedus qui signifie convention, alliance, pacte, etc. Le numéro 86 de Cor orans définit la Fédération en ces termes :
« La Fédération est une structure de communion entre les monastères d’un même Institut, érigée par le Saint-Siège, pour que les monastères qui partagent le même charisme ne restent pas isolés mais puissent le garder fidèlement et, dans l’entraide fraternelle mutuelle, vivre la valeur indispensable de la communion (cf. VDQ 28-30) »[2].
Chaque monastère reste autonome, mais établit des liens de communion avec d’autres monastères qui, le plus souvent, partagent le même charisme, comme dans le cas de la fédération Notre-Dame de la Rencontre où tous les monastères sont de spiritualité bénédictine.
Avec l’avènement de Cor orans et la multiplication des fédérations qui ont vu le jour, on pourrait penser que la Fédération est une réalité très récente. Mais en fait, il n’en est pas ainsi. En effet, la Fédération voit le jour au milieu du siècle dernier suite à la promulgation de la Constitution apostolique Sponsa Christi Ecclesia de Pie XII en 1950. Cette institution naît comme une structure d’aide, de fraternité et de soutien mutuel. Pour le Souverain Pontife, les monastères pourraient, à travers la Fédération, surmonter l’isolement, pour promouvoir ensemble l’observance régulière et la vie contemplative.
La Constitution Sponsa Christi Ecclesia encourageait très fortement les Fédérations qu’elle voyait être une nécessité dans certains cas, mais elle n’en faisait pas une obligation. Dans cette même perspective, le concile Vatican II, dans le décret Perfectae caritatis, encouragea la création de Fédérations entre monastères sui iuris appartenant d’une manière ou d’une autre à une même famille religieuse, mais n’obligeait personne. Le Code de droit canonique lui-même n’en fait aucune mention quant à une quelconque obligation. Il se contente de souligner que la création de la Fédération est uniquement réservée au Siège apostolique (cf. can. 582). Une autre mention de la Fédération apparaît dans le troisième paragraphe du can. 684 qui aborde la question du passage d’un monastère à un autre.
Il en sera de même avec l’Instruction Verbi sponsa du 13 mai 1999 qui définit les Fédérations comme « des organes d’aide et de coordination entre les monastères, pour qu’ils puissent réaliser de façon adéquate leur vocation dans l’Église. Leur but principal est de garder et de promouvoir les valeurs de la vie contemplative des monastères qui en font partie »[3]. Tout en encourageant vivement ces regroupements, l’Instruction prend le soin de préciser que « la décision d’y adhérer ou non dépend de chaque communauté, dont la liberté doit être respectée »[4].
La liberté laissée à chaque monastère d’adhérer ou non à une Fédération dont témoignent les documents cités ci-dessus a eu comme conséquence que la majorité des monastères féminins de rite latin soit restée, jusqu’à l’avènement de Vultum Dei quaerere et de Cor orans, sans aucun lien avec d’autres, et que plusieurs monastères de la même région s’ignorent. Avec Vultum Dei quaerere, et Cor orans, les choses ont changé : appartenir à une Fédération est devenu une obligation pour tous les monastères sui iuris : « Conformément aux dispositions de la Constitution apostolique Vultum Dei quaerere, tous les monastères doivent d’abord entrer dans une Fédération »[5].
La Fédération n’est pas une Congrégation ! C’est une structure qui respecte l’autonomie des monastères qui en font partie. Ses Statuts ne concernent pas la vie des monastères, celle-ci étant régie par les Constitutions de chaque monastère, mais la vie dans la Fédération. On pensait donner à la présidente fédérale les pouvoirs d’un supérieur majeur, mais ce choix fut jugé inapproprié car il n’y aurait plus de différence entre une présidente fédérale et une abbesse, présidente d’une Congrégation monastique. La présidente fédérale n’est donc pas une supérieure majeure, même si elle a vu son autorité amplifiée. Elle ne peut entreprendre que ce qui est établi dans l’Instruction Cor orans[6]. Elle dispose actuellement de trois nouveaux pouvoirs :
a) Le droit d’accès dans les monastères fédérés : avant Cor orans, la présidente de la Fédération était autorisée à faire des visites maternelles dans les monastères, mais la véritable figure de visiteur était l’évêque diocésain ou l’Ordinaire religieux masculin. La visite devait être convenue et la supérieure du monastère devait permettre à la présidente d’entrer dans son monastère. La visite devait être donc demandée et acceptée. Actuellement, il existe trois niveaux de visites :
1) les visites maternelles et amicales (cf. Cor orans 114) ;
2) les visites spéciales, effectuées lorsqu’il y a des problèmes dans un monastère, la Fédérale procède à une enquête sur place (Cor orans 113), et ;
3) la visite canonique proprement dite où la Fédérale accompagne l’évêque diocésain ou l’Ordinaire religieux masculin en tant que covisitatrice. Mais, il faut bien noter que même si elle n’est que covisitatrice, elle a un très grand rôle à jouer durant la visite et même après la visite[7].
b) L’extension de l’exclaustration : On pourrait se demander pourquoi on ne donnerait pas à la supérieure d’un monastère sui iuris, qui est supérieure majeure, l’autorité pour accorder l’exclaustration de trois ans comme le font les supérieurs majeurs des autres instituts religieux. C’est une question légitime, mais le Dicastère en a jugé autrement. La première année d’exclaustration est donnée par la supérieure du monastère et les prolongations des deuxième et troisième années sont données par la présidente fédérale avec le consentement du Conseil fédéral (cf. CO 130).
c) La présidente fédérale doit aussi donner son avis dans le cas d’une aliénation ou d’une autre transaction dans laquelle la situation patrimoniale d’un monastère de la Fédération pourrait subir des dommages[8]. Cette disposition déroge à la norme du can. 638 §4 qui attribuait ce rôle à l’Ordinaire du lieu qui devait donner son consentement par écrit dans de telles situations.
En ce qui concerne la structure de la Fédération, il n’y a pas de changements significatifs, c’est-à-dire qu’elle est restée en grande partie la même. La présidente fédérale dispose d’un Conseil composé de quatre personnes (cf. CO 123). La Fédération a ses propres pouvoirs, elle dispose d’un siège social et, en plus des quatre conseillères, dispose également d’une secrétaire, d’une économe[9] et d’une formatrice[10] fédérales.
D’une manière toute particulière, la Fédération a un rôle important à jouer dans le domaine de la formation – formation des abbesses, noviciat commun, cours pour les professes temporaires et bien d’autres types de formation –, de même que pour l’aide à apporter aux monastères en difficulté. Sur ce dernier point, la Fédération pourra faciliter le transfert de moniales, que ce soit de façon temporaire ou permanente en vue de soutenir une communauté en difficulté.
De plus, Cor orans donne la possibilité à la Fédération de fonder ou d’affilier un monastère. Même si elle n’est pas une supérieure majeure, dans le cas de fondation ou d’affiliation, la présidente fédérale agit comme une supérieure majeure.
2. La communion entre les monastères de la Fédération Notre-Dame de la Rencontre
La communion est un trait caractéristique de l’Église. Nous venons de vivre le Synode sur la synodalité qui nous l’a rappelé de manière très forte :
« Marcher ensemble, être synodal, telle est la vocation de l’Église […] les chrétiens sont appelés à faire route ensemble, jamais comme des voyageurs solitaires […] Marcher ensemble, c’est être des tisseurs d’unité »[11].
C’est ce que veulent vivre les monastères de notre Fédération dont le nom dit beaucoup : « Notre-Dame de la Rencontre ». Ce nom trace tout un programme. Les monastères de la Fédération veulent « développer un cœur qui bat ensemble et pour l’ensemble »[12]. Cela exprime clairement le désir de vivre la communion.

Plus est grande la communion, plus s’ouvrent des voies de collaboration, des possibilités d’aider et de se faire aider. De ce point de vue, les assemblées fédérales, comme les autres rencontres entre membres de la Fédération, sont des moments forts de communion et de partage enrichissants. On ne partage pas seulement ses difficultés mais aussi ses expériences. Ces rencontres fédérales permettent une vraie connaissance mutuelle. Elles permettent aussi de se soutenir et de s’encourager, de sortir de l’isolement et de la solitude pour rencontrer l’autre. Quand on est dans une situation de force, on peut avoir l’impression de se suffire à soi-même, de ne pas avoir besoin des autres. L’expérience de fragilité que vivent d’une manière ou d’une autre toutes les communautés, nous fait comprendre la valeur de la communion, la nécessité de marcher ensemble et de se soutenir. Aujourd’hui, si on veut aller plus loin, on ne peut vouloir faire son chemin tout seul. Le pape François, de vénérée mémoire, n’a cessé de nous le rappeler ces dernières années : « On ne peut pas se sauver tout seul. On a aussi besoin des autres ».
La possibilité d’échange de services fraternels entre les monastères[13] est un élément précieux qu’il convient de souligner. Quand un monastère a besoin d’aide, il arrive que les autres envoient des sœurs pour soutenir ce monastère. Ainsi, la Fédération est une vraie structure de charité vécue.

Au nom de la Fédération, les monastères d’Afrique de l’Ouest soutiennent leurs sœurs du monastère Sainte-Croix de Friguiagbé, en Guinée Conakry. Sur ce point, il faut reconnaître que les monastères d’Afrique de l’Ouest vivaient déjà de vraies relations fraternelles à travers l’association créée en 1980 par les Mères fondatrices. C’est aussi au nom de la Fédération que l’abbaye de Jouarre accueille dans son EHPAD les sœurs âgées des autres monastères français de la Fédération.
Les visites fraternelles lors de certains événements importants comme la bénédiction abbatiale, la profession solennelle, la dédicace de l’église du monastère, etc., sont autant de démarches qui expriment le désir de cheminer ensemble et de se soutenir mutuellement. Ainsi, au nom de la Fédération, plusieurs moniales de monastères français ont participé il y a deux ans à la dédicace de l’église du monastère de la Bonne-Nouvelle de Bouaké, en Côte d’Ivoire. De même, à la profession solennelle de sœur Marie-Gertrude de sainte-Croix, de Friguiagbé, en décembre dernier, plusieurs monastères étaient représentés. Il faut noter d’une façon toute particulière la présence de Mère Abbesse Bénédicte de l’Assomption, de Dzogbégan, Conseillère fédérale, à plusieurs de ces événements.
L’élément le plus important de la structure fédérale est l’Assemblée fédérale, généralement composée de la supérieure et de la déléguée de chaque monastère. L’Assemblée établit les orientations et les engagements de la Fédération en référence aux statuts qui seront ensuite mis en œuvre par la présidente fédérale avec le Conseil. La première Assemblée générale de la Fédération a eu lieu du 7 au 13 novembre 2022 à Jouarre. Elle a eu pour tâche d’élire sa première présidente en la personne de Mère Christophe Brondy, abbesse de Jouarre. Avec les membres du Conseil élus durant cette même Assemblée, elle s’est engagée à conduire la Fédération pour 6 ans. Les préparatifs pour l’Assemblée fédérale intermédiaire[14], qui aura lieu du 16 au 22 novembre prochain, sont en cours avec plusieurs rencontres en ligne des supérieures qui apprécient bien ces rencontres d’échanges et de partage d’expériences.
Il est clair que la Fédération fonctionnera dans la mesure où un climat de communion, de confiance et de collaboration s’établira entre les monastères. Chaque monastère doit comprendre qu’il ne peut pas vivre totalement isolé des autres, ni se cacher derrière sa propre autonomie pour ne pas être dérangé ou pour ne pas avoir à répondre de ses actes à qui que ce soit. Chacun doit se sentir responsable de la bonne marche de la Fédération.
3. Lien entre la Fédération et la congrégation de Subiaco-Mont-Cassin
Cor orans encourageant « l’association juridique des monastères de moniales à l’Ordre masculin correspondant afin de protéger l’identité charismatique »[15], notre Fédération s’est tournée vers la congrégation de Subiaco-Mont-Cassin, Congrégation à laquelle tous les monastères de la Fédération étaient d’une manière ou d’une autre déjà associés. Cette association offre aux monastères de la Fédération, une aide précieuse en les unissant à la vie spirituelle et aux traditions de la Congrégation. D’une manière particulière, la Fédération a « la possibilité d’user d’indults accordés à la congrégation de Subiaco-Mont-Cassin et pouvant concerner la vie des moniales ». De même, elle peut recourir « au procureur de la Congrégation pour ce qui concerne les rapports de la Fédération avec la Curie romaine ». La Fédération peut également utiliser l’Ordo divini officii de la Congrégation. Il faut aussi ajouter que « l’assistant religieux, représentant le Saint-Siège auprès de la Fédération, est de préférence un abbé ou un moine prêtre de la congrégation de Subiaco-Mont-Cassin »[16]. De cette manière, l’association crée des liens profonds de vie spirituelle et fraternelle avec nos frères de la Congrégation et nous fait ressentir que nous sommes de véritables filles de saint Benoît. Cela est une bonne chose !
Mais pouvons-nous imaginer qu’un jour nous formions tous une même et unique Congrégation ? On ne peut pas s’empêcher de rêver ! Mais pour le moment, c’est de la Fédération qu’il s’agit. Elle a un grand rôle à jouer pour donner une nouvelle impulsion à la vie des monastères. Pour les monastères eux-mêmes, il s’agit de vivre l’autonomie dans la communion. Il est nécessaire aujourd’hui de développer une mentalité de communion plus large, de connaissance mutuelle et de disponibilité aux besoins des différentes réalités communautaires que chacun des monastères fédérés devrait ressentir comme les siennes propres…
[1] Sur ces considérations, lire : O. PEPE, La federazione dei monasteri fra presente e futuro, in Sequela Christi, XLII (2016), 319-332 ; T.B. KABORE, Vie monastique et législation canonique, l’identité bénédictine face aux défis contemporains en Afrique de l’Ouest, Saint-Léger, 2023, 214-218.
[2] Cor orans 86.
[3] Verbi sponsa 27.
[4] Verbi sponsa 27.
[5] Cor orans 93.
[6] Cf. Cor orans 110.
[7] Cf. CO (Cor orans) 111-112 ; 115-116.
[8] Cf. CO 52-53.
[9] Cf. CO 134.
[10] Cf. CO 148.
[11] Pape François, Marchons ensemble dans l’espérance, Message pour le Carême 2025.
[12] C’est le mot d’ordre donné par la première Assemblée fédérale.
[13] Fédération Notre-Dame de la Rencontre, Statuts, art. 6.
[14] Cf. CO 136.
[15] CO 79.
[16] Fédération Notre-Dame de la Rencontre, Statuts, art. 61.
Communautés membres de la Fédération : abbaye de Pradines (France), abbaye de La Rochette (France), abbaye de Jouarre (France), abbaye de Maumont (France), abbaye de Chantelle (France), abbaye de Poitiers (France), prieuré de Bouaké (Côte d’Ivoire), prieuré de Friguiagbé (Guinée Conakry), abbaye de Dourgne (France), monastère de Flée (France), abbaye de Limon (France), abbaye de Valogne (France), abbaye de Venière (France), monastère d’Urt (France), monastère de Sadori (Togo), monastère de Koubri (Burkina Faso), abbaye de Dzogbégan (Togo).
Statut sur l’accompagnement des communautés fragiles et sur la suppression d’un monastère
5
Perspectives
Ordre cistercien de la Stricte Observance (OCSO)
Statut sur l’accompagnement des communautés fragiles
et sur la suppression d’un monastère
1. Lorsqu’une communauté est confrontée à une fragilité croissante, elle est encouragée à affronter la situation honnêtement. Chaque communauté de l’Ordre, sur chaque continent, peut être confrontée à cette fragilité à un certain moment de son histoire. Il est important dans ce cas que la communauté ne s’isole pas sous prétexte de son autonomie, mais qu’elle se perçoive « comme faisant partie d’une véritable communion constamment ouverte à la rencontre, au dialogue, à l’écoute attentive et à l’assistance mutuelle » (cf. VDQ 29). La Charte de la charité nous enseigne aussi à chercher et à accepter une assistance concrète « afin de vivre d’une seule charité » (CC III.2).
2. « Dans un esprit de docilité à la voix de l’Esprit Saint », la communauté discute de la situation « humblement et franchement » (cf. C. 36.1). Chacun est appelé à l’attention mutuelle, à la collaboration et à l’obéissance. « La lumière de la foi est particulièrement nécessaire en ces temps difficiles afin de voir que le cœur se forme par l’expérience personnelle et communautaire de la croix, de la mort et de la résurrection du Christ » (Ratio 54).
Des solutions créatives sont nécessaires dans ces situations.
I. Prise de conscience de la fragilité
3. En premier lieu, il est de la responsabilité de chaque communauté, sous la direction de son supérieur, d’envisager sa situation avec réalisme, non seulement d’un point de vue humain, mais surtout du point de vue de la foi. Une expérience de fragilité doit être accueillie comme une invitation du Seigneur à choisir la vie en entrant dans le Mystère pascal.
4. Dans l’esprit de l’Évangile, les communautés doivent demander et accepter l’aide du Père immédiat, de la Région, de l’Abbé général, du Chapitre général ou d’autres. Les éléments à considérer dans l’évaluation et le discernement peuvent inclure :
- le nombre de moines ou de moniales ;
- le profil d’âge de la communauté ;
- si elle a la vitalité nécessaire pour vivre la vie monastique ;
- la capacité de la communauté à assurer la formation et la gouvernance ;
- la dignité et la qualité de la vie liturgique, fraternelle et spirituelle de la communauté ;
- la valeur de témoignage de la communauté et sa communion avec l’Église locale ;
- si la structure économique est saine ;
- si les bâtiments sont adaptés à la communauté actuelle.
Ces éléments doivent être considérés de façon globale, dans une perspective équilibrée et dans le contexte de la communauté en question.
5. Dans une situation de fragilité croissante dans sa maison-fille, le Père immédiat doit avoir le courage d’aider le/la supérieur et la communauté à affronter cette réalité. La visite régulière est l’instrument le plus approprié à cette fin (Stat. RV 15).
II. Mesures pastorales et collaboration
6. En aidant la communauté à faire face à sa situation, le Père immédiat procède avec beaucoup de tact et de charité, confiant dans l’action de l’Esprit Saint en chaque personne et dans la communauté. Ensemble, ils chercheront des moyens d’aider la communauté à vivre la plénitude de la conversatio cistercienne. Il pourrait s’agir notamment de :
– prendre conscience des changements dans la société, de la réalité des jeunes et de la nécessité de changer les méthodes de formation ;
– adapter les bâtiments, la liturgie, les horaires, le travail et l’économie à la taille et aux capacités de la communauté ;
– changements d’officiers ; aide par l’intermédiaire de personnel provenant d’autres communautés ou de l’extérieur de l’Ordre (par ex. pour les soins de santé, l’économie) ;
– s’efforcer de promouvoir une meilleure communication au sein de la communauté ou de promouvoir la réconciliation entre ses membres ;
– la recherche d’autres formes d’aide au sein de la filiation ou de la Région ;
– la création d’une Commission pour l’avenir.
7. Le succès de ces mesures dépend dans une large mesure de la coopération et de la bonne volonté de toutes les personnes impliquées (communauté, supérieur/e, Père immédiat).
III. Fragilité avancée : mesures spéciales
8. Si, après tous ces efforts, la situation de fragilité persiste, le supérieur ou le Père immédiat, ou une Commission du Chapitre général, ou l’Abbé général, porteront la situation à l’attention particulière du Chapitre général. Si le Père immédiat juge que la communauté ne peut plus former de nouveaux aspirants, il demande au Chapitre général de suspendre son droit de recevoir des aspirants, conformément au Statut 79.B.
9. Une Commission pour l’avenir sera établie par le Chapitre général, laquelle inclura le Père immédiat et remplacera toute Commission existante. Le but et le mandat de cette nouvelle Commission seront précisés par le Chapitre général. Il s’agira notamment de veiller à ce que les biens temporels du monastère soient bien gérés, conformément aux Constitutions et au droit civil du lieu, et sauvegardés en vue de l’éventuelle fermeture du monastère.
10. Si la situation de la communauté ne s’améliore toujours pas, le Chapitre général, à la demande du Père immédiat, peut procéder à la suspension de l’exercice de l’autonomie de la communauté. Ce vote du Chapitre général requiert une majorité absolue. Le Chapitre général nomme ensuite un/e Commissaire monastique qui veillera aux soins des membres de la communauté pour qu’ils puissent continuer à vivre ensemble le plus possible. Ce/cette Commissaire, qui peut être de l’intérieur ou de l’extérieur de l’Ordre, est un(e) supérieur(e) religieux/se majeur(e) dont l’autorité est limitée au sens de la lettre de nomination. Il/elle fera rapport régulièrement au Père immédiat. Si cette personne n’est pas déjà membre de la Commission pour l’avenir, il/elle le devient au moment de sa nomination comme Commissaire monastique. En certains cas exceptionnels et urgents, le Chapitre général peur nommer le Père immédiat Commissaire monastique.
11. Le/la Commissaire monastique n’a pas besoin de vivre au monastère. Il/elle peut désigner quelqu’un d’autre pour s’occuper des besoins quotidiens de la communauté, qu’il s’agisse d’un membre de la communauté, d’un autre membre de l’Ordre, du membre d’un autre institut religieux ou même d’un laïc.
12. Le/la Commissaire monastique choisit au moins deux personnes comme conseillers/ères, qui peuvent provenir de l’intérieur ou de l’extérieur de la communauté. Au besoin, ces conseillers/ères agissent comme conseil du/de la Commissaire monastique. Le chapitre conventuel est suspendu sauf pour les actes d’administration extraordinaire et pour le vote mentionné au numéro 19 ci-dessous. Le/la Commissaire monastique tient les membres de la communauté informés et reste à l’écoute de leurs opinions sur les questions importantes.
13. La suspension de l’exercice de l’autonomie ne change pas la relation de filiation. Le Père immédiat continue d’aider et de soutenir le/la Commissaire monastique de sa maison-fille dans l’exercice de sa charge (cf. C. 74.1). Tous les droits et obligations du Père immédiat envers la maison-fille restent intacts, y compris ceux de la Visite régulière.
14. Si la communauté dont l’exercice de l’autonomie est suspendu a des maisons-filles, le Père immédiat, en consultation avec les maisons-filles, décidera comment l’exercice de la paternité sera effectué.
15. Si la situation de la communauté s’améliore et que la communauté et/ou le Père immédiat est d’avis que l’exercice de l’autonomie peut reprendre, l’un ou l’autre ou les deux en informent le Chapitre général. Le Chapitre général enquête sur la question et juge s’il y a lieu de lever la suspension, ce qui requiert un vote à la majorité absolue du Chapitre général.
16. Entre les Chapitres généraux, dans les cas qui ne peuvent être reportés, l’Abbé général, avec le consentement de son Conseil, a le pouvoir d’agir au nom du Chapitre général dans tout ce qui est indiqué ci-dessus concernant la suspension de l’exercice de l’autonomie d’une communauté (C 82.2).
IV. Le processus de suppression
17. Quand, en raison de circonstances particulières et de longue date, un monastère n’offre plus aucun fondement d’espoir de croissance (cf. PC 21), on examine soigneusement s’il doit être fermé.
18. L’évêque du lieu est consulté.
19. Lorsque la communauté a pris conscience qu’elle doit être fermée, le Père immédiat invite le chapitre conventuel à exprimer son acceptation de cette réalité par un vote qui requiert la majorité absolue.
20. Pour envisager la suppression d’un monastère, le Chapitre général exige un rapport écrit du Père immédiat et un du Commissaire monastique, accompagnés de leur avis sur le sujet.
21m. Seul le Chapitre général, à la majorité des deux tiers, peut décider de la suppression d’un monastère autonome.
21f. Seul le Chapitre général, à la majorité des deux tiers, peut demander au Saint-Siège de supprimer un monastère autonome (ICI 616, 4).
22. Après que le Chapitre général a voté la suppression d’un monastère ou, dans le cas d’un monastère de moniales, a voté de demander au Saint-Siège de le faire, il nomme une commission de fermeture composée d’au moins cinq personnes pour mettre en œuvre la suppression. Cette Commission, qui remplace la Commission mentionnée au paragraphe 9 ci-dessus, accorde une grande attention pastorale aux membres de la maison supprimée, et veille à ce que chacun/e trouve une communauté de l’Ordre qui l’accueille en vue d’assurer sa stabilité. Tout membre de l’Ordre a le droit et le devoir d’avoir la stabilité dans un monastère de l’Ordre, avec tous les droits et obligations qui y sont liés.
23. La communauté qui accepte de tels membres venant d’une communauté supprimée exprimera sa volonté et son engagement par un vote. Ce vote, qui requiert la majorité absolue, a lieu au moment de l’acceptation et non après une période de probation. Ces nouveaux membres d’une communauté seront invités à faire preuve de prudence dans l’utilisation de leur droit de vote nouvellement acquis.
24. Lorsqu’un membre âgé ou malade d’un monastère supprimé doit vivre en permanence dans n’importe quel type de foyer de soins, une communauté de l’Ordre doit accepter de prendre soin de lui jusqu’à son décès. Il/elle acquiert la stabilité dans cette communauté mais, compte tenu de son absence physique, l’exercice de son droit de vote peut être suspendu.
25. Les avoirs financiers du monastère supprimé, dans le respect du droit civil du lieu et de la volonté des fondateurs et des donateurs, suivent les membres survivants de la communauté et vont, en proportion, aux monastères qui les reçoivent. Si ces biens sont importants, une partie est réservée pour aider d’autres monastères de l’Ordre, et pour répondre aux besoins de la localité où se trouve le monastère. La gestion de cette répartition des biens et d’autres éléments du patrimoine du monastère (par ex. archives, bibliothèque, etc.) est confiée à la Commission qui supervise la fermeture. Celle-ci peut se faire assister, si nécessaire, par des personnes compétentes qui ne doivent pas nécessairement être membres de l’Ordre.
Si la communauté a des dettes, la même Commission les remboursera en puisant dans les avoirs financiers de la communauté avant de les diviser, et en faisant appel, si nécessaire, à d’autres communautés ou aux organes de l’Ordre tels que la Commission d’aide ou la Commission des finances de l’Ordre.
26. Cette Commission rend compte de ses travaux au prochain Chapitre général et, dans l’intervalle, tient l’Abbé général et son Conseil informés de l’évolution de la situation.
27. Lorsque le processus de fermeture est entièrement terminé, le Chapitre général émet une déclaration de fermeture. Les travaux de la Commission de fermeture s’arrêtent alors.
Questions pour deux nouveaux présidents de congrégations
6
Perspectives
Dom Bernard Lorent Tayart, osb
President of AIM
Questions pour deux nouveaux présidents
de congrégations
Récemment, les congrégations de Subiaco-Montecassino et de Sankt-Ottilien, parmi les plus importantes de la Confédération, ont élu leur Abbé Président : dom Ignasi M. Fossas pour Subiaco-Montecassino, dom Javier Aparicio Suarez pour Sankt-Ottilien. Les deux nouveaux Abbés Présidents sont originaires de la péninsule ibérique. C’est l’occasion pour nous de les rencontrer et de les interroger sur le fonctionnement de la Congrégation, la formation, l’économie et la vie spirituelle.
Avant d’être président, quel a été votre parcours monastique ?
P. A. Ignasi : j’ai été infirmier pendant quatre ans, secrétaire du Père Abbé durant cinq ans, économe sur deux périodes de six ans et de trois ans, maître des novices deux ans et demi, sous-prieur quatre ans et prieur durant dix ans.
P. A. Javier : En 2010, j’ai été nommé supérieur de notre communauté en Espagne, située sur le chemin de Compostelle. Depuis 2021, j’étais le procureur de la congrégation de Sankt-Ottilien, ce qui correspond à la charge d’économe général.
Dom Ignasis M. Fossas, président de la congrégation Subiaco-Montecassino, et dom Javier Aparicio Suarez, président de la congrégation de Sankt-Ottilien.
I. Le fonctionnement de la Congrégation
Comment décrire votre Congrégation ? Quels sont ses charismes principaux ? le nombre de membres et de maisons, les langues utilisées ?
P. A. Ignasi : La congrégation de Subiaco-Montecassino est une congrégation internationale qui s’est formée sur les 150 dernières années par l’agrégation progressive de monastères très différents. La caractéristique principale de la Congrégation est justement la diversité. On trouve des monastères avec de grands écoles et en même temps des monastères situés en pleine campagne. Ensuite, nos monastères sont dispersés sur les cinq continents.
P. A. Javier : Je pense que nous sommes une Congrégation fortement dynamique, avec une énergie qui vient précisément de la combinaison de la dimension monastique avec notre charisme éminemment missionnaire.
Vos deux congrégations sont internationales. Où sont situés vos monastères ? Quelles langues utilisez-vous pour communiquer entre vos communautés ?
P. A. Ignasi : Comme je viens de le dire, nous sommes établis sur les cinq continents. Les langues utilisées sont l’italien, le français, l’anglais, l’espagnol, en plus des langues locales.
P. A. Javier : À part l’Australie, nous avons des monastères sur les quatre continents avec une forte présence en Afrique et évidemment en Europe d’où provient la Congrégation. La langue officielle pour nos réunions est l’anglais mais, vu notre caractéristique internationale, l’apprentissage des langues est un instrument important pour mener à bien notre mission.
Comment est constitué votre Chapitre général ?
P. A. Ignasi : Notre Chapitre général est formé de tous les supérieurs des monastères sui juris, les visiteurs des huit provinces qui composent la Congrégation et les délégués de chaque province (un délégué pour cent moines).
P. A. Javier : Tous les supérieurs majeurs de chaque communauté assistent au Chapitre général en plus d’un représentant de chaque monastère élu par les communautés. Les membres du Conseil de la Congrégation sont présents, et en plus il arrive qu’on invite les supérieurs de certaines maisons dépendantes. Et enfin, il y a un nombre considérable d’assistants : secrétaires, traducteurs, etc.
Se réunit-il toujours au même endroit ?
P. A. Ignasi : Pas toujours. D’habitude, on se réunit en Italie un peu avant le Congrès des abbés pour faciliter les voyages des moines qui viennent de loin. Mais le dernier Chapitre général, en 2024, s’est tenu à Montserrat pour fêter le millénaire de la fondation de cette abbaye.
P. A. Javier : Cette année, exceptionnellement, nous nous sommes réunis à l’abbaye de Waegwan en Corée. Sinon, le Chapitre général se réunit à Sankt-Ottilien, en Bavière.
Combien de temps dure-t-il ? Quelle est sa régularité ?
P. A. Ignasi : Le Chapitre général se réunit tous les quatre ans et il dure en moyenne de cinq à sept jours.
P. A. Javier : S’il n’y a rien d’exceptionnel à traiter, le Chapitre dure deux semaines et il est convoqué tous les quatre ans.
Comment est composé le Conseil de votre Congrégation ?

P. A. Ignasi : Dans la congrégation de Subiaco-Montecassino, l’Abbé Président a deux Conseils : d’abord le Conseil des visiteurs qui se réunit en mai et en novembre ; ensuite le Conseil des assistants, composé de quatre moines dont un est le procureur, qui se réunit d’habitude une fois par mois.
P. A. Javier : Le Conseil est présidé évidemment par l’Abbé Président. Le Conseil est constitué du procureur et du secrétaire qui sont proposés par l’Abbé Président et confirmés par le chapitre ; deux abbés sont élus comme assistants de l’Abbé Président et cinq membres sont aussi élus par le Chapitre. Ce qui fait un total de dix membres.
Combien de fois se réunit-il ? en présentiel ? par Zoom ?
P. A. Ignasi : Normalement les réunions sont en présentiel, mais il y a aussi la possibilité d’utiliser Zoom.
P. A. Javier : On se réunit deux fois par an en présentiel pour cinq jours. En plus, nous avons des réunions périodiques via Zoom.
Votre Congrégation a-t-elle un Siège permanent ?
P. A. Javier : Le Siège de la Congrégation (House of the congregation) est situé dans l’abbaye de Sankt-Ottilien. Y résident l’Abbé Président, le procureur et le secrétaire.
P. A. Ignasi : Chez nous, c’est à Rome, via Sant’Ambrogio 3, dans la « Domus paterna sancti Ambrosii ».
Vu l’importance de vos congrégations, avez-vous une organisation régionale ? Comment les relations interrégionales fonctionnent-elles ?
P. A. Javier : Il arrive que certaines parties du monde travaillent plus entre elles comme c’est le cas pour les monastères situés en Afrique qui composent 59 % de l’ensemble de la Congrégation. Idem, les monastères européens ont un poids spécifique. Nous avons l’intention de consolider les relations entre les monastères situés en Amérique et en Asie.
P. A. Ignasi : Nous avons une organisation par provinces. Certaines provinces sont basées sur la région comme les provinces vietnamienne, italienne, philippine ; et d’autres sur la langue : provinces française, espagnole, anglaise.
Avez-vous l’occasion de réunir les supérieurs de vos monastères en dehors du Chapitre général ? Ont-ils l’occasion de se rencontrer souvent ? Pouvez-vous vous-mêmes les rencontrer en dehors de Chapitres ou des visites canoniques ?
P. A. Javier : Tous les quatre ans, entre la célébration du Chapitre général, on convoque une réunion avec tous les supérieurs majeurs pour évaluer le Chapitre passé, suivre l’évolution des thèmes traités et déjà proposer de nouveaux thèmes pour le Chapitre suivant.
En plus, les différentes régions ont des réunions des supérieurs avec une fréquence annuelle. Enfin, il y a de nombreuses occasions informelles pour permettre aux supérieurs de se rencontrer.
P. A. Ignasi : À cause des dimensions de notre Congrégation, tous les supérieurs se rencontrent seulement lors des Chapitres généraux. Entre eux cependant, ils se rencontrent au niveau des provinces ou à un niveau régional, avec les supérieurs d’autres congrégations bénédictines ou même d’autres Ordres.
Envisagez-vous au sein de votre Congrégation le transfert de moines ou de moniales du Sud, où les vocations sont plus nombreuses, vers le Nord où elles manquent ? Ou laissez-vous les communautés traiter de cela indépendamment ?
P. A. Javier : C’est un thème complexe qui demande une réponse détaillée. L’expérience nous montre que chaque cas doit être traité de manière individuelle, tant pour le moine que pour la communauté à laquelle il est destiné. Ce n’est pas tant une question de faire nombre mais plus une motivation et un projet pour que cela puisse être mené à bien. Nonobstant, c’est un thème qui n’est pas fermé et la Congrégation comme telle tient beaucoup à y réfléchir.
P. A. Ignasi : Chaque communauté décide indépendamment. Il y a du passage, mais on est plus dans le cadre de l’hospitalité des monastères du Nord qui accueillent les moines du Sud pour favoriser la formation.
Comment réagit votre Congrégation sur la possibilité d’avoir des supérieurs majeurs qui ne soient pas prêtres alors que vos congrégations sont sans doute considérées comme sacerdotales par le Saint-Siège ?
P. A. Javier : La demande est très différente de la précédente, mais la réponse est la même : chaque cas doit être traité de manière singulière en tenant compte de l’individu et de la communauté.
P. A. Ignasi : Il y a déjà certains cas qui fonctionnent, je crois, sans problème. Le dernier Chapitre général a introduit des modifications dans nos Constitutions en ce sens. Nous attendons la réponse du Dicastère (DIVCSVA).
Avez-vous une Commission canonique chargée de vous aider en cette matière ?
P. A. Javier : Nous n’avons pas une Commission canonique comme telle mais des experts en droit canonique qui sont consultés quand c’est nécessaire.
P. A. Ignasi : oui, nous avons une Commission.
II. La formation
En ce qui concerne la formation, avez-vous un projet commun au sein de la Congrégation, ou chaque monastère est autonome en la matière ?
P. A. Ignasi : Chaque monastère est autonome mais il y a des programmes communs pour chaque province. Un bel exemple est le Studium de Bouaké.
P. A. Javier : Il y a des années, on a élaboré des éléments de formation, pas un statut, qui envisageaient certains des points fondamentaux communs à toute la Congrégation. On a établi des principes généraux de ce qui était alors considéré comme nécessaire au niveau de la Congrégation.
Trouvez-vous facilement des formateurs ?
P. A. Ignasi : Non, pas facilement. C’est désormais un défi tant au Nord qu’au Sud.
P. A. Javier : On ne naît pas formateur, on le devient ! Dans tous les cas, cela dépend des possibilités de personnel dont dispose chaque communauté. Malgré cela, trouver un bon formateur n’est pas une tâche facile. En plus, il est essentiel de leur fournir les outils nécessaires pour mener à bien leur tâche.
Avez-vous un responsable de la formation au sein de la Congrégation, ou une équipe dédiée à cette tâche ?
P. A. Ignasi : Non, par contre il y a des responsables au sein de chaque province.
P. A. Javier : En tant que tel, il n’y a pas de responsable et nous n’avons pas l’intention d’assumer ce rôle car la réalité de la formation est très diverse si l’on tient compte des nombreuses différences entre les monastères de notre Congrégation. Néanmoins, en ce qui concerne nos maisons d’études, nous avons un superviseur qui les visite régulièrement.
Favorisez-vous la rencontre entre les formateurs ?
P. A. Ignasi : Oui, dans le sein de chaque province.
P. A. Javier : Oui. En fait cette année, après la Covid, nous reprenons la rencontre des maîtres des novices de toute la Congrégation. Elle aura lieu à Nairobi. De plus, nous envoyons souvent nos formateurs à des programmes de formation tels que le programme « Monastic Formators » ou à des programmes organisés régionalement.
Comme vos congrégations sont internationales, est-il envisageable que des jeunes religieux du Nord aille se former dans le Sud ? et vice-versa ? Y-a-t-il des échanges entre les formateurs et peuvent-ils passer d’un monastère à l’autre pour leur enseignement ?
P. A. Ignasi : Jusqu’ici, ce qui a fonctionné c’est la direction du Sud vers le Nord pour les étudiants et du Nord vers le Sud pour les formateurs, mais beaucoup moins.
P. A. Javier : C’est quelque chose de relativement fréquent dans notre Congrégation. Nos maisons d’études sont internationales et nous avons un nombre important d’étudiants à Sant’Anselmo et dans d’autres endroits. Et en ce qui concerne les formateurs, quand c’était nécessaire, certaines communautés ont été aidées par l’envoi de formateurs venant d’autres monastères.
Organisez-vous des rencontres entre vos jeunes ? novices ? jeunes profès ? étudiants ?
P. A. Ignasi : Oui bien sûr, mais au niveau de chaque province.
P. A. Javier : Il y a plusieurs programmes qui sont organisés à des niveaux très différents : rencontres annuelles des novices selon les régions ; réunions des juniors tous les deux ans ; des programmes à propos de la mission, etc. L’expérience de ces rencontres est vraiment positive, car elle permet d’unir une Congrégation aussi variée que la nôtre.
Quelles sont les régions qui donnent le plus de vocations ?
P. A. Ignasi : Le Vietnam avant tout, ensuite les Philippines, l’Afrique et l’Amérique latine.
P. A. Javier : Fondamentalement l’Afrique. En Europe, le déclin est évident mais pas dramatique. Des régions comme l’Asie et l’Amérique ont une croissance discrète.
En ce qui concerne les études de philosophie et de théologie, avez-vous un centre propre à la Congrégation ? Travaillez-vous avec d’autres congrégations, même non bénédictines ? Sant’Anselmo ou d’autres lieux de formations internationaux ?
P. A. Ignasi : Nous n’avons pas un centre propre à part le Studium de Bouaké pour l’Afrique de l’Ouest francophone et le Studium de Montserrat pour la province hispanique. Ensuite, chaque monastère décide. Certains peuvent organiser les études chez eux parce qu’ils sont associés à Sant’Anselmo comme Montserrat. D’autres cherchent des lieux d’étude dans leur voisinage ou à Sant’Anselmo.

P. A. Javier : Nous avons deux maisons d’étude, l’une à Nairobi, au Kenya, et l’autre à Lusaka, en Zambie. Un grand nombre de nos étudiants sont à Morogoro, en Tanzanie. En outre, il y a plusieurs moines qui étudient dans d’autres endroits dont Sant’Anselmo. Actuellement, le nombre de moines étudiants est de 100 environ.
Avez-vous une politique commune concernant les abus, abus d’autorité ou autres durant la formation de vos jeunes ?
P. A. Ignasi : Non pas encore. Certains monastères sont plus avancés sur ces points et d’autres plus lents.
P. A. Javier : Malheureusement, nous n’avons pas encore travaillé sur quoi que ce soit dans ce domaine.
Qu’attendez-vous de l’AIM dans le domaine de la formation ?
P. A. Ignasi : Certainement une aide financière pour les moines et moniales qui peuvent et veulent étudier et qui n’ont pas de ressources économiques. Il y a aussi le soutien au Studium de Bouaké.
P. A. Javier : Peut-être l’AIM peut-elle contribuer au développement de thèmes, tel que celui mentionné dans la question précédente. Le plus important en terme de formation est de promouvoir et d’organiser des rencontres au niveau régional et d’accorder une attention particulière aux monastères disposant de peu de ressources, tant humaines qu’économiques, pour améliorer les niveaux de formation.
III. L’économie
Chaque monastère est autonome, mais votre Congrégation intervient-elle dans les situations économiques des monastères ? Exerce-t-elle une surveillance ? Une présentation des comptes annuels ?
P. A. Javier : Intervention est un mot très fort et il convient de l’interpréter de plusieurs manières. Au sein de la Congrégation, nous disposons de mécanismes de contrôle et de supervision de la situation financière et économique de tous les monastères. Une fois par an, ils sont tenus de soumettre un rapport d’audit externe et tous les quatre ans, dans le cadre de la visite canonique, une visite financière est effectuée. Tout cela est supervisé par le Conseil des auditeurs de la Congrégation.
P. A. Ignasi : Lors de la visite canonique, on doit vérifier les comptes et la situation économique des quatre dernières années. Les monastères s’aident entre eux au sein de chaque province et aussi au niveau de la Congrégation.
Avez-vous une caisse de solidarité ? Et comment fonctionne-t-elle ?
P. A. Javier : Pas exactement. Les crises économiques sont gérées individuellement et on cherche des solutions dans lesquelles la solidarité d’autres communautés peut être sollicitée. En ce sens, la Congrégation joue plutôt le rôle de médiation et de conseil.
P. A. Ignasi : Chez nous, il existe un Fonds de solidarité de la Congrégation. Le dernier Chapitre général a demandé de rédiger les statuts qui ont été approuvés lors de conseil des visiteurs de novembre 2024.
Votre Congrégation a-t-elle des ressources propres en dehors des cotisations des monastères ?
P. A. Javier : Non, la Congrégation en tant que telle fonctionne grâce aux contributions de chaque monastère.
P. A. Ignasi : Depuis ces dernières années, oui. Même si les ressources ne sont pas très importantes, elles aident beaucoup à la subsistance de la Congrégation.
Votre Congrégation organise-telle des rencontres d’économes ?
P. A. Javier : Nous travaillons actuellement sur une série d’ateliers visant principalement à la formation économique et financière des nouveaux économes et des supérieurs. Dans certaines régions de la Congrégation, il y a des réunions d’économes, mais jusqu’à présent pas au niveau de la Congrégation.
P. A. Ignasi : La Congrégation, non, mais certaines provinces le font.
Avez-vous des monastères qui sont gérés économiquement par des laïcs ?
P. A. Javier : Bien que ce ne soit pas encore quelque chose de normal, il est de plus en plus fréquent que des professionnels externes gèrent en partie l’administration. Certains monastères ont déjà des laïcs comme administrateurs.
P. A. Ignasi : Dans la gestion concrète des monastères, oui, mais il y a toujours un moine qui est responsable et à qui on fait référence.
Avez-vous des conseillers pour les placements financiers, des placements éthiques ou autres ?
P. A. Javier : Il s’agit d’un domaine dans lequel chaque monastère décide seul de la manière de gérer ses ressources. Au niveau de la Congrégation, nous offrons également ce service et pour cela nous avons des conseils externes qui gèrent les investissements.
P. A. Ignasi : Cela dépend de chaque monastère, mais souvent il y a des conseillers.
Lors de la suppression d’un monastère, comment intervient la Congrégation pour la gestion des personnes et des biens ?
P. A. Javier : Jusqu’à présent, nous n’avons eu que des cas de fermeture de monastères dépendants et non de monastères autonomes, et ce sont les monastères eux-mêmes qui ont supervisé le processus. À l’occasion, l’aide et les conseils de la Congrégation ont été utilisés.
P. A. Ignasi : Normalement, tout est prévu dans nos Constitutions. Certains points ont été modifiés lors du dernier Chapitre général et nous attendons l’approbation du Dicastère.
Que se passe-t-il si un monastère est en faillite ?
P. A. Javier : Bien que cette possibilité ne soit pas exclue, nous n’avons jamais eu de cas jusqu’à présent. Mais nous sommes conscients qu’il est essentiel de prévoir de telles situations et d’aborder le problème avec suffisamment de temps pour analyser les alternatives possibles, y compris, si nécessaire, la fermeture du monastère.
P. A. Ignasi : Dans un tel cas, les monastères de la province cherchent à l’aider. On demande aussi l’aide des monastères des autres provinces. La Congrégation n’a pas les ressources pour le faire.
IV. Vie de prière
Être responsable d’une Congrégation entraîne de lourdes responsabilités ainsi que de nombreux déplacements. Quelle place trouvez-vous pour le Christ dans votre vie ?
P. A. Ignasi : Sans lui au centre de ma vie de moine, le service qu’on m’a demandé serait impossible pour moi.
P. A. Javier : Certes, le rythme normal présupposé dans la vie monastique n’existe pas dans le cas d’un Abbé Président. Malgré cela, les nombreux moments de solitude qu’impliquent les voyages et les problèmes auxquels il faut faire face, me font voir plus intensément la nécessité d’intensifier ma confiance dans le Christ et d’essayer de le trouver au milieu d’une vie plus occupée que habitude.
Avez-vous une liste de prédicateurs propres à votre Congrégation ?
P. A. Ignasi : Non, nous n’avons pas de liste, mais les moines se connaissent au niveau des provinces et des régions linguistiques.
P. A. Javier : Non, nous n’avons pas de liste de prédicateurs.
Quel est le rythme des retraites spirituelles dans vos monastères ?
P. A. Ignasi : D’habitude chaque monastère organise entre quatre et sept jours de retraite chaque année pour la communauté et favorise des moments de retraite privée pour les moines.
P. A. Javier : La norme établit une retraite annuelle pour toutes nos communautés, mais ce sont elles qui décident de la forme de ces exercices spirituels. De plus, les communautés organisent selon leurs critères des journées spécifiques de retraite ou des réunions communautaires pour réfléchir et discuter de sujets qui leur tiennent à cœur.
Avez-vous des membres de la Congrégation qui publient des livres de spiritualité, écrivent dans des revues, sont spécialisés dans l’étude de la règle de saint Benoît ?
P. A. Ignasi : Oui, et certains monastères publient des revues d’étude et de divulgation sur ces arguments.
P. A. Javier : La Congrégation en tant que telle n’a pas de mission spécifique pour s’occuper des questions spirituelles. De nouveau, cela est laissé à la discrétion de chaque communauté.
Votre Congrégation a-t-elle des dévotions qui lui sont propre ?
P. A. Ignasi : Cela dépend de chaque monastère, mais il n’y a pas une dévotion propre à la Congrégation.
P. A. Javier : De toute évidence, la dévotion mariale est commune à toutes nos communautés qui l’expriment de différentes manières et à différents moments liturgiques. La dévotion au Sacré-Cœur est également présente dans beaucoup de nos monastères.
Avez-vous des candidats à la canonisation ou à la béatification ?
P. A. Ignasi : Je ne connais aucune cause de canonisation concernant les moines de notre Congrégation. Mais je pense qu’il y a des causes en cours à Singeverga et Montevergine.
P. A. Javier : Oui, nous avons la cause des martyrs coréens actuellement en cours. Au total, 36 martyrs dont 18 prêtres, 13 frères, 3 sœurs et une laïque qui sont morts entre 1949 et 1952.

Trouver la communion dans le changement
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Témoignages
Frères Joseph Benedict Donleavy, Dom John George, osb
Trouver la communion dans le changement
Du 15 au 19 juillet 2024, une délégation de 54 moines et moniales des maisons de la Congrégation bénédictine anglaise s’est réunie à l’abbaye de Buckfast, en Angleterre, pour une conférence intitulée : « Est-ce le chemin qui mène à la vie ? Penser différemment le changement ». Des moines du Pérou et des États-Unis, ainsi que des moniales de Suède, d’Irlande et même d’Australie se sont réunis en Angleterre pour partager cette expérience. La conférence a été organisée par un comité qui avait été délégué lors du précédent Chapitre général pour fournir à la Congrégation un forum de formation continue. Les journées se sont déroulées en sessions plénières où tous les participants étaient présents, ou en petits groupes de deux, trois ou quatre personnes. Il y a également eu un jeu de rôle, pour lequel nous nous sommes retrouvés par groupes de dix.

Le père Michael Casey, ocso, de l’abbaye de Tarrawarra, en Australie, nous a rejoints pendant toute la semaine et nous a apporté sa contribution sous la forme de deux exposés (Vivre dans un monde en mutation, et L’ascèse du leadership monastique). Le frère John Mark Falkenhain, de l’abbaye de Saint Meinrad (États-Unis), s’est joint à nous pour une session en visio et a donné un exposé intitulé « Diriger avec autorité », qui portait sur l’autorité et l’obéissance. Avant la conférence, les participants ont été informés qu’ils ne devaient pas revenir avec des informations pour leurs communautés respectives, mais qu’ils devaient repartir transformés par l’expérience. Cela a mis en perspective les interventions du père Michael et du frère Mark : les conférences doivent être écoutées comme une source de formation personnelle, comme une partie d’un processus de changement personnel. Deux jeunes moines de la Congrégation font part ci-dessous de leur expérience de la Conférence.
Frère Joseph Benedict Donleavy, abbaye de Ampleforth

La congrégation bénédictine anglaise me semble être à la croisée des chemins. Après Cor Orans, trois nouvelles communautés sont entrées dans notre Congrégation : Mariavall – en Suède, Kylemore – en Irlande, et Jamberoo – en Australie. Minster, un monastère anglais de religieuses, a également demandé à nous rejoindre. Il était évident, lors de la conférence, que les nouvelles communautés ont apporté avec elles une vitalité et un enthousiasme réels. Malgré le titre de la Conférence, il est intéressant de noter qu’il n’y a pas eu beaucoup de discussions sur les projets d’avenir. L’accent a plutôt été mis sur les relations que nous entretenons les uns avec les autres. L’occasion de rencontrer et de mieux connaître d’autres membres de la Congrégation – en particulier ceux qui venaient de nous rejoindre – a été en soi vivifiante pour moi. En ce sens, j’ai découvert que le chemin vers la vie consistait à la recevoir des autres.
Notre animateur nous a demandé de nous entraîner à parler à partir de notre expérience, ce qui signifie pour moi décrire nos pensées et nos sentiments en fonction de ce qui se passe ou de ce qui nous est arrivé. Cela m’a donné l’occasion d’apprendre à exprimer ce que je pensais, non pas de manière émotionnelle, mais en décrivant l’émotion et la situation réelle qui en est à l’origine. J’ai également dû apprendre à exprimer mon expérience de manière différente selon les groupes – un entretien individuel est très différent d’une séance plénière. J’ai fait l’expérience de me retrouver dans des petits groupes avec lesquels je n’aurais jamais choisi de parler de moi. J’ai saisi l’occasion de partager quelque chose de mon expérience avec ces autres, en espérant qu’ils l’accueilleraient en toute bonne foi. J’ai été agréablement surpris de constater que c’était le cas, et qu’ils répondaient parfois de la même manière !
Cette semaine m’a également permis de prendre conscience de la nécessité d’écouter plus ouvertement les autres. J’ai souvent une idée préconçue de la raison pour laquelle quelqu’un dit ce qu’il dit, et le jeu de rôle auquel nous avons participé a clairement montré que ces idées préconçues sont souvent justes ! Cependant, j’ai réalisé que nous avons tous – moi y compris – besoin de nous sentir suffisamment en sécurité pour pouvoir nous exprimer honnêtement et ouvertement afin de prendre part aux discussions. J’ai vu le danger réel de préjuger ce que les gens disaient, de ne pas leur permettre d’être qui ils sont et de les priver de l’espace nécessaire pour que leur partage soit reçu dans le groupe. Un participant a déclaré : « Je réfléchis mieux avec les autres ». Je crois que non seulement je pense mieux avec les autres, mais aussi que je vis mieux avec les autres. Ce fut l’occasion pour moi de réfléchir à la manière dont je mets cela en pratique. C’était donc l’occasion d’une conversion personnelle.
Il n’est pas inutile d’évoquer brièvement le jeu de rôle. Chaque membre des groupes de dix s’est vu attribuer un personnage. Nous jouions le rôle d’une petite communauté de moniales à qui un bienfaiteur, connu seulement d’un membre du groupe, avait offert une importante somme d’argent. Chaque moniale avait ses propres idées sur l’utilisation de l’argent, et il y avait trois options de base : rénover le monastère actuel, faire une fondation ou déménager ailleurs la communauté entière. Quatre groupes ont participé à ce jeu de rôle. Aucun d’entre eux n’a été en mesure de parvenir à une conclusion satisfaisante sur ce qu’il convenait de faire. Le principal problème était la communication. Certains ne voulaient pas dévoiler leurs idées ou les informations dont ils disposaient, tandis que d’autres avaient du mal à proposer quoi que ce soit de constructif et se sentaient exclus de la conversation. D’autres encore étaient tout simplement déterminés à être maladroits ! En voyant un tel chaos (que nous pouvions tous observer dans une certaine mesure dans nos communautés d’origine), il est apparu clairement à quel point il est important de développer une communication efficace.
Vers la fin de la Conférence, certaines voix ont exprimé leur inquiétude quant à notre fragilité en tant que communautés, de nombreux changements ayant eu lieu dans nos monastères au cours des dernières années, y compris une diminution du nombre des membres. Un membre a évoqué la possibilité d’un nouveau document pour les communautés masculines (similaire à Cor Orans) venant de Rome dans un avenir proche, qui pourrait nécessiter des changements que nous ne sommes pas encore assez courageux pour les faire nous-mêmes. Une chose qui semble évidente dans nos conversations est que plus nous serons capables de communiquer les uns avec les autres sur notre expérience, nos craintes et nos espoirs, mieux nous serons en mesure de faire face aux défis à venir. À l’heure actuelle, il est impossible de dire ce que sera concrètement mon propre avenir, l’avenir de ma communauté ou l’avenir de notre Congrégation. Cependant, je crois fermement que plus nous améliorerons notre communication au sein des communautés et entre elles, meilleur sera cet avenir.
Dom John George, communauté de Saint-Grégoire-le-Grand (St Gregory the Great, Downside, Belmont)

Le fait que la Congrégation béné-dictine anglaise se trouve à un moment de transition n’est pas contesté : les statistiques parlent d’elles-mêmes. Nos communautés changent et avec le changement viennent les défis (et les opportunités). Il était donc très impressionnant de voir un échantillon représentatif de la Congrégation présent à la Conférence qui s’est tenue à l’abbaye de Buckfast, dans le Devon. Abbés, abbesses, séniors, juniors – et ceux qui se trouvent entre les deux –, Européens et non-Européens se sont tous retrouvés à parler, écouter et partager ensemble. Nos maisons se sont réunies en tant qu’ecclesiola pour tirer parti de leurs expériences respectives et mieux reconnaître le rôle que nous jouons au sein de l’Église universelle.
La Conférence a eu un caractère résolument « synodal ». Il n’y avait pas d’ordre du jour ou d’objectifs prioritaires. Au contraire, nous nous sommes réunis en tant que moines et moniales pour nous connaître un peu mieux et pour établir des liens entre nous. La Conférence a permis aux participants de parler librement et honnêtement sans avoir besoin de défendre obstinément leurs points de vue (cf. RB 3, 4). Après tout, c’était la Congrégation qui parlait et écoutait ensemble. En tant que l’un des moines les plus jeunes de la Conférence, ce fut un grand encouragement de voir l’écoute bénédictine en action d’une manière puissante. Lorsque nous avons parlé, que ce soit dans les grandes sessions plénières ou dans les petits groupes, j’ai été frappé par le respect manifesté par chaque personne qui parlait à partir de sa propre expérience de la vie monastique. Il en est ressorti une meilleure appréciation des problèmes et des défis auxquels sont confrontées toutes nos communautés et le désir d’assurer un avenir à la vocation bénédictine dans nos pays respectifs.
Il est facile pour de telles conférences de devenir un souvenir lointain, facilement oublié lorsque nous retournons aux exigences de la vie monastique, mais il a été remarqué que beaucoup, en particulier les jeunes participants, étaient vivement conscients de la nécessité de poursuivre les conversations et le partage. Alors que le monachisme est confronté à d’énormes changements culturels et religieux, il devient de plus en plus important de reconnaître qu’aucune maison n’a la solution. Cependant, lorsque nous nous réunissons en tant que moines et moniales, la valeur de notre vocation monastique nous est rappelée, ce qui nous incite à réfléchir aux moyens d’assurer son avenir pour une nouvelle génération.
Réflexion sur la présence/absence des moines dans la vie de l’Église aujourd’hui
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Réflexions
Manuel Nin i Güell, osb
Moine de Montserrat (Espagne) et Exarque apostolique de l’Église grecque-catholique de Grèce
« Qui ou que manque-t-il ? »
Réflexion sur la présence/absence des moines
dans la vie de l’Église aujourd’hui

Dans les grands moments de l’histoire des Églises chrétiennes d’Orient et d’Occident il y a eu des présences – de « grandes présences » dirais-je – qui ont marqué tel moment précis de l’une ou l’autre Église chrétienne : la prédication des apôtres après la résurrection du Christ ; le martyre et les martyrs des premiers siècles chrétiens ; les grands exégètes et théologiens du 2e au 5e siècles, et les formulations théologiques – trinitaires et christologiques – des premiers grands conciles œcuméniques, de Nicée à Chalcédoine ; l’élan apostolique et missionnaire vers l’Extrême-Orient – Inde, Chine, Mongolie – des Églises syriaques orientales dès l’aube des premiers siècles ; l’expansion de la vie monastique en Orient et en Occident avec l’influence et le poids des moines et des grands centres monastiques dans la formation et le développement de tant d’aspects des liturgies chrétiennes. Et ceci pour tant d’époques et moments dans l’histoire des Églises du premier et du second millénaire jusqu’à nos jours, avec, et, je reprends le terme utilisé, de « grandes présences » qui ont eu et ont toujours une influence dans la vie des Églises.
« Présences fortes » certes, mais, je me le demande, peut-être y a-t-il aussi de « grandes absences », au moins à certaines époques de l’Histoire. Et, en ce moment de la vie de l’Église, du moins la catholique, aussi bien orientale qu’occidentale, je me suis demandé : « Qu’est-ce qu’il y a, ou bien, qui ou que manque-t-il ?» à la réflexion ecclésiale du moment présent, concernant un thème qui, aujourd’hui, semble être – si je m’en permets l’image – l’unique planche de salut à laquelle se raccrocher, à savoir le thème de la « synodalité ». Dans un texte écrit précédemment j’ai cherché à donner une explication de ce qui, à mon avis, n’est pas tant la synodalité, le chemin synodal, la dimension synodale de l’Église…, – avec toute la terminologie dérivée du substantif qui en est à l’origine –, mais justement du substantif original : ce qu’est le synode. Ainsi, les autres termes : synodal, synodalité… découlent et qualifient les réalités auxquelles ils sont attribués ; mais comprendre le substantif et sa signification vraie et propre devient fondamental.
Je voudrais, ici, faire un pas de plus sur ce chemin de réflexion et chercher à comprendre et à répondre à cette question que je me suis posée : au moment ecclésial actuel, « qui ou que manque-t-il ? » Et la réponse, à mon avis, se trouve dans la présence/absence des moines, de la vie monastique elle-même, au moment actuel de l’Église. À la question « Qui ou que manque-t-il ? », j’ose répondre, ne serait-ce qu’à moi-même, par une autre question : « N’est-ce pas que nous manquons de moines, et de l’expérience de la vie monastique elle-même ? » Et je me permets de faire cette demande en tant qu’évêque-moine ou moine-évêque comme on veut me voir.
Je dirai d’abord que les moines, depuis leur origine dans les premiers siècles de l’Église jusqu’à nos jours, sont des chrétiens qui n’aiment pas se mettre en avant, qui se plaisent dans le silence, la paix et l’éloignement du monde ; eux-mêmes ne se mettent pratiquement jamais au premier rang. Les moines, depuis le début, « fuient » ; mais cela ne veut pas dire que leur expérience comme hommes d’Église doive être négligée ou mise de côté, au contraire. Parce qu’aller trouver les Pères du désert avec la demande : « Père, dis moi une parole… » est toujours valide et actuelle.
Importance des moines et des monastères. Dans les grands moments de réflexion théologique les moines ont été/sont présents. D’une manière spéciale et à titre d’exemple, dans la crise iconoclaste des 8e et 9e siècles, ce sont les grands moines théologiens qui ont signé la « victoire orthodoxe » dans ce qui fût l’une des plus grandes crises théologiques du premier millénaire, et donc le renforcement en milieu byzantin d’une liturgie de type fortement monastique.
« Qui ou que manque-t-il ? », les moines absents dans l’aujourd’hui de l’Église ? Peut-être quelqu’un se hasardera-t-il à dire… « mis de côté ? » ou simplement oubliés ? Peut-être l’humilité des moines fait qu’ils n’apparaissent pas ou ne veulent pas apparaître, et cela pourrait aussi être vrai, je ne l’exclue pas. La réponse à ma propre question ne se veut pas polémique, parce qu’il est vrai qu’il y a eu et qu’il y a des moines qui se distinguent par leurs contributions dans divers secteurs de la théologie et de la vie de l’Église ; moines éminents et sages qui ont participé, par exemple, au concile Vatican II et ont apporté leur contribution dans le secteur liturgique et dans celui, spécifique, de la réforme liturgique romaine.

Et quelqu’un pourrait me demander comment cela s’est-il fait. Je donne quelques petits exemples à partir de la Liturgie des Heures dans la tradition romaine actuelle : la réduction du nombre des psaumes dans les heures de prière. Les petites heures réduites de trois à une, selon les régions ou les motifs pastoraux des prêtres ou des diverses communautés paroissiales. Puis, la décision elle-même – toujours discutée et discutable – de « couper » ou simplement « supprimer » les versets imprécatoires dans les psaumes, ou même l’exclusion de psaumes entiers de la psalmodie ou de la prière.
Mais ce « sacrifice » du psautier en lui-même, et du rôle des psaumes dans la prière, au fond est le résultat, encore une fois, du renoncement à faire ce qui devrait être fondamental dans la vie de toute Église et dans la communauté chrétienne : la mystagogie. Devant les difficultés que nous trouvons dans les textes scripturaires et liturgiques et dans leur propre compréhension – difficultés qui existent et que nul ne cache – devant ces difficultés il faut faire une catéchèse, bien plus une vraie et propre mystagogie pour nos fidèles, une mystagogie qui les amène à la compréhension et donc à l’accueil, dans leur propre vie, d’un chemin concret de prière dans lequel le psautier, dans le caractère spécifique de la prière chrétienne, a une place fondamentale. Cette catéchèse, cette mystagogie sont vitales pour la survivance de la liturgie des Églises chrétiennes ; et là, on pourrait utiliser avec toute sa force la phrase, bien que trop galvaudée par l’usage qu’on en a fait : « l’Église sera mystagogique ou ne sera pas ». Si, dans les premiers siècles des Églises chrétiennes, les textes liturgiques – scripturaires ou eucologiques – et les sacrements eux-mêmes dans leur célébration avaient été toujours faciles et compréhensibles pour tous les fidèles, il n’y aurait pas eu, et aujourd’hui nous n’aurions pas, les grandes Catéchèses mystagogiques de Cyrille de Jérusalem, de Théodore de Mopsueste, pour ne mentionner que deux grands noms.
Je me demande si cette mystagogie ne manque pas aussi en ce moment à la vie de l’Église, et spécialement au thème du « synode des évêques » et à la terminologie dont on use peut-être trop abondamment et dont nous sommes submergés : « synodalité, Église synodale ». Dès le premier moment de la célébration du synode des évêques, on a senti, surtout parmi ceux qui viennent des Églises orientales catholiques, le manque de précision terminologique et de contenu de la terminologie utilisée.
« Qui ou que manque-t-il ? » Revenant au point de départ de mes réflexions, au moment actuel où l’on veut commencer un chemin qui se réclame d’une expérience du synode dans la vie de l’Église, j’ai l’impression qu’encore une fois les moines, ou plus exactement l’avis et l’expérience des moines dans ce domaine – expérience qui sûrement serait précieuse, manquent. Peut-être les moines, hommes du silence, du retrait, sont restés dans leur désert, dans leur solitude ? Il peut aussi en être ainsi, mais du désert ils ont toujours eu, et devraient avoir aujourd’hui, une parole à dire et à donner.
Disons-le donc, en Occident, le monachisme, de nos jours, n’est peut-être pas à la mode. Aujourd’hui, les ordres religieux et les mouvements à fortes tendances missionnaires, apostoliques, hiérarchiquement organisés et centralisés ont un poste, dirais-je, « en première ligne du combat » dans la vie de l’Église. Et quelqu’un se demande peut-être tout simplement : « Les moines, que font-ils ? » La réponse est facile et est celle que l’histoire a donné et continue à donner : ils sont des hommes du silence, de prière, de solitude et de communion, des hommes, j’ose dire, « nocturnes » qui dans l’obscurité de la nuit ou à l’aube, se lèvent et, que font-ils ? simplement, et rien de moins, que de prendre en main le psautier, le David comme l’appelle aussi la tradition syriaque, ce livre des antiques prières, juives dans leur origine, faites chrétiennes par le Christ lui-même quand il les pria mains étendues sur la croix, prières faites chrétiennes toujours encore aujourd’hui par les moines eux-mêmes qui voient et trouvent en elles la voix du Christ, la voix de l’Église, le cri de l’humanité même, et les font devenir leur propre prière. Prières prises en mains par ces hommes de la nuit qui depuis des siècles les réveillent et les prient chaque nuit, chaque matin, chaque soir et tout au long de la journée. Et ces hommes de l’obscurité nocturne, de l’attente de l’aube, du silence, de la fraternité, aiment faire, aiment vivre vraiment en mode synodal, sachant, parce qu’ils l’ont appris le premier jour où ils ont frappé à la porte du monastère, avec Qui ils cheminent, pourquoi ils cheminent, vers où ils cheminent, avec qui ensemble ils cheminent.
Les monastères, les moines en Orient et en Occident sont pour toute l’Église, pour tous les chrétiens un véritable et réel exemple de vie en synode (je préfère utiliser le substantif aux adjectifs) et pas seulement parce que l’abbé, le père et pasteur de la communauté, rassemble les moines, tous les frères de cette famille qu’est le monastère, les écoute, les engage dans une vraie et réelle collégialité dans la vie quotidienne du monastère – l’abbé convoque, écoute tous… –, mais surtout parce que eux-mêmes savent justement avec qui, pour qui et vers où ils cheminent. Le monastère n’est pas une démocratie parlementaire dans laquelle tous décident sur tous et sur tout, mais un lieu d’écoute, sous le guide et la parole de l’abbé, et est, comme l’Église elle-même, le vrai et unique Corps du Christ. Monastère/corps où chaque membre a son rôle, tous guidés par l’abbé, par celui qui en est le père, la tête, le pasteur, le guide et donc le vicaire de Celui qui en est la véritable Tête, le Pasteur, le Guide, c’est-à-dire le Christ Seigneur.
« Qui et que manque-t-il ? » Dans mon paragraphe précédent j’ai cherché à clarifier le sens du substantif « Synode » et de mettre en évidence qu’il ne s’agit pas d’un « tous cheminant ensemble… », mais plutôt d’un « cheminement de tous avec le Christ… » Et de ce vrai et réel « chemin synodal » les moines sont – du moins en cela sûrement – des experts. Les monastères et le parcours même des Églises chrétiennes, comme je le soulignais, ne sont pas et ne se gouvernent pas comme une sorte de « démocratie parlementaire décisionnelle ». Dans les monastères c’est à l’abbé, le pasteur, qu’il revient, avec tous les moines, de réfléchir et de décider. Le monastère, la vie des moines est toujours un vrai et réel exemple de ce qu’est, de ce que devrait être le synode, le cheminement avec le Christ sous la conduite du pasteur de la communauté, dans l’écoute de la Parole de Dieu, dans la vie sacramentelle, dans la célébration de la foi et dans la communion fraternelle.
« Qui et que manque-t-il ? » Peut-être que l’expérience de ce vrai et réel synode qu’est la vie de tout monastère chrétien pourrait nous aider aujourd’hui à trouver une réponse. La parole des moines, depuis les Pères du désert dans leurs apophtegmes jusqu’aujourd’hui, a toujours été une parole claire, toujours tranchante comme une épée à double tranchant, et en même temps toujours une parole humble de communion et d’Évangile. Écouter, impliquer les moines, ce n’est pas les retirer de leur silence, de leur « obscurité », mais plutôt écouter la parole qui jaillit de leur silence et de leur prière, qui jaillit de ce David qui, chaque matin, leur fait répéter avec insistance : « Écoute Seigneur ma prière, penche l’oreille à ma supplication… ».
Le concile de Nicée
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Une page d’histoire
Monsieur Jérôme de Leusse, Docteur en Histoire
Président de la Fondation Benedictus sous égide de Caritas France
Le concile de Nicée
L’Église en cette année jubilaire, célèbre le 1700e anniversaire du concile de Nicée qui a eu lieu au printemps et au début de l’été 325.
Cette célébration revêt une signification importante pour le monde Chrétien. Le Symbole de Nicée est un lien d’unité d’une foi commune entre les grandes Églises chrétiennes, partagée entre le monde de la Réforme, l’orthodoxie (à la nuance importante du Filioque ajouté par Charlemagne) et le catholicisme. Nicée a aussi réformé la vie et l’organisation de l’Église. Au-delà du concile proprement dit, le contexte historique a exercé une influence durable dans la vie de l’Église.
La crise du IIIe siècle
En 325, l’Empire romain domine le bassin méditerranéen et une grande partie de l’Europe. Cet Empire romain n’est plus celui des origines. Entre 235, fin de la dynastie des Sévère et 284, avènement de Dioclétien, l’Empire est jalonné de coups d’état, de pronunciamientos militaires, d’usurpations et d’assassinats d’empereurs ainsi que de guerres civiles. Il semble vaciller sur sa bases.
Cette crise du pouvoir se double de la pression des barbares aux frontières et d’une succession de défaites militaires. Pressions des Goths sur le Rhin et sur le Danube, attaques des Perses en Orient. Les provinces partout dans l’Empire sont ravagées par l’invasion. L’armée romaine est incapable de contenir l’envahisseur.
Il s’ensuit une grave crise économique. Les marchandises ne circulent plus correctement, les prix montent, les populations s’appauvrissent.
Il y eut aussi une crise religieuse et morale. Au sein de l’Empire les chrétiens sont vus comme des fauteurs de troubles. Le christianisme inquiète le pouvoir. S’ils refusent d’adorer l’image de l’empereur, ils deviennent des ennemis de l’intérieur. En 250 l’empereur Dèce lance une persécution générale contre les chrétiens. La persécution va avec la volonté de redresser l’Empire.
Le redressement de l’Empire par la dictature et la politique religieuse
Cette volonté de redresser l’empire s’est réalisée avec la prise de pouvoir d’un général originaire d’Illyrie (actuelle Croatie). Dioclétien devient Empereur Auguste en 284 et rapidement il crée un système avec deux puis quatre empereurs : la Tétrarchie. Ils fonctionnent par paires, une en Occident (un auguste, un césar) et une autre en Orient. Dioclétien et Maximien sont Auguste et Constance Chlore (père de Constantin) et Galère sont César.
Rapidement la sécurité aux frontières est rétablie. Ils réforment l’armée, rétablissent la paix civile à l’intérieur. Ils sont présents de façon séparée sur les points chauds. Ils ont des secteurs géographiques de gouvernement différents. Ils rétablissent la prospérité en luttant contre l’inflation par un édit de blocage des prix et des salaires en 301.
Le redressement de l’Empire romain se fait au prix d’une sévère dictature obligeant chacun à rester dans sa classe sociale, alourdissant fortement la fiscalité et punissant très sévèrement les contrevenants aux édits impériaux. La mort ou la déportation dans les mines, qui est un véritable système concentrationnaire.
Dès 287, les empereurs prennent chacun un titre. Dioclétien celui de Jovien (descendant de Jupiter) et Maximien d’Herculien (descendant d’Hercule). Le but, comme sous Dèce, est de renforcer l’unité impériale par la religion. Les empereurs reçoivent adoration par le rite de la Proskynèse : prosternation devant eux et embrassement du manteau de pourpre. Leurs images reçoivent l’encens, les salles du palais où ils gouvernent deviennent sanctuaires. L’avènement d’un empereur est un natalis imperri, une naissance dans l’ordre divin, un ortus, un lever du jour.
Très vite les chrétiens apparaissent comme un obstacle à cette unité. Ils ne sacrifient pas aux images des empereurs. Depuis Dèce l’Église a vécu en paix, sans aucune persécution. Ses adeptes sont très nombreux dans l’Empire. Il y a même une Église en face du palais impérial de Nicomédie en Orient. De hauts fonctionnaires de l’Empire sont devenus chrétiens. En 303 et 304 commence la persécution. Destruction des Églises, confiscations des livres saints, des vases et des objets du culte souvent précieux, puis obligation de sacrifier aux images des empereurs sous peine de mort, de tortures atroces ou de déportations aux mines. Il y a eu de nombreux martyrs. La persécution dure en Orient, jusqu’en 311, et même 313 dans certains endroits. En Occident elle est plus faible et beaucoup plus courte (305). Elle a repris ensuite ponctuellement en Orient à la fin du règne de Licinius en 324.
La révolution constantinienne
En 305, Dioclétien abdique et oblige Maximien à en faire autant. Les deux César Constance Chlore et Galère deviennent Auguste, le premier en Occident le second en Orient. Les César sont volontairement choisis hors des familles des deux Auguste, Sévère et Maximin Daïa. Il s’en suit une révolte des fils de Constance et de Maximien. À la mort de Constance en 306, Constantin dans le nord de la Bretagne (Royaume-Uni) est proclamé empereur par les légions. Maxence, fils de Maximien se fait aussi proclamer empereur, Maximien revient au pouvoir pour soutenir son fils. S’ensuit une guerre civile jusqu’en 313.
Constance Chlore puis Constantin, en Occident, ne persécutent pratiquement pas (quelques destructions d’églises en 303-305). Galère et Maximin Daïa, en Orient, sont des persécuteurs fanatiques. Maxence, Sévère sont aussi des persécuteurs.
Constantin un empereur aux grandes interrogations religieuses de Sol invictus au christianisme
Constantin a une soif religieuse incontestable et avant sa conversion au christianisme, il apparaît comme un empereur païen mais en rupture avec les symboles religieux de la tétrarchie dont il avait été écarté. Les émissions monétaires de Constantin mettent en avant le dieu Mars, le soleil pacificateur. Constantin aurait même bénéficié d’une épiphanie (manifestation) du dieu Apollon (comme l’empereur Auguste). Il y a donc chez Constantin un mélange de propagande religieuse, de recherche personnelle et d’opportunisme politique. Sa mère l’impératrice Hélène était probablement déjà chrétienne. Ce qui explique la faible persécution mise en place par son père Constance Chlore. Sa conversion progressive à la religion chrétienne doit se comprendre dans ce mélange de la recherche intime et du rôle joué par la politique. Cette conversion se fait par étapes, 312 et 313, puis 324-25, et enfin jusqu’à son baptême peu de temps avant sa mort en 337. Constantin termine les dernières années de son règne comme un dévot dans le repentir des meurtres qu’il a commis.
La victoire de Constantin au Pont Milvius (312) et le Rescrit de Milan (313)
En 312 le premier pas officiel de conversion est franchi par Constantin. Constantin a bénéficié d’une nouvelle épiphanie divine à la veille d’une bataille. Bataille victorieuse du Pont Milvius où il a éliminé son concurrent Maxence et pris Rome. C’est le Dieu des chrétiens qui se manifeste. Un signe lui apparaît (pour certain en songe, pour d’autres panégyristes un signe visible dans le ciel). Ce signe c’est le Chrisme (deux lettres de l’alphabet grec signifiant Christ) qui symbolise le Christ. Il entend la phrase : « Par ce signe tu vaincras ». Il fait mettre ce signe sur les boucliers des soldats et sur le Labarum le drapeau impérial. Il remporte le lendemain la bataille. L’arc de triomphe de Constantin à Rome exprime le soutien divin sans faire explicitement référence au Dieu des chrétiens. Mais dès 313 le premier panégyrique à Milan évoque cet épisode. En 315 les premières monnaies sont frappées avec le Chrisme. En 313 Constantin et Licinius, son collègue, publient un édit de tolérance à l’égard des chrétiens. Licinius règne en Orient et Constantin en Occident. C’est la fin des persécutions, et les restitutions des biens sont mises en œuvre. L’édit fut appliqué dans tout l’Empire. Mais à partir de 317 et jusqu’en 324, les politiques religieuses des deux empereurs divergent, jusqu’à la victoire finale de Constantin sur Licinius.
La politique religieuse de Constantin : Le christianisme passe d’une religion persécutée à une religion légale
Progressivement les thèmes païens (solaires) disparaissent des frappes monétaires de Constantin entre 320 et 324. Constantin commence à établir une législation favorable au christianisme. Il prend des mesures contraignantes contre certains aspects du paganisme (en particulier la magie et certains cultes et sacrifices privés). Pourtant Constantin porte encore le titre de Pontifex Maximus, la plus haute dignité de la religion romaine portée par les empereurs depuis Auguste.
Après sa victoire sur Licinius en 324, il fait fermer certains temples, il essaye, mais en vain, d’interdire les jeux du cirque, les combats de gladiateurs et les prisonniers livrés aux bêtes. Mais il maintient les cultes païens officiels et la religion païenne officielle.
Vis-à-vis du christianisme la politique impériale évolue considérablement à partir de sa prise de pouvoir de 312. Dès 313-315 l’Église a un statut officiel. L’Église peut devenir, en tant que « corpus christianorum », propriétaire de biens, elle peut hériter. L’Église reçoit des immunités fiscales (privilèges que les temples païens n’avaient jamais eus). Les chrétiens peuvent affranchir les esclaves dans les églises à partir de 316-321. Les actes d’affranchissements publiés par l’Église avaient valeur officielle. Les évêques reçoivent un pouvoir de juridiction sur le droit civil entre chrétiens. Il se crée donc des tribunaux ecclésiastiques. En mars 321 Constantin rend le dies Solis (dies dominicus pour les chrétiens) férié. La célébration du dimanche transforme le rythme de vie des gens dans tout l’Empire. Dès 312 l’empereur fait exempter le clergé chrétien des charges publiques et du service de l’Etat et des municipalités ainsi que de l’impôt. Le clergé a un statut officiel. L’Empereur favorise les conversions au christianisme en particulier pour les juifs. L’empereur appuie les tribunaux ecclésiastiques qui condamnent les hérétiques.
Premières interventions de l’Empereur dans la vie de l’Église : crise donatiste en Afrique et concile d’Arles
Dès 313 Constantin intervient dans la vie de l’Église pour essayer de résoudre des conflits. En Afrique, d’abord, où son édit de restitution des biens saisis pendant la persécution bute sur le fait de savoir à qui les restituer. L’Église d’Afrique s’est divisée entre les partisans d’une grande rigueur pour le pardon des traitres (les traditores) qui sont dirigés par l’évêque de Numidie, Donat, et le reste de l’Église plus tolérante. Constantin veut mettre fin au schisme donatiste. Il charge l’évêque de Rome de régler ce schisme. Le pape s’entoure d’évêques italiens et gaulois. Donat est condamné. Les donatistes contestent et Constantin confie l’affaire à un tribunal épiscopal réunissant les évêques d’Occident. La réunion eu lieu à Arles dans un palais impérial avec 9 évêques italiens, 12 de Gaule et de Germanie, 3 de Bretagne (Royaume-Uni), 6 d’Hispanie, plus les évêques africains des deux partis. Le concile d’Arles condamna de nouveau les donatistes L’appel de la sentence à l’Empereur par les donatistes provoqua son intervention directe. Après beaucoup de tergiversations et avoir lui-même rencontré les partis, Constantin condamna les donatistes et rendit aux catholiques les biens de l’Église d’Afrique. En 317 la persécution impériale s’abat sur les donatistes et le sang de ceux-ci coule. La crise donatiste a durée pratiquement jusqu’à la fin du IVe siècle.
Le conseiller ecclésiastique Osius, évêque de Cordoue
Constantin a un conseiller ecclésiastique : Ossius, évêque de Cordoue. Ossius est né en 256 à Cordoue dont il est l’évêque depuis 295. Il est mort en exil en 357 à Sirmium en raison de son opposition à la politique pro-arienne du fils de Constantin. Ossius a joué un grand rôle dans la politique prochrétienne de Constantin, dans la lutte contre le donatisme en Afrique, puis dans la lutte contre l’arianisme, d’abord au concile de Nicée puis tout au long de sa vie. Constantin a eu ensuite d’autres conseillers ecclésiastiques comme Eusèbe de Nicomédie, et sa politique religieuse s’en est ressentie.
Le début de la crise arienne en Égypte : la difficulté de concevoir la Sainte Trinité, Dieu unique
La théologie, jusqu’à cette crise, se base sur les mots même des Écritures, qui parfois semblent contradictoires. Dès le début de l’Église, les théologiens butent sur une contradiction apparente : la transcendance du Dieu unique pousse les judéo-chrétiens, pour ne pas être accusés par les juifs d’adorer deux dieux, à minimiser la divinité du Christ voire pour certains à affirmer qu’Il n’est qu’une créature.
Les chrétiens qui minimisent la divinité du Christ existent sous diverses formes depuis le IIe siècle. Ce sont les subordinatianistes. L’Église dans son ensemble reste fidèle à la foi des Apôtres et affirme que le Christ est une personne divine. Mais les mots manquent, la foi s’exprime mal et il est difficile de contester ceux qui nient la divinité du Christ. À la même époque, fin du IIe siècle un théologien, Sabellius, pour combattre cette théologie, en crée une autre que l’on nomme modaliste. Dieu prend différents « visages », prosopon en grec. Il est Père pour la création, Fils pour la rédemption, Esprit pour la sanctification. C’est une autre hérésie puisque Dieu n’est pas vraiment un en trois personnes distinctes et cette position simplificatrice, in fine, nie l’incarnation véritable du Fils. Le pape Calliste et Tertullien condamnèrent cette pensée modaliste.
Au IIIe siècle : débat entre l’Orient et l’Occident pour préciser la place du Christ
Ce débat est surtout présent en Occident et se fait donc en latin (Tertullien). Origène, qui dirige l’école théologique d’Alexandrie au milieu du IIIe siècle, explique que le Père engendre éternellement le Fils. Il distingue trois hypostases voire trois ousiai dans le Dieu unique. Mais la théologie d’Origène laisse place à une interprétation subordinatianiste reprise par l’évêque Denis d’Alexandrie entre 250 et 264. Le pape Denis, à Rome, conteste la pensée de l’évêque d’Alexandrie et utilise le terme grec homoousios, unique substance des personnes divines qui sont Un. Ce terme grec n’est pas dans les Écritures et pose un énorme problème à beaucoup de théologiens et d’évêques. Peut-on définir la Trinité avec des mots qui ne sont pas issus des Saintes Écritures ? Le débat entre les deux Denis pose plusieurs mots – hypostasis, ousia, homoousios qui seront des mots centraux dans la querelle arienne. L’utilisation de la philosophie grecque et de son vocabulaire, pour essayer de définir le dogme, est une révolution.
Denis d’Alexandrie, finalement, rejoint l’interprétation de Denis de Rome, mais ses interprétations successives ont fait du mal et créé un précédent. Cette querelle sur les rapports du Père et du Fils s’est doublée, à Antioche, d’interrogations sur la nature réelle du Logos incarné. Jésus est-il pleinement Dieu, mais incarné, est-il pleinement homme ? Lucien d’Antioche, un théologien, enseigne que le Logos n’avait assumé qu’un corps humain mais pas une âme. L’évêque d’Antioche Eustathe combat cette théologie de Lucien en affirmant que le Logos assume d’être un homme complet. C’est au sein de l’Église d’Alexandrie que le prêtre Arius remet au goût du jour, vers 320, la pensée subordinatianiste.
La personnalité d’Arius
Né vers 256 en Cyrénaïque et mort en 336 à Constantinople, Arius a été formé à la théologie par Lucien d’Antioche qui était subordinatianiste. Arius a été présent à Alexandrie pendant la persécution entre 303 et 313. Il a été ordonné diacre par l’évêque Pierre d’Alexandrie (qui a été martyrisé en 311), puis prêtre par son successeur Achilas. C’est un homme austère, un ascète, un grand prédicateur, un directeur de conscience et il est respecté et suivi par les chrétiens d’Alexandrie. Il sait transmettre sa pensée avec des mots que retient le peuple chrétien.
La théologie d’Arius
Il écrit à son évêque Alexandre : « Nous confessons, un Dieu unique, un seul engendré, un seul éternel, un seul sans principe, un seul vrai, un seul possédant l’immortalité, un seul sage, un seul bon, un seul puissant. » Il qualifie Dieu de « Monade » c’est-à-dire « d’Unité absolue parfaite » terme tiré de Platon. Arius s’appuie beaucoup sur le vocabulaire philosophique et définit le Christ de façon négative par rapport au Père. Pour lui le Fils est une créature exceptionnelle mais une créature. Il insiste sur l’humanité du Christ pour souligner l’infériorité du Fils par rapport au Père. Pour lui, l’Esprit est aussi une créature. Arius utilise les Écritures avec une interprétation erronée. C’est probablement vers 318-320 qu’Arius commence à développer publiquement ses thèses. Il est soutenu par sept prêtres et douze diacres d’Alexandrie et aussi par deux évêques, Secundus de Ptolémaïs et Théonas de Marmarique (en Cyrénaïque l’un et l’autre).
La crise se répand en Orient
Son livre La Thalie touche les masses, et les dockers et artisans d’Alexandrie en font des chansons. L’évêque Alexandre d’Alexandrie réagit et s’oppose à Arius. Il utilise les Écritures et également la pensée d’Origène. Il demande à Arius de rétracter sa thèse. Arius refuse et cherche le soutient de l’évêque Eusèbe de Nicomédie, prélat puissant, parent du préfet du prétoire et ami de Constantia, la sœur de l’empereur. Un concile à Alexandrie excommunie Arius et ses partisans. Les évêques palestiniens autour d’Eusèbe de Césarée mais aussi de Bithynie (Nicée et Chalcédoine) ainsi qu’Eusèbe de Nicomédie, soutiennent Arius. La crise s’étend en Orient. L’appel d’Arius aux évêques contre son évêque était contraire aux traditions et un concile égyptien de 100 évêques avait condamné Arius. Les évêques d’Antioche, de Jérusalem et de Tripoli soutiennent l’évêque d’Alexandrie contre Arius. Un sophiste, Asterios, écrit un ouvrage de dialectique pour défendre les thèses d’Arius. Dans deux conciles locaux opposés les deux partis s’excommunient mutuellement (à Césarée et à Antioche). En cinq ans, c’est l’ensemble des chrétiens de la partie orientale de la méditerranée qui se trouve divisés en deux courants totalement opposés.
Le concile de Nicée : Un concile œcuménique et impérial du printemps à l’été 325
Constantin, qui vient de rétablir à son profit l’unité impériale après sa victoire en 324 sur l’empereur Auguste Licinius en Orient, veut l’unité religieuse dans son empire. Il est le seul empereur Auguste avec ses deux fils Crispus et Constantin II qui portent le titre de César. Sur ses monnaies, à partir de 324, disparaissent les derniers symboles païens.
Après avoir essayé de résoudre la crise donatiste en Afrique, il veut résoudre la crise arienne en Orient. L’unité de l’Église a une valeur exemplaire. Elle doit servir de modèle à la paix civile. Il veut l’unité des prières pour le salut de l’Empire. C’est très certainement son conseiller ecclésiastique, Ossius de Cordoue, qui lui suggère de convoquer un concile général. Auparavant, Constantin a tenté une médiation entre Alexandre d’Alexandrie et Arius. Ossius a porté la lettre de l’Empereur. La tentative de Constantin a échoué.
Le concile est convoqué par Constantin. Les participants bénéficient de la poste impériale pour s’y rendre. L’organisation matérielle est sous la responsabilité de l’administration impériale. La ville de Nicée est choisie après plusieurs hésitations sur le lieu. Nicée est facile d’accès par la mer et proche (50 km) de Nicomédie où se trouve la résidence de l’empereur. La lettre de convocation fut envoyée par Constantin à toute la chrétienté au début de l’année 325.
L’Empereur est présent à l’ouverture du concile le 20 mai 325. Il siège sur un trône d’or et dans la salle du concile de part et d’autre siègent les évêques présents. L’empereur est catéchumène et il attend que les évêques aient pris places pour s’assoir lui-même. C’est un signe de respect. Le discours d’ouverture est probablement lu par Eusèbe de Césarée ou peut-être Eusthate d’Antioche (deux des évêques les plus importants de l’Orient). Puis l’empereur a pris la parole pour souhaiter la bienvenue aux participants, enfin Ossius, de Cordoue, a certainement également parlé.
Il y a eu entre 250 et 318 participants, principalement des Pères conciliaires orientaux. C’est considérable. Le pape Sylvestre trop âgé n’est pas présent mais représenté par deux prêtres : Bitus et Vincentius. Cecillianus de Carthage, un évêque de Die et un évêque de Calabre sont les seuls occidentaux présents en plus d’Ossius. Il y a aussi 10 évêques d’Illirye et quelques évêques qui viennent du dehors de l’Empire (un perse, un évêque du Caucase, et plusieurs du Pont et de Gothie). L’empereur n’assiste pas à tous les débats et ne participe pas aux travaux des Pères conciliaires. Il est souvent représenté par un haut fonctionnaire du palais, Philoumenos, qui surveille les débats et compte les votes. L’administration palatine intervient en coulisse auprès des différents partis ecclésiastiques qui la sollicite. La langue grecque est la langue des débats. Les occidentaux, gênés par la barrière de la langue, participent peu, comme Constantin d’ailleurs.
Débats et décisions
En dehors de la question arienne, le concile devait débattre et résoudre plusieurs schismes à l’intérieur des Églises d’Orient. Les mélitiens en Égypte (qui contestaient la primauté du siège d’Alexandrie sur l’Église en Égypte), les quartodécimans (qui utilisaient encore le comput juif, 14e jour du mois de Nizan pour fêter Pâques) et les novatiens (qui refusaient la réintégration et le pardon aux lapsi, ceux qui avaient trahis l’Église et la foi pendant les persécutions). Enfin il y avait la question de discipline ecclésiastique de l’intervention des évêques syriens ou de la province d’Asie dans les affaires de l’Église d’Egypte.
Les débats permettent de dégager une très forte majorité anti-arienne. Tous les courants théologiques sont représentés au concile. Les subordinatianistes autour de l’évêque Eusèbe de Nicomédie, (et d’Arius) sont une minorité active et agitée. Proche d’eux, mais étant plus modérés dans leur position, il y a Eusèbe de Césarée et une vingtaine d’évêques palestiniens. Ossius de Cordoue et Alexandre d’Alexandrie appuyé par Macarius de Jérusalem sont suivis par la majorité du concile, d’autant qu’Eusthate d’Antioche les rejoint. Enfin il y a dans une position antisubordinatianiste extrême l’évêque Marcel d’Ancyre.
Le concile commença ses débats par l’instruction de l’affaire d’Arius. Une lettre d’Eusèbe de Nicomédie, fervent arien, est lue devant le concile. Il écrit qu’en prétendant que le Fils est engendré et non créé on arriverait à soutenir qu’Il est consubstantiel au Père et que l’Ousia du Père serait alors divisée en deux parts. Ce sont donc les subordinatianistes qui, pour la contester, emploient les premiers le terme d’ousia et celui de consubstantiel. La lecture du poème La Thalie, d’Arius, acheva de convaincre le concile de l’hérésie de ses thèses. Les Pères se bouchèrent les oreilles et refusèrent d’entendre plus longtemps ce texte blasphématoire.
Rédaction du symbole de Nicée
La rédaction de ce que nous appelons le Symbole (signe de reconnaissance) de Nicée fut voulue par une majorité du concile après la condamnation d’Arius et de ses thèses. Le concile voulait un texte clair pour empêcher toutes mauvaises interprétations de la Trinité. Les ariens, sous prétexte de tradition, n’en voulaient pas. Le texte devait s’appuyer sur une solide tradition scripturaire. Chaque camp opposait au sein des Écritures textes contre textes. Il fallait trouver une formule qui affirmait sans ambigüités la consubstantialité du Fils et du Père. Le mot grec Homoousios, qui n’était pas dans les Écritures et qui était employé en philosophie par les gnostiques, gênait beaucoup les Pères qui rechignaient à l’utiliser. Mais ce mot grec avait l’avantage d’être très proche du mot utilisé par les occidentaux : substantia, depuis que Tertulien, au début du IIIe siècle, avait parlé « d’unité de substance ». Finalement ce fut le mot choisi pour définir le rapport du Fils et du Père : consubstantiel.
Le petit groupe de théologiens, qui a probablement rédigé ce Credo afin qu’il puisse être adopté par les Pères conciliaires en séance plénière, se sont inspirés sans doute d’un credo utilisé dans l’Église de Césarée. Ils ont surtout utilisé des mots forts pour expliciter le Père, créateur de toutes choses visibles et invisibles et surtout le Fils « seul Seigneur, de l’ousia du Père (homoousios), Dieu de Dieu, Lumière de Lumière, vrai Dieu de vrai Dieu ». Ils insistent sur le fait que le Fils est pleinement Dieu et qu’il n’y a aucune hiérarchie entre les personnes de la Trinité. Le Verbe est engendré et non pas fait. Le concile confesse sa foi dans l’Esprit Saint par une courte phrase et c’est à la fin du IVe siècle qu’à Constantinople le symbole sera complété.
Le symbole fut adopté à une large majorité avec l’opposition de 22 évêques (quelques Égyptiens, Syriens et des évêques d’Asie Mineure). Constantin réagit violemment et réduisit considérablement le nombre d’opposants. Seuls Arius ainsi que Secundus de Ptolemaïs et Théonas de Marmarique refusèrent de reconnaître le nouveau symbole. Ils furent immédiatement envoyés en exil comme rebelles à l’Empereur. Plus tard, à la fin de 325, les évèques Eusèbe de Nicomédie et Théognis de Nicée furent eux aussi envoyés en exil en Gaule pour avoir abrités des prêtres ariens. Eusèbe de Césarée qui était soupçonné, non seulement de complicité avec Arius mais aussi de sympathie envers feu l’empereur Licinius, était aussi très menacé. Ainsi Constantin voulait faire comprendre aux rebelles qu’il ne fallait pas s’opposer à l’Empereur.
Les autres mesures du concile
Les Pères ont essayé de trouver une discipline ecclésiale nouvelle correspondant à la situation nouvelle de l’Église liée à la victoire de Constantin. Codification rigoureuse pour le choix d’un évêque qui doit être consacré par au moins trois évêques et si possible par tous les évêques de sa province ecclésiastique (canon 4). Le canon 4 fait référence au Métropolitain pour la consécration épiscopale. L’accès au clergé est interdit à ceux qui n’ont pas une intégrité physique ou morale parfaite. Le canon 1 interdit la cléricature à ceux qui se sont volontairement castrés, et le canon 9 à ceux qui ont commis une faute grave nécessitant une réconciliation publique. Le canon 2 stipule que les membres du clergé doivent avoir une formation. Le concile condamne l’usure chez les clercs puisqu’ils bénéficient d’immunités fiscales (canon 7). Le canon 12 interdit à ceux qui sont entrés dans le clergé par appel de la foi et quitté le service de l’Empereur de quitter ensuite le clergé : incompatibilité entre la militia (le service) du prince et celle du Christ.
Les canons mettent en place aussi une organisation de l’Église dans la partie orientale de l’Empire. Organisation en provinces ecclésiastiques autour du métropolitain. Les provinces doivent tenir des synodes semestriels dont un avant le carême (canon 5). Ces synodes doivent permettre de faire appel des décisions ou sentences d’un évêque. Le canon 6 est plus particulièrement consacré aux sièges d’Alexandrie et d’Antioche dont les Pères rappellent la primauté effective d’un point de vue religieux. Jérusalem a une primauté d’honneur mais le siège métropolitain reste Césarée. Le siège de Rome a aussi une primauté sur l’Occident et une primauté d’honneur en Orient.
Un autre sujet était la réconciliation des « lapsi », ceux qui avaient trahis leur foi et l’Église pendant les persécutions. Il fallait trouver un chemin entre ceux qui refusaient totalement leur réintégration et donc le pardon et la réintégration comme s’il ne s’était rien passé. Le canon 10 exclut du clergé les lapsi ordonnés illégalement. Les fidèles lapsi qui ont apostasié sont mis à part pendant 10 ans. Les mourants recevront quand même le viatique.
Les novatiens qui se nomment eux-mêmes les purs sont réintégrés dans l’Église par un rite pénitentiel et l’imposition des mains, ils devaient s’engager à renoncer à leur intolérance. Leurs clercs sont réintégrés dans la hiérarchie et leurs évêques peuvent devenir chorévêques d’un évêque catholique. Pour les « Paulianistes » hétérodoxes de l’Église d’Antioche, le canon 19 prévoit qu’ils reçoivent de nouveau le baptême et les clercs de nouveau l’ordination. C’est contraire au droit coutumier de l’Église de l’époque. Le concile prend aussi des mesures pour le mélitiens en Égypte. Melitios est déchu de toutes ses prérogatives sacerdotales. Son clergé peut être réintégré par imposition des mains mais restera au second plan dans la hiérarchie de l’Église d’Égypte.
Le concile de Nicée a cherché à mettre de l’ordre dans des diocèses orientaux bouleversés par les longues persécutions. Il y est parvenu, mais dans la durée car ces différents schismes et hérésies (en particulier l’arianisme) ont perduré souvent après le concile et malgré les injonctions impériales.
Le dernier sujet traité par le concile est voulu par Constantin qui a insisté pour que partout la fête de Pâques soit célébrée à la même date. En Asie Mineure, la date de Pâques suivait le calendrier juif. En Égypte comme à Rome, la fête de Pâques suivait le solstice. Mais les deux computs de la fête mobile n’étaient pas exactement les mêmes. Les deux calculs restèrent différents mais le concile abandonna la référence au calendrier juif.
Clôture et « l’évêque de l’extérieur » :
Constantin fit personnellement connaître dans l’Empire les décisions du concile. La clôture du concile le 25 juillet 325 correspondait à la fête du vingtième anniversaire de son avènement au trône. Les Pères conciliaires furent reçus au palais impérial. Les honneurs militaires leurs furent rendus et l’Empereur leur offrit un banquet. À l’occasion de ce banquet qu’il présidait, il expliqua qu’il était « l’évêque du dehors » (tôn ektôn). Il se donna donc un rôle ecclésial qui a marqué le rapport entre l’Église et l’État pendant des siècles.
L’évolution de la politique impériale et la crise arienne
En dix ans, Constantin changea totalement de politique religieuse et se retourna en faveur de l’arianisme et ce, jusqu’à sa mort. Ce revirement se fit assez rapidement après le concile. L’opposition feutrée des ariens aux décisions du concile obligèrent l’empereur à intervenir. L’empereur et la haute administration se mirent à la théologie, comme le Magister Philoumenos, le préfet Ablabius, le préfet du Prétoire Flavius Philippos. Ossius de Cordoue étant rentré dans son diocèse en Occident, Constantin s’est entouré d’autres conseillers ecclésiastiques. En 327, Constantin penchait vers la conciliation et l’apaisement entre les ariens et les catholiques. Hélène, sa mère et Constantia sa sœur, soutenaient les ariens et influèrent sur lui. Constantin, en 326, avait ordonné l’exécution de son fils Crispus et de la belle-mère de son fils Fausta (ils complotaient contre lui). Ce drame familial avait moralement affaibli l’empereur et le concile n’avait pas vraiment résolu le conflit. Constantin réunit probablement un petit nombre d’évêque orientaux. Arius, dans une lettre ambiguë, ne contestant pas le symbole de Nicée, obtint son pardon. Les exilés purent revenir. Eusèbe de Nicomédie était un lointain parent de la famille impériale et Constantia plaida sa cause. En 328 il put revenir de Gaule.
Dès lors, les ariens purent développer leurs arguments pour abattre les évêques « nicéens ». C’est Eusèbe de Césarée qui mène le combat. Progressivement entre 327 et 335 tous les évêques nicéens sont envoyés en exil mais jamais officiellement pour des raisons théologiques. Le plus célèbre des évêques, chassé de son siège est Athanase d’Alexandrie le successeur d’Alexandre depuis 328 et qui est exilé en 335 à Trèves par Constantin, après un concile tenu à Tyr puis à Jérusalem où Arius est déclaré Orthodoxe.
Les disciples d’Arius en Orient triomphaient et partout ceux qui avaient soutenu et approuvé le symbole de Nicée avaient finalement été chassés de leur siège épiscopal. Eusèbe de Césarée et Eusèbe de Nicomédie étaient devenus les conseillers ecclésiastiques de l’empereur et de la famille impériale. Ils sont les premières figures d’évêques courtisans et politiques.
Constantin a finalement laissé l’arianisme triompher. Les partisans d’Arius (mort en 336) furent reçus à la pleine communion en 335 lors d’un concile local à Jérusalem. Mais officiellement, le symbole de Nicée n’était pas remis en cause et le catéchumène Constantin ne voyait visiblement pas très bien les différences de foi des protagonistes de l’affaire. Constantin, à la fin de sa vie devient dévot ; il est entouré de prêtres et d’évêques, il se fait représenter terrassant un dragon avec une lance ou en orant les yeux tournés vers le ciel. Il se fait lire les Saintes Écritures et prie dans la chapelle de son palais. Le dimanche, dans le palais, les cérémonies déploient un grand apparat. En 337, il exige des perses la liberté pour les chrétiens et déclare la guerre à la perse en exprimant sa foi. Victorieux grâce à son cousin Hannibalianus qui conduit l’armée romaine, il fait la paix à Pâques 337. Malade, il confesse ses fautes, prend le vêtement blanc et se fait baptiser dans le temps de Pâques 337 par Eusèbe de Nicomédie. Il meurt néophyte à la pentecôte 337.
Le développement de l’arianisme en Orient et dans le monde barbare
Après Constantin, la politique sous ses successeurs orientaux fut globalement favorable à l’arianisme. En Occident la foi Nicéenne fut la règle jusqu’en 353. En 353 Constance II (le fils de Constantin qui dirigeait l’Orient) devint seul empereur et tenta d’imposer l’arianisme à l’occident qui était resté nicéen. Dans les années 350, Certains sièges épiscopaux en occident passent à l’arianisme, comme Sirmium (en Serbie), Arles, Béziers ou Milan (jusqu’en 374). Les évêques non ariens sont exilés. La foi arienne lui convenait : si Jésus était le reflet du Père, lui pouvait représenter le Christ sur terre et devenir l’Évêque des évêques.
Entre 350 et 360, il y eut une série de petits conciles locaux tous pro-ariens, convoqués par Constance II. Mais l’arianisme s’est progressivement divisé. La tendance homéenne confesse le Fils semblable au Père (homoios). C ’est la tendance qui a presque toujours eu les faveurs de Constance II. Une autre tendance apparaît à partir de 350 : ceux qui disent que le Fils est totalement dissemblable au Père, les anoméens (anomoios). Enfin il y a un arianisme très modéré. Ce sont les ariens qui confessent que le Fils est semblable au Père selon la substance (homoiousios) les homéousiens. Ces homéousiens, à partir de 358, se sont progressivement rapprochés des nicéens. Hilaire de Poitiers et Basile de Césarée de Cappadoce viennent de ce courant théologique.
Pendant cette période post-Nicée où l’arianisme a semblé triompher, beaucoup de catholiques de prêtres et d’évêques ont continué à professer la foi de Nicée.
La lutte anti-arienne fut poursuivie en Orient par les grands évêques cappadociens : Basile de Césarée de Cappadoce, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Jean Chrysostome. Mais c’est à l’avènement au trône impérial d’un général romain Théodose, originaire d’Espagne, qui fut proclamé empereur Auguste en 379 par l’empereur Gratien que la foi de Nicée triompha. Les deux empereurs, Théodose en Orient et Gratien en Occident, étaient tous les deux des chrétiens nicéens. Le 28 février 380 à Thessalonique ils proclament par un édit : « tous les peuples doivent se rallier à la foi transmise aux romains par l’apôtre Pierre, celle que reconnaissent le pontife Damas et Pierre l’évêque d’Alexandrie, c’est-à-dire la Sainte Trinité du Père, du Fils et du Saint Esprit… » La religion catholique devient religion d’État. Dans l’édit, les païens et les hérétiques sont menacés d’être exclus de la société civile. En 381 Théodose convoqua un concile à Constantinople. Pour la première fois depuis 50 ans, l’Église était réunifiée. Le concile précise le symbole de Nicée en précisant que le règne du Christ n’aurait pas de fin (Luc 1, 33) et le concile ajoute un long développement sur l’Esprit Saint sous l’influence de Grégoire de Nazianze, mais surtout des écrits de Basile de Césarée. La divinité de l’Esprit est affirmée par l’expression « procédant du Père » et devant être glorifié et adoré en même temps que le Père et le Fils. Les Trois personnes sont consubstantielles. Le reste du concile traite de questions disciplinaires. C’est Ambroise de Milan qui est chargé de rétablir la foi nicéenne en Illyrie. Il fallut plusieurs années pour réduire les derniers foyers d’arianisme dans l’Empire.
Un évêque arien d’origine Goth, Ulfila, qui participa au concile de Nicée, implanta solidement l’arianisme chez les Goths, les Alamans, les Burgondes et les Vandales. Quand les Goths et les autres peuples barbares envahirent l’empire romain dans sa partie occidentale (406), ils réimplantèrent l’arianisme dans l’Empire mais les romains restèrent catholiques. L’arianisme fut considéré avec le paganisme (Francs, Suèves, Angles et Saxons sont païens) comme la religion des envahisseurs. Les Suèves en Espagne, sous l’influence des Wisigoths, se convertissent à l’arianisme en 460.
L’arianisme progressivement s’éteignit dans le courant du VIe siècle en Occident. Sous l’influence de la conversion de Clovis au catholicisme qui lui apporta l’appui des romains et de l’administration romaine, beaucoup de barbares rejoignirent la foi catholique. L’arianisme resta religion d’État chez les Burgondes jusqu’en 516. Le roi des Wisigoths, en Hispanie, rallia le catholicisme en 587. En 589 un concile à Tolède intégra le clergé arien au clergé catholique. L’arianisme resta présent comme religion d’État chez les lombards jusqu’au VIIe siècle.
Nicée a été le premier d’une suite de conciles précisant la foi catholique. Le concile d’Ephèse en 431 définit Marie comme Theotokos (mère de Dieu puisque Jésus est une personne divine). Le Concile d’Ephèse condamna Nestorius évêque de Constantinople qui refusait de croire à la souffrance réelle du Verbe au moment de la passion et refusait de croire qu’une créature, Marie, avait enfanté Dieu. Enfin, en 451, le concile de Chalcédoine affirma la double nature du Christ, pleinement Dieu et pleinement homme. Il s’agissait alors de combattre l’hérésie monophysite professée par Eutychès.
Conclusion
Le IVe siècle a été pour l’histoire du christianisme un siècle déterminant. En devenant une religion officielle puis une religion d’État, le Christianisme a été obligé de se structurer de plus en plus. En devenant une religion du plus grand nombre, il a fallu approfondir les définitions du dogme pour éviter les dérives. En adoptant les méthodes, les mots, la culture de la philosophie grecque, le christianisme s’est profondément inculturé dans la civilisation du bassin méditerranéen, ce qui a permis d’approfondir la finesse de la pensée chrétienne et de fusionner durablement dans notre civilisation les apports juifs et grecs.
Le concile de Nicée a donné une définition du dogme trinitaire et a unifié l’ensemble du monde chrétien très durablement.
Enfin, ce premier concile œcuménique a été fondamental pour permettre à l’Église de se réformer. L’usage des synodes locaux est aussi resté en Orient et a façonné les Églises orientales.
L’importance prise par les empereurs dans la résolution des débats théologiques et de discipline ecclésiastique a profondément marqué l’Église. En Occident la modification du symbole de Nicée-Constantinople par Charlemagne en est un exemple frappant. L’Église d’Occident s’est libérée de la tutelle du pouvoir politique à la fin du XIe siècle avec la fameuse querelle des investitures et la victoire à Canossa du bienheureux pape Grégoire VII sur l’empereur Henri. Ce sont les papes du XIe siècle qui, pour la plupart, étaient des moines bénédictins de l’ordre de Cluny, qui ont menés ce combat contre la mainmise des laïcs sur l’Église. Les Églises orientales ont eu beaucoup de mal à couper le cordon. Et pour certaines, comme l’Église russe, il n’est toujours pas coupé.
Dom Kevin O’Farrell
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Grandes figures de la vie monastique
Dom David Tomlins, ocso
Abbé émérite de Tarrawara (Australie)
Dom Kevin O’Farrell
(1919-2006)
Dom Kevin O’Farrell n’a jamais fait bouger les choses sur la scène monastique. Ce n’était d’ailleurs pas son souhait. Il a été pendant trente ans (1958-1988) le premier abbé de Tarrawarra. C’est tout ! Il a un jour exprimé sa compréhension de son appel particulier comme « un sentiment fondamental d’engagement envers la communauté, qui se manifesterait en faisant de la communauté le véritable centre de toute ma vie ».

« Ce qui est vital pour l’abbé, écrivait-il, c’est de se rappeler que le Père céleste lui a donné un travail précis à accomplir... non pas pour être une figure remarquable dans l’Église, une lumière brillante, mais plutôt pour servir avec toutes ses énergies ce groupe particulier d’hommes choisis par le Père. »
En effet, dom Kevin a incarné la triple priorité des fondateurs cisterciens, Robert, Albéric et Stéphane, en tant qu’amoureux de la règle de saint Benoît, amoureux des frères et amoureux du lieu.
« Je suis né le jour de la Saint-Patrick en 1919. Par une série de coïncidences, j’ai vu le jour dans la maison de retraite Saint-Patrick, sur la colline Saint-Patrick, dans la ville de Cork, en Irlande. J’ai été baptisé dans une église voisine - Saint-Patrick également ! Inévitablement, je me suis appelé Patrick. »
La récitation de cette « inévitabilité » fait appel à son sens de l’humour. Il a pris le nom de Kevin, un autre saint irlandais de premier plan, lorsqu’il était moine à Roscrea.
Son père, Maurice O’Farrell, s’est marié trois fois, le remariage étant un impératif car ses deux premières femmes sont mortes en couches, le laissant avec des enfants en bas âge. Il y avait trois familles, quatorze enfants. Patrick était le premier enfant de la deuxième famille ; sa sœur cadette, Mary, est devenue sœur Kevin dans la communauté cistercienne irlandaise de Glencairn. Sa mère était Agnes Daly. Son frère John est devenu prêtre cistercien (P. Anthony Daly) à l’abbaye de Mount St Joseph, à Roscrea, et, pendant un certain temps, membre du conseil de l’Abbé général, à Rome. La mort de sa mère, alors qu’il n’était qu’un jeune garçon de trois ans, lui a laissé un sentiment de perte durable. Il écrira des années plus tard à propos de son père : « Bien avant qu’il ne se remarie, il était devenu un père et une mère pour moi et cela ne changerait jamais. J’étais presque inséparable de lui ». Augusta, sa belle-mère, a déclaré sur son lit de mort : « Vous savez que son père était assez fou de lui lorsqu’il était enfant ». Il a écrit : « L’un des plus grands dons que j’ai reçus de Dieu est celui d’être toujours aimé ». Cette expérience de savoir qu’il était aimé fut centrale pour son identité et de sa contribution aux autres.
Patrick a grandi à Shanballymore, un village rural d’une seule rue situé à 40 kilomètres au nord de la ville de Cork. La vie y était simple. Il n’y avait ni eau courante, ni égouts, ni électricité. Son père possédait un magasin général et un bar, ainsi que trois maisons adjacentes. Il possédait également de bonnes terres à un kilomètre du village, une petite ferme utilisée principalement pour l’engraissement des bœufs. Pourtant, il avait d’énormes difficultés financières. Dans la rue se trouvaient un tailleur, un charpentier, un forgeron, un cordonnier, un harnacheur et une famille de tailleurs de pierres monumentales. Patrick admirait le talent et la bonté de ces gens. En tant qu’abbé, il parlait souvent avec chaleur des « petits », une expression évangélique qui, selon lui, illustrait ses parents et ses voisins.
« Une qualité en particulier qui semble avoir été transmise à ma famille par eux [son père et sa mère] est une qualité de petitesse, d’être appelé à marcher dans l’humilité et la pauvreté, mais aussi dans l’amour et la bénédiction. »
En tant qu’abbé, il a partagé avec moi des écrits de gens simples qu’il admirait. Deux d’entre eux provenaient des îles isolées de Blasket : Twenty Years A-Growing (1933) de Maurice O’Sullivan et l’autobiographie de Peig Sayer (1935), Peig.
Après avoir terminé ses études primaires à Shanballymore, il a poursuivi ses études secondaires chez les frères chrétiens à Doneraile, puis a passé deux ans au collège cistercien de Roscrea. Sa vocation s’est précisée pendant l’année qu’il a passée dans la fonction publique au château de Dublin.
Patrick est entré à l’abbaye Saint-Joseph de Roscrea le jour de la fête de l’Assomption, en 1937. Il a vécu cet appel spécifique à Roscrea comme une bénédiction.
« Alors que la vie [cistercienne] était à l’époque si exigeante physiquement et psychologiquement, cela ne se reflétait en rien dans le caractère des moines, qui étaient des hommes si aimables. Ils ne semblent pas être tombés dans le piège de devenir, comme nous le dirions, “accrochés” aux pénitences, qui étaient plutôt – comme elles devraient l’être – une influence libératrice sur leur vie. Ils rayonnaient de joie et de bonheur et étaient ouverts à l’amour et au soutien. »
Dom Albert Derzelle, qui était le supérieur de la communauté de Mokoto, dans l’est du Congo, en 1969, m’a souligné cette qualité de Roscrea chez l’oncle de dom Kevin, le père Anthony Daly, moine de Roscrea et maître d’études au Généralat de Rome, lorsqu’Albert était étudiant. Dom Albert m’a dit qu’il n’aurait jamais survécu au régime sans l’influence bienveillante et modératrice d’Anthony.
Patrick O’Farrell a reçu l’habit de novice et le nom religieux de Kevin en septembre 1937 ; il a fait sa première profession, puis sa profession solennelle en 1939 et 1942 ; il a été ordonné prêtre en 1945. Il a écrit à propos de cette période de formation : « J’ai le sentiment que pendant cette période, l’Esprit Saint a tracé les lignes sur lesquelles toute ma vie allait se dérouler – un plan directeur en quelque sorte ». L’accent était mis sur la personne du Christ. Les écrits de l’archevêque Goodier et de l’évêque bénédictin Hedley ont contribué à poser ces fondations. Mgr Hedley l’a impressionné en lui enseignant qu’il était convaincu qu’une demi-heure passée à contempler Jésus-Christ contribuait davantage à une croissance authentique que des jours ou des mois passés à s’efforcer d’acquérir la vertu ou de vaincre le vice sans cette contemplation. L’accessibilité des grands écrivains cisterciens était encore à venir.
« J’ai également été très marqué à l’époque par un chapitre sur la gentillesse dans l’un des livres du père Faber ; Il m’a laissé une conviction à vie sur la valeur et le pouvoir de la gentillesse, renforcée depuis par de nombreuses expériences. »
La vie des hommes plus âgés a été un facteur de formation pour lui, en particulier leur « amour, leur joie et leur bonté de cœur », ainsi que leur sens de l’humour. D’un autre côté, il observe : « Les supérieurs avaient tendance à canoniser la fidélité à la stricte observance, mais même à cette époque, je me sentais mal à l’aise en les écoutant. J’avais tendance à me sentir décourager ». Le livre du père Hilary sur Roscrea, selon lui, semblait transcender tous les discours sur l’austérité trappiste. Hilary était absorbé par la beauté du Mont Saint-Joseph, les collines et les plaines, les arbres, les oiseaux, etc. « J’ai toujours pensé que cet incident illustrait clairement les deux visions différentes de notre vie ».

Kevin O’Farrell a enseigné pendant un certain temps au collège dirigé par la communauté de Mount Saint-Joseph. Il était ensuite maître des novices lorsqu’il a été élu premier abbé de Tarrawarra le 29 novembre 1958. Avant de quitter un Roscrea hivernal pour son installation en janvier et sa bénédiction dans une vague de chaleur à Tarrawarra, il a demandé au père Thomas : « Pourquoi moi ? » Le père Thomas n’a pas hésité à répondre : « C’est très simple – Dieu t’a doté d’une gentillesse envers les gens, alors fais attention à ne pas la perdre ». Dom Kevin a pris comme devise abbatiale les mots de saint Benoît : « Être aimé plutôt que craint ».
Cependant, à ses débuts en tant qu’abbé, il se sentait pris au piège entre le diable et la grande mer bleue. Il écrit : « J’ai grandi dans une atmosphère où un supérieur considérait le maintien de la régularité dans l’observance comme une partie très importante de son rôle. Certains des moines les plus influents pensaient à l’époque que j’étais trop tolérant, trop indulgent ».
Pendant ses trente années d’abbatiat (1958-1988), il a été attentif aux grâces qui lui étaient offertes. L’une d’entre elles fut une visite à Taizé lors d’un Chapitre général. Roger Schutz avait des idées qui ont inspiré dom Kevin. Comme il l’a écrit bien plus tard : « Il y avait la question de la complexité du style de vie et de la perte des priorités... la primauté du Christ avait été obscurcie par une multitude de règlements minutieux. Les cérémonies très élaborées au chœur et à la messe ont également joué un rôle. Tout cela a nourri dans mon cœur un fort désir de revenir à la simplicité du message évangélique d’amour et de soutien mutuels ». Ce qu’il a entendu à Taizé l’a confirmé dans ses intuitions antérieures dans la prière : « Roger s’est replongé dans les Évangiles pour voir ce que devait être une communauté chrétienne. Il a tout de suite été frappé par l’enseignement du Christ : “À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous vous aimez les uns les autres”. C’est là, pensait-il, que se trouvait la réponse. Depuis ce jour, il s’est efforcé d’établir et de maintenir la priorité de la charité dans la vie de sa communauté». Dom Kevin était convaincu de la nécessité de placer le Christ et son Évangile, ainsi que le grand commandement de l’amour, au centre de la vie monastique. Saint Benoît l’avait fait dès la formation de la tradition.
Vatican II a fourni de nombreuses incitations. Par exemple, dom Kevin a rappelé que le Concile définit le cœur de la révélation de la manière suivante : « Le Dieu invisible, dans la plénitude de son amour, s’adresse aux hommes comme à des amis, et se déplace parmi eux pour les inviter et les accueillir en sa propre compagnie ». Il parlera de sa spiritualité de base comme de « la foi en l’amour infiniment grand de Dieu pour moi et pour tous ses enfants ». En outre, il a reçu une grâce personnelle qui a changé sa vie : lui et la communauté ont été profondément aimés par Marie d’un amour inconditionnel.
Le Chapitre général de 1969 a encouragé dom Kevin parce que ses deux courts documents, la « Déclaration sur la vie cistercienne » et le « Statut sur l’unité et le pluralisme », ont permis une grande simplification des coutumes et du style de vie des communautés. Cela a permis un retour aux priorités contemplatives monastiques évangéliques.
Ronald Fogarty, un frère mariste qui avait étudié la psychologie aux États-Unis et avait ensuite travaillé sur le renouveau de la vie religieuse, a été une autre aubaine. Le frère Ronald a contribué généreusement à Tarrawarra. Il a beaucoup enseigné sur la vie communautaire et les modèles de communautés, les principes qui sous-tendent la croissance en tant que personne et la manière de favoriser la croissance des uns et des autres.
« Il a insisté sur le fait que, dans les années à venir, seules les communautés chaleureuses et solidaires seront en mesure de survivre et d’attirer de nouveaux membres. »
Dom Kevin a participé à de nombreux Chapitres généraux. Il en est ressorti avec une conviction claire de l’importance de l’abbé : « Une chose est claire comme de l’eau de roche : l’abbé – la qualité de l’homme – est de la plus grande importance pour le bien-être et le bonheur d’une communauté cistercienne ». Pourquoi ? « Avant tout, il est censé être le sacrement de l’amour de Dieu pour ses moines ».
« Il n’y a pas de plus grand service que l’abbé puisse rendre à ses moines : les aider à réaliser combien ils sont aimés par le Christ et sa Mère Marie, et d’un amour inconditionnel. En un sens, s’ils ont cette conviction, tout le reste se met en place. »
Le millénaire de l'abbaye de Montserrat
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Nouvelles
Père Bernat Juliol, osb
Commissaire du Millénaire 2025
Abbaye de Montserrat : 1 000 ans
Ora. Lege. Labora. Rege te ipsum. In communitate.
En 2025, nous commémorerons le millième anniversaire de la fondation du monastère de Montserrat par Oliba, abbé de Ripoll et de Cuixà et évêque de Vic. L’histoire nous apprend que dès 888, sur la montagne de Montserrat, se trouvait un petit ermitage dédié à la Vierge Marie. Ce n’est que quelques décennies plus tard, en 1025, qu’un groupe de moines de Ripoll, envoyés par leur abbé, construisit un monastère bénédictin à côté de l’ermitage. C’est ainsi que naquit le monastère de Montserrat, qui a toujours été marqué par ce double aspect : monastère bénédictin et sanctuaire marial. En d’autres termes, un lieu de prière, de vie évangélique, de pèlerinage et d’espoir.
Le fait que le fondateur ait été l’abbé et l’évêque Oliba, l’un des plus importants promoteurs de la paix au Moyen Âge, a profondément marqué le monastère de Montserrat tout au long de son histoire. Pendant mille ans, Montserrat a cherché à être un lieu d’accueil et de rencontre, un lieu d’écoute, de compréhension et de paix. Ainsi, l’engagement de son fondateur a renforcé le charisme que les moines bénédictins ont essayé de vivre depuis le début du Moyen Âge, au VIe siècle. D’ailleurs, l’une de ses principales devises a toujours été : Pax ! Une devise simple mais profonde.
La vie monastique bénédictine a été résumée de manière très éloquente le 24 octobre 1964 par le pape saint Paul VI dans la lettre apostolique Pacis Nuntius, dans laquelle il a proclamé saint Benoît patron de l’Europe. Dans ce texte, il dit que saint Benoît et ses enfants ont apporté le progrès chrétien « avec la croix, le livre et la charrue ». La croix, le livre et la charrue. Trois symboles qui, au cours d’un millénaire, ont également été forgés dans le monastère de Montserrat, non pas pour rester enfermés dans les murs du monastère, mais pour être partagés avec l’ensemble de la société.
En effet, au cours de centaines de générations de moines, le monastère de Montserrat a travaillé avec la croix, signe de foi et de spiritualité, avec le livre, signe de culture et de pensée, et avec la charrue, signe de construction sociale et de progrès. Il l’a fait avec la volonté d’être enraciné dans la terre qui l’a vu naître et qui, en même temps, l’a ouvert au monde. Enraciné dans la terre et ouvert au monde, témoin de la foi et accueillant pour tous, reconnaissant du passé et marchant vers l’avenir. C’est avec cet espoir que le monastère de Montserrat se prépare à célébrer son premier millénaire d’existence.
Le travail de réflexion qui a été mené pendant des années pour préparer le Millénaire 2025 a finalement abouti à une devise basée sur la devise bénédictine bien connue Ora et labora, et complétée par l’expérience monastique de deux siècles de vie monastique dans le monde entier et, en particulier, par le chemin parcouru à Montserrat. Il s’agit d’une devise basée sur cinq éléments qui non seulement définit la vie monastique mais exprime également ce que le monachisme bénédictin peut apporter à la société et au monde contemporain. Il s’agit donc d’une synthèse de la sagesse dont saint Benoît a fait preuve en tant que connaisseur des moines, mais surtout en tant que connaisseur de la nature humaine authentique.

Ora : La prière est le fondement de cette devise et elle est aussi le fondement de la vie. Elle nous apprend à sortir de nous-mêmes et à nous transcender vers ce Dieu de Jésus Christ qui est la vraie Beauté, la vraie Vérité, la vraie Bonté et le vrai Amour.
Lege : La lecture comme symbole de la culture et la culture comme expression de la beauté de l’âme humaine. Depuis l’Antiquité, les monastères ont été des lieux de transmission du savoir : les bibliothèques, les écrivains et la musique en sont des exemples évidents. La culture élève l’esprit humain et le rapproche de Dieu.
Labora : Le travail devient un instrument d’épanouissement personnel et de transformation du monde. L’effort, la persévérance, la ténacité, le travail bien fait et patient sont typiques de l’anticonformiste, de celui qui croit qu’un monde meilleur est possible.
Rege te ipsum : La tradition monastique enseigne que la connaissance de soi et la prise en charge de sa propre vie sont la source de la vraie liberté. Cette liberté qui nous permet de vivre selon des principes et des valeurs qui donnent un sens à notre existence et qui, en somme, nous fait comprendre que le vrai bonheur se trouve dans le fait de se mettre au service des autres.
In communitate : Qu’est-ce que Montserrat ? Montserrat est assurément une communauté monastique bénédictine. Mais Montserrat est aussi une communauté plus large, composée de tous ces hommes et femmes qui s’identifient à elle. Cette grande communauté nous enseigne qu’ensemble nous pouvons marcher vers l’avenir sans peur, avec force et espoir.
Ces éléments qui constituent la devise du Millénaire de Montserrat 2025 sont la proposition que la vie monastique bénédictine peut faire à ses contemporains. Ils montrent que la vie a un sens si elle est vécue de manière cohérente avec certains principes, ils montrent que le bonheur est possible si nous mettons nos capacités au service des autres, ils montrent que Dieu nous encourage constamment à être de meilleures personnes et à construire une meilleure société.
Jubilé d’or de la Fédération Indo-Sri Lankaise (ISBF)
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Nouvelles
Père James Mylackal, osb
Président de l’ISBF
Jubilé d’or de la Fédération Indo-Sri Lankaise (ISBF)
1975-2025
Une célébration de la fraternité monastique
Le jubilé d’or de la Fédération Indo-Sri Lankaise (ISBF) a été joyeusement célébré le 17 février 2025 au monastère bénédictin d’Asirvanam (Bangalore). Cet événement important a rassemblé des moines et des moniales des communautés bénédictines de l’Inde et du Sri Lanka pour réfléchir au cheminement spirituel des cinquante dernières années et renouveler leur engagement envers le mode de vie monastique. Le prieur conventuel P. Jérôme Naduvathaniyil, du monastère hôte, et le père James Mylackal, prieur conventuel du monastère de Navajeevan, à Vijayawada (Inde), Président de la Fédération, ont souhaité la bienvenue à l’auguste assemblée. La célébration a été honorée par la présence de l’archevêque Mar Mathew Moolakkatt, osb, archevêque métropolitain de Kottayam (Kerala). Dans son discours inaugural, en tant que bénédictin, il a apprécié la croissance constante de la présence des hommes et des femmes bénédictins dans ces deux pays et a béni l’assemblée. Étaient aussi présents l’Abbé Primat, père Jeremias Schröder, le Président de l’Alliance InterMonastères (AIM), père Bernard Lorent Tayart, l’Abbé Président sylvestrin Antony Puthenpurackal, la Présidente de la Communio Internationalis Benedictinarum (CIB), sœur Lyn McKenzie, le père Cyprian Consiglio, camaldule, secrétaire général du DIM-MID, dont la présence et les messages ont souligné l’importance de la solidarité monastique au-delà des frontières nationales. Une journée a été consacrée au dialogue interreligieux ; le père Showraiah Guvvala, de Sant’Anselmo, a présenté les cours offerts par l’Athénée, et sœur Resmi Thopillan, osb, secrétaire de l’AIM, a expliqué la situation financière et les projets.
Après la célébration eucharistique du jubilé, l’Assemblée générale annuelle de la Fédération a commencé et s’est poursuivie jusqu’au 21 février. Ce fut un temps de renouveau spirituel, de réflexion et de discussion sur les défis et les opportunités auxquels la vie monastique est confrontée dans le monde d’aujourd’hui.

Une vision enracinée dans la spiritualité bénédictine
La Fédération bénédictine Indo-Sri Lankaise a été fondée il y a cinquante ans dans le même monastère, Asirvanam, à Bangalore, avec une vision claire : favoriser l’unité, la collaboration et l’enrichissement spirituel entre les monastères bénédictins de l’Inde et du Sri Lanka. Au fond, l’ISBF n’est pas un simple organe administratif, mais une famille spirituelle qui cherche à approfondir la vision de saint Benoît par la prière, l’étude et le soutien communautaire.
Aujourd’hui, la Fédération s’est élargie pour inclure quinze congrégations et est renforcée par plus de cent communautés monastiques. Plus de 700 moines et moniales des deux pays se consacrent à la règle de saint Benoît, embrassant une vie de Ora et labora – prière et travail – dans les riches paysages culturels et spirituels de l’Inde et du Sri Lanka.
L’Inde, terre de traditions religieuses et philosophiques diverses, offre un environnement unique pour la vie monastique où le charisme bénédictin s’harmonise avec l’esprit contemplatif profondément ancré dans la spiritualité indienne. Le Sri Lanka, connu comme la Perle de l’Océan Indien, est depuis longtemps une terre d’héritage monastique, où la tradition bénédictine continue de s’épanouir au sein d’une culture bouddhiste, parallèlement à la foi chrétienne profondément enracinée du pays.
L’objectif de l’ISBF : renforcer la vie monastique au 21e siècle. L’ISBF offre à ses membres une plate-forme spirituelle pour :
- approfondir la fraternité et l’unité entre les communautés monastiques.
- S’engager dans une réflexion théologique et spirituelle pour discerner et répondre aux défis de la vie monastique aujourd’hui.
- Favoriser l’apprentissage et le soutien mutuels, en s’inspirant des riches expériences des différentes communautés.
- Organiser des programmes de formation continue pour les personnes en formation initiale et pour les formateurs.
- Échanger des ressources – tant spirituelles que matérielles – pour aider les monastères à prospérer.
Chaque année, la Fédération organise des sessions d’étude et des retraites, offrant aux moines et aux moniales des occasions de réfléchir, d’apprendre et de grandir dans leur vocation. Ces initiatives sont enracinées dans l’appel bénédictin à la stabilité, à la conversion de la vie et à l’obéissance, garantissant que la voie monastique reste vivante et pertinente face aux défis modernes.

Marcher dans la foi et la gratitude
Alors que l’ISBF célèbre cinquante ans de collaboration monastique, nous rendons grâce à la providence de Dieu, au travail acharné des pionniers et à la générosité des bienfaiteurs, en particulier l’AIM-USA et l’AIM Internationale (Vanves, France), des sympathisants et de l’Église au sens large qui ont soutenu ce « voyage ». L’appel à chercher Dieu ensemble reste au cœur de notre mission, et nous allons de l’avant avec une foi renouvelée, un engagement plus profond et une espérance inébranlable dans la voie monastique.
Le voyage continue, guidé par la sagesse de saint Benoît, alors que nous nous efforçons de vivre comme d’authentiques témoins de l’Évangile, unis dans la prière et l’amour, cherchant toujours le visage de Dieu. Nous vous remercions.
Jubilé d’argent du monastère de Teok
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Nouvelles
D’après un article du père Sibi Joseph Vattapara, osb
Monastère Saint-Joseph de Makkiyad
Ashir Sadan (Teok) :
Jubilé d’argent d’une fondation en Inde
25 ans de prière, de service et d’espérance
À l’image de l’appel du pape François dans Evangelii Gaudium («… la communauté évangélisatrice, par ses œuvres et ses gestes, s’implique dans la vie quotidienne des autres. […] Elle assume la vie humaine, touchant la chair souffrante du Christ dans les autres » EG 24), la vie monastique se consacre à la prière, à la solitude et à l’union à Dieu, tout en restant proches des joies et des luttes de l’humanité.
Cette vocation, héritée des Pères du désert, s’est incarnée à travers les siècles sous des formes diverses, comme celle de saint Sylvestre Guzzolini, fondateur des Sylvestrins au 13e siècle : l’ordre de saint Benoît de Montefano – maintenant connu comme bénédictins-sylvestrins. En 1962, ces moines sont arrivés en Inde, au Kerala, où leur présence a peu à peu essaimé à travers le pays (Makkiyad, Jeevan Jyothi, Navajeevan).
En 1999, les frères du prieuré Saint-Joseph de Makkiyad fondent le monastère d’Ashir Sadan, dans le diocèse de Dibrugarh, en Assam. Cette fondation, modeste à ses débuts, devient au fil des années un centre spirituel rayonnant. Portés par l’Esprit, les moines se consacrent à la prière, au silence et au service des populations tribales du nord-est de l’Inde, souvent marginalisées. Leur vie simple, enracinée dans l’Évangile, témoigne d’un amour incarné et d’une solidarité active. Les moines vont à la rencontre des habitants, partageant la Parole, promouvant l’éducation, et semant la paix et la dignité. Inspirés par le concile Vatican II, ils affirment que la vie contemplative est une force d’évangélisation.
Un monastère enraciné dans la tradition et ouvert au monde
Le monastère d’Ashir Sadan incarne aujourd’hui une vision du monachisme à la fois fidèle à sa tradition spirituelle et attentive aux besoins contemporains. Situé dans les collines paisibles de l’Assam, il est devenu un phare d’espérance, lieu de prière, de fraternité et d’engagement social.
L’histoire d’Ashir Sadan débute le 27 octobre 1999, lorsque les pères Stephen Kulathinal et Thomas Kodakassery, guidés par le prieur Jose Kadakelil, quittent le prieuré Saint-Joseph de Makkiyad, au Kerala, pour le diocèse de Dibrugarh. Leur mission, inspirée du zèle de saint Paul et Barnabé, fut soutenue par toute leur communauté. Avant leur départ, ils reçurent l’appui de la communauté Vanashram de Bangalore et des bénédictions émouvantes à la gare, signe fort de fraternité.
Leur voyage fut marqué par le cyclone Paradip qui frappa violemment l’Odisha. Coincés dans un train durant deux jours, sans eau ni nourriture, ils vécurent un moment d’angoisse extrême, entre vents violents, pillards armés et isolement total. Ce fut une épreuve physique et spirituelle intense qu’ils affrontèrent dans la prière.
Arrivés à Calcutta, puis à Dibrugarh le 4 octobre 1999, ils rejoignirent le père Thomas Kodakassery. Sous l’impulsion de Mgr Joseph Aind, évêque de Dibrugarh, ils explorèrent le diocèse avec l’aide de missionnaires et de religieux locaux pour trouver un lieu propice à la fondation d’un monastère. Leur choix se porta sur une parcelle isolée à Teok, dans le district de Jorhat, ancien site de marais entouré de plantations de thé, jugé favorable à la vie contemplative.
Avec l’accord de l’évêque et le transfert officiel du terrain en 1999, les travaux débutèrent. Le monastère fut officiellement inauguré le 6 janvier 2000 lors d’une cérémonie présidée par Mgr Aind. Ce dernier voyait en Ashir Sadan un centre spirituel pour soutenir les communautés catholiques souvent isolées de la région. Les débuts furent modestes. Les moines s’installèrent dans un bâtiment rudimentaire, confrontés aux extrêmes climatiques de l’Assam et à la mauvaise qualité de l’eau, contaminée à l’arsenic et au fluorure. Grâce à l’aide de l’évêque, qui leur fournit matériel et soutien logistique, les conditions de vie s’améliorèrent progressivement. Ainsi, Ashir Sadan est devenu bien plus qu’un simple monastère : un signe vivant de foi, de persévérance et de solidarité chrétienne au cœur du nord-est de l’Inde.
Fidélité, service et espérance
En octobre 2000, l’abbé Andrea Pantaloni visita le jeune monastère d’Ashir Sadan. Malgré le climat rigoureux de l’Assam – pluies abondantes, inondations, chaleur – les moines, fidèles à la règle bénédictine ora et labora, cultivaient la terre et offraient un accompagnement spirituel et social dans les villages, apprenant les langues locales pour mieux servir.
Le monastère bénédictin d’Ashir Sadan n’a cessé de se développer depuis sa fondation. Vers 2002, le père Jose Kochuparambil, impliqué dans le ministère local, maîtrisant les dialectes locaux et nouant des liens avec les villageois, proposa la fondation d’un établissement d’enseignement pour les marginalisés du district de Jorhat, considérant que l’éducation était un outil vital pour le progrès social. Les obstacles s’accumulèrent (inondations, maigres ressources, pénurie de moines, lettres de menaces, attaques physiques sur les moines) et faillirent réduire à néant les efforts de la communauté. Encouragés par l’Église locale et le pape Jean-Paul II (discours aux bénédictins sylvestrins du 8 sep. 2001), les frères persévérèrent malgré les menaces, gagnant peu à peu la confiance de la population. Le 21 janvier 2002, Mgr Joseph Aind bénit l’ouverture de l’école.
En 2006, avec le soutien de Mgr Joseph Aind et du prieuré, un nouveau bâtiment fut achevé, permettant aux moines de quitter leurs modestes locaux d’origine pour un espace plus grand, dont une partie fut aménagée en centre de retraite pour les prêtres et les religieux du nord-est de l’Inde. La même année, le monastère ouvrit un internat pour les garçons des villages reculés de Teok, offrant éducation et stabilité. Les moines veillaient à la discipline et enseignaient des valeurs telles que la compassion, comblant ainsi les lacunes éducatives de la région, constatées lors du recensement de 2001.

Le monastère élargit son rayonnement grâce à des programmes villageois sous l’égide de la paroisse Mariani, répondant aux besoins locaux et fournissant une aide essentielle lors de crises telles que les fréquentes inondations en Assam – enregistrées chaque année dans les années 2000 – et la pandémie de COVID-19 qui débuta en 2020, en distribuant nourriture, médicaments, vêtements et abris aux habitants touchés, consolidant ainsi son rôle d’ancrage régional.
Vers 2006, les moines du monastère bénédictin d’Ashir Sadan ont invité les sœurs de la Présentation, une congrégation active dans l’éducation en Inde depuis le 19e siècle, et leur ont offert un terrain pour rejoindre leur mission. Les moines ont demandé aux sœurs de créer un foyer pour filles afin de leur offrir un espace sûr pour l’éducation et la croissance. Ce foyer, qui viendrait compléter l’internat pour garçons ouvert cette année-là, répondrait aux besoins des diverses communautés du district rural de Jorhat, notamment les tribus productrices de thé et les groupes assamais recensés lors du recensement de 2001. Sous la direction des sœurs de la Présentation, le foyer a rapidement prospéré, offrant abri, éducation et soutien à des filles d’horizons divers, grâce à l’expertise de l’Ordre en matière de promotion de l’éducation depuis 2007. Ce partenariat entre moines et sœurs a renforcé le rayonnement d’Ashir Sadan, alliant l’accent bénédictin sur le travail et la prière à l’héritage éducatif des sœurs, et a considérablement accru l’impact du monastère. En 2025, les efforts éducatifs du monastère – incluant désormais l’école et le foyer pour filles ouverts en 2002 – continuent d’offrir une éducation de qualité à la population de Teok et constituent un symbole durable de résilience et de service face aux défis de l’Assam.
Gratitude et joie : célébration du jubilé du monastère d’Ashir Sadan
En janvier 2025, le monastère bénédictin d’Ashir Sadan a célébré son 25e anniversaire depuis sa fondation en janvier 2000. Cette étape importante reflète un quart de siècle de service, de prière et de croissance sous la règle de saint Benoît et s’inscrit dans le cadre du jubilé de l’Espérance proclamé par le pape François pour cette année, qui met l’accent sur le renouveau et la confiance en Dieu au cœur des défis. Guidé par les valeurs bénédictines de travail, de prière et de communauté, le monastère reflète l’appel biblique du Jubilé – ancré dans le chapitre 25 du Lévitique – à restaurer les relations et à favoriser le retour spirituel. Cette mission est renforcée par la persévérance manifestée face aux inondations de l’Assam, à la méfiance locale du début des années 2000 et aux crises telles que la COVID-19. Avec le soutien de l’Alliance InterMonastères (AIM) et du prieuré Saint-Joseph de Makkiyad, sa maison mère, Ashir Sadan s’est développé au fil des ans, notamment avec la bénédiction d’une nouvelle église monastique par Mgr Joseph Aind le 11 juin 2023, renforçant ainsi son rôle de centre spirituel. Le programme éducatif du monastère, notamment l’école ouverte en 2002 et le foyer pour filles géré par les sœurs de la Présentation depuis 2006, continue de servir les diverses communautés du district de Jorhat, tandis que le centre de retraite établi dans le bâtiment de 2006 accueille des prêtres et des religieux du nord-est de l’Inde pour la contemplation et le ressourcement. En tant que maison de noviciat du prieuré Saint-Joseph, Ashir Sadan a formé de futurs moines et formé des prêtres locaux tels que les pères Jiten Urang et Philip Kujur, consolidant ainsi son héritage de centre de vocations et d’espoir dans la région jusqu’en 2025.

Père Javier Aparicio Suarez
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Nouvelles
Père Javier Aparicio Suarez
nouvel Abbé président
de la congrégation de Sankt-Ottilien
Newsletter de Sankt-Ottilien (www.erzabtei.de)

Le 18 janvier 2025, les bénédictins missionaires de Sankt-Ottilien ont élu le père Javier Aparicio Suárez, âgé de 55 ans, 7e abbé président. Il succède ainsi à l’abbé Jeremias Schröder qui a été élu en septembre dernier Abbé primat des bénédictins à Rome. Le siège officiel de l’Abbé président est traditionnellement situé à Sankt-Ottilien, en Haute-Bavière. C’est là que le père Javier travaille depuis quatre ans en tant que procureur au sein de la direction de la Congrégation. Il a été ordonné abbé immédiatement après son élection.
Le nouveau président de la Congrégation est né en 1969 à Valladolid (Espagne) dans une famille très marquée par la religion chrétienne. Après le Baccalauréat en 1986, il suivit les études de philosophie et de théologie à l’université de Navarre en 1987, tout en étudiant le piano au conservatoire de musique de Pampelune. En 1990, il entra dans l’ordre des Augustins récollets de Navarre. Après l’ordination sacerdotale en 1994, il travailla pendant trois ans comme directeur d’une école primaire et secondaire dans le sud de l’Espagne. En 2001, il fonda avec deux moines de Silos le monastère San Salvador del Monte Irago, un monastère situé sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, en Espagne, qui appartient à l’archi-abbaye de Sankt-Ottilien.
En 2004, il transfère sa stabilité à Sankt-Ottilien. En 2006, il devint père hôtelier de l’archi-abbaye de Sankt-Ottilien où il enseigna en même temps aux novices du monastère. De 2010 à 2021, il servit comme supérieur du monastère de Rabanal del Camino, sur le chemin de Saint-Jacques, en Espagne, et fut en même temps membre du Conseil de la Congrégation. En 2021 suivit la nomination au poste de procureur général de la Congrégation, fonction qu’il a occupée jusqu’à son élection. Cette fonction consiste principalement à coordonner les projets et les finances à l’échelle mondiale. Dans ce cadre, il s’est régulièrement rendu dans tous les monastères de la Congrégation en Europe, en Afrique, en Amérique et en Asie.
La Commission sur la Chine
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Nouvelles
Dom Bernard Lorent Tayart, osb
Président de l’AIM
La Commission sur la Chine
Le 15 mars 2025, les membres de la « Commission bénédictine sur la Chine » se sont réunis à Saint-Anselme sous la présidence de l’Abbé primat. Étaient présents les délégués des congrégations ou des ordres intéressés par la Chine pour les motifs suivants : certains de leurs membres sont actifs en Chine ou sont d’origine chinoise ; des abbayes accueillent dans leurs facultés de théologie des candidats chinois ou même vietnamiens ; d’autres traduisent et préparent du matériel théologique pour les vocations chinoises ; ils sont voisins de la Chine comme certains monastères de Corée du Sud ou de Taïwan ; d’autres entretiennent des liens historiques et d’amitié datant de l’époque missionnaire ; et enfin ils habitent à Hong Kong ou Macao qui jouissent d’un statut particulier en Chine.
Il s’agissait de discuter des activités et des défis pour la vie bénédictine en Chine, d’explorer les opportunités d’études théologiques et d’échanges culturels.
Les témoignages montrent une présence monastique qui doit s’adapter aux exigences politiques en pratiquant une activité pastorale, d’accueil et de soins faite de discrétion ; et en acceptant les restrictions concernant la participation à la messe ou, dans un autre domaine, l’acquisition de propriétés.
Deux membres du Dicastère pour l’évangélisation nous ont présenté le Bureau « Chine » du Dicastère pour les relations avec l’Église de Chine, et la « Commission pastorale de Chine » qui s’occupe aussi des Chinois vivant hors de Chine. Si la vie religieuse institutionnelle pour les hommes n’est toujours pas autorisée dans le pays, tous les évêques de Chine sont aujourd’hui en communion avec le Saint-Père, même s’il n’y a pas encore de Conférence épiscopale chinoise officiellement reconnue par le Saint-Siège. L’important, ce sont les petits pas et la nécessité de comprendre que la mentalité chinoise est différente et tout aussi respectable que la mentalité occidentale.