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  • Projet : Meetings et assemblées, Assemblée de la MBCC (Mindanao) [Mai 2024] | AIM - L'Alliance Inter-Monastères

    < Retour Meetings et assemblées Assemblée de la MBCC (Mindanao) [Mai 2024] Rencontre en juillet 2024 Mindanao Benedictines and Cistercians Convention Projet 3546 : Rencontre des communautés du MBCC La Convention bénédictino-cistercienne du Mindanao (MBCC) est un rassemblement de toutes les communautés bénédictines et cisterciennes dans l’île de Mindanao. Il existe neuf communautés qui sont actuellement membres de ce rassemblement : 1. Les moines trappistes de Guimaras, Iloilo City. 2. Les moniales trappistines de Polomolok, General Santos City. 3. Les moniales bénédictines du Roi eucharistique, Cogon-Digos City. 4. Les sœurs bénédictines du Roi eucharistique, Ulas, Davao City. 5. Les moines bénédictins de Saint-Ottilien, Digos City. 6. Les moines bénédictins de Malaybalay, congrégation de Subiaco, Bukidnon City. 7. Les sœurs bénédictines missionnaires de Tutzing (Mati et Marihatag). 8. Les moniales bénédictines de Mère de l’Eglise, Malaybalay, Bukidnon. 9. Les moniales bénédictines de Sainte-Anne, Linamon. Les membres se réunissent chaque année pour des conférences données par un invité, pour discuter de la vie monastique et offrir des suggestions afin d’aider dans la situation de pauvreté, d’impuissance, d’instabilité économique et politique de la société philippine et de l’Église. Lorsque cela est possible, ils font des visites culturelles dans les environs du lieu de réunion. Requête Durant la pandémie de la COVID-19, les membres du MBCC n’ont pu se réunir qu’à travers les moyens numériques. Ils n’ont pu se retrouver pour une nouvelle réunion au monastère de Digos qu’en 2023 où ils ont partagé leurs expériences et leurs difficultés liées à la pandémie. La prochaine rencontre du MBCC aura lieu du 22 au 25 juillet 2024. Une aide financière serait nécessaire pour couvrir les frais de la rencontre. Aide financière souhaitée : 1 455 euros. Supporter ce projet. < Projet précédent Projet suivant >

  • Projet : Etudes de théologie, Kappadu (Inde) | AIM - L'Alliance Inter-Monastères

    < Retour Formation Kappadu (Inde) Études de théologie Projet 3485 - Études pour 8 frères Inde - Monastère de Kappadu, osb Le monastère de Kappadu a été fondé sous rite syro-malabar par trois moines du monastère bénédictin d’Asirvanam (Bangalore). La communauté s’installa à Kappadu en 1987. La communauté comprend cinquante-cinq membres dont quatre novices et sept jeunes profès temporaires. L’agriculture est la principale ressource des frères. Requête Huit frères sont en études de théologie au collège théologique de Saint-Ephrem (Madya Pradesh) et au séminaire Saint-Joseph (Kerala). Une aide financière serait nécessaire pour les frais d’inscriptions et de déplacements. Montant souhaité : 9 774 € Soutenir ce projet < Projet précédent Projet suivant >

  • Projet : Formation, Leadership et Règle de saint Benoît, Cebu (Philippines) [Mai 2024] | AIM - L'Alliance Inter-Monastères

    < Retour Formation Cebu (Philippines) [Mai 2024] Formation au Leadership à Rome PHILIPPINES - Monastère de Cebu, osb Projet 3576 - Cours de Leadership et la RB Le monastère de Cebu a été fondé en 1999 et reconnu dépendant en 2005 du monastère de Makkiyad (Inde). Ces deux communautés font partie de la congrégation sylvestrine. Les frères sont une dizaine. Le lieu accueille beaucoup de groupes de jeunes et de nombreuses personnes venant faire des pèlerinages auprès de la statue de l’Enfant-Jésus. Requête Frère Gerby Dio va participer au cours sur le Leadership et la règle de saint Benoît qui aura lieu à Rome du 30 juin au 19 juillet 2024. Ce cours de formation est un projet éducatif commun des universités de Saint-Gall en Suisse et de Saint-Anselme à Rome. Des développements sans précédent transforment les monastères et rendent le leadership beaucoup plus exigeant ; ce cours a pour vocation d’aider les frères et sœurs à mieux assumer les responsabilités en communauté. Une aide financière serait nécessaire pour les frais d’inscriptions et de voyages. Aide financière souhaitée : 2 000 euros. Soutenir ce projet < Projet précédent Projet suivant >

  • Projet : Formation, Cuernavaca, Mexique | AIM - L'Alliance Inter-Monastères

    < Retour Formation Cuernavaca, Mexique Études pour trois frères Mexique - Monastère de Cuernavaca , OSB Projets 3479, 3486, 3487 : Études pour trois frères Le monastère de Nuestra Señora de los Angeles a été fondé en 1966 par le monastère américain St Benedict, Mount Angel. Il appartient à la congrégation helvético-américaine. La communauté comprend dix-neuf moines engagés définitivement, sept moines de vœux temporaires, et deux novices. Les frères fabriquent des bougies et de l’encens, du pain, des yaourts et du granola. Ils ont une plantation d’avocatiers, de café et des agrumes. Les frères possèdent aussi une petite ferme et quelques ruches. Ils vendent leurs productions dans leur magasin où se trouvent aussi des livres. La communauté a le souci de former intellectuellement les frères afin de répondre aux sollicitations diverses : hôtellerie, cours au séminaire et à l’université pontificale de Mexico. Requête Frère José Luis Francisco est en dernière année de théologie à Saint-Anselme (Rome). Une aide financière serait nécessaire pour les frais de logement et de fournitures (3 000 euros). Frère Gregorio Vega est en deuxième année de licence à l’Institut liturgique de Saint-Anselme (Rome). Une aide financière serait nécessaire pour les frais de logement et de fournitures (3 000 euros). Frère Mauro, après une licence en théologie biblique, commence n doctorat en théologie biblique à l’Université pontificale de Mexico (durée : trois ans, 3 000 euros). Montant souhaité : 9 000 € Soutenir ce projet < Projet précédent Projet suivant >

  • Projet : Formation continue, Petrópolis (Brésil) [Mai 2024] | AIM - L'Alliance Inter-Monastères

    < Retour Formation Petrópolis (Brésil) [Mai 2024] Formation continue de la communauté BRÉSIL - Monastère de Petrópolis, osb Projet 3528 - Formation humaine de la communauté Le monastère de Petrópolis a été fondé à Rome en 1925 et transféré au Brésil en 1937 ; il fait partie de la congrégation brésilienne. Requête Depuis plus de trois ans, la communauté reçoit une formation humaine donnée par le psychologue Jorcelei Fonseca, qui a fait un travail important dans la communauté. Il fait également ce travail dans d'autres communautés religieuses et séminaires. Depuis plusieurs années la vie religieuse fait face à de nombreux défis et la formation humaine est nécessaire pour mieux vivre ensemble, développer sa maturité, l’équilibre humain et l’harmonie du groupe. La communauté est confrontée à un déficit budgétaire qui la met actuellement en difficulté pour financer la formation humaine de la communauté. Une aide financière serait nécessaire afin de poursuivre la formation humaine commencée avec le psychologue. Montant souhaité : 500 euros. Soutenir ce projet < Projet précédent Projet suivant >

  • Résultats de recherche | AIM - L'Alliance Inter-Monastères

    Résultats de recherche Tout (1962) Actualités (39) Autres pages (1923) 1962 éléments trouvés pour « » Actualités (39) Semaine d’études monastiques Un groupe de moniales de la Congrégation de Castille a participé à la 39e Semaine d'études monastiques qui s’est tenu à Valladolid (Espagne) du 26 au 29 août 2024. Cette semaine a été consacrée à la réflexion sur les défis du 21e siècle pour les communautés monastiques. ocist.org Nouvel abbé à l’abbaye de Sept-Fons Par décret du Dicastère pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique, l’Abbé Général a présidé une élection à l’abbaye de Sept-Fons (diocèse de Moulins, France) le 23 août 2024, en présence de dom Pierre-André Burton, abbé de Cîteaux et Père Immédiat, et de Mère Anne-Emmanuelle Devêche, abbesse de Blauvac. Dom Emmanuel Cottineau, conseiller de l’Abbé général, a agi en tant que secrétaire de l’élection. La communauté a élu dom Thomas Getti abbé pour un mandat de six ans, lequel a été déterminé par le Dicastère. Dom Thomas est né en 1965 à Rouen (France), il est entré à Sept-Fons en 1991, a fait profession solennelle en 1996 et a été ordonné prêtre en 1999. https://www.abbayedeseptfons.com/fr ocso.org Profession solennelle pour la communauté de Victoria Le 20 août 2024, solennité de saint Bernard, frère Pachomius Musisi du monastère de Victoria (Ouganda) a fait profession solennelle au monastère de Victoria (Pays-Bas) pour l’abbaye de Victoria. Frère Pachomius est né en Ouganda en 1988 ; il est entré à Victoria en 2019 et a fait profession temporaire en 2021. ocso.org Tout afficher Autres pages (1923) Notre communauté Windhoek / Nubuamis | Namibie (Afrique) | AIM - L'Alliance Inter-Monastères < Retour Windhoek / Nubuamis Namibie HO/FE FE Ordre OSB Congrégation / Fédération Missionary Benedictine Sisters of Tutzing Congregation Information Founded in 2000 Adresse Missionary Benedictine Sisters P.O. Box 20936 WINDHOEK Namibia Site web info@mbs.org.na +264 61 311 700 Notre communauté Muri | Suisse (Europe) | AIM - L'Alliance Inter-Monastères < Retour Muri Je suis un paragraphe. Cliquez ici pour ajouter votre propre texte et me modifier. C'est facile. HO/FE HO Ordre OSB Congrégation / Fédération Congrégation suisse Information Maison dépendante de l'abbaye de Muri-Gries (Italie) Adresse Benediktinerhospiz Muri Markstasse 4 5630 MURI AG Schweiz Site web http://klostermuri.ch/?mid=34 ​ +41 (056) 664 12 13 Notre communauté Trier - St Matthias | Allemagne (Europe) | AIM - L'Alliance Inter-Monastères < Retour Trier - St Matthias Allemagne HO/FE HO Ordre OSB Congrégation / Fédération Congrégation de l'Annonciation Information ​ Adresse Abtei St. Matthias Matthiasstrasse 85 54290 TRIER Allemagne Site web https://abteistmatthias.de/ Benediktiner@AbteiStMatthias.de +49-(0651)-1709-0 Tout afficher

  • Nos projets | AIM - L'Alliance Inter-Monastères

    ACTUALITÉS de la Confédération bénédictine et de la Famille cistercienne Nous donnons ici les actualités récentes des différents Ordres de la Famille bénédictine ou d'autres actualités liées à la vie de nos communautés et de tout ce qui gravite autour. Toutes les actualités OSB OCSO OCist Spéciales il y a 18 heures 1 Min OCist Semaine d’études monastiques Un groupe de moniales de la Congrégation de Castille a participé à la 39e Semaine d'études monastiques qui s’est tenu à Valladolid... 0 Vous n'aimez plus ce post il y a 6 jours 1 Min OCSO Nouvel abbé à l’abbaye de Sept-Fons Par décret du Dicastère pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique, l’Abbé Général a présidé une élection à... 61 Vous n'aimez plus ce post 22 août 1 Min OCSO Profession solennelle pour la communauté de Victoria Le 20 août 2024, solennité de saint Bernard, frère Pachomius Musisi du monastère de Victoria (Ouganda) a fait profession solennelle au... 1 Vous n'aimez plus ce post 17 août 1 Min OCSO Profession solennelle au monastère de Humocaro Le 15 août 2024, solennité de l’Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie, sœur Omaira Arias Cardenas a fait profession solennelle au... 1 Vous n'aimez plus ce post 12 août 1 Min OCSO Profession solennelle à l’abbaye de Victoria Le 11 juillet 2024, solennité de Notre Père saint Benoît, frère Kizito Kimuli a fait profession solennelle au monastère de Victoria... 3 Vous n'aimez plus ce post 8 août 1 Min OSB Décès de trois frères du monastère de Ndanda Le vendredi 12 juillet 2024, trois moines de l’abbaye de Ndanda sont décédés dans un accident de la route. Père Cornelius (Clement) Mdoe,... 24 Vous n'aimez plus ce post 2 août 1 Min OCSO Profession au monastère de Kokoubou Le 31 mai 2024, frère Janvier Ogoubiyi et frère Marie-Romuald Oussoi ont fait profession solennelle au monastère de Kokoubou (Bénin).... 2 Vous n'aimez plus ce post 26 juil. 1 Min OCSO Profession au monastère de Abakaliki Le 20 juillet 2024, sœur Emilia Ugwu et sœur Cordismaria Ozumba ont fait profession solennelle au monastère de Abakaliki (Nigéria). Sœur... 3 Vous n'aimez plus ce post 23 juil. 1 Min OCist Célébrations au monastère de Chau Thuy Le 11 juillet 2024, en la fête de saint Benoît, la communauté de Chau Thuy a célébré plusieurs événements importants : deux moins ont... 5 Vous n'aimez plus ce post 23 juil. 1 Min OCSO Nouveau supérieur au monastère de Bricquebec Dom Pierre-André Burton, abbé de Cîteaux et Père Immédiat de Bricquebec, a nommé père Simon-Marie Nguyen supérieur ad nutum de... 24 Vous n'aimez plus ce post 1 2 3 4 août 2024 (7) 7 posts juillet 2024 (9) 9 posts juin 2024 (12) 12 posts mai 2024 (11) 11 posts Monastère OCSO Profession OCist Abbaye AIM Décès Election Etudes Fermeture Fondation Newsletter OSB Prieuré Projets financés Supérieur

  • Bulletin n°126 | AIM - L'Alliance Inter-Monastères

    < Retour 126 Bulletin La vie monastique aujourd’hui 125 Bulletin « Toute la vie comme liturgie » 124 Bulletin Les Chapitres généraux cisterciens (OCSO et OCist, sep. et oct. 2022) 123 Bulletin Vie monastique et synodalité 122 Bulletin La gestion de la Maison commune En voir plus La vie monastique aujourd’hui Bulletin de l'AIM n° 126, 2024 Aller au sommaire Aller à l'éditorial Aller aux articles Sommaire Éditorial Dom J.-P. Longeat, osb, Président de l’AIM Lectio divina « Va, vends ce que tu as… » (Mt 19, 21ss) Dom J.-P. Longeat, osb Perspectives • La vie monastique aujourd’hui, réponses au questionnaire de l’AIM • Quelques éléments de synthèse des réponses au questionnaire Équipe internationale de l’AIM Nouvelles Voyage au Canada et aux États-Unis Dom J.-P. Longeat, osb Réflexions Une tentative pour une vision partagée Dom Jeremy Driscoll, osb Témoignage Vivre une communauté monastique multiculturelle Dom Paul Mark Schwan, ocso Art et liturgie La saga de la salle capitulaire de Santa Maria de Ovila Dom Thomas X. Davis, ocso Grandes figures de la vie monastique Sœur Judith Ann Heble, seconde modératrice de la CIB Mère Maire Hickey, osb In memoriam Mère Lazare de Seilhac (1928-2023) Sœurs bénédictines de Saint-Thierry Recensions Dom J.-P. Longeat, osb, Président de l’AIM Sommaire Éditorial À la suite de la publication de « Un miroir de la vie monastique aujourd’hui » et du « Rêve monastique », l’Équipe internationale de l’AIM a voulu lancer une grande consultation auprès d’un certain nombre de responsables monastiques pour recueillir leurs principaux points de préoccupation actuels, leurs priorités, l’aide qu’ils attendent de l’AIM et quelques exemples significatifs de réalisations récentes. Parmi les personnes consultées, certaines ont été surprises par ce questionnaire de l’AIM. L’Alliance Inter-Monastères est souvent perçue comme une simple source de financement pour des projets qui lui sont adressés par les jeunes communautés d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine, d’Océanie et d’Europe de l’Est. Mais il faut rappeler ici que l’Alliance Inter-Monastères, selon ses statuts approuvés par le Congresso des abbés bénédictins de 2004, a pour mission aussi de réfléchir sur le sens de la vie monastique et de souligner son originalité dans les différentes cultures (art. 6). L’AIM a toujours le souci de favoriser une prise de conscience de la valeur du monachisme dans les communautés elles-mêmes, dans l’Église et dans la société (art. 7). En ce sens, on a pu dire parfois que l’AIM est comme un observatoire des évolutions de la vie monastique dans le monde, et pouvait aider à en restituer les questions et les principaux enjeux. Il faut souligner aussi que l’AIM est, avec le DIM-MID (Dialogue interreligieux monastique), le seul lieu où les trois Ordres qui suivent la règle de saint Benoît, tant pour les communautés d’hommes que de femmes, travaillent ensemble. L’AIM œuvre aussi en lien étroit avec les associations monastiques dans le monde entier : cela lui permet d’avoir une compréhension précieuse de ce qui se vit dans ces régions et de mettre en lumière les différentes manières d’aborder les réalités de la vie monastique aujourd’hui. Pour toutes ces raisons, l’AIM est investie de plus en plus d’une mission prophétique qui, loin de faire concurrence aux rôles propres des Ordres et des Congrégations, ne cherche au contraire qu’à les aider de manière complémentaire à mieux répondre à l’appel du Christ dans la vie monastique. Outre ces réponses au questionnaire, on pourra trouver dans ce bulletin, le récit d’un voyage dans des monastères de la côte Ouest des États-Unis, un témoignage sur la vision partagée en matière de gouvernance, et sur le défi de l’interculturalité dans une communauté monastique. Une rubrique d’art autour de l’église de l’abbaye de Vina (New Clairvaux, Californie), et une évocation de la vie de sœur Judith-Ann Hebble, seconde modératrice de la Communion Internationale des Bénédictines. On trouvera aussi dans ce bulletin quelques mots sur sœur Lazare de Seilhac, bénédictine de Saint-Thierry (France, congrégation de Sainte-Bathilde), qui a si fidèlement contribué à la vie de l’AIM et, surtout, à la formation de plusieurs générations de moines et de moniales pour l’interprétation de la règle de saint Benoît, en attendant un article plus développé sur cette belle figure de la vie monastique aujourd’hui. Une recension des deux livres du père Denis Huerre (Pierre-Qui-Vire) reprenant ces commentaires de la règle de saint Benoît à sa communauté clôture ce volume. En ouverture du Bulletin, est proposée ici une lectio sur le texte de l’homme riche dans les Évangiles, à l’origine de la vocation de saint Antoine, père des moines. Dom Jean-Pierre Longeat, OSB Président de l'AIM Articles « Va, vends ce que tu as… » (Mt 19, 21ss) 1 Lire Lectio divina Dom Jean-Pierre Longeat, osb Président de l’AIM « Va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, puis viens et suis-moi. » (Mt 19, 21ss) Le dialogue entre Jésus et le jeune homme de l’Évangile, en Matthieu 19, 16-26, ne manque pas de nous émouvoir tant il rejoint nos aspirations les plus profondes. Nous nous reconnaissons dans ce fidèle de la religion juive, et nous sommes profondément atteints par les réponses de Jésus qui nous donnent comme une clé de lecture pour pouvoir mener une vie de disciple, une vie de moine, de moniale, conforme à sa propre vie. Laissons-nous prendre par ce texte, laissons-nous conduire par l’Esprit pour entendre cette parole déterminante qui peut nous faire aller de l’avant. La question du jeune homme porte sur ce qu’il y a à faire pour avoir la vie éternelle : « Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? » (Mt 19, 16) Dans un premier temps, la réponse de Jésus rappelle la référence à quelques commandements à la base des devoirs religieux du croyant. Mais dans un deuxième temps, sur l’insistance de son interlocuteur, la réponse est toute différente. Prenons le temps d’examiner ces deux réponses de Jésus et regardons où nous en sommes nous-mêmes en considérant l’attitude du jeune homme. 1re réponse : Jésus cite quelques commandements pour résumer les devoirs religieux du croyant. Il rappelle simplement les derniers commandements du Décalogue, et il ne les cite pas dans l’ordre où ils sont donnés dans la Bible (en Exode 20 ou en Deutéronome 5). Il supprime le dernier de la liste du Décalogue et il rajoute une prescription du Lévitique (19, 18) en guise de synthèse : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Tous ces commandements portent sur le comportement moral : « Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage ». Comme le jeune homme riche, un grand nombre parmi nous pourrait répondre à Jésus : « Tous ces commandements, je les ai gardés ». Notre perspective religieuse est assez bien caractérisée par de telles dispositions éthiques qui sont déjà très remarquables. Beaucoup s’en satisfont et leur vie est hautement louable. Mais d’autres ont l’impression qu’il doit y avoir un enjeu plus fort dans la vie humaine, et que notre devenir n’est pas lié uniquement à un bon comportement moral, aussi vertueux soit-il. Le jeune homme insiste donc : « Que me manque-t-il encore ? » C’est à cet endroit que le terme « jeune homme » apparaît dans notre texte. En posant cette question cruciale, cet homme se présente vraiment comme quelqu’un qui veut du nouveau. C’est ce que traduit l’expression « jeune homme », c’est littéralement un homme « nouveau », comme un nouveau-né. Il laisse émerger en lui le désir profond qui l’habite. Jésus, par sa parole et son comportement, favorise cette émergence chez les autres ; pour lui, il n’y a rien de plus important que cela dans la vie : les zones profondes de notre être sont appelées à venir au jour et à mettre en œuvre une constante nouveauté par l’action de l’Esprit Saint. Et voici ce que répond Jésus. Il fait connaître le fond de sa pensée : il parle d’accomplissement et non plus simplement de devoir à accomplir. Voici donc la pointe du récit : « Va vendre tout ce que tu tiens sous ta main (littéralement) et donne-le aux pauvres, tu auras un trésor dans le ciel, puis viens et marche avec moi ». En parlant ainsi, Jésus rejoint la première partie du Décalogue que l’on oublie constamment : « Tu n’auras pas d’autres dieux, tu ne te feras aucune idole, tu ne prononceras pas le nom de Dieu à faux, observe le jour du sabbat ». Il s’agit là de ne s’enfermer dans aucune possession trop humaine. L’idole en effet, c’est bien ce que l’on tient sous la main et que l’on retient pour soi-même, sans laisser la vie libre d’aller et venir entre les créatures et le Dieu de toute liberté. Ainsi, « Va vendre tes idoles et partages-en le prix aux pauvres pour bien manifester que tu dis adieu à tout cela et que tu te rends disponible pour l’acquisition d’un trésor du ciel ». La difficulté pour nous tous dans la réponse à l’appel que Dieu nous adresse se situe bien à cet endroit. Si l’on ne quitte pas, si l’on ne renonce pas à toutes nos idoles, à tout ce que nous tenons bien en main et qui est comme le moteur de notre vie, parfois même, le dictateur de nos actes et de nos pensées, alors nous manquons le rendez-vous essentiel auquel Dieu nous convie et notre vie s’installe dans une perspective où la tristesse a souvent le dernier mot, tellement les promesses de nos idoles ne sont jamais tenues. En effet le jeune homme, entendant la parole de Jésus, « s’en alla plein de tristesse, car il avait beaucoup de possessions ». Il est intéressant de noter que le terme employé ici est d’une portée très élémentaire. Le jeune homme considère ce qui constitue son avoir propre comme de simples possessions ; Jésus envisageait les choses tout autrement, il parlait de tout autre chose : il s’agissait d’une réalité très fondamentale qui habite nos consciences et que l’on considère comme notre but en ce monde, jusqu’à tout y sacrifier. Mais j’entends bien sûr les protestations. Ce n’est pas possible ! D’autant plus que Jésus insiste : « Il est difficile à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux ; il est plus facile à un chameau d’entrer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux ». Avec cependant : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pour Dieu, tout est possible ». La comparaison employée par Jésus n’est pas à prendre au pied de la lettre, elle cherche simplement à réveiller les consciences. Plutôt que d’en rester à des comportements humains appuyés sur des représentations et des possessions idolâtriques, il est plus nécessaire de renoncer à toute fermeture sur soi-même et sur ce que l’on croit posséder en propre, pour vivre vraiment la liberté, la joie et la beauté du commandement de l’amour : c’est là l’unique trésor du Ciel. Oui, pour les humains, cela est impossible mais pour Dieu tout est possible. Si nous suivons l’itinéraire du jeune homme, nous constatons qu’au début du passage il est désigné par la simple dénomination de « quelqu’un » : « Et voici que quelqu’un vient vers Jésus ». Ce quelqu’un se présente comme autonome ; dans l’expression « quelqu’un », il y a le mot « un ». Celui-là veut savoir ce qu’il peut faire de bon pour avoir la vie éternelle. Jésus le renvoie à l’Un qui est Dieu et en qui réside le Bon : « Un seul est bon », c’est donc dans la relation avec lui que l’on peut accomplir sa vie, et non dans les seuls actes de perfection à réaliser pour répondre à des devoirs religieux. Lorsqu’il laisse émerger son désir profond, il est appelé « jeune homme. » Il est à la veille de renaître. Cette renaissance d’en haut dont on sent bien qu’elle est toute proche, est particulièrement touchante chez ce jeune homme. Enfin lorsqu’il se retire, c’est un homme plein de tristesse. Alors que la joie caractérise au contraire celui qui décide de vraiment marcher avec Jésus. Il reste à nous approprier concrètement ce texte pour aujourd’hui. Nous aussi, nous aspirons à la vie. Nous cherchons ce qui nous manque car la seule application d’une morale religieuse ne nous dynamise pas suffisamment. Jésus nous propose de nous détacher de tout ce à quoi nous nous cramponnons. Jésus dit à ce propos : « Nul serviteur ne peut servir deux maîtres ; ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent » (Lc 16, 13). Il montre aussi comment on doit se quitter soi-même, ou plus exactement l’illusion que l’on a de soi, car souvent nous nous trouvons plus attachés à ces choses extérieures qui font de nous des personnages qui ne sont pas vraiment nous-mêmes. Se quitter soi-même touche à toutes les dimensions de notre vie jusqu’à la faire naître d’en haut. Il n’est pas possible d’expérimenter une telle dimension sans se défaire de ses idoles. Réfléchissons donc bien à ce que sont aujourd’hui les idoles qui nous empêchent d’être dans une libre relation avec Dieu afin de témoigner vraiment de la joie pascale qui nous tire du marasme d’une vie livrée à elle-même. Oui, il y a une joie extrême à tout vendre pour avoir un trésor dans le ciel et pour le partager en amour avec tous les pauvres de Dieu. À quoi bon se retenir, si c’est bien là que Dieu nous promet l’accomplissement total de nos vies ? C’est le témoignage que nous avons à rendre au salut de Dieu. Si Dieu nous a créés, c’est pour goûter sa propre vie au cœur même de l’itinéraire terrestre auquel nous sommes voués : ne perdons plus de temps, le Royaume de Dieu est là, entrons dans la joie que Dieu nous donne et soyons-en les ministres pour que le plus grand nombre trouve dès maintenant l’accomplissement de sa vie. C’est là notre vocation et c’est un immense bonheur d’y répondre. Réponses au questionnaire de l'AIM 2 Lire Perspectives Équipe internationale de l’AIM La vie monastique aujourd’hui, réponses au questionnaire de l’AIM Voici les réponses reçues au questionnaire de l’AIM sur la vie monastique aujourd’hui, suivies d’une brève synthèse. Mère Marie-Thérèse Dupagne, présidente de la congrégation de la Résurrection Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ? Nous pensons que l’une de nos principales préoccupations est de contribuer à une meilleure compréhension du vivre ensemble en Europe en prenant soin les uns des autres, en se soutenant mutuellement, en façonnant certains aspects de notre vie ensemble et en apprenant les uns des autres. Nous voulons comprendre comment l’histoire a façonné les communautés dans leurs pays, ce qui les anime particulièrement, ce à quoi elles s’engagent. De cette manière, nous élargissons nos propres horizons vers une plus grande unité. Quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ? Nos priorités sont de vivre l’idéal monastique dans le monde d’aujourd’hui et ainsi de témoigner de notre espérance auprès de tous. Nous voulons faire cela : – en tant que femmes d’aujourd’hui, – dans l’Église d’aujourd’hui, dans une perspective synodale, – dans nos communautés telles qu’elles sont aujourd’hui : des petites communautés, – dans le monde d’aujourd’hui : c’est une nouvelle réalité qui évolue très vite (points de vue politiques, sociétaux ; insécurité croissante – avec la guerre en Europe, etc.), face à la crise des migrants et à la crise climatique, – avec l’appel à la solidarité. Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ? Peut-être qu’un soutien à certains projets serait possible, également pour la formation (exemple : nous savons qu’il y a une bonne formation sur le leadership à Rome, mais c’est plutôt une formation managériale). En ce qui nous concerne, nous avons besoin d’un soutien pour les supérieures dans nos communautés : c’est un autre contexte qu’en Afrique, Asie, etc. : les supérieures ont affaire à de petites communautés, la plupart du temps avec beaucoup de vieilles sœurs, et à la recherche de nouveaux revenus. Certaines ont signalé la nécessité des rencontres de formation à la vie monastique, des études théologiques, mais aussi des compétences professionnelles (pour organiser ces formations, ou les accompagner). Certaines citent la nécessité de se former à la communication, à construire des communautés dans un autre contexte que par le passé, à construire des relations… L’AIM pourrait aussi organiser une plateforme de partage sur l’accueil des migrants dans nos maisons d’hôtes. Dans ce monde où les migrants ne sont pas les bienvenus, le nouveau sens du A de l’AIM ( Alliance et non plus Aide , même si l’aide fait bien sûr partie des objectifs de l’AIM) prend une actualité nouvelle : une des missions de l’AIM pourrait être de créer des ponts entre les communautés du Nord et du Sud… Serait-il bon d’organiser des échanges entre communautés ? Nous commençons déjà à ressentir combien il est bon que certaines sœurs de nos communautés partent pendant quelques mois, ou même une ou deux années, partager la vie dans une autre communauté de la Congrégation. Serait-il bon d’ouvrir de tels échanges entre communautés extra-européennes ? On voit par exemple que les Philippins sont nombreux dans nos pays (venant en tant que travailleurs), serait-il bien qu’ils puissent trouver aussi des Philippins dans nos communautés ? Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ? Nous avons expérimenté combien la phase de connaissance et de contact les unes avec les autres nous a connectées, et combien il a été fructueux de construire notre Congrégation, d’écrire ensemble nos Constitutions les plus larges possibles pour être respectueuses de la spécificité de chaque communauté. Nous ressentons vraiment que la créativité vient de notre diversité, et que tenter d’arriver à l’uniformité aurait détruit la vie. Mère Maoro Sye, prieure générale des Sœurs Bénédictines Missionnaires de Tutzing Jinja, Ouganda. Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ? – Le déplacement des centres de vitalité de notre Congrégation de l’Europe/Amérique du Nord vers l’Asie et l’Afrique : un soutien est nécessaire, il y a des ponts à construire entre les missionnaires internationales et les dirigeantes locales. – Nous sommes soucieuses d’une bonne formation pour les formatrices, les économes et les responsables. – Il y a des communautés vieillissantes en Europe, en Amérique, et même parfois, cela commence en Asie, et en même temps, il y a des communautés très jeunes en Afrique. – Le manque de personnes-ressources nous préoccupe. Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ? – L’interculturalité dans les contextes très diversifiés de la Congrégation, – vivre en bénédictines et missionnaires, – le renouvellement de notre charisme dans une perspective d’unité de la Congrégation : encourager le partage inter-prieurés, le partage de personnes-ressources entre nos propres prieurés et les réalités d’un autre pays, même parmi les jeunes professes. – Les rencontres locales et rencontres internationales (rencontre des prieures, semaines internationales de rencontre, rencontre internationale des économes, rencontre internationale des formateurs, programme international des Juniors, programme de renouveau missionnaire dans notre premier pays de mission). – Ateliers d’approfondissement pendant les visites canoniques. – Soutenir les communautés fragiles dans les différentes régions visitées par les membres de la Maison généralice. – Visites fréquentes des communautés par des membres de la Maison généralice et accompagnement en ligne. – Faire des efforts pour l’envoi régulier de missionnaires à long et à court terme. – Partager des ressources spirituelles (ex. : conférence mensuelle). Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ? – Continuer à publier du matériel pour la formation et la vie communautaire. – Poursuivre le financement des réunions régionales (BEAO, Cimbra, séminaire RB à Tagaytay – Philippines). – Parrainer des études des jeunes sœurs pour qu’elles puissent devenir des personnes-ressources à l’avenir. – Parrainer des rencontres internationales et de formation continue. Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ? – Le programme international pour les jeunes professes à Rome (les jeunes sœurs des différents prieurés sont invitées à participer à un programme d’un an au cours duquel elles vivent, travaillent, prient et étudient ensemble en vue d’une formation interculturelle). – La rencontre des prieures, la rencontre des formatrices et les ateliers de visite canonique à la manière synodale : où la conversation spirituelle nous a rassemblées, unies dans la diversité, alors que nous faisions l’expérience de l’Esprit Saint. Sœur Asha Thayyil, présidente de la congrégation de Sainte-Lioba (Inde) Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ? Nous, sœurs bénédictines de Sainte-Lioba, formons une congrégation de femmes consacrées, enracinées dans le Christ et engagées pour le bien-être de l’humanité, en particulier des pauvres, des opprimés et des marginalisés de la société. Les préoccupations majeures de notre Congrégation sont d’utiliser au mieux nos capacités et de nous équiper pour relever les différents défis de notre mission. L’avenir de notre Congrégation dépend de la synodalité qui inclut d’abord tous les membres, nos collaborateurs, puis s’adresse à tous les membres de la société. Nous devons être prêtes à lire et à comprendre les signes des temps et à opérer avec courage les changements nécessaires dans notre vie personnelle, communautaire et apostolique. Dans le véritable esprit de la synodalité, gardons de côté nos préjugés, nos préférences ou nos intérêts personnels, le cas échéant, et marchons ensemble en recherchant l’unité dans la diversité. À l’instar de saint Benoît, « écoutons » la voix de Dieu et planifions un programme non seulement sur une courte période, mais sur le long terme, afin qu’il y ait une longévité quant à la continuité et l’efficacité dans ce que nous planifions et faisons. Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ? Je pense que nos priorités sont les suivantes : – Pratiquer quotidiennement la contemplation à partir de l’appel à la vie consacrée en se concentrant sur les différents apostolats. – Améliorer les connaissances et les compétences grâce à la lecture de livres et à la découverte des personnes et des lieux. – Accorder un maximum d’attention au développement des ressources humaines des membres des communautés à travers différents programmes de formation au sein de la Congrégation et à l’extérieur. – Créer des établissements d’enseignement, des centres de travail social en formant les jeunes à devenir des leaders visionnaires dotées d’éthique et de sensibilité à la société. – Donner à celles qui travaillent dans le monde de la santé et l’apostolat social une formation actualisée. Former plus de personnes pour ce ministère. – Établir une collaboration avec d’autres groupes dans divers ministères, dans le respect mutuel et le partenariat. – Utiliser les ressources humaines optimales en fonction de l’aptitude et de la qualification de chacune. – Former les sœurs avec la meilleure éducation et développer leurs connaissances, leurs compétences dans une attitude positive. – Puisque nous avons investi un maximum de ressources dans le travail de l’éducation, nous avons à nous concentrer au maximum sur une éducation de qualité et la construction des étudiants qui nous sont confiés. Notre priorité doit être donnée à la construction de la nation, sans se fixer sur le seul gain économique. – Toutes les politiques que nous formulons doivent être destinées au meilleur intérêt de chaque membre de la Congrégation et de l’apostolat. – Dans la phase initiale, nous nous concentrerons sur l’acquisition de connaissances de première main sur la vie et la mission dans nos communautés, sur l’apprentissage des relations interpersonnelles entre les membres et sur la préparation d’un système de soutien pour créer de meilleurs liens entre les membres. – Pour le fonctionnement efficace de l’institution, les directeurs ou directrices d’établissement doivent disposer de suffisamment de temps pour établir de véritables relations avec la population de la localité. La stabilité des membres dans la communauté est un facteur déterminant pour renforcer l’institution. Nous devons faire le moins de transferts possibles. Cependant, un système d’évaluation régulière de transparence et de participation de tous les membres sera rendu obligatoire. Les institutions éducatives, sociales et médicales devraient être précurseurs dans tous les domaines. – Il est important d’éviter les incitations des éditeurs pour faire de la publicité pour nos établissements en matière de visites et d’hébergement. Chaque fois que nous devons assister à une réunion ou à un séminaire dans des endroits lointains, il est important de régler les frais des institutions respectives et de défendre ainsi notre dignité et notre honneur. – Nos maisons et institutions religieuses doivent être des centres de dialogue et de partage. Par conséquent, ils doivent être des lieux où les gens peuvent avoir accès à des sœurs pour obtenir des conseils et du soutien. Nos infrastructures doivent être au service de la qualité humaine. – Il est impératif d’étudier le droit canonique et civil de chacune de nos institutions. Exemple : enregistrement de sociétés dans différents États, bonne tenue de la comptabilité, contrats avec un diocèse et une autre congrégation religieuse, gestion de conflits de propriété, etc. – Le Chapitre est un organe décisionnel et le Conseil est l’organe exécutif. Par conséquent, les conseillères disposent d’une plus grande capacité exécutive. Elles élaborent un plan d’action dans un format bien défini pour un an, et un budget est approuvé pour chaque apostolat qui est assigné aux sœurs. – Il y a une équipe dirigée par une conseillère pour chaque ministère, pour le bon fonctionnement et l’efficacité de l’apostolat. – Nous proposons une évaluation annuelle des ministères de toutes nos institutions. De même, une évaluation libre et franche du travail de la prieure et de l’équipe des responsables pour apprécier la performance des membres de la Congrégation. Une critique constructive est nécessaire à notre croissance. – L’évaluation doit être menée dans le bon esprit et basée sur la vision, les objectifs et les mises en œuvre. Il ne devrait y avoir aucune place pour les critiques négatives et les commérages. Ce processus permettrait aux sœurs d’analyser la situation et de rassembler courage et confiance pour apporter leur contribution à travers des suggestions, des opinions et des confrontations. – L’expansion de la mission n’est pas la priorité actuelle. Notre objectif est de renforcer ce qui existe déjà. – Nous ne devons pas nous laisser emporter par l’illusion de lancer des missions à l’étranger dans un souci d’autosuffisance. Si les ressources humaines sont utilisées correctement et placées dans nos propres institutions, les salaires seront suffisants pour nos besoins. Cela améliore la qualité du service et l’image positive de nos institutions. – Nos sœurs aînées sont de grands atouts pour la Congrégation. Il est bon d’utiliser leur expertise et leur expérience pour enrichir la jeune génération de la Congrégation. Elles grandiront avec l’intuition originelle de la Congrégation en s’informant mutuellement. – Les conflits et les différences sont inévitables dans la vie communautaire et dans l’apostolat. Ces problèmes doivent être résolus entre les membres de la communauté au lieu de demander à l’équipe de direction de les résoudre. Ce serait une pratique saine de former une équipe qui possède les compétences innées et acquises pour résoudre de telles situations et régler les griefs : ils peuvent advenir à tout moment. Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ? Voici à titre d’exemple, deux besoins urgents, par ordre de priorité : – Bourse pour deux moniales afin de participer à la formation continue à Rome. – Une maison pour les sœurs dans une région éloignée. S’il vous plaît, faites tout ce que vous pouvez. Votre réponse signifiera plus que vous ne pouvez l’imaginer pour nos familles monastiques en Inde. Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ? La gratitude et la reconnaissance sont au cœur de toute relation solide. Il en va de même pour les relations avec l’AIM. Nous vous sommes toujours reconnaissantes pour l’aide importante et bienvenue que vous nous attribuez avec discernement lorsque nous vous présentons des demandes. Que Dieu bénisse tous vos bons efforts. Mère Cecile A. Lañas, présidente de la congrégation des Sœurs Bénédictines du Roi Eucharistique ( Benedictine Sisters of Eucharistic King ) Nouvelles novices en Indonésie. Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ? – la formation des jeunes sœurs, et la formation permanente des sœurs perpétuelles, – l’accompagnement des sœurs malades et âgées, – la promotion des vocations via les réseaux sociaux, – la réparations de bâtiments. Quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ? Tout ce qui précède est nos priorités. Pour la formation, nous avons fait de notre mieux pour profiter des webinaires gratuits et autres séminaires et conférences en ligne gratuits. Certaines de nos jeunes sœurs ont fait leurs études en ligne, mais nous avons postulé pour des programmes de bourses. Certains ont été accordés, d’autres non. Pour le soin et l’accompagnement des sœurs malades, nous utilisons le peu d’argent qui vient de la pension versée par la Sécurité Sociale, mais c’est très maigre. C’est pourquoi nos sœurs affectées à l’étranger donnent une subvention : malheureusement une de nos missions (Jakobsberg) a dû fermer. Pour la promotion des vocations, comme toute autre congrégation, nous sommes également confrontées à des difficultés. Nous avons essayé d’y remédier grâce aux médias sociaux, mais nous ne sommes pas en mesure de maintenir cet effort. Pour les réparations des bâtiments, nous demandons de l’aide à des sources extérieures car nous ne pouvons vraiment pas compter sur nos propres ressources. Certaines de nos sœurs encore capables sont envoyées en mission dans les paroisses, les écoles et les diocèses, mais elles reçoivent des compensations très faibles. Nous comptons toujours sur la providence de Dieu. Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ? L’AIM peut nous aider financièrement, surtout dans notre formation et aussi dans la promotion des vocations. Nos bâtiments ont besoin de réparations. Pour nos sœurs malades et âgées, nous avons rénové une partie du bâtiment du noviciat pour l’infirmerie. Nous sommes également reconnaissantes pour les livres qui nous ont été envoyés par l’AIM et pour les autres soutiens que nous avons reçus. Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ? Lorsque la pandémie de Covid 19 atteignait son apogée, nous avons essayé de nous rassembler en tant que communauté via les réseaux sociaux. Nous avons utilisé la plateforme Zoom afin de voir, évaluer, partager notre vie monastique et notre mission dans différentes maisons et zones d’affectation. Nous avons de grandes communautés, ici, aux Philippines. Nous avons une communauté en Israël, en Allemagne (qui doit fermer malheureusement) et également une maison de formation à Nangahure, en Indonésie. Chaque communauté a partagé ses expériences, ses bénédictions et ses défis à travers des présentations vidéos. À travers ce rassemblement en ligne, chacune a ressenti un besoin de renouveau et de fraternité. Nous avons également ressenti le besoin de faire campagne pour plus de vocations. Ce fut une expérience très enrichissante et unique. Sœur Jeanne Weber, présidente de la congrégation de Sainte-Gertrude (USA) Conseil de la Congrégation. Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ? Nos membres deviennent de plus en plus âgés et sont de moins en moins nombreux. Nous attirons très peu de vocations, et ce sont généralement des femmes plus âgées. Le nombre de sœurs susceptibles de diriger un monastère et la Congrégation diminue. Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ? – Encourager les membres à croître continuellement dans le mode de vie monastique face aux défis mentionnés ci-dessus. En soutenant les prieures dans la direction pastorale de leurs communautés monastiques. – Aider les sœurs à traiter et à intégrer la peine qu’elles vivent à cause de tant de pertes. Dans certains cas, nous avons encouragé les communautés à travailler avec des thérapeutes en santé mentale pour ce travail. – Nous avons pris conscience qu’il est trop dur pour les sœurs de voir leurs monastères dissous et les membres transférés lorsqu’il n’y a plus d’issue. Cela implique dans de nombreux cas une dispersion de la communauté et une séparation de plusieurs centaines, voire milliers de kilomètres pour les sœurs. De plus, nous n’avons pas assez de monastères avec de jeunes membres pour accueillir toutes ces sœurs. Nous restructurons donc la gouvernance sur le plan civil et canonique de ces communautés monastiques, et développons des structures pour prendre soin des membres jusqu’au décès de la dernière sœur. Cela leur permet de continuer à vivre ensemble dans, ou du moins à proximité, de leur monastère d’origine. – Faire face à la crise du leadership . Comme les monastères n’ont plus leur autonomie, nous ne pourrons plus nommer d’administrateurs résidentiels à plein temps. Au lieu de cela, une sœur le fera à temps partiel, depuis son propre monastère, ou une sœur se verra attribuer plusieurs monastères. Nous encourageons les monastères à planifier cet avenir en prenant des décisions qui simplifieront le fardeau du leadership . Au niveau de la Congrégation monastique, nous devons aborder cette question. Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ? Réponse non fournie. Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ? Une de nos communautés monastiques a récemment demandé à la Présidente et au Conseil de la Congrégation de suspendre sa gouvernance monastique régulière et de nommer un Commissaire. Ces sœurs ont perdu leur prieure à la suite d’une mort subite en 2020 et n’avaient personne d’autre pouvant être élue. Avant et depuis cette époque, elles ont courageusement fait face à la situation dans laquelle elles se trouvaient. Elles ont travaillé avec un administrateur canonique nommé par la Congrégation pour vendre leurs biens restants, fermer leurs activités apostoliques et prendre des dispositions pour leurs soins à long terme. Elles continuent de vivre la vie monastique dans une partie de leur monastère, tandis que le diocèse local, qui a acheté leurs bâtiments et leurs terrains, utilise le reste pour ses bureaux diocésains et son centre de retraite. J’admire énormément ces sœurs pour la manière dont elles ont relevé les défis et les changements auxquels elles étaient confrontées. Sœur Patty Fawkner, présidente émérite de la congrégation des Sœurs du Bon Samaritain ( Sisters of Good Samaritan, Australie) Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ? Notre congrégation, les Sœurs du Bon Samaritain de l’ordre de Saint-Benoît, fut la première congrégation fondée en Australie en 1857 par le premier évêque d’Australie, le bénédictin anglais John Bede Polding. Nous avons désormais des communautés en Australie, au Japon, aux Philippines et à Kiribati. Nos jeunes sœurs viennent des Philippines et surtout de Kiribati. Nos sœurs australiennes vieillissent et diminuent en nombre. La direction de notre Congrégation dans le futur est un enjeu majeur pour nous. Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ? – Comment rester concentrées sur la mission alors que nos ressources humaines diminuent. C’est l’un des thèmes centraux du Chapitre de cette année. Nous examinons actuellement les signes des temps dans notre monde et la manière dont nous pouvons y répondre de manière réaliste, compte tenu de nos ressources. – Questions de leadership et de gouvernance. Nous avons employé du personnel laïc qualifié et dévoué pour partager la plupart des responsabilités de l’administration pratique. Nous avons toujours été engagées dans la formation permanente. Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ? Il est toujours utile d’être en réseau, surtout lorsque nous partageons bon nombre de mêmes problèmes, par exemple comment rester concentré sur la mission compte tenu des limites de nos expériences humaines et financières. Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ? Nous avons une longue tradition d’éducation, du pré-scolaire au supérieur. Nous avons également une longue tradition de direction et d’accompagnement spirituel. Nous avons toujours eu comme priorité l’épanouissement de la femme. À mesure que nos sœurs vieillissent, la plus grande majorité ne peut plus être engagée comme enseignante. Nous avons développé le programme d’études et de mentorat du Bon Samaritain (SAM) par lequel nous apportons une contribution financière aux femmes laïques mûres qui souhaitent étudier la théologie ou l’éducation religieuse. Le programme comporte également une composante de direction spirituelle et de mentorat. Notre programme SAM en est maintenant à sa troisième année et s’est avéré très fructueux. Nous avons contacté des congrégations religieuses masculines pour offrir une contribution financière à ce programme et elles ont été très généreuses. Dom Jeremias Schroeder, président de la congrégation de Sankt Ottilien Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ? – Quatre communautés fragiles, – faible leadership dans plusieurs monastères, – une atmosphère de frustration et de lassitude dans certaines maisons européennes, – l’égocentrisme de certaines communautés. Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ? – Maintenir l’unité et la cohésion : développer de nouveaux moyens de communication et d’échange, faisant de la Congrégation une réalité palpable dans toutes les communautés. – Renforcer le sens de la mission : favoriser la nomination d’agents de mission locaux. Privilégier les projets qui sont une expression de la mission. Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ? L’AIM peut nous aider en rappelant à notre Congrégation que nous faisons partie d’un réseau de plus en plus vaste : la Confédération et la Famille monastique bénédictine/cistercienne. Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ? J’ai apprécié mes récentes interactions avec les deux Abbés généraux et avec la Modératrice de la CIB. Je vois une réelle opportunité de collaboration mondiale. Dom Johannes Perkmann, président de la congrégation autrichienne Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ? – Collaboration dans la formation. – Amélioration du Collège Saint-Benoît. – Projets de mise en œuvre de Laudato Si’. – Préparation du jubilé de la Congrégation. Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ? – Transmettre nos valeurs et nos habitudes spirituelles à la prochaine génération. – Publications, séminaires, accueil. Comment AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ? Échanges et rencontres internationales. Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ? Processus de mise en œuvre de Laudato Si’ . Dom Franziskus Berzdorf, président de la congrégation de Beuron Abbaye de Beuron Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ? La plus grande préoccupation est le manque de jeunes dans nos monastères. Cela s’applique aussi bien aux monastères masculins qu’aux monastères féminins (nous sommes une congrégation mixte). Les novices de tous les monastères participent aux semaines de formation organisées par l’association des sœurs bénédictines d’Allemagne. La sœur responsable est d’un de nos monastères. L’expérience est bonne. La plupart des communautés réfléchissent actuellement à la manière dont une partie de leurs bâtiments, dont elles n’ont plus besoin, pourrait être utilisée à bon escient ailleurs. La question principale est la même que celle d’un jeune chrétien dans le monde : comment trouver un partenaire avec qui je peux bien vivre et qui partage autant que possible ma vision du monde ? Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ? Les priorités de chaque monastère résident souvent dans la gestion de la petite routine quotidienne ; ils n’ont pas le souffle nécessaire pour entreprendre de plus grandes entreprises. Les organes de la Congrégation aident les monastères qui le souhaitent, ou lorsque cela semble judicieux ou nécessaire à l’Abbé Président et à son Conseil. Par exemple : Les monastères doivent fournir chaque année certains chiffres au Conseil économique de la Congrégation. Sur la base de l’évolution de la situation, le Conseil peut attirer l’attention relativement rapidement sur les dangers économiques. Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ? Les monastères de la Congrégation beuronaise ne sont pas riches par rapport aux normes européennes, mais ils ont (pour la plupart) un budget équilibré. Certains couvents reçoivent une aide du diocèse respectif. En cas de dépenses extraordinaires, comme la rénovation de bâtiments classés, ils reçoivent des subventions de l’État. Il existe suffisamment de possibilités pour la formation de la prochaine génération, ainsi que pour la formation continue des moines et des moniales. Je ne vois donc pas la nécessité pour l’AIM d’apporter son aide à l’heure actuelle. Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ? La coopération entre les couvents d’hommes et de femmes de la Congrégation s’est encore intensifiée ces dernières années : participation des moniales au Conseil de l’Abbé Président et aux Commissions, visiteuses secondaires dans les couvents d’hommes, etc. Il n’y a plus que quelques obstacles pour parachever l’égalité. Tous ces obstacles n’ont pas été levés par Rome malgré plusieurs tentatives de notre part pour y parvenir. Dom Alessandro Barban, prieur général émérite de l’ordre des Camaldules de saint Benoît Abbaye de Camaldoli (Italie) Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ? En ce qui concerne les préoccupations les plus importantes dans notre congrégation camaldule, notre attention se tourne vers l’avenir du christianisme et vers la manière dont la présence monastique peut rester un levain fécond dans l’Église et dans le monde. Nous craignons que le monachisme perde la saveur de son sel, perde la lumière de son charisme, ne soit plus significatif dans le présent et dans le futur. Et notre futur dans les décennies à venir s’articulera autour de trois questions : la qualité de nos relations fraternelles et humaines au sein de nos communautés monastiques ; la qualité de notre lectio divina et de notre liturgie communautaire ; la qualité de notre accueil dans nos hôtelleries. Nous essayons de donner de la qualité à notre monachisme, mais cet élan exige une vie spirituelle intense, profonde et pleine de sens. Il ne suffit plus d’observer la Règle, mais de redécouvrir le sens bénédictin de la vie chrétienne, en la vivant dans une expérience spirituelle concrète au sein de nos communautés. Peut-être que nous devrons fermer certaines maisons ou que nous aurons moins de vocations, mais ce ne sont pas nos vrais problèmes. La question réside dans la réalité évangélique de notre vie. Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ? Une nouvelle proposition sur la formation est nécessaire. Les jeunes d’aujourd’hui ne comprennent pas et n’acceptent plus nos hiérarchies relationnelles et mentales. Et ils ne comprennent pas notre langage théologico-spirituel qui appartient aux deux derniers siècles. La formation monastique doit être renouveler et, dans l’Église, il est nécessaire de prévoir un nouveau programme d’études pour la théologie. Au monastère, avant de se soucier de transmettre des contenus comme s’il s’agissait de notions à apprendre conceptuellement, l’important, c’est d’abord de partager un choix de vie. Il est donc nécessaire de présenter concrètement le style de vie monastique dès les premiers jours où le jeune entre au postulat et au noviciat. Nos communautés sont aujourd’hui confrontées à la question anthropologique des jeunes de notre temps. Un autre enjeu est la question économique, et par conséquent l’importance du travail dans nos communautés. Nous ne pourrons certainement pas garantir de garder le standard bourgeois actuel. Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ? L’AIM devra contribuer au financement de projets innovants de formation monastique, tant en Europe que sur d’autres continents, notamment les plus pauvres. La pauvreté d’aujourd’hui n’est pas seulement économique, mais avant tout culturelle. Les moines et les moniales doivent recevoir une formation humaine et théologique adéquate, sinon nous ne comprendrons plus le chemin futur du monde. Nous perdrons le lien avec la culture de plus en plus scientifique et technique d’aujourd’hui. À mon avis, l’AIM doit concentrer son aide notamment sur la formation. Nos communautés commencent aussi à avoir des difficultés à envoyer leurs jeunes dans les écoles théologiques de leur pays. Les coûts augmentent alors considérablement lorsque l’on étudie à l’étranger. Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ? C’est difficile à dire. Les expériences significatives sont différentes. En ce qui nous concerne, elles se concentrent toutes sur les études à proposer après le noviciat. Par exemple, nos jeunes Tanzaniens veulent non seulement étudier la théologie, mais aussi étudier l’agriculture et savoir planter des plantes et des arbres. En Tanzanie, nous avons commencé à planter une forêt de milliers d’arbres contre la désertification, en protégeant et en gardant les sources d’eau. En Inde, dans notre ashram de Shantivanam, la prière typique de l’ashram s’accompagne de nouvelles activités de travail qui nécessitent de nouvelles technologies. Je tiens à remercier l’AIM pour tout ce qu’elle fait en faveur des communautés monastiques qui ont le plus besoin d’aide (pas seulement économique). Votre fraternité et votre sensibilité dans l’écoute et le discernement des aides sont un grand cadeau. Dom Benito Rodríguez Vergara, président de la congrégation du ConoSur Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ? Dans notre Congrégation, je pourrais souligner les aspects suivants qui me semblent les plus pertinents aujourd’hui car ils touchent toutes les communautés : – La tension entre tradition reçue (identité) et nouveauté. – La diminution des vocations. – L’augmentation de l’âge des membres des communautés et leurs besoins de soins. – La préoccupation des parents des moines, des moniales, qui vieillissent et exigent que leurs enfants les assistent. – L’exercice de l’autorité par l’abbé. – La formation continue. – Le bon usage des réseaux sociaux au monastère. L’utilisation et la juste mesure de l’information qui transite par ces médias. – Le dialogue entre la culture monastique et la culture du monde qui est introduite dans le monastère par différents moyens. Déterminer correctement les « frontières » de notre enceinte, également dans le domaine virtuel – internet. – Le changement climatique a été fortement ressenti dans certaines régions de nos pays, affectant gravement les économies de certaines de nos communautés en raison du manque de précipitations et de l’augmentation excessive des températures. – Un contexte ecclésial, politique et social complexe. Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ? Dans notre vie bénédictine, nous courons le risque de veiller beaucoup à l’ordre matériel des choses et, par conséquent, à ce que les membres en formation « fonctionnent » bien dans tout ce qui doit être fait. Je pense que, sans négliger cet aspect, il faut donner la priorité au fondement des personnes et de la communauté sur le Rocher qu’est le Christ, en étant fidèle à prendre l’Évangile pour guide. Cela n’est jamais acquis, c’est une priorité qui doit être sans cesse concrétisée. Nous essayons de le faire, bien qu’encore très imparfaitement, avec les conférences spirituelles hebdomadaires des différents membres de la communauté, avec une journée mensuelle de retraite communautaire, à travers les lectures au réfectoire, en veillant à un certain niveau dans les conversations pendant les récréations. […] En bref, et bien sûr, dans les autres aspects caractéristiques de notre vie bénédictine que souligne la règle de saint Benoît. Dans les valeurs qui s’imposent aujourd’hui dans notre société, nous percevons une absence de Dieu et, par conséquent, une certaine décadence des mœurs. Notre priorité est aussi d’évangéliser le monde qui vient au monastère à travers les hôtes et les personnes qui, pour diverses raisons, nous sont liées. Je pense que la beauté de notre vie bénédictine est l’élément principal que nous pouvons apporter à cette nouvelle évangélisation dont le monde d’aujourd’hui a besoin. La beauté d’une vie qui essaie simplement de prendre comme guide l’Évangile dans nos relations les uns avec les autres, dans ce cadre d’austérité et d’harmonie qu’enseigne la règle de saint Benoît, et que ceux qui viennent à nous apprécient et valorisent beaucoup. Les personnes qui souhaitent entrer dans la vie monastique apportent leurs propres circonstances de vie qui nécessitent une capacité d’accueil et d’accompagnement que parfois nous ne sommes pas en mesure d’offrir. Il faut aider celui qui arrive à faire un chemin de connaissance de soi, de guérison, de réconciliation. Initier le nouveau venu à un chemin filial, lorsque cette dimension est brisée ou endommagée, représente un grand défi pour le formateur, car parfois le formateur lui-même ne l’a pas encore bien résolu pour lui-même. Enfin, c’est une question d’humilité et de foi, avant tout de la part du formateur, même lorsqu’une aide thérapeutique précieuse de la part de professionnels est disponible. Aider à discerner l’authenticité de la recherche de Dieu de la personne, au-delà de sa situation humaine de précarité, est aujourd’hui une grande exigence, tant pour le formateur que pour le formé. L’exercice d’un leadership selon l’esprit de RB constitue également un défi important dans nos communautés. Clarifier quel est le rôle de l’abbé dans une communauté monastique, sa mission, ce que le Seigneur lui a confié. Lorsque l’abbé est trop protagoniste, il peut maintenir une forte cohésion dans la communauté, ce qui peut être une valeur, mais les gens ne se développent pas individuellement, l’exercice créatif et joyeux de leur propre don diminue, ce qui nuit non seulement à l’individu mais aussi à l’ensemble de la communauté. Et quand l’abbé disparaît en déléguant totalement les responsabilités, chaque moine se développe individuellement, mais on vit une certaine atomisation, désintégration, le monastère fonctionne bien matériellement, mais la communion en souffre. La priorité est que l’abbé soit un serviteur de la communion des frères, permettant en même temps que chacun puisse exercer son propre don en le mettant au service de l’ensemble. Dans certaines de nos très petites communautés, formées de trois moines, se pose la question de savoir comment exercer le leadership alors qu’aucun d’entre eux n’en a réellement les possibilités. La réponse est peut-être que dans ces cas-là, il faut un leadership synodal plus consensuel, donnant encore plus de pertinence. Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ? Nous aider à prendre conscience de la façon dont la vie monastique est vécue dans le « reste » du monde, c’est-à-dire au-delà du cadre géographique de notre Congrégation dans le Cône-Sud, avec ses difficultés et aussi avec ses valeurs. Je crois que l’AIM peut avant tout nous aider à être plus solidaires avec les besoins d’autres communautés dans d’autres parties du monde qui vivent peut-être dans des contextes encore plus difficiles que le nôtre. Je pense aussi que l’AIM peut aider financièrement en ce qui concerne la formation, à travers les différentes initiatives du SURCO (rencontres, cours, retraites), dans l’édition de la revue Cuadernos Monásticos , et dans l’organisation et la participation à la rencontre de l’EMLA. Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ? Je crois que l’expérience la plus significative que nous avons vécue en tant que Congrégation plus récemment est le dernier Chapitre général tenu en mai 2023. Nous avons pu y ressentir, parmi les participants, un très fort esprit de communion. Nous avons réalisé qu’aujourd’hui, comme les communautés sont plus petites, cela nous fait apprécier encore plus d’être membres d’un corps qui nous fait tous sentir que nous faisons partie de quelque chose de plus grand, qui nous transcende et qui nous soutient également. Dans notre Congrégation, la communion se construit dans la complémentarité de la diversité des communautés, et nous la percevons également dans la relation riche et fraternelle que nous vivons entre les moines et les moniales. Je considère que c’est la chose la plus significative que nous ayons vécue récemment. La solidarité manifestée par nos communautés plus petites et plus fragiles envers les besoins matériels et spirituels des quartiers dans lesquels elles se trouvent est touchante, et plusieurs exemples pourraient être évoqués ici. La créativité, l’efficacité et les efforts des communautés pour gérer leurs propres économies dans des contextes nationaux très complexes méritent également d’être mentionnés. Dom Markus Eller, président de la congrégation bavaroise Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ? La plus grande préoccupation de notre Congrégation est le manque de jeunes. Nous sommes également préoccupés par les effets de la crise du Coronavirus. Les domaines de l’exploitation de l’hôtellerie et de la restauration ont souffert. L’une des conséquences de cette crise est le manque de personnel, de sorte que ces secteurs et d’autres ne peuvent souvent pas fonctionner à plein rendement. Un problème relativement aigu est la forte augmentation des coûts de l’énergie. Cela nous frappe très durement avec nos grands bâtiments, qui sont également coûteux à entretenir en raison de la préservation des monuments historiques. Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ? Rechercher des opportunités de rencontrer des jeunes et leur permettre de vivre avec nous pendant un certain temps de manière simple. Peut-être que la recherche de possibilités pour maîtriser les problèmes écologiques offre également une opportunité de s’adresser aux jeunes : agriculture écologique, énergies nouvelles, produits régionaux. La règle de saint Benoît propose certainement des approches pour un style de vie simple et alternatif. Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ? L’AIM pourrait peut-être établir des contacts avec des régions où se trouvent des problèmes ou des défis similaires. Les solutions ne seront probablement trouvées qu’au niveau régional, localement. Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ? Considérer les problèmes comme des défis qui offrent également des opportunités, la recherche de quelque chose de nouveau et la force du lâcher prise pour dire adieu à certaines formes. Dom Giuseppe Casetta, abbé général de la congrégation de Sainte-Marie de Vallombrosa Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ? 1. Surmonter la crise de la vocation monastique dans notre Congrégation. 2. Résoudre l’instabilité financière des monastères. 3. Développer la fraternité monastique. Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ? Ma première préoccupation et priorité est de développer la fraternité monastique entre les monastères et les moines de la Congrégation, afin que les moines puissent aider d’autres communautés qui manquent de vocation monastique et qui se trouvent dans une situation économique instable. Mes fréquentes visites et exhortations aident les moines à être dans un même esprit et un seul cœur. Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ? Si l’AIM pouvait soutenir économiquement nos communautés qui sont financièrement instables, cela pourrait nous aider beaucoup. Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ? La grande aide fraternelle que nous avons échangée à l’occasion des maladies graves des confrères. Dom Guillermo Arboleda Tamayo, président de la congrégation de Subiaco-Mont-Cassin Abbaye de Subiaco Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ? La nécessité d’adapter notre législation au moment actuel et à la réalité de nos communautés. La législation actuelle répond à une époque d’expansion, maintenant nous vivons une époque de réduction. La « crise du leadership », il est difficile de trouver des supérieurs pour les communautés. La formation des « jeunes » communautés, je veux dire avant tout les communautés du Vietnam, qui ont de nombreux membres. Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ? Les priorités sont les mêmes que celles énumérées ci-dessus. Nous sommes maintenant en train de réviser la législation pour présenter la proposition de sa réforme au prochain Chapitre général. – Faire face à la crise du leadership : Quoi qu’il en soit, il y a toujours quelqu’un pour prendre en charge les communautés. Cela nécessite des visites, une confiance humble, tant envers ceux appelés par les communautés pour les conduire, que envers les communautés elles-mêmes pour les soutenir. – Formation : Nous offrons la possibilité à certains membres de nos communautés d’approfondir leur formation, notamment dans les monastères français ou à Saint-Anselme, afin qu’ils puissent ensuite contribuer à la formation dans leurs communautés ; et nous encourageons à profiter des opportunités de formation théologique qui existent déjà dans les pays où sont situées les communautés. Mais nous insistons également sur la meilleure organisation de la journée monastique, afin que la lectio divina et l’étude soient prioritaires. Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ? Continuer à soutenir les programmes de formation par région. Planifier quelque chose de spécifique pour le Vietnam pourrait être d’une grande aide. Continuez également à soutenir certains moines avec des bourses. Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ? Peut-être la plus récente : lors de la visite au Vietnam en octobre, en plus de rencontrer une difficulté particulière due à la démission du Visiteur, nous avons pu tenir une « assemblée » de tous les supérieurs des monastères, y compris les maisons dépendantes, avec les délégués des communautés. Ce fut une journée particulièrement significative avec de bons résultats, grâce à la nomination d’un Visiteur, après un discernement commun, et surtout grâce à la conscience des participants de la nécessité d’assumer avec plus d’engagement la responsabilité de leur propre province, sans attendre de nous que nous résolvions les choses de l’extérieur. Il a été possible d’établir un programme de travail conjoint au sein de la Province, et c’est déjà un bon début. Dom Geoffroy Kemlin, président de la congrégation de Solesmes Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ? La principale préoccupation de notre Congrégation est d’être fidèle à sa vocation monastique dans un monde aux multiples facettes et en rapide transformation. Nous essayons de vivre nos valeurs monastiques d’une manière qui donne un véritable témoignage de notre foi et de notre appel monastique, mais en même temps nous voulons être audibles dans notre culture actuelle. Dans les cultures occidentales par exemple, la vie monastique est à peine connue et si c’est le cas, cela ressemble à une vie sur une autre planète pour de nombreux jeunes, même lorsqu’ils sont catholiques. Notre Congrégation ayant des monastères en Afrique et aux Antilles, il devrait être plus facile d’élargir notre horizon au-delà du monde occidental et d’éviter une compréhension trop occidentale de tout. L’une de nos autres préoccupations est la diminution du nombre de moines dans plusieurs de nos communautés. Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ? Mes priorités tournent autour de l’unité des communautés, vivant de manière plus synodale, et de l’unité de notre Congrégation dans laquelle de nombreuses options différentes peuvent être trouvées. Nous essayons de mettre en pratique le fait que les différences ne sont pas une menace mais enrichissent chaque membre de la communauté et de la Congrégation. Je pense aussi que les supérieurs devraient être mieux formés pour un service qui n’est pas facile. Des programmes très intéressants sont désormais proposés. Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ? L’AIM nous aide à garder à l’esprit que la civilisation occidentale n’est pas la seule et qu’il existe des endroits dans le monde où la vie monastique est florissante et répond aux aspirations spirituelles de nombreuses personnes. L’AIM est aussi un lieu où l’échange de dons est très présent. Les monastères du monde émergent ont tant à offrir, comme des lieux pleins de vie avec des façons acculturées de vivre la vie monastique... L’AIM se pose aussi comme un moyen possible d’aide matérielle à nos communautés du monde émergent. L’AIM peut créer des réseaux. Cela pourrait aussi aider en réalisant un audit économique, et en soutenant un projet concret dans telle ou telle communauté : construire une porcherie ou un poulailler. Peut-être aussi pour offrir des bourses notamment pour la formation de futurs formateurs, ou pour mettre en place des programmes de formation localement. Mais c’est déjà ce qui se fait et j’aimerais que cela puisse continuer. Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ? Étant un nouvel abbé, je ne suis pas moi-même allé en Afrique. Un moine de notre communauté lors d’un récent séjour à Séguéya, en Guinée-Conakry, a rapporté à la communauté combien la vie monastique y était joyeuse, même dans un état de réelle pauvreté pour le pays et pour la communauté. C’est la dernière fondation de notre Congrégation. Le pays où ils vivent manque d’infrastructures, comme les moyens de communication (routes), l’assistance médicale… Mais la petite communauté garde un haut niveau de vie liturgique, avec la liturgie inspirée de Keur Moussa, et il y règne un profond esprit de fraternité. La formation n’est pas facile, et, surtout à cause du manque d’infrastructures, l’économie est très fragile, et ils ont besoin du soutien des monastères de notre Congrégation pour achever la construction du monastère définitif. Dom Christopher Jamison, président de la congrégation bénédictine anglaise (English Benedictine Congregation , EBC) Quelles sont les principales préoccupations de votre Congrégation en ce moment ? Comme tant de congrégations au sein de la Confédération bénédictine, l’une des principales préoccupations de l’EBC à l’heure actuelle est la baisse du nombre de vocations et le vieillissement de beaucoup de nos communautés. Ces deux facteurs apportent une fragilité à de nombreuses communautés de moines et de moniales, ce qui soulève des questions de durabilité. À cela s’ajoutent les défis économiques actuels et la nécessité de rechercher de manière créative des sources de revenus. Une autre préoccupation, bien qu’elle ait une dimension positive, concerne la nature de notre apostolat à l’avenir dans les monastères masculins, et la manière dont nous pouvons répondre au mieux aux besoins de l’Église dans son ensemble. Une préoccupation clairement positive est de savoir comment intégrer au mieux les monastères de femmes nouvellement regroupés, qui ont donné un sentiment de nouvelle vie aux monastères de moniales, en particulier. Cela apporte son propre défi car ils doivent travailler ensemble pour créer de nouvelles Constitutions qui expriment leur vision commune de la vie monastique. L’EBC se trouve donc dans un moment de transition passionnant alors qu’elle renouvelle son sens commun de la mission et trouve de nouvelles façons d’être un outil dynamique d’évangélisation. Selon vous, quelles sont vos priorités ? Comment les gérez-vous ? Comme mentionné dans la question précédente, la priorité de l’EBC est de : 1. renforcer et, si nécessaire, consolider notre présence monastique dans les huit pays dans lesquels nous sommes présents. Créer de véritables communautés de foi et de fraternité. 2. Retrouver un sens renouvelé de la mission et une vision commune de la vie monastique qui nous permette d’être un outil d’évangélisation. 3. Grandir dans notre compréhension de la « communion », tant au sein de chaque monastère qu’en tant que Congrégation composée d’hommes et de femmes de différentes cultures et langues. Cette internationalité et cette diversité sont un don que nous devons explorer et entretenir. 4. Regarder avec courage où nous devons éventuellement fermer des monastères et fusionner, afin que nous puissions devenir plus forts et être plus efficaces pour attirer des vocations. 5. Jeter un regard nouveau sur la manière dont les visites canoniques sont faites afin qu’elles deviennent un moment important pour chaque communauté. Notre récent Chapitre général a été un moment de grâce et de croissance vers une plus grande participation au sein de la Congrégation. Six commissions ont été créées pour examiner les domaines clés du renouveau et pour poursuivre et faciliter la discussion : – Une possible période de formation partagée. – La manière dont nous élisons l’Abbé Président et comment son Conseil élargi peut refléter l’internationalité et la diversité au sein de la Congrégation. – Prendre au sérieux la formation continue de nos moines et moniales, spécialement dans la formation humaine. – Réviser les Constitutions des moniales pour refléter l’histoire et les traditions des communautés nouvellement regroupées. – Examiner la question de l’internationalité et comment nous pouvons respecter et utiliser les différentes cultures qui composent l’EBC. – Un réexamen de la manière de faire des visites canoniques une expérience vivifiante et renouvelante. Comment l’AIM peut-elle vous apporter une aide pratique ? Le Bulletin fournit une riche ressource d’articles qui révèlent comment le charisme du monachisme est vécu dans de nombreuses régions différentes du monde. L’AIM peut être un véritable pont entre les monastères des pays en développement, qui explorent des manières nouvelles et créatives de vivre la Règle, et les monastères établis d’Europe et d’Amérique du Nord, etc. Il s’agit d’un dialogue important d’écoute et d’apprentissage les uns des autres. L’AIM a pour mission importante de rassembler ces différentes voix et expériences. Elle pourrait peut-être envisager un rassemblement intercontinental de moines pour partager des préoccupations communes et grandir en communion. Quelle expérience significative récente pouvez-vous partager avec nous ? La manière fructueuse avec laquelle la pandémie du Coronavirus a conduit à un renforcement des liens au sein de l’EBC a peut-être été une expérience significative. Les périodes de « confinement » prolongées ont conduit à une appréciation de la vie en communauté et à un dialogue à travers des « webinaires » qui ont alimenté un réel sentiment d’engagement intellectuel et fraternel. La pandémie de la Covid a également entraîné le report de notre Chapitre général, ce qui nous a donné une merveilleuse opportunité d’entrer dans un processus de préparation qui a impliqué chaque communauté, ainsi que tous les capitulants. Le Chapitre général lui-même a été un moment de véritable synodalité, une écoute fraternelle qui s’est traduite par la création de six Commissions pour approfondir le débat. L’expérience de ce Chapitre général nous a déjà incités à entamer un processus de rêve sur l’avenir, et à relever le défi de faire de nos rêves une réalité. L’immobilité n’est pas une option, nos préoccupations deviennent donc le moteur pour aller de l’avant. Éléments de synthèse des réponses au questionnaire 3 Lire Perspectives Équipe internationale de l’AIM Quelques éléments de synthèse des réponses au questionnaire Voici quelques points importants à partir des réponses au questionnaire de l’AIM : Les principales préoccupations – Le sens de la vie monastique dans le monde d’aujourd’hui : comment traduire et transmettre les valeurs de la vie monastique pour les générations nouvelles ? – Leadership et formation : trouver des personnes appropriées pour ces services dans nos communautés. – Le manque de vocations, le ralentissement des fondations et le nombre croissant de fermetures de monastères. – Les efforts à déployer pour enraciner notre vie monastique dans la Parole de Dieu et la tradition monastique, et dans l’expérience d’un partage humain et spirituel. – Comment sortir de la dichotomie et même parfois de la division entre membres des communautés, et entre individu et bien commun ? – Avoir une sérieuse réflexion sur les relations entre l’hémisphère Nord et l’hémisphère Sud dans le monde monastique. – La réception concrète de l’encyclique Laudato Si’ et de la logique synodale voulue par le pape François. – Certains posent aussi la question du rapport aux familles (parents âgés ou malades et enfant unique) dans le contexte des cultures locales. – L’importance de la relation des monastères avec la communauté locale, et la construction d’une vie partagée avec des laïcs qui veulent s’associer à une communauté monastique. Les priorités auxquelles l’AIM peut apporter son aide – L’exercice de l’autorité dans les communauté, avec la nécessité d’y réfléchir selon différentes approches, tout en cherchant à développer une compréhension profonde de ce service. – L’aide à la formation à tous les niveaux : • Formation pour les supérieurs et les formateurs, en intégrant les efforts des associations (régionales ou nationales). • Formation professionnelle, spécialement en soutien des activités lucratives. • Formation à la communication. • Soutien des rencontres internationales de formation continue. • Fournir des bourses pour assurer une bonne formation à des personnes-ressources au sein des communautés. • Utiliser et développer des moyens concrets de contacts en ligne, en partageant du matériel de formation intellectuelle et spirituelle. – Soutenir les communautés fragiles. – Travailler la question de l’accompagnement des frères et sœurs âgés au sein des communautés. – Être attentif à l’enrichissement mutuel entre membres jeunes et âgés. – Fournir une sérieuse réflexion sur l’usage des bâtiments en relation avec la vie des communautés : l’AIM devrait proposer un forum sur cette question. – La coopération et le travail avec des laïcs partageant les responsabilités au sein du monastère. – Poursuivre le développement du bulletin de l’AIM et d’autres publications de l’AIM. – Travail de l’AIM pour favoriser une prise de conscience du réseau que forment les communautés à travers le monde ; l’AIM pourrait être un pont entre le Nord et le Sud comme aussi entre l’Est et l’Ouest, en favorisant des échanges entre communautés et en partageant aussi la question de l’accueil des migrants et des réfugiés dans les hôtelleries. – Aider les communautés à devenir économiquement autosuffisantes. – Aider les communautés qui ferment à réfléchir à leur expérience et à imaginer des possibilités pour leur avenir et l’avenir de leurs membres. – Favoriser les échanges de moines ou moniales entre communautés pour un temps ou de manière plus permanente. – Encourager l’égalité des hommes et des femmes dans les Ordres et les Congrégations. Récentes et importantes expériences – Formation de nouvelles congrégations pour les sœurs avec tous les défis et toutes les opportunités que cela représente. – Rencontres internationales de jeunes profès/professes comme cela a été le cas à Rome, dans un passé récent. – Travail en commun des supérieur(e)s ou des communautés selon le processus de la synodalité. – Collaboration récente entre les deux Abbés généraux cisterciens, l’Abbé-Primat et la Modératrice de la CIB. Conclusion Tout cela n’est pas vraiment nouveau, mais le fait que des responsables pointent l’importance du rôle de l’AIM dans tous ces défis, montre bien la nécessité de renforcer le travail et de se donner des moyens efficaces. L’AIM continuera toujours de financer toutes sortes de projets, notamment liés à la formation dans les monastères, dans les congrégations, mais elle aura de plus en plus à jouer un rôle d’éclaireur pour avancer dans les meilleures conditions possibles, et pour répondre de plus en plus à l’appel du Christ qui cherchent des ouvriers en vue du Royaume. Qui que nous soyons, si nous lui répondons, il nous invitera dans la joie de la foi et de l’amour à l’avènement d’un monde nouveau. Voyage au Canada et aux USA 4 Lire Nouvelles Voyage au Canada et aux États-Unis octobre 2023 Dom Jean-Pierre Longeat, osb, Président de l’AIM Le père Mark Butlin et moi-même avons accompli en octobre 2023 une visite de quelques monastères sur la côte Ouest des États-Unis, comme nous l’avions déjà fait dans le Middle West autour de Chicago en 2015. Jeudi 5 - vendredi 6 octobre Partis de Roissy en milieu de journée le 5 octobre, et après une escale de transit à Amsterdam, nous arrivons à Vancouver après quelques dix heures de vol. Nous sommes attendus à l’aéroport par le père Joseph, moine de Westminster Abbey , à quelques soixante kilomètres de là. C’est un ancien du cours anglophone des formateurs monastiques (MFP). Il connaît donc bien le père Mark et les retrouvailles sont chaleureuses. Le père Mark est un vieux routier de l’AIM, cela fait presque quarante ans qu’il est au service de cette structure. Il a maintenant 91 ans mais il en paraît 20 de moins, et il est toujours vaillant pour accomplir n’importe quelle mission à travers le monde. C’est même lui qui a préparé le présent voyage ; il a pris tous les contacts avec les communautés, il a établi le programme et veillé à prévoir les déplacements entre Vancouver et Los Angeles. Je suis vraiment très admiratif d’une telle capacité à vivre pleinement. Nous découvrons les beaux paysages de cette région entre mer et montagnes, non loin de la frontière des États-Unis. Le monastère est blotti au pied de la montagne. Nous arrivons de nuit. Un dîner nous attend. L’office des Laudes est célébré dans l’église à 5 heures. Le bâtiment date du milieu du siècle dernier. La communauté est constituée d’une trentaine de moines dont beaucoup de jeunes et plusieurs aspirants ou postulants qui n’ont pas encore revêtu l’habit monastique. L’office est entièrement en anglais, dans une atmosphère très paisible et priante. La messe est célébrée à 6 h 30. Elle se déroule en présence des étudiants qui y prennent une part active (en effet le monastère possède un petit collège de trente-deux élèves). La célébration est digne et en même temps très simple. Les chants sont en anglais sauf le chant d’entrée et la communion en grégorien. Le prêtre qui préside donne une homélie. Il y a une vingtaine de fidèles en plus des étudiants. Dans la matinée, nous rencontrons le groupe des moines en formation. Ils sont une dizaine (postulants et novices). Nous parlons avec eux à bâtons rompus sur l’expérience monastique, nous présentons ce qu’est l’AIM. Nous répondons surtout à leurs questions qui ne manquent pas de pertinence : nous évoquons les formes extérieures de la vie monastique, nous convenons que l’important n’est pas la forme extérieure : c’est de partager le fait qu’une communauté vit en donnant tout son sens évangélique au style de vie qu’elle mène, en évitant d’absolutiser ses pratiques et de considérer qu’elles sont les seules valables. Cela implique aussi que la Parole de Dieu soit au centre de la vie des communautés. Généralement les moines et les moniales qui parviennent à partager cette Parole d’une manière claire, tant dans la liturgie, dans la résonance de la lectio , dans des temps de Chapitres de lectio partagée, donnent une actualité à cette Parole qui permet un élan et un dynamisme très créateurs, quels que soient leur âge et leur nombre ! Ainsi la Parole de Dieu n’est pas seulement écoutée dans le secret de la cellule, mais elle circule entre tous pour être vécue au quotidien, avec cette part d’inédit qui donne à l’existence un goût de constante nouveauté et surtout de salut, de sortie de l’impasse. Cette Parole peut alors toucher les visiteurs, les hôtes de la communauté et être partagée avec eux d’une manière vivante et fructueuse. Il y a dans cette Parole une dimension universelle susceptible de toucher tous les cœurs, y compris ceux qui ne partagent pas explicitement la foi chrétienne. Après cette belle rencontre, nous célébrons l’office du milieu du jour puis partageons le dîner. Le monastère possède un potager et les produits que nous consommons proviennent directement de ce jardin ! Dans l’après-midi le frère hôtelier nous fait visiter le monastère. Celui-ci a été fondé en 1939 et n’a cessé de grandir depuis. Il est désormais très étendu. L’église qui a été inaugurée au milieu des années 50 est très vaste avec une architecture de béton tout à fait originale. Les moines ont sollicité plusieurs grands artistes pour le décor de l’église qui comporte en particulier une statuaire impressionnante intégrée dans les murs. Il y a aussi un orgue puissant et un mobilier récent (dont les stalles) créé par un ancien moine de la communauté qui dirige maintenant une petit entreprise de menuiserie. À 16 h 15, nous rencontrons longuement la communauté pour une présentation de l’AIM à partir d’un Power-point . C’est impressionnant de voir combien cette structure est mal connue des membres de nos communautés. Nous sommes plus sensibles à l’acquisition de notre autonomie qu’à la vaste construction d’une communion de communautés tel qu’y a encouragé le concile Vatican II. Les questions ne manquent pas après notre présentation. Samedi 7 octobre La matinée est un peu plus libre. Je vais me promener dans les espaces environnants. Le monastère est situé sur une haute colline ; de là on peut voir en contre-bas, un large fleuve et au loin, les montagnes enneigées. Tout cela est harmonieux et aucun bruit ni perturbation n’atteignent les hauteurs du monastère. Nous nous rendons ensuite en voiture à la ferme. Ce sont deux frères qui en ont la charge. Il y a une cinquantaine de vaches ; deux veaux restent à l’étable, l’un d’eux sera bientôt tué pour remplir l’assiette des moines et des hôtes, tandis que l’autre sera gardé comme un mâle reproducteur. Le troupeau est voué à fournir de la viande, il est constitué de vaches charolaises dont certaines, exportées de France à l’âge adulte, n’obéissent qu’à des ordres donnés en français ! Il y a également quelques 150 poules qui fournissent les œufs pour la consommation de la communauté. Cette présence animale contribue fortement à l’équilibre de la vie du groupe. Dans l’après-midi, certains moines ont souhaité qu’il y ait un prolongement de notre rencontre de la veille. Nous avions parlé de l’importance du rapport à la Parole de Dieu comme fondement de notre vie, si bien que plusieurs ont demandé un temps de lectio commune sur l’évangile du lendemain. Douze frères sont là pour ce moment d’un genre nouveau pour eux. L’évangile n’est pas facile, c’est celui des envoyés maltraités par les gestionnaires de la vigne. Après trois lectures lentes du texte, nous laissons monter ce qui sort des cœurs. Je suis émerveillé du partage qui a lieu alors. Nous touchons vraiment le cœur du texte et nous le mettons en rapport avec notre vocation monastique. Nous sentons bien que c’est la vitalité de Dieu qu’il nous est donné de recevoir ensemble. Comment les communautés chrétiennes ne comprennent-elles pas qu’il y a là la base de leur nourriture et le moyen de leur conversion ? Nous donnons ensuite un écho du dernier travail de l’Équipe internationale de l’AIM à partir du questionnaire envoyé aux Présidents et Présidentes de nos Ordres et Congrégations de la Famille bénédictine. À partir des réponses, nous avons dégagé quelques accents que nous proposons au groupe. Les réactions sont vraiment excellentes. Quelques autres frères se sont rajoutés, ce sont tous des jeunes, ils sont assoiffés de sens et de vie. Cela promet de belles années à venir. Suite à la visite des différents aspects du monastère dans la matinée, le père Mark me rapporte qu’il est très touché par la collaboration entre les jeunes et les anciens. Ces derniers ne sont pas très nombreux, mais ils jouent vraiment le jeu et participent à l’évolution de la communauté. On sent bien que la vie est portée en commun. Les entrées ont progressé depuis environ 2004. Par quel phénomène ? C’est difficile à dire. Rien n’a été fait en ce sens, il n’y a pas eu de publicité, par de pastorale des vocations ou quoi que ce soit de ce genre. Le collège dont s’occupe les moines donne envie à certains élèves d’intégrer la communauté ; certains élèves viennent de loin, y compris d’Amérique latine. Après les Vêpres suivies du repas et des Vigiles, nous disons au revoir à la communauté car demain matin, nous partirons après le petit-déjeuner pour rejoindre l’eucharistie dominicale à l’abbaye Saint-Martin de Lacey, à près de 400 km de là. Nous y serons conduits par frère Joseph, en voiture. Dimanche 8 octobre Après le petit-déjeuner, nous ne tardons pas à partir. Le passage à la frontière des États-Unis prend du temps. On doit montrer patte blanche dans les bureaux de la sécurité. Nous arrivons au monastère vers 10 h 30. Nous sommes accueillis par le frère hôtelier qui nous conduit aussitôt à la sacristie pour nous préparer à la messe qui est célébrée à 11 heures. La communauté est au nombre d’une vingtaine de moines d’âges variés. L’église, tout en bois, rassemble beaucoup de fidèles qui se trouvent en demi-cercle derrière les moines. La liturgie est célébrée en anglais avec des pièces originales d’un compositeur local. L’organiste entraîne l’ensemble avec beaucoup de vigueur. Le moine qui préside l’eucharistie donne aussi l’homélie. Il se veut un peu provocateur en la commençant comme un conte : « Il était une fois… » C’est l’occasion pour lui de démontrer à quel point la fermeture institutionnelle peut être un piège. La parabole des vignerons homicides qui a été lue ne concerne pas que les Juifs mais nous-mêmes aussi, et il nous faut rester vigilants en matière de non-possession des biens qui passent entre nos mains. Après la messe et notre installation à l’hôtellerie, le repas est en libre-service. Le frère hôtelier, à la sortie du réfectoire, nous engage dans une grande visite des lieux. La propriété s’étend sur de nombreux hectares et comporte en bordure du monastère un immense campus avec quelques 1 500 étudiants. Ils se forment dans les domaines les plus variés : depuis les Lettres classiques jusqu’aux professions de santé, en passant par les sciences, la technologie, la musique… Quelques moines interviennent dans ce cadre, mais ce sont surtout des laïcs qui sont en poste. Nous découvrons les bâtiments construits époque après époque, sur une grande étendue. Les Vêpres sont à 17 heures. Comme à la messe, les frères chantent des compositions très complexes à plusieurs voix : on sent que c’est dans leur tradition locale et ils l’assument pleinement. Après les Vêpres, le repas est pris en self-service comme un temps de récréation. Je parle longtemps avec l’ancien abbé dont une partie de la famille, du côté de sa mère, a des origines françaises. Il ne parle pas et ne le comprend pas beaucoup, mais par contre, il sait caractériser une manière d’être française et nous plaisantons à ce sujet. Il évoque aussi l’histoire du monastère. Celui-ci a été fondé à la fin du 19e siècle lorsqu’un moine a été envoyé de l’abbaye de Collegeville pour la colonie allemande du lieu. Bien vite une école a été fondée autour de la paroisse et d’autres moines ont été envoyés pour cette nouvelle mission. Depuis, l’œuvre n’a cessé de prospérer. Il est clair que la vocation de ces moines est très liée à l’éducation. Leur établissement est réputé. Lundi 9 octobre L’office de Laudes à 6 h 30 : les psaumes sont alternés tout simplement en étant lus par strophes, alternés par les deux chœurs. Dans tout l’office, seule, l’hymne est chantée. Dans la matinée, nous visitons la belle bibliothèque de l’Université. L’office du milieu du jour est immédiatement suivi du déjeuner qui se prend au restaurant de l’université, dans une salle particulière réservée au moines. Le repas est accompagné d’un audio-livre. Avant Vêpres nous rencontrons la communauté, malheureusement sans le Père Abbé car il se trouve à Rome actuellement pour régler quelques affaires. Il est seulement en charge depuis un an et demi. Il est d’origine vietnamienne mais vit depuis longtemps aux États-Unis. L’échange avec les frères est très riche. Tout le monde est surpris du fait que l’AIM n’est pas seulement un distributeur d’argent pour les projets des monastères mais aussi un observatoire de la vie monastique dans le monde et une aide pour accompagner les évolutions en cours. Nous décidons de nous retrouver après Vêpres pour poursuivre le débat pendant le repas. La discussion à bâtons rompus donne l’état d’esprit de cette communauté dont la vocation est incontestablement éducative mais qui le vit maintenant comme une présence ouverte, avec moins d’implication directe dans les activités du collège (même s’il en reste encore). Cela fait longtemps que ces frères sont sensibles aux enjeux de l’AIM, par le biais du Secrétariat de l’AIM aux USA. Ils apportent régulièrement une bonne contribution financière. Mais il nous faut essayer d’aller plus loin. Nous traversons un moment de changement radical et que des questions essentielles doivent être abordées clairement dans un partage commun. Mardi 10 octobre L’office de Laudes et le petit-déjeuner étant achevés, nous nous préparons pour le départ. Avant de nous envoler pour Sacramento, nous faisons, sous la conduite du père Justin, une petite halte chez les sœurs bénédictines de la congrégation St. Benedict qui tiennent un prieuré ( St. Placid Priory ) et un centre spirituel à quelques miles de l’abbaye Saint-Martin. Très belle rencontre pendant une heure environ. La dizaine de sœurs qui forment cette communauté ne manque pas de dynamisme. Elles accueillent avec grand intérêt les accents que nous leur partageons sur le présent et l’avenir du monachisme dans le monde. Nous nous quittons sur des embrassades chaleureuses qui donnent bien la note de tout notre entretien. La voiture prend ensuite la direction de l’aéroport de Seattle, à environ une heure de distance. De là, nous nous envolons vers Sacramento. À l’arrivée, nous sommes accueillis par le Père Abbé Paul-Mark, de l’abbaye de New Clairvaux, dans laquelle nous allons séjourner pendant quelques jours. Pour nous rendre sur les lieux, il nous faut encore assumer deux heures de route. Arrivés vers 18 heures, nous manquons les Vêpres de peu et sommes conduits rapidement au réfectoire pour une restauration rapide. Après un bref échange dans le bureau du Père Abbé, nous nous rendons à la salle du Chapitre pour y être rapidement présentés à la communauté. Durant notre séjour, il y aura au moins deux rencontres avec la communauté et nous aurons affaire à plusieurs frères qui nous ferons découvrir différents aspects du monastère. L’office de Complies se chante dans le noir. Il se termine comme il se doit, par un chant à la Vierge. Tout est empreint de beauté dans ce lieu. L’ensemble des bâtiments s’étend sur une très grande surface et entièrement de plein pied. Il y a des galeries de plein air couvertes d’une simple charpente, afin de relier l’ensemble. C’est comme un grand jardin entouré de bâtiments divers. Mercredi 11 octobre Vigiles à 3 h 30. Toute la communauté y est présente ! Le lecteur a une voix profonde ; il articule bien et je comprends vraiment tout ; il a pourtant un accent très prononcé. C’est un bonheur d’écouter cette voix au cœur de la nuit. L’office est suivi d’un temps de silence d’une petite demi-heure. J’apprécie cette suspension dans le temps partagée en communauté. La qualité du silence est intense. Petit-déjeuner et temps personnel se succèdent, puis viennent les Laudes et la messe à 6 h 30. Le Père Abbé nous fait ensuite visiter l’église qui, à elle seule, est une vraie curiosité pour laquelle on se déplace de loin. Effectivement, une partie de l’église est constituée d’une salle de Chapitre médiévale importée d’Espagne. Ce fut une longue histoire et la construction n’aboutit que dans les années 80. Non seulement le Chapitre fut reconstruit, mais l’architecte y fit adjoindre une partie moderne qui ouvre la perspective sur la nature avec des verrières en arcades surmontées chacune d’un œil de bœuf stylisé. Le mobilier a été conçu dans cet esprit de modernité et de tradition confondues et le résultat est tout à fait heureux. Il y a aussi un orgue venu d’une communauté religieuse proche qui souhaitaient s’en défaire, une très belle chapelle du Saint-Sacrement attenante et un couloir d’entrée qui introduit bien à l’ensemble. Nous y consacrons un article dans ce numéro du Bulletin de l’AIM. Après l’office de Tierce, le Père Abbé nous confie au père Thomas, ancien abbé du monastère qui fêtera bientôt ses 90 ans. Le père Thomas, dont la simplicité et la spontanéité sont désarmantes, nous fait visiter la belle bibliothèque qu’il gère lui-même. Il y a là environ 40 000 volumes. C’est la plus grande bibliothèque trappiste des États-Unis ! Les supérieurs successifs de ce monastère ayant eu un souci approfondi de la formation ont réussi à constituer une bibliothèque de fond où l’on trouve toutes les grandes références, tant en matière de revues que de livres. Après None, le frère Francis nous fait faire le tour de la propriété en voiture. En effet, les terres du monastères s’étendent sur 600 hectares. Il y a une exploitation d’arbres fruitiers, surtout des pruniers et des noyers mais également des tomates. Tout cela est confié à une structure indépendante qui libère les moines de toute préoccupation et qui permet de tirer le meilleur profit de la récolte, un pourcentage revenant à la société en question et le reste, bien sûr, à la communauté. Il y a aussi une vigne avec toutes sortes de crus, notamment venus d’Espagne. Nous finissons la visite par la salle de dégustation ! La vigne comme les autres secteurs de l’exploitation bénéficient d’un traitement biologique. Nous rencontrons la communauté après Vêpres pour leur partager le travail de l’AIM. La communauté connaît bien l’AIM-USA, le Père Abbé Paul-Mark a été membre du Bureau. Nous resituons cette œuvre bien utile dans l’ensemble de l’activité de l’AIM internationale puis nous partageons le résumé des réponses au questionnaire de l’AIM. Nous aurons, demain, une autre séance de travail avec la communauté pour recueillir ses remarques et ses questions. Il y a beaucoup de frères étrangers ou d’ascendance étrangère dans la communauté, surtout venant du monde asiatique. Bien sûr, c’est une caractéristique des États-Unis en général mais tout de même, l’intégration reste un phénomène à accompagner. La communauté de New Clairvaux est l’une des plus prospères aux États-Unis, au moins chez les Trappistes, mais il serait intéressant de savoir sur la base de quel discernement quant à l’accueil des candidats. Quoi qu’il en soit, l’impression d’ensemble est très bonne et cette communauté fait certainement beaucoup de bien. Jeudi 12 octobre Dans la matinée, nous passons du temps avec le cellérier. Il est vietnamien. Il est présent depuis longtemps aux États-Unis. Il nous montre les locaux de la cellérerie qui occupe plusieurs pièces. Il nous présente un Colombien qui est depuis huit ans l’homme à tout faire du lieu. Puis nous découvrons la partie administrative de l’exploitation agricole, surtout de la vigne, ainsi que les différents ateliers où s’affairent un certain nombre de salariés. Les bâtiments sont à la mesure de l’immensité de la propriété ; ce sont d’anciens hangars qui couvrent une étendue importante où le travail ne manque jamais. Pourtant l’ambiance est sereine dans un état d’esprit tout monastique. Il y a encore peu de temps (quelques décennies seulement), les moines assumaient l’ensemble du travail ; il n’y avait quasiment pas de personnel laïque. Désormais, les moines sont libérés de contraintes trop techniques ; ils remplissent quelques postes de responsabilité dans l’administration des tâches lucratives, ou consacrent du temps à la gestion du monastère et l’accueil dans le cadre l’hôtellerie. Dans l’après-midi, nous rencontrons longuement le Père Abbé qui nous présente plus en détails la configuration de sa communauté. L’internationalité qui la caractérise est finalement une note très californienne. Il n’y a rien d’extraordinaire à cela et il en va ainsi dans la communauté depuis longtemps : le fait que s’y côtoient des Chinois, des Vietnamiens, un Indonésien et je ne sais quelle autre nationalité avec des Américains de souche qui, eux-mêmes, ont des ascendances diverses dont certaines européennes, ne pose guère de problème à ses yeux. C’est au temps de faire son œuvre et de témoigner de cette universalité possible. N’est-ce pas là une des dimensions du royaume de Dieu ? La rencontre du soir est bien animée. Les questions ne manquent pas dont celles de la collaboration et même de la communion partagée avec des laïcs ; c’est elle qui nous occupe le plus longtemps. Le Père Abbé évoque l’importance du Bulletin de l’AIM qui aide à réfléchir à certains sujets concernant l’évolution de la vie monastique. Nous sommes heureux de voir cette bonne participation, mais il faudrait beaucoup plus de temps pour approfondir tout cela et en tirer des conséquences concrète pour la vie courante de nos communautés. Vendredi 13 octobre La matinée est un peu plus libre avant notre départ à 10 h 30 pour l’aéroport de Sacramento. Sur la route nous nous arrêtons pour déjeuner dans un restaurant typiquement californien avec un décor de planches de bois et quelques chapeaux de cow-boys égarés. À l’aéroport, il n’y a que très peu de monde. L’enregistrement et les contrôles de sécurité se font aisément. Nous atterrissons à Portland (Oregon) vers 16 h 45. Nous avons un peu de mal à trouver le moine venu nous chercher. Il se nomme Jean-Marie Vianney, il est vietnamien d’origine. Nous prenons la route pour Mount Angel, nous arrivons vers 19 h 30 au monastère où les Complies ont déjà été chantées. Nous sommes introduits immédiatement à l’hôtellerie. Samedi 14 octobre Vigiles, Laudes, petit-déjeuner s’enchaînent avec la messe qui poursuit la matinée. C’est un début de journée assez lourd. Après la messe, le Père Abbé nous entraîne dans une visite du monastère et de ses alentours. Il est devenu abbé lui-même en 2006. Il a pu développer dans son monastère une vision d’ensemble qui est d’une grande cohérence. La communauté monastique de Mount Angel appartient à la congrégation suisse-américaine. C’est une fondation de l’abbaye d’Engelberg à la fin du 19e siècle. Elle regroupe actuellement une quarantaine de moines, avec des jeunes en assez grande nombre. Elle s’insère dans un paysage ecclésial intéressant. Elle gère en effet un séminaire diocésain avec soixante-dix séminaristes pour un certain nombre de diocèse de la région. Plusieurs moines y interviennent ; le Père Abbé en nomme le recteur. Le bâtiment du séminaire est tout à fait remarquable. Il se situe en bordure du monastère, dans une grande pertinence avec l’architecture d’ensemble. Cette idée que des séminaristes puissent être formés en lien avec un monastère me semble tout à fait stimulante : c’est un encouragement à inscrire sa vie d’apôtre dans une assise spirituelle profonde, tant à titre personnelle que communautaire. Nous visitons ensuite la bibliothèque qui est à la fois celle de l’abbaye et du séminaire. Elle a été conçue par le fameux architecte finlandais Alvar Aälto dont ce fut la dernière œuvre ; on peut la considérer comme son testament architectural. La visite de ce lieu me laisse bouche-bée. Les 300 000 volumes réunis là sont placés comme dans un sanctuaire de l’étude intellectuelle et spirituelle. L’agencement est non seulement pratique mais la beauté des formes et des espaces y est vraiment unique. C’est essentiellement une bibliothèque religieuse dans laquelle le silence est demandé dès l’entrée. Je ne peux retenir mon admiration en circulant au milieu des rayons. Il y a ensuite un autre bâtiment construit par un autre architecte dont la fierté était de pouvoir envisager une œuvre à côté de celle de Alvar Aälto. Ce bâtiment est un institut monastique où des personnes et des groupes viennent recueillir un enseignement en lien avec la vie monastique comme aussi avec la culture littéraire, artistique, cinématographique d’hier et d’aujourd’hui. Les propositions sont très suivies. Il y a, par exemple, en juillet un grand festival de musique qui prend place dans le programme de cet institut monastique. Il y a même des activités sportives. L’hôtellerie, construite également dans les dernières décennies, est tout à fait exceptionnelle. Lorsque nous la visitons, nous côtoyons toutes sortes de groupes qui sont en réunion dans diverses salles. Tout est parfaitement agencé et d’une grande beauté. Il y a aussi une terrasse. La salle à manger donne sur la nature avec de grandes baies vitrées, et Dieu sait si les paysages sont beaux autour du monastère situé sur une colline. Il y a là quarante-cinq chambres et la demande d’accueil est très soutenue. Le fait qu’il y ait un séminaire à Mount Angel met le monastère dans une dynamique pastorale d’accueil en lien avec tous les diocèses concernés. Pour faire vivre tout cela, il y a environ quatre-vingt employés qui travaillent en étroite communion avec le monastère. Par ailleurs les ressources du monastère viennent de leur ferme intensive, de l’exploitation de 700 hectares de forêts, des placements et des dons (pour lesquels il existe un bureau spécial en charge d’en animer la politique). Les dons ne sont pas uniquement spontanés, ils sont aussi sollicités, et un moine est le directeur de cette unité de recherche de fonds. Nous avons le temps de reprendre souffle avant l’office du milieu du jour et le repas. La liturgie est entièrement en anglais. Les textes utilisés sont ceux prévus par le missel et l’antiphonaire. Ce sont des textes traduits et adaptés du latin et mis en musique par un moine. De mon point de vue, c’est tout à fait satisfaisant. Les mélodies grégoriennes ont été adaptées aux textes (ce qui est possible avec la langue anglaise) et l’ambiance de la prière ne diffère guère de celle d’une liturgie où l’on chante le répertoire grégorien classique. Il y a beaucoup de paix, de sérénité ; c’est une prière commune où l’on peut méditer à l’aise. Dans l’après-midi, nous rencontrons la communauté pour parler de l’AIM. Tous les frères sont présents et un grand nombre pose des questions tout à fait intéressantes. On sent qu’il y a un désir de réfléchir ce qui est en train de se passer dans le monde et dans nos communautés. Les esprits sont ouverts et libres. La communauté est assez homogène. Il y a quelques étrangers parfaitement intégrés. J’imagine que tout ne doit pas être facile au jour le jour, mais en tout cas, cela ne se voit pas au premier abord. Nous décidons que ceux qui le veulent aient la possibilité de se retrouver après le repas durant la « récréation » pour poursuivre l’échange. C’est ce que nous faisons et le débat est tout aussi riche que dans l’après-midi. Les Vigiles du dimanche terminent la soirée. Dimanche 15 octobre L’office de Laudes, ce matin, n’est qu’à 6 h 35 ! Nous pouvons bénéficier d’un temps personnel avant la messe de 9 heures. Celle-ci est célébrée solennellement avec un assez grand nombre de fidèles, ainsi que l’ensemble des séminaristes qui apportent leur concours aux chants. Tout est en anglais, mais dans le style grégorien. C’est simple, accessible et de bonne composition. À la fin de la célébration cependant, les moines et la foule chantent de bon cœur un choral de la tradition anglo-saxonne qui tranche un peu sur la sobriété du reste de la cérémonie. Après la messe, le Père Abbé nous présente ce qui a été mis en place dans la communauté en matière de clarification et de visibilité des objectifs. Chacun sait ce qu’il engage et quel sens cela revêt au cœur de cette communauté. L’élaboration de ce plan de vie a été faite en commun avec tous les frères, et chacun peut s’y référer comme à un langage commun et à une même perspective. Un article de ce bulletin de l’AIM présente cette perspective. À 11 heures, nous rencontrons la dizaine de jeunes moines encore en formation pour un dialogue libre qui fait suite à notre présentation de la veille. Nous partons justement du document présenté par le Père Abbé. La discussion va assez loin ; nous pouvons vraiment aborder des questions de fond sur le sens de notre vie, sur la qualité de la relation, sur la question de l’équilibre entre l’expression de la personne et le bien commun, etc. Je suis frappé de voir la diversité des jeunes moines qui sont là et leur capacité à dire les choses avec une telle liberté. Je reviens sur l’importance de l’enracinement dans le partage de la Parole de Dieu et des textes qui en ont traduit le message dans la tradition monastique. La conversation se prolonge pendant une bonne heure. Après le déjeuner et un temps de repos, vers 15 h 30, nous partons en voiture faire le tour de la propriété. Les moines possèdent en tout 2 000 hectares, forêts et terrains de culture compris. C’est dire si le tour du propriétaire peut conduire assez loin. Nous allons jusqu’à la petite ville voisine qui a pris elle aussi le nom de Mount Angel. Nous allons jusqu’à l’église paroissiale qui est fermée. Au retour, nous nous arrêtons à la brasserie du monastère. Les moines produisent en effet de la bière qui se nomme Benedictine et qui rencontre un assez beau succès. Nous visitons les locaux où la bière est fabriquée et nous prenons un verre dans la petite caféteria qui les jouxte. Pas mal de clients sont attablés dans une joyeuse ambiance. Nous rentrons pour les Vêpres que suit le repas. Comme tous les dimanches soirs, c’est un repas où l’on parle et où il y a possibilité de boire un peu de vin et d’autres boissons. Ensuite nous partageons un temps de rencontre récréative avec la communauté. Nous reprenons des thèmes évoqués dans les partages précédents. Ne sont présents que ceux qui le souhaitent, ce qui permet de donner la parole à tous sur les impressions qu’ils gardent de tout ce qui a pu être échangé. L’office de Complies termine la journée. Demain le départ sera à 5 h 15 pour rejoindre l’aéroport de Portland et revenir en Californie, au monastère de New Camaldoli où l’expérience sera encore bien différente. Lundi 16 octobre Le voyage se passe au mieux, en voiture d’abord puis en avion, jusqu’à Monterey, en passant par San Francisco. À l’arrivée, nous sommes accueillis par un postulant des Camaldules chez qui nous devons aller. Il a conduit le Père Prieur chez le médecin et doit le reprendre après nous avoir récupérés à notre descente d’avion. Le temps de passer chercher le père Ignatius, il est déjà tard ,et comme il y a un peu de distance pour aller jusqu’au monastère, nous décidons de nous arrêter quelque part pour manger. Nous arrivons au monastère en début d’après-midi après avoir surplombé la côte à travers une sinueuse route de montagne. Les paysages sont à couper le souffle. Le monastère des Camaldules est situé sur la hauteur et l’ensemble des bâtiments constitue comme un petit village. Nous nous installons et nous rejoignons l’église à 17 heures pour les Vêpres et la messe. Il y a là une douzaine de frères et quelques hôtes. Le prieur préside l’office et improvise une homélie tout à fait stimulante. Le soir, il n’y pas de repas en commun, chacun s’arrange dans son ermitage. La soirée se termine ainsi, chacun se retire chez soi jusqu’au lendemain pour les Vigiles à 5 h 30. Mardi 17 octobre Les Camaldules forment un Ordre monastique de droit pontifical fondé par saint Romuald de Ravenne en 1012 à Camaldoli, en Toscane (Italie), sous la règle de saint Benoît. Les moines camaldules allient la vie commune de travail et de prière à l’érémitisme. Ils habitent donc en général des ermitages et se retrouvent pour quelques activités communes : certains offices, repas, temps de chapitre, de travail ou de détente. Leur vie de solitude est moins radicale que celles des chartreux mais c’est un peu la même inspiration, dans un style bénédictin. Ce matin, après les Laudes, nous rencontrons la communauté. Nous procédons de la même manière que dans les autres lieux. L’écoute est attentive. On sent là aussi un véritable intérêt. Nous décidons de nous rencontrer à nouveau le lendemain pour pouvoir dialoguer plus en profondeur. Le père Mark vient de recevoir un message de la part du monastère de Valyermo qui devait être notre dernière étape. Ils ont eu deux décès et ne vont pas être en mesure de nous recevoir. Nous resterons donc à New Camaldoli jusqu’à la date de notre retour en France. Nous déjeunons avec la communauté. Paradoxalement, les frères parlent en prenant en commun ce repas, sauf le vendredi où le repas est en silence. Le soir, ils préparent eux-mêmes leur cuisine dans leurs ermitages. Mercredi 18 octobre Ce matin, nouvelle et belle rencontre avec la communauté pour réagir à notre exposé d’hier. Ce sont vraiment de très bons moments. Et comme nous sommes là encore les jours suivants, nous décidons de garder des moments de rencontres où les moines de la communauté seront libres de venir ou non. Jeudi 19 octobre Nouvelle rencontre le matin, en cercle plus restreint avec la communauté, mais rencontre passionnante avec des questions tout à fait majeures sur toutes sortes de sujets de la vie de nos communautés : où faire les études, les séjours de formation à l’étranger, les questions d’interculturalité, les fermetures, la manière de vivre quand on sait que la communauté va fermer, le recentrage sur l’inspiration évangélique… Vendredi 20 octobre C’est aujourd’hui notre dernier jour complet aux USA. Demain nous prendrons l’avion du retour à Los Angeles. Dans la matinée, le Père Prieur Ignatius nous propose d’aller au sommet de la montagne, au-dessus du monastère, pour avoir un point de vue imprenable. Nous y montons en voiture, une espèce de vieille guimbarde tout terrain dans laquelle on fait un peu le ménage avant de s’y asseoir. Elle est conduite par frère Carlos, un novice mexicain qui aura été notre ange gardien durant tout notre séjour. Nous nous arrêtons à mi-chemin près d’un lac qui semble sorti tout droit d’une fiction romantique. On y évoque les anciens autochtones de ces lieux, des indiens qui ont depuis longtemps migré dans les villes où ils ont bien réussi dans les affaires, tout en tentant de maintenir leur identité propre. Nous évoquons les bêtes sauvages qui existent encore dans ces montagnes : les bobcats et même des lions (pumas). Notre chauffeur a déjà croisé un bobcat , ce genre de félin qui se présente comme un chat sauvage de grande taille et dont la seule vue ne met pas très à l’aise. Un peu plus loin, Carlos nous fait découvrir un rocher dans lequel sont creusés des trous où reposent des pierres taillées qui servaient à broyer le grain dans les cavités. C’était une pratique courante des Amérindiens de Californie. Nous poursuivons la route jusqu’au sommet des monts où, en effet, le point de vue est à couper le souffle. C’est un émerveillement. Nous apercevons en contre-bas les ermitages et les bâtiments du monastère cachés entre les arbres ! Les moines installés là depuis les années 50 ont aménagé tout l’espace. Ils ont créé les routes de montagne en sol battu et empierré. Ils ont conçu l’architecture et l’aménagement de leur monastère avec l’aide d’amis compétents. Ils assument encore ici, dans ce coin totalement perdu des montagnes californiennes, une vie monastique tout en équilibre de solitude et de partage communautaire. Leurs visages témoignent de la beauté de leur vie, même si bien sûr, il ne faut pas l’idéaliser. Il est temps de redescendre. Notre chauffeur fait une manœuvre sur le chemin étroit pour amorcer un demi-tour, il s’avance un peu sur les bordures de la route. Mais au moment de faire marche arrière, les roues arrières de la voiture ne parviennent plus à reculer et creusent le sable jusqu’à tourner dans le vide. Le véhicule est bloqué, nous ne pouvons redémarrer. Le téléphone ne passe pas dans ces lieux retirés. Il n’y a plus qu’une solution : redescendre à pied pour aller chercher du secours. Nous sommes à environ deux heures de marche des ermitages. Carlos part au devant de nous d’un pas rapide. En fait, il court tout le long de la descente. Je suis seul avec le père Mark et, comme de vieux aventuriers rompus à toutes sortes de circonstances contraignantes, nous rions de la situation. Intérieurement, je ne suis tout de même pas très à l’aise car le père Mark ne peut envisager de marcher bien longtemps sans éprouver de la fatigue. Je lui trouve un bâton de marche sur le bord du chemin et nous avançons à petits pas. Nous allons au gré du vent, nous ne connaissons pas l’itinéraire et certains carrefours nous laissent perplexes. Au bout d’un moment, nous avons l’impression d’être un peu perdus au milieu de ce no man’s land. J’ai peur de voir apparaître soudain un bobcat sorti dont ne sait où ! Nous gardons notre sens de l’humour et le père Mark, une nouvelle fois, fait mon admiration. Je pense que peu de personnes de cet âge seraient en mesure de faire face aussi généreusement à une telle situation. Nous finissons par entendre des bruits de voitures. Notre chauffeur a couru si vite qu’il nous a retrouvés en peu de temps, accompagné de grands gaillards qui travaillent au monastère et qui seront capables d’aller sortir notre véhicule de l’endroit où il est bloqué. Frère Carlos est totalement en sueur et encore essoufflé. Nous peinons pour lui. Mais l’aventure est finie. Nous revenons au monastère dans un nouveau véhicule et nous rejoignons aussitôt la messe qui vient de commencer. La journée se passe paisiblement et le soir, après les Vêpres, un dîner récréatif nous rassemble avec l’ensemble de la communauté. Une fois par mois, les frères prennent ce temps libre qu’ils apprécient. Ce soir c’est aussi une manière de nous dire au revoir. Il y a un peu de vin de Californie ou de Nouvelle-Zélande et quelques bières de différentes provenances. À la fin de ce temps, nous échangeons quelques remerciements. Le Père Prieur nous offre deux livres sur l’histoire de leur monastère et sur celle des Camaldules. Il y a beaucoup d’émotions dans ces moments fraternelles. Nous remontons ensuite dans nos ermitages respectifs pour la dernière nuit. Samedi 21 octobre Ce samedi est vraiment notre dernier jour en terre américaine. Nous célébrons la messe le matin à 6 h 30 avec la communauté, puis nous embarquons pour Monterey où nous prendrons l’avion vers Los Angeles et Paris. Nous nous embrassons avec effusion et promesse de retour, comme toujours en ces cas-là. Ce sont des promesses sincères mais qui ne peuvent pas toujours se réaliser… Nous le savons bien. Mais sur l’instant nous y croyons plus que jamais ! Atterrissage à Paris le dimanche 22 en fin de matinée avec une demi-heure d’avance. Le temps est plutôt gris. La Californie est loin. Je m’entends parler français ! Mission accomplie ! Une tentative pour une vision partagée 5 Lire Réflexions Dom Jeremy Driscoll, osb Abbé de l’abbaye de Mount Angel (USA) Une tentative pour une vision partagée Le tableau présenté ci-dessous tente de résumer visuellement en courtes phrases la vision sur la manière d’organiser la vie d’une communauté monastique. Toute la vision est enracinée dans la devise : « Cherchez les choses d’en haut ». Ce verset de Colossiens (3, 1) est censée évoquer l’ensemble du passage que saint Paul développe sur la base de cette exhortation. Colossiens 3, 1-17 est la perspective que nous pouvons suivre, énoncée en termes bibliques avec l’autorité des Livres saints. Certains versets peuvent être compris en rapport avec la conversion monastique : « Faites donc mourir en vous ce qui n’appartient qu’à la terre » (Col 3, 5), faisant ensuite référence à une liste de vertus et de pratiques que la vie communautaire monastique cherche à développer (Col 3, 12-17). Cette vision scripturaire se décompose en cinq piliers, chacun rendant explicite un domaine particulier de ce que l’on peut décrire comme « la voie monastique et le chemin tel que l’abbaye de Mount Angel tente de le vivre ». Être un monastère nous établit dans une forme particulière de vie religieuse au sein de l’Église, profondément enracinée dans des traditions qui doivent nous former constamment. Mais il existe de nombreux styles et de nombreuses approches dans la voie monastique. À travers son histoire, Mount Angel a établi son propre style et ses propres traditions au sein de la vie monastique. Ces deux dimensions de notre riche passé nous guident dans notre présent et dans nos avancées vers le futur. Nous ne sommes pas simplement tenus de répéter le passé, mais toutes les nouvelles actions et décisions que nous prenons pour le présent et le futur doivent être dans une continuité intelligente, consciente et réfléchie avec le passé. Premier pilier : « Mise en lumière du comment et du pourquoi » Le caractère unique de la voie monastique ne s’enracine profondément que s’il est proposé à haute voix, régulièrement, et qu’il est abordé constamment par l’approfondissement des sources monastiques abordé. Je pense que cela constitue l’une des principales responsabilités de l’abbé. On peut rassembler sous ce pilier plusieurs façons concrètes de vivre cette clarté du comment et du pourquoi dans nos communautés. Sans prêter attention à ce pilier, nous risquons d’être une communauté de bons-vivants sans rien de spécifiquement monastique. Les rubriques placées sous chaque pilier doivent être fluides dans leur formulation : on peut cocher des éléments au fur et à mesure que les objectifs sont atteints. Deuxième pilier : « Ensemble » Cela souligne la valeur et la force du monachisme cénobitique dans la version qu’en donne la règle de saint Benoît. Tout au long de la Règle, saint Benoît légifère et exhorte, petits et grands, à des pratiques qui sont stimulantes pour toute la communauté. Nous ne sommes pas d’abord des individus vivant ensemble dans le même bâtiment, mais nous nous dirigeons vers Dieu en corps collectif, et Dieu vient vers nous avec des grâces qui font de nous un seul corps : c’est le nos pariter (tous ensemble) de la finale de la sainte Règle au chapitre 72. Sous ce pilier s’énoncent différentes voies du vivre ensemble. L’abbé et la communauté doivent continuellement rechercher les moyens de renforcer ces liens communautaires. Troisième pilier : « Présence et guidance de l’abbé » Saint Benoît accorde une grande importance au rôle de l’abbé dans la communauté. Ceci est expliqué en détail dans RB 2 et 64, mais aussi tout au long de la Règle pour les petites et les grandes choses. Ici, la communauté ressentira inévitablement l’impact de celui que Dieu, à travers le discernement de la communauté, a placé dans le rôle de l’abbé. Un abbé particulier sera capable de faire ce que ses propres dons et son expérience lui permettent, avec nécessairement certaines lacunes. Pour ma part, à Mount Angel, je souhaite développer un programme d’enseignement pour la communauté sur la manière de vivre le Mystère du Christ et de se laisser façonner par la tradition monastique. Je veux trouver le courage nécessaire pour inciter la communauté à une plus grande croissance, et en même temps créer une certaine souplesse et une certaine joie en donnant moi-même l’exemple autant que possible. Je suis conscient que la communauté dans son ensemble a besoin de la présence de l’abbé dans la vie quotidienne, et je suis conscient que de nombreux moines, sinon la totalité, souhaitent bénéficier de l’attention personnelle du Père Abbé. J’avoue ne pas pouvoir être présent à tous comme je le voudrais, et je suis preneur de moyens nouveaux de la part de la communauté pour m’aider à répondre mieux à cette exigence. Quatrième pilier : « Contribuer à l’Église dans le monde » Ce pilier reconnaît la manière dont la vie monastique, tout au long de l’histoire de l’Église, a eu un impact particulier que l’on peut qualifier de « contribution monastique ». Mount Angel lui-même a eu son propre impact dans la région et, en fait, dans tout le pays comme aussi dans diverses parties du monde. Je vois que la communauté est vraiment appelé à poursuivre cette contribution afin de donner de l’énergie et du sens à notre vie ensemble. Sous ce pilier sont regroupés notre travail, en particulier au séminaire, à la bibliothèque et à l’hôtellerie ; on y trouve aussi divers niveaux d’implication dans le travail paroissial, qui a toujours été liée inextricablement à la vie monastique de Mount Angel tout au long de son histoire. Je pense que nous sommes maintenant dans une nouvelle ère où l’Église se tourne plus que jamais vers nous pour apporter cette contribution monastique particulière en matière d’hospitalité, de culture, d’apprentissage, et dans un autre style pastoral et théologique. Cinquième pilier : « Progresser dans ce mode de vie » La tradition monastique insiste sur le fait que notre vie de foi est un processus qui nécessite une attention continue et qui doit être encouragé. Il n’y a jamais de point d’arrivée où nous pouvons nous reposer confortablement et dire que nous avons terminé. Il s’agit d’un pilier par lequel l’abbé et les frères s’encouragent mutuellement pour grandir. Cela signifie être prêt à faire les choses différemment – non seulement être différent soi-même en tant que tel, mais avoir le courage de faire les choses différemment ensemble si les circonstances l’exigent. Il faut de la sagesse et de la modération pour trouver le bon équilibre, la bonne justesse. Sous ce pilier, un verset du chapitre 64 de la règle de saint Benoît peut nous guider : « Que les forts désirent davantage et que les faibles ne se découragent pas ». Vivre une communauté monastique multiculturelle 6 Lire Témoignage Dom Paul Mark Schwan, ocso Abbé de New Clairvaux, Vina (États-Unis) Vivre une communauté monastique multiculturelle Notre monastère Notre-Dame de New Clairvaux, Vina, Californie, est situé dans la partie nord de l’État. Notre communauté monastique, le plus souvent appelée Vina, reflète la population ethniquement diversifiée de l’État de Californie, où aucun groupe ethnique ou linguistique ne constitue une majorité. Nous sommes tous des minorités. Actuellement, notre communauté monastique est composée des ethnies suivantes : vietnamienne, singapourienne, canadienne, philippine, chinoise, hispanique et euro-américaine. Comment vivons-nous la réalité pratique de cette diversité toujours présente dans notre communauté ? En tant que communauté trappiste, notre appel commun au baptême et son expression vocationnelle particulière dans une école de charité sous la règle de notre père saint Benoît, la direction de notre abbé et l’impératif d’être amoureux du lieu, des frères et de la Règle, sont des facteurs unificateurs essentiels qui forment la culture monastique particulière de Vina. Cela transcende nécessairement les origines ethno-raciales des dix-neuf moines de notre monastère. Néanmoins, la réalité concrète de vivre, de se comprendre, de s’accepter et de se respecter les uns les autres, ce qui est déjà assez difficile dans un cadre monoculturel, est d’autant plus mise à l’épreuve dans le cadre multiculturel de Vina. Avant d’aller plus loin dans l’articulation de mon expérience de berger de notre communauté monastique multiculturelle, j’aimerais d’abord définir la culture et comment je comprends la vie multiculturelle. Je propose des idées tirées de deux livres utiles : The Bush was Blazing but not Consumed et God is Rice . Qu’est-ce que la culture ? Le concept ne peut pas être limité à la race et/ou à l’origine ethnique. La culture englobe toute l’expérience de la vie. Cela inclut nécessairement un système de valeurs, de croyances, de perceptions, d’hypothèses, de modèles, de mœurs et de pratiques. Une partie de cela est consciente, mais je crois que la partie inconsciente est bien plus importante. Ce système culturel est ce qui fournit le prisme à travers lequel chacun d’entre nous est capable d’interpréter, d’évaluer et de réagir à la vie et à notre environnement. La vie est un grand mystère qui peut parfois sembler hostile. Tous les systèmes culturels sont des tentatives visant à réconforter et à abriter une personne, à réduire son anxiété en expliquant les forces qui peuvent miner la famille, la communauté, la société et la nation. Par conséquent, un système culturel est ce qui contribue à fournir un échafaudage d’éléments unificateurs qui édifient des structures pour maintenir ensemble un corps collectif de personnes en toute sécurité. Dans une communauté multiculturelle comme la nôtre, le caractère unique des cultures représentées dans le monastère ne peut être détruit. Par exemple, un candidat venant de l’extérieur des États-Unis rejoignant Vina, ne sera pas transformé en Américain, même si la société plus large dans laquelle le monastère se trouve a un impact. Non, le candidat vient à nous en réponse à un appel de Dieu pour vivre l’Évangile en tant que moine. Ainsi, le candidat entre dans la culture monastique telle qu’elle se trouve à Vina, et se forme pour être moine au sein du charisme du monachisme trappiste. L’identité du candidat est préservée dans la formation mais en lui apprenant à engager un dialogue constructif avec les autres. Le respect et le soutien sont cruciaux de la part de toutes les personnes impliquées. C’est un critère fondamental dans tout programme de formation sain. Équilibrer la communication avec l’autre et en même temps reconnaître son identité authentique permettent aux deux parties d’apprendre l’une de l’autre, de grandir, de changer ( conversio ) et d’acquérir une identité, une cohésion et un esprit collectifs ( communio ). C’est la transformation évangélique, le but même de la vie monastique. Lorsque je reçois un candidat issu d’une culture différente de celle de la communauté d’accueil, deux choses me sont utiles. Premièrement, connaître et comprendre davantage ma propre culture. C’est une expérience enrichissante. Deuxièmement, connaître le plus possible la culture du candidat reçu. Par exemple, j’ai tellement lu sur les différentes histoires et cultures présentes à Vina que je peux finalement avoir une meilleure connaissance que le candidat n’a sur sa propre culture. Mais comme on l’a dit, la culture est bien plus que la connaissance des faits, c’est un mode de vie complet profondément enraciné dans l’esprit de chacun. Sans surprise, certains aspects de ma propre culture sont souvent inconscients et ne peuvent refaire surface de manière consciente que par l’étude et la réflexion. Cela fait partie de l’ascèse monastique : la croissance dans la connaissance de soi (humilité). Avec une nouvelle appréciation de ma propre culture, je dispose d’un vocabulaire qui rend possible les questions que je peux poser au candidat et grâce à celles-ci, il peut partager avec moi la richesse de sens de sa culture au croisement de nos valeurs monastiques et celles de la culture américaine plus large dont il fait désormais partie. Si l’anglais n’est pas la langue maternelle du candidat, il est alors nécessaire de proposer des cours de langue. Notre pratique consiste à embaucher un professeur qualifié d’anglais comme deuxième langue pour envisager l’entrée au monastère. Les cours ont généralement lieu plusieurs fois par semaine. La durée du cursus s’étend de un à deux ans selon les capacités du candidat. Il s’est avéré précieux, voire essentiel, que, plus tard, le candidat soit exposé à la culture américaine dans son ensemble. Pour ce faire, nous inscrivons le candidat à des cours d’anglais proposés aux étudiants étrangers à l’université d’État voisine. Le programme universitaire est destiné à préparer ces étudiants à l’entrée à l’université. Dans le cadre de ce programme, nos candidats ont passé les examens TOFEL pour tester leur maîtrise de l’anglais. L’examen confirme le niveau d’anglais de nos candidats car il indique leur degré de compréhension de la langue, cette occasion ne se représentera pas. Nous avons également pris des dispositions pour que des coachs linguistiques et d’autres tuteurs travaillent avec les candidats sur la réduction de l’accent ou pour améliorer leurs compétences en écriture et en lecture. Nous les avons inscrits à des programmes similaires disponibles dans le diocèse dont nous faisons partie. Depuis longtemps, les monastères trappistes des États-Unis proposent un cours de deux semaines sur la théologie monastique pour tous les simples profès, organisé dans un monastère différent à chaque session. Cela permet à nos candidats de découvrir les autres monastères et de rencontrer d’autres jeunes en formation de l’Ordre trappiste, ici, aux USA. En outre, après les vœux solennels, il est possible d’effectuer des études théologiques supérieures dans diverses écoles bénédictines de théologie, si cela est jugé utile. Cela est également utile dans le domaine de l’inculturation. Un autre outil utile ici, à Vina, pour construire une communauté multiculturelle sont les ateliers sous la direction de professionnels formés aux échanges multiculturels. Vivre avec une diversité de cultures, même unis sous la bannière d’une culture monastique commune, nécessite une conversion continue de la part de tous les moines. Il y a d’abord le fait d’apprendre à accepter l’anglais parlé avec une variété d’accents. Compte tenu de l’usage courant de l’anglais dans le monde aujourd’hui, où l’anglais n’est-il pas parlé avec un accent ? Chaque anglophone parle avec un accent. Quel accent est le bon, le diplômé d’Oxford, ou le gars de l’arrière-pays australien, ou de n’importe où entre les deux ? Néanmoins, la nécessité de faire preuve de patience et de développer la pratique d’une écoute attentive lorsqu’un texte est lu avec des accents variés est exigeante et se transforme parfois en frustration. Certains frères, ici, à Vina, se réfèrent à la règle de saint Benoît, affirmant que seuls les lecteurs capables d’aider leurs auditeurs devraient être autorisés à lire. Le résultat pourrait être que peu de frères, voire aucun, seraient disponibles pour une lecture publique ici, à Vina ! Un autre défi est de savoir comment apporter des corrections. Les cultures du monde entier ont chacune leur manière particulière de corriger les comportements inappropriés. Saint Benoît expose une méthode de correction en plusieurs chapitres de sa Règle ; il serait difficile de le mettre en œuvre dans la plupart des cas, et dans toutes les régions du monde aujourd’hui. Mais il est indispensable que des corrections soient apportées au monastère. Certaines cultures abordent la question de la correction des fautes de manière très directe, tandis que d’autres sont plus indirectes. Il est important que lorsque la correction est effectuée, la personne corrigée soit respectée et que le moine effectuant la correction soit sensible à la dignité de l’autre. Réfléchissons à deux fois avant d’en corriger un autre ! Il y a un autre aspect de la correction à Vina qui est parfois trop négligé : quel que soit le soin avec lequel la correction est formulée, le frère corrigé peut ne pas comprendre tous les mots ou ne pas saisir les subtilités nuancées du vocabulaire anglais. Le résultat peut provoquer des malentendus, du ressentiment et de la colère. La valeur des mots, dans n’importe quelle langue, comporte une multitude de nuances. Pour quelqu’un qui apprend l’anglais, ces nuances ne seront probablement pas perçues. Celui qui est né anglophone doit reconnaître que l’autre ne saisira probablement pas ces nuances. D’où la nécessité d’utiliser un vocabulaire de base. Dans ce processus, le locuteur natif peut implicitement penser que l’autre est moins intelligent, moins instruit et se montrer condescendant, voire dédaigneux, à l’égard de l’autre. La nécessité, pour celui dont l’anglais est la langue maternelle, est de faire preuve de patience impérativement lorsque celui qui parle l’anglais comme une seconde langue essaie d’exprimer des expériences intérieures significatives tout en manquant du vocabulaire anglais nuancé pour le faire. Le rôle du langage corporel ne peut jamais être sous-estimé dans la communication interpersonnelle. Quelle est la distance appropriée entre deux personnes lorsqu’elles communiquent entre elles ? Dans la culture américaine, environ un mètre est considéré comme la distance physique confortable entre deux personnes. D’autres cultures s’attendent à ce que la distance physique soit plus proche ou plus éloignée. Dans certaines cultures, le plus jeune tient la main du plus âgé lorsqu’il s’adresse à lui sur un sujet important. Cela exprime le respect et la soumission du plus jeune. Une autre expression culturelle du respect est qu’un plus jeune marche derrière et aux côtés d’un plus âgé, jamais côte à côte comme un égal. Dans d’autres cultures, il est considéré comme approprié d’entrer simplement dans le bureau du supérieur sans frapper. Mais pour d’autres cultures, lorsqu’on lui donne la permission d’entrer, il convient de s’excuser avant d’entrer. La place que la nourriture occupe dans notre communauté monastique est liée au langage corporel. La nourriture, en elle-même, recèle un trésor d’expression culturelle. Ce qui est préparé, comment cela est préparé, comment c’est servi, à quel moment et comment c’est consommé sont autant d’éléments importants. Nous avons un frère chargé de superviser la cuisine ; il veille à la qualité, la quantité et la consommation de la nourriture, mais un certain nombre de frères se relaient pour cuisiner. Suivant les principes fondamentaux du jeûne trappiste, de l’abstinence et de la simplicité, le frère cuisinier du jour prépare des plats qui lui sont familiers. Pour nous, cela signifie une alimentation variée, reflétant la culture d’origine des frères et qui exige, pour chacun d’entre nous, un ajustement de notre alimentation. Un autre thème à considérer est le fait qu’on ne saurait trop insister sur l’importance du respect et de l’honneur dus aux expressions culturelles de l’autre. L’origine de beaucoup de nos frères est l’Asie. Pour eux, la nouvelle année lunaire est l’événement festif central autour duquel s’articule toute l’année. C’est une célébration qui contient des rituels intemporels de souvenir, d’histoire et d’identité en tant que peuple, famille et personne. Considérer le nouvel an lunaire comme étranger et dénué de sens au sein de notre communauté parce que ceux d’entre nous, Américains de souche qui y seraient indifférents, feraient violence à l’identité d’autrui. C’est plus qu’un manque de respect ; cela signifierait implicitement que j’ai peu ou rien à apprendre de mon frère. La communauté multiculturelle est nécessairement bilatérale, elle est appelé à vivre dans l’échange. Nous recevons, donnons et apprenons les uns des autres. Enfin, il est important de parler du rôle de la famille et de la manière dont l’hospitalité s’exprime lors de l’accueil de la famille dans une communauté multiculturelle. Notre pratique trappiste reste stricte en ce qui concerne les visites familiales. Ce sont nos familles qui, habituellement, viennent nous visiter au monastère. En règle générale, nous ne rendons pas visite à nos familles, même s’il existe des exceptions. Les familles de nos frères venus de pays étrangers sont souvent dans l’incapacité d’obtenir des visas, et ne peuvent pas non plus payer les frais de voyage. C’est une exception lorsqu’on permet aux frères de rentrer chez eux. À cela s’ajoute l’implication dans les affaires familiales autour des questions de santé, de maladie et de finances. Notre mode de vie cistercien limite l’implication dans ces préoccupations mais il n’est pas si facile de former des frères à ce renoncement radical à la famille, et encore moins de transmettre cette valeur aux familles. Un discernement minutieux doit être fait pour savoir si et comment aider la famille lorsque ces problèmes surviennent. Le moine doit se former à l’ascèse monastique dans un sain détachement de la famille. Il est également important que le monastère ne soit pas perçu comme une ressource financière. Le cœur humain est complexe et l’amour est un mystère. Ni l’un ni l’autre n’échappent à la compréhension, mais ils ne se révèlent pas non plus facilement sinon à accepter qu’ils nous visitent de l’intérieur au plus profond. Ce voyage intérieur est bien sûr un aspect crucial de la vocation monastique. Combiné avec notre témoignage monastique multiculturel à Vina, c’est, je crois, ce dont notre monde polarisé et craintif a besoin. Une telle diversité dans notre communauté monastique est un défi mais les bienfaits sont tellement grands : élargir mes horizons, voir la vie sous un angle différent, sortir de mes propres zones de confort, telles sont quelques-unes des récompenses que j’ai reçues en vivant dans une communauté multiculturelle. La saga de la salle capitulaire de Santa Maria de Ovila 7 Lire Art et liturgie Dom Thomas X. Davis, ocso Abbé émérite de l’abbaye de New Clairvaux (États-Unis) La saga de la salle capitulaire de Santa Maria de Ovila C’était en juin 1955, quelques jours seulement avant le départ du groupe initial de fondateurs destinés à la cinquième maison fille de Gethsémani pour la Californie, à Vina, lorsque dom James, abbé, suggéra qu’il aimerait que je fasse partie de ce groupe. Cela a été une surprise assez déstabilisante pour moi. J’ai répondu que je ne voulais pas, et même que je n’avais pas du tout l’envie d’y aller. J’ai naïvement cru pouvoir faire changer d’avis le Père Abbé. Il faudrait du temps pour y parvenir. Trois mois plus tard, le 15 septembre, je me suis retrouvé à San Francisco avec un frère également destiné à cette communauté nouvellement fondée. Le supérieur était là pour nous accueillir. Il a décidé que nous devrions voir un peu la ville avant de faire les six heures de route qui remontent la vallée de Sacramento jusqu’à Vina cette nuit-là. Un ami du supérieur nous a fait visiter San Francisco en sélectionnant les principaux sites touristiques. Alors que nous traversions le Golden Gate Park , cette personne a mentionné avec désinvolture que les caisses en bois que nous avons vues soigneusement empilées sous les eucalyptus derrière le musée De Young étaient « le monastère cistercien que William Randolph Hearst a ramené d’Espagne ». J’ai immédiatement compris la valeur architecturale de ce monastère. Thomas Merton (le père Louis tel qu’on le nommait) venait de donner à nos jeunes moines un cours sur l’architecture cistercienne et sa signification. L’idée, follement ambitieuse pour un simple profès de vingt ans, m’est venue que ce serait merveilleux d’avoir ce monastère pour Vina. En repensant aux événements, je me rends compte maintenant que si j’avais pris le train avec le groupe fondateur d’origine, je serais arrivé à la gare d’Oroville, une ville non loin de Vina. Je n’aurais jamais atterri à San Francisco et je n’aurais jamais eu l’occasion de voir ces caisses en bois soigneusement empilées sous les eucalyptus. Alphonse VIII, roi de Castille (1155-1214), fonda l’abbaye cistercienne de Santa Maria de Ovila, près de Trillo, à environ quatre-vingts kilomètres au nord-est de Madrid. Cette abbaye faisait partie de sa stratégie visant à maintenir les frontières de son royaume comme terre chrétienne. L’abbaye a été fondée vers 1181. La taille de l’église et de la salle capitulaire suggère que l’abbaye était peut-être destinée à devenir un monastère royal. Quelques années après la fondation d’Ovila, Léonor, épouse d’Alphonse VIII et fille d’Henri II et d’Aliénor d’Aquitaine, initia la fondation de Las Huelgas, dans la ville royale de Burgos. Las Huelgas devint le monastère royal. La salle capitulaire, magnifique exemple de l’architecture gothique cistercienne primitive en Espagne, a commencé d’être construite vers 1190. La salle capitulaire avec toute l’abbaye était sous le patronage de l’évêque cistercien de Siguenza, saint Martin de Finojosa, et de sa famille, dans le diocèse duquel elle se trouvait située. (Dans le calendrier liturgique trappiste cistercien, la fête de saint Martin de Finojosa est le 17 septembre. Il était autrefois connu sous le nom de saint Sacerdos, le 5 mai.) La salle capitulaire a été achevée en 1220 et fut réputée, avec Las Huelgas et Santa Maria de Huerta, comme exemples remarquable de l’architecture cistercienne. L’abbaye d’Ovila fut fermée en 1835 par décret du gouvernement de la reine Maria Christina, et vendue à des propriétaires privés. Arthur Byne, l’agent de William Randolph Hearst qui a toujours été intéressé par les beaux-arts et les pièces architecturales à exporter aux États-Unis, est tombé sur l’abbaye d’Ovila en 1930. Hearst a accepté d’acheter des pièces artistiques et des parties architecturales dont l’ensemble de la salle capitulaire et du réfectoire. Le démantèlement eut lieu entre mars et le 1er juillet 1931. Les pierres furent expédiées par bateau jusqu’à San Francisco. À cette époque, Hearst commença à ressentir les effets de la crise économique. Il les offrit à la ville de San Francisco en 1941. La ville stocka les caisses derrière le Young Museum, sous les eucalyptus. C’est ainsi que je les ai vus en 1955. Diverses causes ont empêché la ville de restaurer les pierres « en tant que monastère ». Les pierres furent même offertes à des moines bouddhistes mais l’opinion publique de la ville s’opposa à ce transfert. Les caisses sont restées sous les eucalyptus. Cinq incendies, le vandalisme, le vol et les conditions météorologiques humides et brumeuses de la région de la baie de San Francisco et de l’océan ont réduit les pierres à un tas apparemment sans grande valeur. Durant ces années malheureuses, j’ai été tenu informé par un bon ami de ce que devenaient ces pierres. Après être devenu abbé en 1972, j’ai décidé de poursuivre mon rêve fou d’acquérir la salle capitulaire de Vina. Le portail de l’église d’Ovila a été restauré à l’intérieur du musée de Young. Une étude antérieure du Dr Margaret Burke, historienne de l’art, a révélé que seule la salle capitulaire pouvait être restaurée ; le reste était trop endommagé ou perdu. Des négociations interminables avec la ville ont commencé. Il y a eu des « hauts et des bas ». J’étais sur le point d’abandonner mon projet lorsque les érudits cisterciens David Bell et Terryl Kinder m’ont encouragé à continuer. En 1992, le Chapitre conventuel de Vina a voté favorablement en faveur de cette démarche. Un accord avec la ville fut finalement signé le 12 septembre 1994. Le lendemain, le premier des onze gros camions et remorques partit pour Vina. Trier, cataloguer, restaurer les parties endommagées, tailler les pierres neuves et bien d’autres choses encore ont constitué l’entreprise des maçons Oskar Kempt, Ross Leuthard, Frank Helmholz et Jose Miguel Merino de Caceres, un architecte espagnol. Le magnifique portail de la salle capitulaire et la majeure partie de l’intérieur ont été achevés à l’automne 2008. Sous le quatrième abbé de Vina, Paul Mark Schwan, la décision a été prise d’incorporer cet édifice dans la nouvelle église. Celui-ci a été achevé et consacré le 2 juillet 2018. L’architecture cistercienne utilise l’espace, les proportions, les lignes, la forme et la lumière pour signifier le mystère de la Divinité. Les frères entrent sept fois par jour dans ce lieu de mystère divin pour chanter les louanges de Dieu ( Opus Dei ) et être bénis par le pouvoir transformateur de cet édifice médiéval. La salle capitulaire d’Ovila est maintenant, à nouveau et différemment que par le passé, au service de l’œuvre de Dieu. Sœur Judith-Ann Heble 8 Lire Grandes figures de la vie monastique Mère Maire Hickey, osb Abbesse de Kylemore (Irlande) Sœur Judith-Ann Heble, seconde modératrice de la Communion Internationale des Bénédictines (CIB)[1] Quand je me souviens de Judith Ann, ce n’est pas en termes de fonction. Je la connaissais comme quelqu’un qui se donnait entièrement, corps et âme, à la tâche qui lui incombait. Relever le défi, quel qu’il soit, était son rôle. J’ai travaillé avec elle pendant neuf ans à la direction de la CIB. De 1997 à 2006, j’ai été modératrice, avec Judith Ann comme membre du Conseil d’administration à partir de 1998, et comme modératrice adjointe à partir de 2002. J’ai des souvenirs chaleureux et vifs de la façon dont elle a été partenaire dans cette tâche, et je suis reconnaissant à Lynn McKenzie de m’avoir demandé d’en partager quelques-uns avec les lecteurs de la newsletter . Notre relation a commencé en 1997, lors de la dernière réunion de préparation du troisième symposium de la CIB, prévue pour 1998. J’étais la modératrice, mon assistante était la prieure Irène Dabalus, les deux nominations ayant été faites par l’abbé primat Marcel Rooney. Les autres membres du Comité exécutif – l’abbesse Joanna Jamieson et la nouvelle venue sœur Judith Ann Heble – étaient présents, ainsi que la secrétaire, sœur Monica Lewis. Notre expérience en matière d’animation de réunion était jusqu’alors assez limitée, consistant principalement à animer des réunions de Chapitre, chacune dans sa propre communauté. L’organisation était un peu aléatoire. Alors que nous étions assises ensemble pour décider de la répartition des tâches lors des différentes sessions du symposium, Judith Ann a annoncé sans questions préalables et sans scrupules : « Je m’occuperai des écrous et des boulons ». Et ce fut ainsi. À partir de ce moment-là, à chaque réunion, la séance de « rouages et boulonnage » de Judith Ann au début de chaque journée garantissait absolument que tout le monde savait ce qui allait se passer, où il fallait aller, pour quoi, quand auraient lieu les pauses, etc. Une caractéristique de Judith Ann pour ce rituel quotidien était la touche légère de ses interventions qui laissaient tout le monde souriant en toutes circonstances et impatient de passer une journée intéressante. C’est ainsi que j’ai ressenti Judith Ann dans son rôle de modératrice adjointe. Elle apportait une énergie positive dans la réunion, était pleinement consciente de tous les détails qui devaient être organisés pour que tout se passe au mieux, et s’assurait que chacune sache ce qu’elle devait savoir. Un aspect important de la vie selon la règle de saint Benoît est le bon ordre, la paix, personne ne doit être triste dans la maison de Dieu à la fin de chaque journée. Après ce symposium, sœur Judith Ann avait compris ce qu’était la CIB et vers où elle essayait de s’orienter. Lors d’une réunion des membres de la Conférence post-symposium, pour commencer la planification préliminaire des réunions des quatre prochaines années, Judith a été l’une des voix américaines qui ont lancé la question explosive de savoir si Rome allait être à l’avenir le seul lieu des réunions de la CIB. « Pourquoi ne pas essayer un autre lieu ? Pourquoi ne pas venir en Amérique ? » Après le choc initial, il était très évident que les esprits s’ouvraient à quelque chose jusqu’alors impensable. Judith a aimé son rôle de pionnière au cours des années suivantes en tant que modératrice adjointe, puis modératrice (à partir de 2006). Cela lui a donné une grande joie de pouvoir contribuer à la formation continue de nombreuses moniales et sœurs bénédictines en leur facilitant l’expérience inoubliable de voyager à l’étranger pour des réunions de déléguées et de visiter des communautés aux États-Unis, à Nairobi, à Sydney, en Pologne, suivis plus tard par d’autres pays. Rencontre à Sydney (Australie) en 2003. Au fil des années, la CIB a acquis sa structure actuelle, dont Judith Ann était l’une des principales architectes. Dès le début, la structure de la Commission des Bénédictines avec l’Abbé Primat (c’était encore le nom de l’organisation) était composée de dix-neuf régions, chacune avec sa représentation, et d’un Conseil composé d’une modératrice, d’une modératrice adjointe et de deux autres membres. L’Abbé Primat était l’ultime instance référente. Lors d’une réunion des déléguées à Nairobi en 2001, la décision a été prise de donner un nouveau nom à l’organisation. La divergence d’opinions prévisible a été étonnamment résolue en choisissant le latin comme langue qui n’excluait personne, et c’est ainsi que Communio Internationalis Benedictinarum (CIB) est devenu notre nom. Le statut des monastères, congrégations et fédérations de femmes bénédictines était défini dans quelques clauses du Droit propre ( Ius Proprium ) de la Confédération. En 2002, le Conseil (sœur Maire, sœur Judith Ann, Mère Irene Dabalus et Mère Joanna Jamieson), avec l’aide canonique experte de l’abbé Richard Yeo, de Downside, avait achevé le travail sur un projet de Statuts pour la CIB, qui fut approuvé au symposium de cette année-là. Un travail acharné et minutieux a été consacré au développement de la CIB au cours des années qui ont suivi. De nombreuses sœurs issues de différents monastères étaient impliquées. Judith Ann n’a épargné aucun effort pour trouver des personnes afin de la seconder : une sœur artiste américaine a été trouvée qui a créé notre magnifique logo ; une trésorière a été trouvé qui assurerait et gérerait les finances, y compris un fonds de solidarité, pour garantir qu’aucune région ne soit exclue de la participation en raison d’un manque de fonds ; une équipe de traducteurs a dû être constituée. Il fallait tenir les registres des réunions et de la correspondance, et la communauté internationale croissante demandait la publication d’un Catalogus dont la première édition fut imprimée en 2000. Le mérite revient à d’innombrables sœurs, moniales et communautés pour tout ce qui a été fait durant ces années-là. La création de la CIB a été véritablement un projet communautaire, porté non pas par une seule personne ou un seul groupe. Mais sœur Judith Ann, en tant que modératrice adjointe, était la personne qui avait tout en vue et qui était totalement fiable pour faire ce qui devait être fait. Elle était impliquée dans tout, mettant son expérience, sa sagesse et son travail acharné au service de la création de la CIB. Enfin, je me souviens de Judith Ann comme d’une bâtisseuse de ponts. Depuis les débuts en 1983, la distinction canonique entre moniales et sœurs, qui s’était développée au cours de plusieurs centaines d’années d’histoire de l’Église, rendait difficile aux membres des Commissions des femmes avec l’Abbé Primat (représentant des milliers de sœurs) de s’entendre sur les expressions d’identité avec laquelle elles pourraient témoigner de manière crédible de la vie monastique des bénédictines dans l’Église et dans la société. La croyance inébranlable en cette identité commune et le désir de l’articuler et de la rendre palpable dans l’Église et dans le monde ont été le moteur de l’évolution de la Communio . Des changements dans les structures étaient nécessaires et ont favorisé l’évolution, mais celle-ci n’aurait pas pu se réaliser pacifiquement sans l’expérience d’une profonde communication spirituelle et d’un partage des valeurs les plus précieuses des vocations respectives qu’ont expérimenté presque toutes les bénédictines qui ont participé à une réunion de la CIB. Judith Ann se distinguait par l’ouverture d’esprit et la curiosité vivifiante avec lesquelles elle entretenait des relations avec ses consœurs bénédictines de la Communio . Elle ne s’est pas contentée de respecter et de tolérer celles dont le mode de vie était très différent du sien. Elle était curieuse de savoir d’où venait l’autre personne, et cherchait avec audace à rencontrer les autres et à les comprendre un peu plus. Ce n’était peut-être pas toujours une réussite, mais sa simplicité et son humour rendaient les faux pas occasionnels facilement pardonnables. L’hospitalité de Judith Ann était un merveilleux catalyseur. Cette façon de rencontrer de nouvelles personnes, de construire constamment des ponts pour rapprocher des personnes aux opinions divergentes, est devenue typique des réunions de la CIB. Une participante a écrit, après avoir assisté au symposium de 2014 : « Bien qu’il existe des différences évidentes entre nous, nous en sommes venues à apprécier le fait que nous partageons une vie commune, un charisme commun, une vision commune ». La vision commune, dont la base est la foi en la présence du Christ en chaque être humain, et en la présence de son Esprit dans la communauté monastique, a émergé et continue d’émerger à travers le partage de vie et de foi de tous les membres de notre Famille bénédictine. Mais tous ceux qui ont connu Judith Ann, et son amour pour l’héritage de saint Benoît et de sainte Scholastique, conviendront que sa présence et son travail au sein de la CIB de 1997 à 2018 ont joué un rôle unique et déterminant dans le processus – tellement fréquent – visant à dissiper les malentendus et favoriser le respect mutuel, fondement de l’unité de tout corps. Merci Judith Ann ! Aidez-nous, là où vous êtes aujourd’hui, à travailler avec l’héritage que vous nous avez légué, alors que nous rassemblons nos forces pour relever les défis du temps présent. [1] Article tiré de la newsletter de la CIB, novembre 2023. Rencontre à Rio de Janeiro (Brésil ) en 2013. Mère Lazare Hélène de Rodorel de Seilhac 9 Lire In Memoriam Sœurs bénédictines de Saint-Thierry (France) Mère Lazare Hélène de Rodorel de Seilhac 1928-2023 Mère Lazare, professe temporaire au moment de la naissance du Secrétariat de l’AIM, ayant participé à l’aménagement du premier bureau de l’AIM pour le père de Floris, alors président, fut membre du Conseil de l’AIM de nombreuses années. Nous publions ici sa nécrologie avant de publier dans le prochain bulletin un article plus développé. Dans la lumière de la fête du Christ-Roi, notre sœur Lazare Hélène de Rodorel de Seilhac est entrée dans la Vie le 27 novembre 2023. Née le 10 août 1928 à Paris, elle a gardé un grand amour de ses racines familiales en Corrèze, et beaucoup de bons souvenirs avec ses deux frères. Après une licence en lettres classiques, elle entre au prieuré de Vanves en février 1953, y fait profession en février 1956, et profession perpétuelle le 24 juin 1961. Elle enseigne le latin, est zélatrice au noviciat. Elle écrit une thèse en latin chrétien, qu’elle soutiendra en 1967 : « L’utilisation par saint Césaire d’Arles de la règle de saint Augustin », éditée en 1973. Elle anime ensuite de nombreuses sessions de patrologie et sur la règle de saint Benoît pour les monastères de France et de l’Afrique francophone. Elle organise à Jouarre des sessions de patristique pour former des professeurs dans les monastères féminins. Elle participe également aux traductions en français fondamental des textes monastiques et patristiques en collaboration avec sœur Lydie Rivière, Xavière. C’est encore pour les monastères féminins de France qu’elle anime de nombreuses sessions de réflexion sur le travail et l’équilibre de vie monastique. Entre temps, elle devient prieure déléguée du monastère de Vanves, pendant qu’une partie de la communauté, la prieure et le noviciat s’établissent à Saint-Thierry, avec un chapitre commun aux deux communautés. En 1974, une fois prévue la location des locaux libérés par la communauté de Vanves, elle arrive à Saint-Thierry. Outre la liturgie et la sacristie, les cours aux sœurs en formation, elle prend la direction de l’atelier d’imprimerie, où elle aura toujours à cœur de faire collaborer les sœurs. Elle avait l’art de trouver du travail pour toutes les stagiaires qui passaient au monastère. Elle continue son travail de recherche, et participe au Conseil de l’AIM, à la fondation du STIM, et pendant vingt-cinq ans donne les cours de patrologie au séminaire de Reims. En 2003, à 75 ans, elle est élue prieure de Vanves, et poursuit son service jusqu’en 2010, assurant une continuité pendant que la Congrégation cherche comment y poursuivre sa présence à Vanves. Après le Chapitre général de 2010, plusieurs sœurs de nos communautés arrivent à Vanves, et elle peut alors revenir à Saint-Thierry, transmettant le témoin de prieure à Mère Marie-Madeleine. Cette dernière période est marquée par une écriture difficile mais persévérante de l’histoire de notre Congrégation, dont elle nous partage les fruits lors de l’année du centenaire. Elle n’a pas tout à fait fini son ouvrage, mais en est restée préoccupée jusqu’au bout. Au-delà de tous ses engagements et de ses recherches, il nous reste le témoignage d’une sœur qui ne s’est jamais « défilé », toujours là pour les services en communauté. Elle a su dialoguer avec jeunes et anciens, en famille et avec les amis ; elle a pendant de nombreuses années accompagné avec cœur les oblats de la communauté. Toujours prévenante pour les sœurs ou les amis en difficulté, elle témoignait par sa manière d’être ce qu’elle enseignait ; elle croyait en la vie monastique, et savait faire confiance aux plus jeunes. Elle pratiquait l’ouverture du cœur par conviction alors qu’elle lui était laborieuse. Nous rendons grâce au Seigneur de nous l’avoir donnée. Elle écrivait à propos de de son faire-part de décès : « Merci de ne pas écrire que je suis “retournée à Dieu” : c’est réservé au Fils, et Origène a eu des ennuis posthumes pour avoir cru en la préexistence… » Ses obsèques ont été célébrées le vendredi 1er décembre 2023 dans la chapelle du monastère. < Précédent Suivant >

  • Bulletin n°122 | AIM - L'Alliance Inter-Monastères

    < Retour 126 Bulletin La vie monastique aujourd’hui 125 Bulletin « Toute la vie comme liturgie » 124 Bulletin Les Chapitres généraux cisterciens (OCSO et OCist, sep. et oct. 2022) 123 Bulletin Vie monastique et synodalité 122 Bulletin La gestion de la Maison commune En voir plus La gestion de la Maison commune Bulletin n° 122, année 2022 Aller au sommaire Aller à l'éditorial Aller aux articles Sommaire Editorial Dom J.-P. Longeat, osb, Président de l’AIM Lectio divina Psaume 18A Mère Nirmala Narikunnel, osb Perspectives • Intervention au Conseil de l’AIM Dom Gregory Polan, Abbé Primat • Une nouvelle étape pour la vie monastique Dom Mauro-Giuseppe Lepori, ocist Ouverture au monde Comprendre l’anthropocène M. Bernard Lucet Témoignages • France : les monastères écologistes Sœur Nathanaëlle Lefoulon, osb • Célébrer la création de Dieu en plantant des arbres Les sœurs bénédictines missionnaires de Tutzing Économie et vie monastique • Les monastères pour une économie alternative et durable M. Benoît-Joseph Pons • Le cellérier selon la règle de saint Benoît Compte rendu de la conférence du P. Simon Madeko, osb, par le P. Médard Kimengwa Kitobo, osb Liturgie Le monachisme cistercien de rite guèze Dom Négusse Woldai, ocist Grandes figures de la vie monastique Viktor Josef Dammertz, osb P. Cyrill Schäffer, osb Nouvelles • La Fondation Benedictus Dom Jean-Pierre Longeat, osb • L’évolution des congrégations bénédictines, d’un point de vue féminin Mère Franziska Lukas, osb • Conclusion du rapport sur l’évolution de la Confédération bénédictine depuis 140 ans Thomas Piazza, et P. Geraldo González y Lima, osb • Le DIM P. William Skudlarek, osb Sommaire Éditorial Ce nouveau numéro du Bulletin de l’AIM prolonge d’une certaine manière le précédent. Il propose un regard concret sur la gestion de la Maison commune telle que Laudato si’ et Fratelli tutti la préconisent. Nous sommes heureux d’ouvrir ce volume par une lectio divina de Mère Nirmala Narikunnel, abbesse de Shanti Nilayam, en Inde, sur le psaume 8 : « Les cieux proclament la gloire de Dieu ». On trouvera une réflexion sur l’état des lieux pour la nouvelle ère qui a déjà commencé depuis le milieu du vingtième siècle et que l’on nomme de plus en plus l’ère de l’anthropocène ; un regard sur la proposition d’économie alternative telle que peuvent la vivre les monastères ; une relecture du rôle du cellérier en synergie avec l’abbé pour exercer, dans le monastère et alentour, la responsabilité d’une saine avancée, en tenant compte des questions du monde présent au regard de ce que dit la Règle. D’autres interventions ou rubriques complètent ce numéro. Nous rapportons les propos du Père Abbé Primat, Gregory Polan, en ouverture de notre Conseil en octobre 2021, ceux de l’Abbé général des cisterciens (OCist) de même, et ceux de Mère Franziska Lukas, abbesse de Dinklage, sur l’expérience de la création d’une congrégation bénédictine européenne à la suite du document romain Cor orans . Le Père Prieur d’Asmara, en Érythrée, nous présente ici quelques aspects de la liturgie éthiopienne ; et nous donnons un certain nombre de nouvelles monastiques. Avançons ensemble, résolument, pour contribuer à l’émergence d’un monde neuf. Dom Jean-Pierre Longeat, OSB Président de l'AIM Articles Écologie et vie monastique 1 Lire Dom Jean-Pierre Longeat osb Président de l’AIM Écologie et vie monastique Littéralement, l’écologie, selon l’origine grecque de ce mot ( oikos-logos ), est le discours sur la vie à l’intérieur d’une maison, en l’occurrence, l’espace et le temps dans lesquels vivent les humains. Ce discours doit déboucher sur des actes : littéralement, ceux-ci sont regroupés sous le terme d’économie ; en effet, d’après l’origine grecque du mot ( oikos-nomos ), l’économie est l’ensemble des « lois » que l’on se donne pour vivre ensemble dans cet espace et dans ce temps. Il est bien dommage que ce vocable ait été réduit aujourd’hui à son seul usage financier. Il concerne pourtant tous les éléments de la vie personnelle, sociale et même spirituelle. Il y a une manière économique de vivre ensemble et, à titre personnel, une saine écologie. Les moines sont tout à fait dans cet état d’esprit. Selon, la règle de saint Benoît, leur priorité économique, c’est l’écoute de Dieu et de leurs semblables pour le libre échange d’une parole utile touchant aux fondements. C’est pourquoi, les moines privilégient le silence autant qu’il est possible afin que les paroles échangées pèsent leur véritable poids. On pourrait dire que l’écoute essentielle, tant de soi-même que des autres et de cette Voix mystérieuse qui nous précède et que l’on nomme Dieu, est la base de toute économie écologique. Le fatras de la parole est certainement à l’origine de la toute première crise économique de la vie humaine. La parole est un bien reçu et rendu à la portée de tous. Il demande un grand désencombrement pour pouvoir être perçu dans toute sa richesse. De ce fait, tout dans le monastère est organisé en fonction de cette écologie humaine, tant pour la vie personnelle que pour la vie communautaire. Tout au long de la journée, les moines se rendent attentifs au bien suprême de la Parole qui vient d’En-Haut. Ils se réunissent sept fois par jour pour la prière. Ils se remettent en présence de la source active à laquelle ils veulent se connecter en premier lieu, et ils lui répondent en chantant abondamment, tant pour exprimer la louange du don de la création et de la vie que pour lancer le cri de détresse d’une humanité souvent éprouvée sur le chemin de ce monde. Ils aménagent leurs espaces de manière à ce que chaque détail ait toute sa valeur. La règle de saint Benoît demande à l’économe du monastère de veiller à ce que l’on traite toutes choses dans le monastère avec le même soin que les vases sacrés de l’autel. Espaces de verdure, potagers, vergers, forêts ou terrains agricoles : tout devient dans le monastère, espaces de contemplation. Beaucoup de monastères aujourd’hui sont soucieux de préserver l’espace avec les règles élémentaires sur lesquelles la mouvance écologique attire notre attention. Le rapport au temps partagé est également vécu dans une saine économie, même si aujourd’hui, l’institution monastique, au moins en Occident, est pressurée par les mêmes impératifs de productivité que la société ambiante. Cependant, l’équilibre qui voudrait être vécu entre prière, travail et vie fraternelle gratuite reste une règle majeure qui doit être à tout prix préservée pour une bonne économie sociale. Pour se faire, les monastères s’appuient sur le potentiel de l’extraordinaire réseau de solidarité que constituent les nombreuses communautés réparties sur les cinq continents. On pourrait dire de la vie monastique qu’elle développe l’idéal écologique d’une mondialisation fraternelle. La nourriture est également pour les moines un lieu économique et écologique important. Manger, pour eux, implique toujours la reconnaissance d’un don reçu et partagé. Manger sobrement sans excès ni gaspillage est une règle sur laquelle saint Benoît insiste. Les plats seront suffisants, sains et équilibrés pour permettre une croissance heureuse et un bon déploiement du reste des activités. S’il est un symbole d’un bon équilibre de vie, c’est bien celui de la consommation, et notamment alimentaire. Les communautés monastiques tentent vraiment d’avoir une bonne réflexion à ce sujet, même lorsqu’elles sont obligés de recourir à des services extérieurs. Le confort de la vie ordinaire se limite à ce qui est nécessaire. On donne à chacun ce dont il a effectivement besoin. Tout est mis en commun pour une économie solidaire. Le fait de mettre en commun les ressources d’une communauté permet d’en réduire les dépenses et d’investir plus largement dans des projets développés qu’un individu ou qu’une famille isolés ne pourraient envisager. En accueillant des hôtes pour des séjours de silence ou de retraite, les centres monastiques se présentent au cœur de nos sociétés comme des oasis où l’on peut tenter de mieux respirer, de mieux partager, de moins posséder illusoirement, afin d’être davantage soi-même en relation avec autrui. Il est étonnant, dans la règle de saint Benoît, de constater que le chapitre le plus écologique est celui concernant l’économe du monastère : « Pour le cellérier du monastère, on choisira parmi les frères quelqu’un qui soit judicieux, sérieux, sobre, frugal, ni arrogant, ni agité, ni blessant, ni trop hésitant, ni trop prompt à la dépense, mais qui ait le sens de la présence de Dieu toujours et partout, et qui soit comme un père pour toute la communauté. Qu’il prenne soin de tout, qu’il ne mécontente pas les frères. Si quelque frère lui fait une demande déraisonnable, il ne l’indisposera pas en le rebutant ; mais qu’il refuse avec raison et humilité à celui qui demande mal à propos. Qu’il veille à la garde de lui-même. […] Qu’il prenne un soin tout particulier des malades, des enfants, des hôtes et des pauvres. […] Qu’il considère tous les objets et tous les biens du monastère comme s’il s’agissait des objets sacrés de l’autel. Qu’il ne tienne rien pour négligeable. Qu’il ne soit ni enclin à l’avarice, ni à l’excès des dépenses ; qu’il ne dilapide pas les biens du monastère, mais qu’il fasse toute chose avec mesure avec un grand sens du bien commun. » (RB 31) Bien sûr, la vie du monastère ne repose pas sur le cellérier, mais son exemple, comme celui de tous dans le monastère, peut encourager la communauté à prendre des décisions justes pour un témoignage écologique sans cesse actualisé. Les cieux et la terre proclament la gloire de Dieu 2 Lire Lectio divina Mère Nirmala Narikunnel, osb Abbesse de Shanti Nilayam (Inde) Les cieux et la terre proclament la gloire de Dieu (Ps 18A) Les cieux proclament la gloire de Dieu, le firmament raconte l’ouvrage de ses mains. Le jour au jour en livre le récit et la nuit à la nuit en donne connaissance. Pas de paroles dans ce récit, pas de voix qui s’entende ; mais sur toute la terre en paraît le message et la nouvelle, aux limites du monde. Là, se trouve la demeure du soleil : + tel un époux, il paraît hors de sa tente, il s’élance en conquérant joyeux. Il paraît où commence le ciel, + il s’en va jusqu’où le ciel s’achève : rien n’échappe à son ardeur. Le psalmiste était peut-être un berger gardant son troupeau et admirant la création de Dieu. Même s’il n’avait aucune connaissance scientifique et ignorait la technologie à venir, il pouvait s’émerveiller de la création et chanter ce beau psaume. Par sa Parole puissante, Dieu a créé et organisé l’univers entier, et ses plans sont irréversibles. La gloire, la magnificence, la splendeur de Dieu se manifeste dans le psaume. Dieu est le créateur des cieux et du soleil qui illumine le monde. Les corps célestes et la succession régulière du jour et de la nuit manifestent la gloire de Dieu et ils transmettent silencieusement leur message, nous appelant à louer Dieu. Dieu a merveilleusement arrangé l’univers et tout ce qu’il contient est pour notre bien. Le ciel et la terre manifestent sa gloire. Les perfections de Dieu sont proclamées dans un silence éloquent par le monde créé. Le psalmiste médite sur le parfait silence de la nature. Nous ne pouvons profiter des merveilles de la nature qu’en silence. Comme le prophète Elie, nous trouverons le Créateur dans une brise légère. Sans parole ni voix, la création raconte la gloire de Dieu. Elle suit parfaitement la loi de la nature. Le soleil n’arrêtera pas de se lever ou de se coucher parce que Dieu le Créateur a mis de l’ordre dans la création, et elle suit parfaitement l’ordre qui, à moins qu’il ne le veuille, ne changera pas. Saint Benoît consacre un chapitre entier de la sainte Règle au silence. Ce n’est que dans le silence que nous pouvons trouver Dieu comme aussi nos semblables. Plus l’esprit de l’Homme pénètre dans le monde qui l’entoure, plus ce témoignage nous étonne par sa grandeur et sa gloire. Dieu merveilleux d’un monde merveilleux qui mérite un grand honneur et une grande gloire. La gloire de Dieu signifie sa manifestation de soi et sa communication, appelant de la part de l’Homme la réponse de louange. Dans de nombreux autres psaumes, le psalmiste invitera toute la création à célébrer la grandeur du Créateur, par exemple le psaume 148. La nuit est l’absence de lumière solaire. La nuit et le jour chantent la gloire de Dieu. Le jour proclame la splendeur de Dieu, et la nuit son caractère caché et son mystère. Ni le jour ni la nuit ne peuvent parler comme l’Homme mais, malgré cela, ils transmettent leur message en tant que « sacrements » de la puissance et de la majesté de Dieu. Leur éloquence est silencieuse. La louange rendue à Dieu de jour comme de nuit couvre toute la terre ; elle est entendue universellement. Le soleil est le témoin principal et le plus évident de la splendeur de Dieu. Il est poétiquement conçu comme se cachant dans une tente dans le ciel oriental avant d’apparaître à l’aube, et est comparé à un époux vêtu de robes splendides en raison de la force de sa chaleur, et à un héros militaire du fait de sa lumière. Le psalmiste a été très impressionné par le ciel, la séquence ininterrompue des jours et des nuits, et le lever et le coucher du soleil. Il composa un poème et le chanta en présence des fidèles. Le monde de la création est un miroir reflétant Dieu, et tous ceux qui ont la foi comme le psalmiste pourront voir les reflets de Dieu dans le monde naturel. L’extrême grandeur et la puissance de Dieu brillent dans le sanctuaire céleste, dans la vaste étendue du ciel et sur toute la terre. « Le soleil lorsqu’il apparaît, faisant une proclamation au fur et à mesure qu’il sort, est un instrument merveilleux, l’œuvre du Très-Haut. À midi il dessèche la terre, et qui peut supporter sa chaleur brûlante ? Un homme qui s’occupe d’une fournaise travaille dans une chaleur ardente, mais le soleil brûle trois fois plus les montagnes, il exhale des vapeurs ardentes et avec des rayons lumineux il aveugle les yeux. Grand est le Seigneur qui l’a fait et sur son ordre il s’empresse de suivre son cours. » (Ben Sira 42) « Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures. Surtout Monsieur frère soleil, qui est le jour et par qui tu nous donnes la lumière, et il est beau et rayonnant d’une grande splendeur, et il te ressemble, Très-Haut. » (Saint François d’Assise) Dieu a créé le ciel et la terre, et la couronne de la création est l’Homme. L’Homme est un peu moins que Dieu (Ps 8). Le psalmiste, un homme ordinaire doté d’une imagination débordante et d’un profond sentiment de crainte, proclame la majesté et le pouvoir du Créateur. Mais l’Homme a défiguré la beauté de la création par le péché. Le Christ, telle la lumière du soleil, est venue dissiper les ténèbres de ce monde. Le Créateur de l’univers immense et merveilleux est si grand et si puissant, et pourtant il se soucie des êtres humains. Lorsque l’Homme abuse ou traite mal la création, la nature réagit. Récemment, notre monastère et ses environs ont été inondés ; la raison en est que certaines personnes ont jeté des déchets dans le drainage. Il a été bloqué par des pluies incessantes qui ont endommagé notre ferme et la plupart de nos cultures, et ont contaminé l’eau potable. Nous avons subi de grandes pertes. Nous n’avons rien pu faire jusqu’à ce que l’eau se retire lentement et cela a pris plus d’une semaine. Lorsque la nature réagit, nous ne pouvons rien faire d’autre que faire confiance au Dieu transcendant présent dans la création. En priant ce psaume, nous pouvons nous émerveiller de la création : avec quelle sagesse et quel amour Dieu a-t-il tout planifié et organisé ? Nous remercions Dieu le Souverain de l’univers, tout-sage et tout-puissant, pour avoir tout créé si bon et si beau. Toute louange et toute gloire à Dieu pour sa sagesse infinie, sa puissance, sa beauté, sa créativité et son amour. Nous louons Dieu au nom de toute la création. Louer et glorifier le Créateur et le Soutien de l’univers entier est le but ultime de toutes les créatures et êtres humains. Seigneur Dieu, nous te louons au nom de toute la création. La beauté et la bonté de tout ce que tu as fait, ainsi que le système et l’ordre parfaits dans la nature manifestent ta sagesse et ton amour. Tout ce que tu as fait est une merveille. Accepte les louanges et l’adoration que nous t’offrons, et fais que tous les êtres humains puissent reconnaître la bonté et la sagesse qui sont actives dans la création, et te louer de tout cœur. Actualités de la Confédération bénédictine 3 Lire Perspectives Dom Gregory Polan, osb Abbé Primat Actualités de la Confédération bénédictine À l’occasion du Conseil de l’AIM à Dinklage (Allemagne), en octobre 2021, le Père Abbé Primat nous a partagé quelques nouvelles. Je voudrais partager avec vous six points différents qui découlent de mon travail actuel pour la Confédération ainsi que quelques nouvelles. Tout d’abord, je voudrais offrir quelques réflexions concernant la pandémie. Ce fut une période difficile pour toutes nos communautés monastiques. Pour certains, ce fut la maladie et la mort éventuelle, et pour d’autres, l’établissement d’un nouveau rythme de vie durant ce temps difficile et incertain. À Saint-Anselme, il y avait 123 membres l’année dernière et 93 résidents cette année. Garder tout le monde en sécurité et en bonne santé fut un réel défi. D’après ce que j’ai entendu dans la Confédération, cela a été l’occasion pour les communautés, durant cette période, d’approfondir l’expérience de la lectio divina, à la fois en privé et en commun. En plus de cela, plusieurs communautés ont parlé de leur expérience de partage de foi accompagné d’un approfondissement des liens fraternels. Ce fut aussi très inspirant d’entendre la manière dont différentes communautés ont tendu la main et essayé d’être au service des autres. La diffusion en direct de leurs liturgies a été un moyen utile de rester en contact avec leurs oblats et amis. Plusieurs communautés ont évoqué l’impact que le silence a eu pendant cette période de pandémie. Il y a eu un approfondissement du sens de la prière au sein des communautés, et ce fut aussi l’occasion d’un temps de réflexion approfondie pour les moines, pour les moniales et les sœurs qui en attestent dans les lettres que j’ai reçues. Deuxièmement, c’est au cours de cette année que nous avons vu se développer plusieurs programmes de formation monastique dans différentes langues, venant souvent de notre Institut monastique, ici, à Saint-Anselme. Nous savons tous que la formation de nouveaux membres dans nos communautés est l’un des efforts les plus importants, dans lequel nous sommes très impliqués. Il est merveilleux de savoir que pendant cette période où nous avons été limités en matière de déplacements, nous avons consacré beaucoup de temps à développer ces programmes de formation. C’est quelque chose que nous pourrons poursuivre à l’avenir, je l’espère. Troisièmement, comme les restrictions liées à la pandémie ont été légèrement allégées, les voyages sont redevenus possibles, me permettant de participer à des initiatives variées : prédication de retraites, assistance à des réunions de nos fondations, participation aux jubilés et célébrations monastiques, et également rencontre des communautés qui souhaitent être guidées et encouragées. Quatrièmement, l’un des projets à Saint-Anselme, qui a occupé notre temps et notre énergie, a été la rénovation d’un étage de nos installations pour les hôtes, ainsi que de notre porterie. Après quelques consultations, nous avons décidé de rénover un seul des étages de l’hôtellerie et de donner une couche de peinture à l’autre étage. La raison en est que nous avons une variété de groupes d’étudiants qui pourront utiliser ces installations à bon escient. Par exemple, nous avons un « programme d’études à l’étranger » en collaboration avec le Collège de l’abbaye Saint-Vincent de Latrobe, aux États-Unis, le programme des formateurs monastiques (MFP), et différents groupes de pèlerinage de nos monastères. Ils seront très satisfaits d’un logement simple, et heureux de pouvoir se loger à moindre coût. Les chambres rénovées de l’hôtellerie sont certainement les bienvenues pour la qualité de notre accueil, charisme important de notre vie bénédictine. Cinquièmement, une discussion importante a eu lieu avec sept supérieurs généraux qui ont été reçus par le pape François. La question concernait un « privilège papal » qui permettrait à un membre non clérical d’être nommé ou élu supérieur d’une communauté. Le Saint-Père a été très attentif et réactif à notre demande. Il a dit qu’il la soutiendrait, mais qu’en fin de compte, cette décision devrait être laissée à la Congrégation pour la Vie Consacrée ! Sixièmement, je profite de cette occasion pour exprimer mes sentiments personnels et ma conviction que, bien que notre nombre soit en baisse pour les candidats à la vie monastique, je pense qu’il y a de fortes raisons d’espérer. L’espérance est une vertu importante, car elle nous appelle à croire en quelque chose avec la conviction d’un avenir meilleur, même s’il est difficile de voir au-delà de l’horizon immédiat. Si nous regardons l’histoire de la vie monastique, nous voyons qu’il y a des moments où différents mouvements ou des guerres ont eu un impact sur le nombre de personnes entrant dans les communautés monastiques. Il y a des temps d’accroissement et des temps de diminution. Nos 1 500 ans d’histoire nous montrent que, même dans les pires moments, il y a eu une résurgence qui s’ensuivait, nous donnant des raisons d’espérer en l’avenir. Je pense qu’il est également important de pouvoir voir qu’en cette période de pandémie les communautés monastiques du monde entier se sont vraiment unies dans leurs efforts pour travailler dans la paix et l’harmonie, et pour être au service des autres. Ce sont des éléments importants qui distinguent notre vie monastique et nous donnent des raisons de croire que la tradition bénédictine se poursuivra dans le futur pendant de nombreuses années. Une nouvelle étape pour la vie monastique 4 Lire Perspectives Dom Mauro-Giuseppe Lepori, ocist Abbé général de l’Ordre cistercien Une nouvelle étape pour la vie monastique Les statistiques concernant l’Ordre cistercien continuent de baisser, même si au Vietnam et en Afrique et en certains monastères particuliers en Europe, les chiffres semblent toujours réjouissants. À titre d’exemple pour les temps qui viennent de s’écouler : j'ai visité, avec l’Abbesse Présidente de la congrégation de Castille, huit communautés de moniales en Espagne. En deux semaines, nous avons eu l’élection d’une nouvelle abbesse indienne, nous avons décidé de fermer deux monastères avec un transfert des sœurs au monastère d’accueil réalisé à Madrid ; nous avons décidé d’affilier deux autres monastères, et nous avons nommé une prieure administratrice dans un autre monastère. Ainsi décliné, cela pourrait apparaître comme une liste un peu tragique, mis à part pour l’abbesse indienne, et pourtant, la façon dont tout cela est arrivé nous a remplis de gratitude et, en fin de compte, d’espérance. Pas d’espoirs au pluriel, mais d’espérance au singulier. Voir des communautés qui acceptent leur mort avec sérénité, sachant qu’elles sont accompagnées et aimées, nous remplit d’espérance, ne serait-ce que par le fruit abondant que les graines tombées en bonne terre pourront porter. Où ? Quand ? Dieu seul le sait. Il y a un mois, nous avons tenu une réunion informelle du synode de l’Ordre pour relancer la préparation du Chapitre général reporté à octobre 2022. Mis à part deux abbés du Vietnam et un du Canada, une vingtaine de membres ont pu participer à cette rencontre : ce fut une très bonne réunion dont nous avions grand besoin. Nous avons retravaillé les thèmes majeurs que nous voulons traiter au prochain Chapitre général : abus de pouvoir et visites régulières ; formation ; structures de gouvernement de l’Ordre ; fondations et réduction du nombre de monastères. Voici quelques passages de ma réflexion introductive à ce synode, à laquelle j’avais donné comme titre : « Retrouver un équilibre monastique pour repartir sur un chemin de communion synodale ». J’ai dit qu’il ne suffisait pas de réfléchir à la manière de tenir un Chapitre général en dépit de la crise du coronavirus. Je crois que cette crise nous rappelle surtout qu’il faut penser au Chapitre général et à l’Ordre avec un plus grand sens des responsabilités, ou plutôt d’une manière plus « dramatique » et plus mûre : que notre union dans l’Ordre et nos rencontres soient vécues dans chaque congrégation, dans chaque communauté comme dans toute l’humanité, avec responsabilité par rapport à notre temps. La crise du COVID nous a stoppés. Nombreuses sont les personnes et les communautés qui ont commencé un travail sur elles-mêmes, favorisé par le fait que pratiquement toutes les autres activités étaient arrêtées. Nous avons pu nous concentrer sur l’essentiel de notre vocation : la prière, l’écoute de la Parole de Dieu, la vie fraternelle en communauté. Paradoxalement, cette concentration sur l’essentiel était plus facile pour les communautés avec de nombreuses activités externes, parce que le confinement signifiait pour eux, au moins pour quelques mois, un changement radical en contraste clair avec la vie d’avant. Il a donc été vécu comme un « signe de contradiction » marquant profondément les personnes et la vie communautaire. Dans les communautés de style plus « contemplatif », le contraste n’a pas été aussi patent et pour cette raison peut-être, moins interpellant. Mais il est difficile de juger, chaque communauté ayant fait de façon originale l’expérience de ce temps particulier. Quand la vie et les activités ont repris, même avec des restrictions toujours nécessaires, il s’agissait et s’agit encore pour tous de comprendre comment repartir, comment reprendre le chemin. Et cela n’est pas facile car nous sentons une certaine fatigue, nous peinons à reprendre les activités, à ouvrir nos maisons, nos hôtelleries. Je me suis demandé : d’où vient cette peine ? Pourquoi nous sentons-nous devenus plus fatigués et même plus vieux ? Peut-être simplement parce que l’épreuve de la pandémie nous a obligés à regarder en face nos réelles fragilités. Avant, beaucoup de communautés même âgées et peu nombreuses ont assuré de grandes activités et d’importants engagements, non seulement dans le domaine du travail mais aussi dans celui de la célébration liturgique. Nous pensions en avoir la force, simplement parce que ces activités ont toujours été assumées depuis le temps où nous étions jeunes et nombreux. Nous avancions comme des locomotives traînant tout, sans nous rendre compte que nous ne nous arrêtions jamais pour recalculer ce que nos forces nous permettaient réellement, pour reconsidérer si l’horaire et la façon de célébrer l’Office et de gérer nos activités sont encore supportables pour ce que nous sommes en réalité. Et surtout, nous ne nous sommes jamais arrêtés pour réfléchir si, dans toutes nos activités, il y a encore un équilibre harmonieux qui nous permet de vivre avec joie dans ce que chaque monastère devrait être : une « école où l’on sert le Seigneur » (RB Prol. 45). Dans beaucoup de monastères nous avons réduit ou laissé tomber certaines choses, mais nous n’avons pas veillé à garder l’équilibre entre ce que nous maintenions et ce que nous lâchions. C’est pourquoi certaines parties de notre vie ont pris le dessus tandis que d’autres ont disparu de la scène. Dans quelques communautés, la prière a souffert au profit du travail. Ou bien la vie fraternelle, par exemple en renonçant aux temps de récréation ou de dialogue. Dans d’autres qui pouvaient se le permettre, le travail a été de plus en plus délégué à des personnes extérieures, salariées. La plupart des communautés ont pour ainsi dire fait disparaître le peu de lectio divina qu’on cultivait encore, du moins en théorie. Sans parler de la formation permanente. Je pourrais donner mille exemples, différents pour chaque communauté. Mais ce qui vaut peut-être pour tous est que depuis déjà trop longtemps nous nous sommes habitués à vivre une vocation monastique peu harmonieuse, peu équilibrée, peu apte à procurer un tel équilibre humain à nos vies . Nous avons oublié de cultiver l’extraordinaire équilibre humain, physique, psychique et spirituel que la règle de saint Benoît nous offrirait si nous la suivions, non formellement, mais comme nos pères et mères l’ont suivie : comme une école où « celui qui recherche la vie et désire voir des jours heureux » (cf. Prol. 15 ; Ps 33, 13) puisse les trouver, sur un chemin de fraternité filiale et de prière qui lui fait préférer le Christ par-dessus tout et en tout. Dans cette école, où progresse seulement celui qui ne finit jamais d’être disciple en écoutant attentivement avec « l’oreille du cœur » (Prol. 1), chaque élément de la vie doit contribuer à l’équilibre de la personne et de la communauté : la prière, la fraternité, le travail, le repos, l’obéissance, l’écoute, le silence, la parole, la pauvreté, etc. Nous ne devons rien laisser tomber si nous voulons que notre vie reste une symphonie. Quand la fragilité, la petitesse, la maladie, etc., exigent de nous des adaptations, nous le faisons souvent de façon déséquilibrée en coupant des parties entières de notre vie et de notre vocation au lieu de chercher un nouvel équilibre entre toutes les parties. Le problème de beaucoup de communautés est là ! Il est étonnant que, souvent, nous trouvons ce déséquilibre aussi dans les communautés nombreuses et jeunes. Je réalise, en fait, que nous négligeons depuis des années, tant dans les communautés fortes que dans les fragiles, cette attention à maintenir l’équilibre bénédictin, la fameuse « discretio » bénédictine. Et, bien que nous la rappelions souvent, particulièrement pendant les visites régulières, on n’est pas toujours disposé à corriger ce problème, comme si l’on ne comprenait pas ce que veut dire un équilibre de vie et de vocation. Chaque communauté, et souvent le supérieur ou un membre particulier – surtout quand il est responsable de l’économie ou d’un autre domaine, pense devoir résister et garder les rythmes et les accents établis « depuis toujours », ou maintenir certains domaines absolus tout en abandonnant d’autres domaines considérés comme moins essentiels. Au fond, l’erreur est de croire que ce qui sauve notre vie monastique est un domaine particulier, une œuvre particulière, un geste particulier, et non l’équilibre entre tous. Nous n’avons souvent pas été conscients que ce qui rend une communauté attrayante et significative pour les gens n’est pas seulement la liturgie, ou seulement notre œuvre, ou notre façon de travailler, ou seulement notre vie fraternelle, ou seulement notre silence, ou seulement notre accueil, etc., mais justement l’équilibre harmonieux avec lequel la préférence du Christ nous permet de vivre tout avec ordre et mesure, avec beauté et paix, dans la simplicité, mettant chaque chose à sa place. La période du confinement et toutes les restrictions de ces années nous ont mis un peu le dos au mur. La crise globale de la COVID-19 nous pose à nous, moines et moniales, quelques questions pressantes : Qu’avons-nous fait de notre vocation ? Qu’avons-nous fait de la règle de saint Benoît, de la Carta caritatis des premiers cisterciens, de la spiritualité intégrale de nos pères et mères dans la vie monastique ? Pourquoi avons-nous eu besoin d’une crise globale pour nous souvenir de ce que saint Benoît met en lumière depuis quinze siècles, pour nous rendre à nouveau compte qu’il nous rappelle à un équilibre de vie chrétienne qui peut être réellement un « Évangile d’humanité nouvelle » pour tous nos frères et sœurs en ce monde ? Il est important de ne pas laisser passer cette provocation – elle est d’ailleurs très présente dans le magistère du pape François, par exemple dans Evangelii gaudium , Laudato Si’ et Fratelli tutti, pour commencer dès maintenant une bonne conversion de la vie de nos monastères, en nous aidant les uns les autres dans cet effort, sans avoir peur d’accepter, en faveur d’un nouvel équilibre de notre vie, une plus grande pauvreté, plus de simplicité et donc une plus grande humilité. Lors de ce même synode, j’ai encore approfondi, à la lumière de ce que je viens de dire, le thème d’une solidarité plus vraie entre les monastères de différentes cultures, non seulement économiquement mais surtout dans la formation. Nous avons évoqué aussi le thème de la synodalité, d’une véritable écoute mutuelle dans les communautés, entre supérieurs, communautés et congrégations. Participer au cheminement synodal de toute l’Église, tel que le Pape nous y appelle, nous aidera à approfondir notre charisme, en offrant notre expérience à toute l’Église. Comprendre l’anthropocène 5 Lire Ouverture au monde Extrait d’une conférence de M. Bernard Lucet donnée à l’abbaye de Ligugé (France) en février 2020 Comprendre l’anthropocène[1] Lorsque l’homme aura coupé le dernier arbre, pollué la dernière goutte d’eau, tué le dernier animal et pêché le dernier poisson, alors il se rendra compte que l’argent n’est pas comestible. (Proverbe amérindien) L’habitabilité de notre unique lieu de vie est menacée, c’est une chose si vitale qu’elle aurait vocation à saisir tous les humains au plus profond. Décrypter et approfondir la situation réelle, grâce à l’éclairage des scientifiques, est le chemin pour incorporer en soi cet enjeu vital. Écarter les opinions au profit du savoir, sortir du déni, du fantasme, de la distraction. L’effet de serre L’effet de serre est nécessaire, grâce à lui la température moyenne sur terre est de + 15° C, sans lui ce serait - 18° C, donc pas de vie possible. Le rayonnement solaire arrive, une partie est réfléchie par les nuages, les glaciers, la neige ; l’énergie solaire est convertie en chaleur qui a son tour rayonne vers l’espace sous forme d’infrarouges ; certains gaz présents dans l’atmosphère bloquent les infrarouges qui restent donc en basse atmosphère. Plus il y a de ces gaz à effet de serre (GES) plus l’énergie s’accumule et plus la température augmente. L’énergie supplémentaire due à nos émissions s’accumule presque entièrement dans les océans, un peu dans les sols, et seulement 1 % dans l’atmosphère. La biosphère se réchauffe (+ 2,7 % par an actuellement) ; une telle accélération est dix fois plus importante que les augmentations les plus rapides du passé de la planète depuis plus d’un million d’années, et elle percute les écosystèmes bio et géophysiques. En effet, depuis huit cent mille ans le taux de CO2 avait peu varié. Malheureusement, la pression exercée sur les écosystèmes marins et terrestres altère la capacité des puits de carbone, ce qui entraîne la destruction de ce qui pourrait nous aider à ralentir le réchauffement. La baisse des émissions, c’est principalement la baisse des énergies fossiles, ce qui n’est pas du tout à l’ordre du jour dans les faits ! Alors que faire ? Nombreux sont ceux qui pensent qu’il serait possible de se passer des ressources énergétiques fossiles et du nucléaire à condition de réaliser des gains très conséquents via la réduction de consommation et via l’efficacité énergétique de nos appareils et machines. Peut-être pourrait-on y parvenir en Occident en réduisant de façon radicale nos consommations et nos usages, c’est-à-dire en tournant le dos à la croissance. Mais de nombreux pays ont besoin de croissance pour aider leurs populations à sortir de la pauvreté, s’éduquer, se soigner, se nourrir ; pourquoi ces populations ne pourraient-elles pas accéder à une vie plus confortable, même bien loin de nos standards occidentaux ? C’est pourquoi au niveau mondial l’énergie ne baissera pas énormément, et d’autant moins qu’il en faudra beaucoup pour aider le monde à s’adapter aux dérèglements de toutes sortes que les épisodes climatiques extrêmes feront subir ici et là. Pensez aux immenses travaux à mener pour protéger les villes exposées aux montées des eaux, par exemple. Ces besoins mondiaux d’équité et d’adaptation aux conséquences du réchauffement demanderont beaucoup d’énergie, ce n’est donc pas une diminution radicale des besoins énergétiques qui viendra au secours des limites des énergies renouvelables (intermittence du solaire et de l’éolien, entre autres limites). Il faut bien reconnaître que les énergies fossiles – cause majeure des émissions de GES– sont encore irremplaçables. Se passer du pétrole sera d’autant plus difficile que c’est une énergie pratique et hyperconcentrée. Nous devons notre style de vie aux énergies fossiles puissantes et pas chères qui alimentent nos machines. Regardez la force de travail déployée par un tracteur dans les champs avec un seul réservoir de gasoil, et la quantité énorme de travailleurs remplacés. Sans toutes ces machines – et le numérique est aussi là grâce aux machines – c’est une autre civilisation dans un monde fort différent. Laisser dans le sous-sol 80 % des énergies fossiles serait aussi impératif que difficile : il aurait fallu s’y prendre beaucoup plus tôt… Le réchauffement climatique et ses conséquences Le réchauffement pourrait être encore plus rapide que prévu ! Une modélisation précise indique que + 2° serait atteint dès 2040 du fait des émissions déjà présentes dans l’atmosphère. Tout ce qui est émis maintenant ajoute une difficulté à se maintenir à + 2° après 2040. + 2°et même + 3° sont déjà inévitables et 3° en moyenne c’est 5° sur les continents, soit une température au sol pouvant atteindre 50° dans le sud de l’Europe lors des vagues de chaleur. Quand bien même nous parviendrions à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans les années à venir (et cela reste hypothétique), notre civilisation thermo-industrielle aura des conséquences qui dureront des millénaires ! L’action des humains influence désormais l’évolution de la planète. Jusqu’à présent les grands bouleversements de notre planète étaient produits par des événements cosmiques (et telluriques). Ce fut le cas pour les périodes glaciaires et interglaciaires depuis un million d’années. Nous sommes dans une période interglaciaire, nommée holocène, depuis 12 000 ans, et la température n’a variée que de ± 0,5° durant ce temps ! La température actuelle (+ 1,1°) est le maximum depuis 1,2 millions d’années. Or cette augmentation implique une modification totalement inconnue de la biodiversité et du climat qui se sont adaptés durant des millions d’années. La nouveauté pour la planète est que la température augmente beaucoup plus vite : le taux de CO2 s’est accru dix fois plus vite que lors des événements brusques qui se sont produits ces huit cent mille dernières années. Les changements induits par l’anthropocène bouleversent l’équilibre de la biosphère et conduisent vers une « planète étuve ». Le réchauffement climatique est la conséquence de choix politiques faits en connaissance de cause, mais les accélérations bio-géophysiques auxquelles le système terre est soumis font sortir la planète des états d’équilibre connus. Les points de bascule des écosystèmes : vers une planète étuve ? On parle déjà, au sujet de la biodiversité animale, de sixième extinction de masse. Traitons déjà des risques humains. Une très bonne présentation du problème est faite par Gaël Giraud[2] : « Dans la seconde moitié du siècle, les conditions létales de chaleur et d’humidité rendront d’importantes parties du monde invivables de cent à deux-cents jours par an ; les gens devront partir de bien des endroits d’Inde, d’Asie du sud-est, d’Afrique. La banque mondiale estime à deux milliards le nombre de réfugiés climatiques dans la seconde moitié du siècle. Je pense que cela demeure très sous-estimé : au moins trois milliards de personnes devront migrer. [...] Le vivant est en train de migrer vers les pôles, et les pandémies tropicales se déplacent aussi, comme la malaria, par exemple, qui a fait son apparition en Italie. La Banque Mondiale chiffre à 5,2 milliards le nombre de personnes qui devraient souffrir du paludisme en 2050 ». De tels bouleversements sont directement imputables à des événements climatiques à la fois extrêmes et plus fréquents tels que sécheresses, pluies, cyclones, vagues de chaleurs, avec de nombreux impacts sur l’alimentation et la santé. Ces événements climatiques eux-mêmes sont la conséquence des réactions de nos écosystèmes sous la pression du réchauffement, en entraînant une accélération de ce dernier par la libération de CO2, et en diminuant les fonctions des puits de carbone avec, comme conséquences immédiates, la fonte des glaces et la destruction massive de la forêt. L’accumulation de chaleur dans les océans est le signe de l’accélération du réchauffement de la planète. Les océans absorbent 93 % du réchauffement d’origine anthropique, et 25 % de nos émissions de gaz à effet de serre ; cet immense puits de carbone s’affaiblit à cause du réchauffement climatique. Ecole dévastée à Tacloban par le typhon Haiyan/Yolanda en 2013, tenue par les sœurs bénédictines missionnaires de Tutzing (900 élèves). © AIM. Les rivières atmosphériques Il s’agit d’un couloir de vapeur d’eau et de chaleur, une sorte de fleuve atmosphérique qui se déverse en pluie diluvienne sur l’antarctique et en accélère la fonte[3]. Les moussons sont et seront modifiées par le dérèglement du climat. Les événements comme ceux d’août 2018 au Kérala, en Inde (450 morts, un million de réfugiés), vont se renforcer. Le fait est que le réchauffement mondial va exacerber la différence entre la température à la surface des océans et celle sur les terres au printemps. Cela va conduire à un renforcement des vents qui apportent la mousson. Par ailleurs, nous savons aussi que l’air plus chaud garde mieux l’eau, et donc que les précipitations seront plus intenses lors de ces épisodes tropicaux saisonniers. C’est un phénomène déjà remarquable dans les relevés historiques[4]. Le Jet Stream est un courant de vents violents qui circulent à haute altitude autour du pôle nord, il est responsable dans nos latitudes d’événements météorologiques extrêmes. Le réchauffement climatique renforcera fortement cette tendance vers 2050, avec à la clé des vagues de chaleur et des inondations à répétition comme nous en avons connus ces dernières années[5]. La circulation de Hadley est une bande atmosphérique formée de cellules ressemblant à des « tapis roulants » de 15 km de haut et presque 3 000 km de large ; elle assure les échanges de chaleur de l’équateur vers les tropiques en altitude. Au niveau équatorial, l’air chaud et humide monte, il se refroidit en altitude, ce qui donne de fortes pluies, la colonne d’air devenu sec se sépare en deux masses poussées de part et d’autre de l’équateur, avant de plonger vers le sol apportant de l’air chaud et sec produisant le climat spécifique des régions subtropicales. C’est à leur latitude que se trouvent les plus grands déserts de la planète (comme le Sahara ou l’Atacama). Avec le réchauffement climatique, les cellules de Hadley se sont élargies, transformant de nouvelles zones en climat subtropicale sec et à tendance désertique. La circulation de Hadley provoque une expansion de la zone subtropicale et donc une augmentation des sécheresses, et cela va beaucoup plus vite que prévu[6]. Ce phénomène n’est pas étranger aux gigantesques incendies, et nous n’en sommes qu’à + 1°. El Niño est l’une des principales perturbations climatiques mondiales qui se produit tous les deux à sept ans. Ses conséquences sont importantes : sécheresses et inondations sur de vastes zones, cyclones dévastateurs dans la zone du Pacifique, températures mondiales anormalement élevées les années d’ El Niño . Selon les études menées en 2018, les phénomènes extrêmes liés à El Niño vont augmenter et intensifier les risques existants : ils devraient se produire deux fois plus souvent, tout comme les phénomènes extrêmes liés au dipôle de l’océan indien[7] qui est une des causes majeures des incendies australiens récents. Sécheresses en Australie orientale, Indonésie, Inde, Afrique australe, Brésil ; inondations sur la côte ouest de l’Amérique du Sud, en Afrique de l’Est équatoriale, dans le sud des États-Unis ; blanchiment des récifs coralliens ; cyclones dévastateurs en Pacifique central : à l’échelle du globe, la température moyenne a tendance à être anormalement élevée pendant les années concernées par ces épisodes. Après le typhon Yolanda aux Philippines en 2013. © AIM. Conclusion Les écosystèmes mentionnés ici sont déjà, pour la moitié d’entre eux, dans une logique de basculement. Plutôt que de se lamenter sur un état de fait, ne convient-il pas d’interroger la pertinence des valeurs de notre civilisation indutrielle, désormais globale ? Ces valeurs induisent un rapport au monde qui est faussé puisqu’il menace la vie même. Il nous faut atterrir, comme le dit le philosophe Bruno Latour, afin de quitter le surplomb où l’on s’est installé et habiter autrement notre planète. Que peut-on faire ? c’est la question qui s’impose très vite. Avant de parler solutions, la première chose c’est de comprendre et ressentir l’urgence en étant clairement informé ; non pas uniquement conscient qu’il y a un problème, cela ne suffit pas. On prend conscience de l’urgence uniquement quand on sait objectivement pourquoi c’est urgent, qu’on mesure mieux le risque. Donc, un premier élément d’éthique personnelle : se confronter à la réalité de l’enjeu avec des informations fiables, en affronter la démesure et la peur. Deuxième élément : ne pas se voiler la face sur les gestes personnels, ils n’ont que peu d’impact sur la réduction des émissions, au maximum 10 % si une très grande majorité fait beaucoup d’efforts. Ce sera donc 5 % au mieux. Mais les faire quand même, en sachant leurs limites, comme moins consommer ou moins voyager en avion. Cela compte surtout pour conformer son vécu avec le sentiment éclairé de l’urgence, et participe d’une forme de témoignage. Troisième élément d’éthique personnelle : monter en clairvoyance politique car il y a des pouvoirs et des systèmes destructeurs, il y a des responsables politiques défaillants malgré leur « verdissement » affiché ; les reconnaître, voire les dénoncer, a un effet non négligeable. N’oublions pas que les décisions de réorientations qui comptent pour aller vers une économie évoluant vers zéro émissions (transports, énergie, agro-écologie, urbanisme, alimentation, etc.) sont les décisions prises au niveau des États et des groupes d’États. Enfin, et toujours au niveau de l’éthique personnelle : mobiliser l’esprit et la pensée pour un futur commun désirable. Nourrir le désir d’un monde vivant autrement. Considérer aussi la faculté d’émergences, ou de surgissements, dont peuvent être capables les milieux vivants, notamment humains. Et n’oublions jamais : « La forêt précède les peuples, le désert les suit »[8]. [1] M. Bernard Lucet est consultant de carrière auprès de cadres professionnels. L’anthropocène, littéralement : « l’âge de l’Homme », est un terme utilisé par les scientifiques pour signifier que les activités de l’Homme ont maintenant la puissance de modifier la terre et son évolution. [Note de l’Éditeur] [2] G. GIRAUD, Préface de : A. Pottier, Comment les économistes réchauffent la planète , (Anthropocène), Paris 2016. [3] Cf. http://www.cnrs.fr/sites/default/files/press_info/2019-10/ [4] Cf. J. SCHEWE et al., “Multi-model assessment of water scarcity under climate change”, Proceedings of the National Academy of Sciences , 111, 2014. [5] Cf. M. MANN, « Le Jet Stream , un amplificateur météorologique », Pour la Science 503, 2019. [6] Cf. https://app.getpocket.com/read/2826932240 [7] Le dipôle de l’océan Indien (DOI), aussi connu sous le nom d’ El Niño indien, est une oscillation irrégulière des températures de surface de la mer, la partie occidentale de l’océan devenant tour à tour plus chaude et plus froide que sa partie orientale. La mousson en Inde est ainsi généralement affectée par la différence de température entre le golfe du Bengale à l’est et la mer d’Oman à l’ouest. [Note de l’Éditeur] [8] Cette phrase a longtemps été attribuée à François-René de Chateaubriand sans que l’on puisse la situer dans son œuvre ; cf. J.-M. LE BOT, « Contribution à l’histoire d’un lieu commun : l’attribution à Chateaubriand de la phrase : Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent » (halshs-00662692). France : les monastères écologistes 6 Lire Témoignages Sœur Nathanaëlle Lefoulon, osb Monastère de Martigné-Briand (France) France : Les monastères écologistes En février 2017, une invitation peu ordinaire et improvisée était lancée par l’abbaye de Maylis auprès d’une quinzaine de monastères. Pour être plus précise, l’invitation a été lancée auprès d’un monastère qui en a invité un autre, qui en a invité un autre… et ainsi de suite. Olivétains, bénédictins, cisterciens, moniales orthodoxes, tous, nous nous sommes retrouvés à la ferme permaculturelle du Bec-Hellouin pour une session de trois jours autour de l’écologie intégrale. De nombreux laïcs, désireux d’aider les monastères dans ce mouvement, nous rejoignaient. Nous étions une cinquantaine ! Ce fut l’occasion de rencontres et d’échanges riches et savoureux autour d’Elena Lasida, professeur d’économie, de frère Dominique Lang, assomptionniste, d’Hervé Covez, franciscain et agronome, et bien sûr de Charles et Perrine Hervé-Gruyer, les propriétaires de la ferme. Le sujet de nos discussions : la manière de vivre et de déployer les questions écologiques dans nos vies, nos communautés, nos activités, à partir de l’exemple de Charles et Perrine et de l’encyclique Laudato si’ . Nous sommes repartis des étoiles plein les yeux et plein d’enthousiasme, avec une question : Comment nos communautés pouvaient-elles être, à leur manière, des « laboratoires d’écologie intégrale » ? Nos monastères, exemples même d’une vie où tout est relié et unifié, ne pouvaient-ils pas être des « archétypes de “maisons communes” qui montrent au monde ce qu’il pourrait vivre en grand » ? La difficulté était de savoir comment donner suite à ce bel enthousiasme et à cette intuition… C’est alors que Simon, étudiant d’Elena Lasida en économie solidaire et sociale, désireux de faire sa thèse sur la manière dont les monastères recevaient l’encyclique du pape François et vivaient cette dimension d’écologie intégrale, a proposé de rendre visite à seize monastères ou communautés nouvelles, de toutes confessions. C’est ainsi que d’avril à juillet 2018, Simon, toujours accompagné d’un frère ou d’une sœur de la communauté visitée, repartait ensuite avec ce frère ou cette sœur dans la communauté suivante. Au cours de ces « visitations », créativité et enthousiasme, gratuité, communion et gouvernance – ces grands thèmes de Laudato si’ – étaient étudiés dans les quatre relations constitutives de la personne humaine telles que définies par l’encyclique : relation à soi, relations aux autres, relation à la nature et relation à Dieu. Tout ce travail a donné lieu à une très belle rencontre autour de Simon et d’Elena Lasida au carmel de la paix, à Mazille, du 21 au 25 janvier 2019. Le frère ou la sœur qui avait accompagné Simon et le supérieur de chaque communauté visitée étaient présents. Au cours de ces journées de travail, ont été mis en évidence trois équilibres en lien avec les vœux monastiques : – Singulier/collectif : vœu d’obéissance. – Gratuit/utile : vœu de conversion des mœurs. – Intérieur/extérieur : vœu de stabilité. C’est à partir de là que le groupe de Mazille a pris le nom de « Communion Laudato si’ », et qu’est née l’idée d’un écodiagnostic dédié aux monastères. Grâce à Elena Lasida, deux sœurs et un frère de communautés Laudato si’ (l’abbaye de Landevennec, la communauté du Chemin neuf et le monastère de Martigné-Briand) rencontrent deux sœurs dominicaines de Chalais et d’Estavayer déjà investies sur un projet similaire. L’aventure avec l’association « Église verte » commençait ! Près de deux années de travail ont été nécessaires pour réaliser cet écodiagnostic, et du 31 mai au 31 juillet 2021, la « Communion Laudato si’ » et de nouvelles communautés acceptaient de le tester avant sa mise en ligne définitive sur le site de « Église verte ». Aujourd’hui l’équipe de travail, qui a intégré une sœur diaconesse de Reuilly, se retrouve régulièrement via Zoom pour corriger, modifier, intégrer les remarques qui ont été récoltées lors de la phase test. Nous espérons une mise en ligne définitive sur le site de « Église verte » vers le mois d’avril prochain. Célébrer la création de Dieu en plantant des arbres 7 Lire Témoignages Sœurs bénédictines missionnaires de Tutzing Extrait de la newsletter de mai-juillet 2021 du prieuré de Manille (Philippines) Célébrer la création de Dieu en plantant des arbres Le 22e Chapitre du prieuré de Manille, qui s’est tenu en avril 2019, a approuvé la décision suivante concernant toutes les communautés : « Que chaque communauté plante et entretienne au moins 100 arbres dans les deux ans à venir comme manifestation de notre manière bénédictine de gérer la Maison commune ». Cela fait suite à la recommandation du message du 13e Chapitre général : « La congrégation s’engage à avoir planté au moins 1 300 arbres dans les six prochaines années, en signe d’engagement pour le soin de la création de Dieu », en réponse à l’encyclique du pape François sur l’environnement et l’écologie humaine. Le mois de juin étant celui de l’environnement et correspondant à l’arrivée de la saison des pluies, il est plus que favorable pour planter des arbres afin de restaurer et soigner notre planète. De plus, un environnement vert est essentiel à notre survie contre le coronavirus. Nos différentes communautés ont rapporté leurs activités de plantation d’arbres depuis 2019. Communauté de la maison du prieuré Pour célébrer le jour de l’indépendance des Philippines le 12 juin 2021, et en signe de notre engagement à prendre soin de la création de Dieu, la communauté des sœurs de la maison du prieuré s’est rendue à la ferme de Tanauan pour planter des arbres. Respirer de l’air frais, se détendre au soleil et être au milieu de la verdure et des grands espaces ouverts de la ferme s’est avéré être le meilleur moment pour soigner les corps et les esprits fatigués, afin de mieux faire face à un investissement sur le long terme contre la pandémie qui fait rage. Communauté de Marihatag De 2019 à 2020, la communauté de Marihatag a planté et entretenu plus d’une centaine d’arbres fruitiers variés : avocatier, guyabano (graviola), marang, calamansi, kamias, dayap greffé, rambotan, durian, cacaoyer, langka (jacquier), différentes sortes de drageons de banane (lakatan, kwarenta dias, latundan, sab-a, carnaba), des noix de coco naines et indigènes, et bien d’autres espèces qui ont été plantées à la ferme San Benito de Mabog, à la ferme Cabahian et dans le jardin de notre couvent. De plus, en avril 2021, sœur Odilia Bulayungan et sœur Joyanne Morales ont planté cinquante propagules et semis de bitaog. Collège St. Scholastica et communauté de Manille De 2018 à 2021, le St. Scholastica’s College mène une activité annuelle de plantation d’arbres dans les fermes de Tanauan et de Tanay avec des représentants des différents secteurs de la communauté scolaire. Chaque plantation d’arbres commence par un service liturgique. Au cours des quatre dernières années, la communauté scolaire a pu planter une variété d’arbres fruitiers et feuillus. Pour n’en nommer que quelques-uns : 30 marangs (chênes Johey), lanzones (longkongs), 30 cacaotiers, 10 langkas (jacquiers), avocatiers, noix de coco naine et fruits du dragon. Des semis ont également été plantés par la communauté des sœurs dans l’enceinte du campus de l’école. Bénédiction des plants au collège St. Scolastica (Manille). Communauté de Ormoc Sœur Adela Arabia et sœur Leticia Saraza ont planté des arbres fruitiers à la maison Sainte-Scholastique, à Dayhagan. Cette maison est un projet de logement pour les employés du St. Peter’s College (Ormoc). Communauté de Pambujan De 2019 à aujourd’hui, les sœurs ont planté 392 arbres. Aujourd’hui, 211 poussent vigoureusement sur le terrain de l’hôpital St. Scholastica. Communauté de la maison de formation La communauté a commencé à planter des arbres en juin 2020 avec des avocatiers et des araucarias. À ce jour les terrains sont remplis de la verdure d’arbres fruitiers : manguier, fruit du dragon, mabolo (pomme de velours), santol (fruit de coton), attier (pomme cannelle ou sweetsop), cocotier, etc. Notre pépinière a de nouveaux plants, prêts pour la prochaine saison de plantation. Communauté de Mati Sterculia foetida est un arbre à bois mou qui peut atteindre 35 mètres de hauteur. Aux Philippines, cette espèce est bien connue sous le nom de Calumpang. Les branches sont utilisées pour les poteaux de clôture tandis que les feuilles sont données pour nourrir les chèvres. Soixante-quinze de ces arbres ont été plantés du 25 au 30 novembre 2020 à San Isidro Mission Farm (Davao oriental). Quarante autres arbres ont été plantés à l’Institut EnFIDe de St. Scholastica, (Mati City). Communauté de Baguio La communauté de Baguio a planté cinquante pins de Baguio à l’intérieur de l’enceinte du couvent le 17 mars 2021. Le collège St. Scolastica et la communauté de Tacloban Les sœurs se sont jointes aux étudiants, aux professeurs et au personnel pour des activités de plantation d’arbres à l’intérieur et autour du campus de l’école. Groupe de l'école de Tacloban. Communauté du Divine Word Hospital La communauté des sœurs, le personnel hospitalier et le personnel médical plantent des arbres fruitiers à l’Institut des agriculteurs de Saint-Benoît pour l’agriculture durable (SBFISA), à Alang-Alang, depuis novembre 2018. Les sœurs ont également mené cette activité au cours de leur sortie de communauté à l’hôpital Sainte-Scholastique de Pambujan. Tous se sont engagés à continuer à planter plus d’arbres cette année et les années à venir. Communauté Tabunok En 2019, 400 plants de palétuviers et 200 cocotiers ont été plantés par des élèves respectivement de 11e et 12e année, sous la direction des enseignants. Les sœurs avec le personnel de l’école ont planté huit arbres Araucaria pour le 113e anniversaire de la fondation du prieuré de Manille, le 14 septembre 2019. Au jardin de la paix de l’école (school’s Peace Garden ), des arbres ornementaux et fruitiers ont été plantés par les sœurs, les élèves et le personnel de l’école. En plus de la plantation d’arbres, la communauté a partagé des semis de feuillus et d’arbres fruitiers de la « mini forêt » de l’école avec la ferme écologique de Cebu. Le groupe de Tabunok. Communauté d’Angeles Le 19 juillet 2020, le programme « Justice et Paix pour l’intégrité de la création » (HFA-CBS JPIC) de la communauté des sœurs a été lancé. Une pépinière d’acajous et de kamansis (arbres à pain) a été créée pour préparer le semis à planter un an plus tard. Le 30 juillet 2021, les sœurs et d’autres membres de la communauté scolaire, ainsi que d’autres partenaires de la mission, ont planté les arbres. La pépinière avait un nombre débordant de plants d’acajous ; certains d’entre eux ont été partagés avec la Fondation de l’école dominicaine d’Angeles et avec notre Institut technique pour femmes, Mary our Help , à Mabalacat. Communauté de San Fernando En 2019, l’académie St. Scholastica de San Fernando a planté des bambous. Les sœurs, les étudiants et le personnel d’entretien ont planté quatre-vingt-sept pousses de bambou qui ont été données par l’association des anciens élèves de SSC Manila. Les sœurs de San Fernando en train de planter de jeunes arbres. Les monastères pour une économie alternative et durable 8 Lire Économie et vie monastique M. Benoît-Joseph Pons Les monastères pour une économie alternative et durable[1] Principes de l’économie monastique Comment un groupe d’hommes ou de femmes qui pratiquent un mode de vie basé sur des principes économiques opposés à ceux du modèle courant peuvent-ils inspirer des solutions aux problèmes que rencontre le monde d’aujourd’hui ? C’est l’objet de la présentation qui suit. La vie monastique repose sur quatre piliers qui sont la prière, le travail, la lectio divina et la vie communautaire. La lectio est la lecture d’un texte à caractère spirituel prolongée par une réflexion personnelle, une méditation et éventuellement une prière inspirée par ce texte. Les moines y consacrent généralement entre une et deux heures par jour. L’économie monastique s’articule autour de ces quatre piliers et elle repose sur deux principes essentiels : la désappropriation et l’économie des besoins. La désappropriation Dans la règle de saint Benoît, la désappropriation est fondée sur l’objectif de « ne rien préférer à l’amour du Christ ». Elle s’exprime de façon pratique par les deux préceptes suivants : « Avant tout, il faut retrancher du monastère jusqu’à la racine le vice de la propriété »[2], et « Que tout soit commun à tous, ainsi qu’il est écrit. Que personne ne dise que quelque chose lui appartient, ni n’ait la témérité de se l’approprier » (RB 33, 6). La Règle dit aussi : « Que personne n’ait donc la témérité de rien donner ou recevoir sans l’autorisation de l’abbé ; ni de rien posséder en propre, quoi que ce puisse être, puisqu’il n’est même plus licite au moine d’avoir à leur disposition ni leur corps ni leur volonté » (RB 33, 2-4). Autrement dit, le moine ne doit rien posséder en propre, ni bien matériel, ni bien immatériel. Ne pas disposer du corps conduit à la chasteté, ne pas disposer de la volonté conduit à l’obéissance. Dans la pratique, ne pas posséder les biens qui sont mis à sa disposition oblige le moine à en prendre le plus grand soin. La Règle demande au cellérier de « regarder tous les objets et tous les biens du monastère comme les vases sacrés de l’autel » (RB 31, 10). Elle dit aussi : « Si quelqu’un traite les objets du monastère avec malpropreté ou négligence, il sera réprimandé » (RB 32, 4). La désappropriation monastique génère la nécessité de la solidarité et de la non-compétition professionnelle. Une charge est un service dont personne n’est propriétaire. Elle est donnée par l’abbé, en fonction des aptitudes de la personne et des besoins du monastère. Elle ne donne lieu à aucun avantage personnel. Beaucoup de monastères pratiquent la « collation des charges ». Tous les trois ans, ou quand cela s’avère nécessaire, chaque moine remet sa charge à l’abbé qui décide soit de le reconduire dans cette même charge, soit de lui en donner une autre. Il ne s’agit pas d’une décision arbitraire ; elle est mûrie avec le Conseil – les moines qui aident l’abbé dans ses choix – et en concertation avec les personnes concernées. Mais chaque moine sait qu’il peut, à un moment donné de sa vie, occuper un poste important, puis se voir attribuer une fonction beaucoup plus modeste. Au monastère, on ne fait pas carrière. L’idée de ne pas mettre la compétition au centre des relations interpersonnelles est largement développée dans l’encyclique du pape François, Fratelli tutti , idée inspirée par saint François : « François a reçu la vraie paix intérieure, s’est libéré de tout désir de suprématie sur les autres, s’est fait l’un des derniers et a cherché à vivre en harmonie avec le monde » ( FT 4). L’économie des besoins L’économie des besoins est définie au chapitre 34 de la Règle, intitulé : « Si tous doivent recevoir également le nécessaire ». Elle s’appuie sur l’idée d’un retour au temps idyllique des premiers chrétiens décrit dans les Actes des Apôtres : « On partageait à chacun selon ses besoins » (Ac 4, 35 ; RB 34, 1). Il ne s’agit pas de considérer toutes les personnes comme des numéros identiques. Au contraire, chacun est différent et a des besoins particuliers. La Règle dit : « Celui qui aura besoin de moins, rendra grâces à Dieu et ne s’attristera point ; celui à qui il faut davantage, s’humiliera et ne s’élèvera point à cause de la miséricorde qu’on lui fait. Alors tous les membres seront en paix » (RB 34, 3-5). L’économie des besoins monastiques comprend deux volets : chacun reçoit selon ses besoins, et chacun contribue selon ses moyens. Ainsi, on ne donne pas la même chose à chaque membre de la communauté. On lui donne ce dont il a besoin, en fonction de sa situation propre. Dans l’organisation du travail des moines : celui qui est jeune et doué donne tout ce qu’il a ; celui qui est âgé et moins doué contribue au niveau de ses moyens. Dans les magasins ou les ateliers monastiques, le travail du moine donne lieu à une rémunération de la communauté. Mais cette rémunération n’est pas liée à la valeur du travail effectué. Elle est calculée sur les besoins d’une personne qui travaille, de façon identique, que le travail soit basique ou ultra-qualifié. L’économie monastique comme économie alternative et durable Ces deux principes de fonctionnement font du monastère une société particulière. Ce n’est pas un conservatoire des mœurs d’un autre âge, parce que c’est un lieu où l’on vit au présent. Ce n’est pas un laboratoire parce qu’on n’y fait pas d’expérimentation sociale. C’est le lieu d’une économie alternative, parce qu’on y pose au monde des questions sur ses pratiques en essayant d’inspirer des solutions aux problèmes nouveaux qui se présentent. Je me limiterai ici à l’examen de la question du travail. Monastère d'Imari, Japon. © AIM. Le travail Dans le monde, le travail sert à produire des biens et à servir une rémunération qui permet de se procurer d’autres biens. C’est la base du fonctionnement de l’économie libérale. Cet échange de biens est une occasion de communication entre les personnes. Le travail contribue à établir une hiérarchie sociale et c’est un élément de reconnaissance, de la part des autres et de soi-même. Karl Marx définit trois formes d’aliénation au travail : quand la rémunération ne représente qu’une faible partie de la valeur des biens produits, quand le travail ne vise qu’à obtenir un salaire, quand le travailleur ne peut pas mener une activité physique et intellectuelle qui soit libre. Au monastère, la désappropriation engendre une dissociation complète entre travail et rémunération. Avec ce mode de fonctionnement, les trois formes d’aliénation au travail disparaissent : puisque le moine ne touche pas de rémunération, il ne la compare pas à la valeur de ce qu’il a produit ; le travail qu’il effectue ne vise pas, en premier lieu à obtenir un salaire ; enfin, le travail monastique est très généralement de type artisanal, ce qui laisse au travailleur plus de liberté d’action qu’un travail à la chaîne. On peut donner au travail trois finalités : travailler pour gagner sa vie, travailler pour être reconnu par les autres et par soi-même et, si on est chrétien, travailler pour participer à l’œuvre créatrice de Dieu. Travailler pour gagner sa vie John Galbraith souligne un paradoxe : « Le mot “travail” s’applique simultanément à ceux pour lesquels il est épuisant, fastidieux, désagréable et à ceux qui y prennent manifestement plaisir et n’y voient aucune contrainte. "Travail" désigne à la fois l’obligation imposée aux uns et la source de prestige et de forte rémunération que désirent ardemment les autres et dont ils jouissent »[3]. Dans l’économie libérale, les rémunérations sont définies par les deux seules forces reconnues, le Marché et le Droit. C’est le Marché qui définit globalement les valeurs ; le Droit les encadre de façon à limiter les abus : SMIC, rémunération des stagiaires, limitation du temps de travail, interdiction du travail des enfants, etc. Le Droit est relativement efficace dans la réglementation des bas salaires. Il est totalement inefficace dans le contrôle des hauts revenus. Les moines d’aujourd’hui ne veulent pas vivre de la charité publique ; ils sont donc conscients de la nécessité de travailler pour faire vivre leur communauté. Mais comme le travail ne procure aucun avantage personnel, rémunération ou considération, la nature du travail effectué perd de son importance : gérer l’économat ou balayer le cloître ne sont pas fondamentalement différents. Ce sont juste des services correspondant aux capacités du titulaire et au besoin de la communauté. Par conséquent, il n’y a pas de compétition pour les postes. Travailler pour être reconnu À côté du salaire, la reconnaissance est une motivation importante. Mais le montant du salaire est lui-même, dans la pratique, un élément de cette reconnaissance. La recherche de reconnaissance au travail se traduit souvent par la recherche de pouvoir, soit pour l’image que l’on donne de soi, soit pour les avantages matériels qu’on en retire. Dans le monde, le pouvoir se mesure au nombre de personnes qu’on a sous ses ordres, au chiffre d’affaires qu’on génère, etc. L’image que l’on donne à son entourage familial et amical est très importante et peut influencer grandement le comportement. Chacun retire également une reconnaissance personnelle dans le sentiment d’être utile à son entreprise, à sa famille, à sa communauté. Contrairement au salaire, le travail comme moyen d’accomplissement personnel est important pour les moines. Celui qui fait un travail utile à la communauté apprécie la reconnaissance de cette dernière, mais s’il ne l’obtient pas, c’est pour lui une ascèse. Installation électrique (Togo). Travailler pour participer à l’œuvre créatrice de Dieu Dans une conception chrétienne, l’Homme a été créé à l’image de Dieu. « Dieu dit “Faisons l’Homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu’ils dominent sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages, et toutes les bestioles qui rampent sur la terre” » (Gn 1, 26). Le fait que l’Homme ait été créé à l’image de Dieu lui donne une dignité particulière. Cette dignité ne repose pas sur ses possessions, ses succès, son apparence. L’autorité qui lui est attribuée est à l’image de celle de Dieu, une autorité d’amour. La théologie de la création continuée s’oppose à l’idée que la création n’est que la construction d’une immense machine qui fonctionnerait par elle-même. Dieu continue à intervenir dans le monde, et l’Homme, créé à son image, est appelé à contribuer à cette intervention. L’Homme, créé à l’image de Dieu, participe, par son travail, à l’œuvre du Créateur, et continue, à la mesure de ses possibilités, de la développer et de la compléter, en progressant dans la découverte des ressources et des valeurs incluses dans l’ensemble du monde créé. Ainsi, le travail, en particulier dans sa conception monastique, n’est pas simplement utilitaire et individualiste : gagner sa vie et obtenir de la reconnaissance. C’est réaliser une œuvre, au sens qu’en donne Hannah Arendt. C’est une vision communautaire, parce que ce qui compte est ce qu’on apporte au monde. Au 19e siècle, s’est développée l’expression de « travail de bénédictin » qui signifie un travail de longue haleine, nécessitant beaucoup de patience. C’est le souci du travail bien fait, qui rejoint l’obligation de prendre soin de tous les biens du monastère. La conception bénédictine du travail suppose de se consacrer à ce qui est utile. Éviter de s’occuper avec zèle et piété à des « riens ». Dom Bertrand Rolin explique, à propos du chapitre 48 de la Règle, intitulé « Le travail manuel de chaque jour » : « Ce qui importe dans ce chapitre, c’est qu’il s’agisse de travail “vrai”. Et le travail “vrai” est celui qui est “à faire”, dit la Règle, c’est-à-dire celui qui est utile à la vie de la communauté et à son action, quelle que soit sa valorisation si on en juge selon les critères de la société. »[4] Combien de fois, faisons-nous des choses parfaitement inutiles mais qui nous feront bien voir parce qu’elles démontrent nos talents ? Travail et rémunération Dans l’économie monastique, il y a déconnexion complète entre travail et rémunération, ce qui n’est pas le cas dans le monde. Au monastère, l’abbé doit trouver une personne pour chaque fonction et donner une fonction à chaque personne. Par principe, il n’y a pas de chômage. Cela a deux conséquences. La première est que l’existence d’une fonction ne dépend pas de l’équilibre entre ce qu’elle coûte et ce qu’elle rapporte. Même si cultiver un jardin potager coûte plus cher qu’acheter ses légumes au supermarché, le fait que cela donne du travail à quelqu’un mérite d’être pris en considération. La seconde se rapporte à la question du chômage et de son indemnisation. Donne-t-on la priorité à la réduction du chômage ou à son indemnisation ? La politique traditionnelle peut laisser penser qu’on se défausse un peu de la lutte contre le chômage par une bonne indemnisation des chômeurs. Les actions contre le chômage semblent souvent surtout pilotées par la nécessité de baisser le coût de l’indemnisation. Or, nous l’avons vu, le travail est certes une source de revenus, mais pas uniquement. Indemniser les chômeurs est nécessaire, mais ce n’est pas suffisant : il faut leur donner du travail. C’est une question de dignité comme l’exprime le pape François dans Fratelli tutti. Atelier de confiture au monastère de Quilvo (Chili). © AIM. Conclusion sur le travail La conception monastique du travail ne s’applique pas uniquement aux moines. Elle inspire les oblats, ces laïcs qui, en liaison avec une communauté cherchent à vivre la Règle dans le monde. Elle repose sur un enseignement issu de la tradition, mais aussi sur une adaptation au monde d’aujourd’hui. Les moines n’hésitent pas à utiliser des machines ultra-modernes dans leurs ateliers. Elle prétend inspirer au monde une voie de progrès, inspirer chacun, chrétien ou non chrétien, sur différents aspects. Je retiendrai ici l’idée que le travail ne doit pas être uniquement une source de revenus. Le travail doit être un élément de développement personnel. Et ce développement personnel passe par le fait d’être utile à la communauté. Pour un travailleur en bas de l’échelle, il faut qu’il puisse être fier de ce qu’il fait. Pour quelqu’un qui a des responsabilités hiérarchiques, il faut qu’il organise le travail de ses collaborateurs pour qu’ils puissent s’épanouir dans ce qu’ils font. Pour les politiques et les administrations, il ne faut pas se contenter d’indemniser le chômage, il faut le réduire. D’un autre côté, il faut que le travail donne à la personne de quoi vivre dignement. Les mouvements du Commerce équitable ou des AMAP[5] militent en ce sens. Le travail ne doit pas être un lieu de compétition, mais un lieu de coopération. Enfin, travailler plus, pour gagner plus, pour consommer plus n’est pas une approche responsable, à partir du moment où l’on se procure le nécessaire. Cela conduit à se poser la question de la place de la croissance dans nos analyses économiques. Cela pose aussi la question de la publicité. Un aspect moderne de la clôture monastique consiste à se préserver des incitations à consommer, en particulier en limitant l’accès à internet. La publicité n’est pas mauvaise en soi, mais l’usage qu’on en fait doit être maîtrisé. La réception de l’encyclique Laudato si’ dans les monastères La publication par le pape François de l’encyclique Laudato si’ a provoqué une vague d’enthousiasme dans les milieux écologistes, même non chrétiens. Ils y ont trouvé une confirmation de leur discours, en passant volontairement sur les points qui les dérangeaient, comme la défense de la vie. Paradoxalement, dans les milieux monastiques, l’encyclique a mis du temps à s’imposer alors que les documents du magistère y sont généralement accueillis très favorablement. Pour essayer de comprendre ce paradoxe, j’émets une hypothèse : alors que les militants écologistes ont vu dans l’encyclique une véritable révolution dans la doctrine sociale de l’Église, les moines n’y ont vu, au départ, qu’une expression nouvelle de ce qu’ils vivent quotidiennement depuis les origines. La vie monastique est une vie de prière, essentiellement communautaire, qui s’appuie sur le chant des psaumes. Le psautier contient 150 psaumes ; les moines le chantent, normalement, en entier, chaque semaine. Plusieurs auteurs ont travaillé sur l’écologie dans les psaumes. Certains parlent de psaumes écologiques, d’autres de psaumes de la nature ou de psaumes de la création. 51 psaumes se retrouvent dans une, au moins, de ces trois catégories ; autrement dit, une part importante du psautier est écologique. Donc, un moine, sauf à chanter sans se soucier de ce qu’il chante, est forcément un écologiste, peut-être sans le savoir ou le reconnaître. Après un certain temps de maturation, beaucoup de monastères ont adopté Laudato si’, quand ils ont constaté qu’il s’agissait d’une formulation brillante de ce qu’ils essaient de vivre et que cela les aidait à progresser. Serre des bénédictins de Thien Binh (Vietnam). © AIM. La principale contribution de l’économie monastique à la question écologique est la « sobriété heureuse ». Il s’agit d’une expression développée par Pierre Rabhi[6], mais qui, d’une certaine façon est constitutive de la spiritualité monastique depuis ses origines. Pour Pierre Rabhi, les ressources de la planète sont limitées. Les ressources fossiles ne sont pas renouvelables et la capacité d’absorption de la pollution par la biosphère est limitée. La notion de limite est constitutive de la foi chrétienne : déjà dans la genèse Dieu dit : « Tu ne mangeras pas du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal » (Gn 2, 17). Cette notion de limite s’oppose à l’idée que la techno-science donnera à l’Homme un pouvoir illimité sur son environnement. Dans Laudato si’ le pape François affirme que le développement technologique est bon, mais à condition seulement qu’il soit « accompagné d’un développement de l’être humain en responsabilité, en valeurs, en conscience ». Pierre Rabhi affirme que la croissance économique est irréaliste et absurde : c’est un modèle porteur de mort. Il faut donc instaurer une politique de civilisation fondée sur la sobriété. Il faut satisfaire nos besoins vitaux avec les moyens les plus simples et les plus sains. Laudato si’, dit la même chose en parlant de la nécessité de conversion des cœurs. Dit en langage chrétien, la sobriété heureuse de Pierre Rabhi revient au respect de la création et au souci pour les générations à venir à qui nous nous devons de laisser un environnement vivable. Mais la sobriété heureuse monastique diffère de la sobriété heureuse écologiste. Alors que les écologistes la fondent essentiellement sur la protection des ressources naturelles et de l’environnement, les moines la fondent aussi sur un aspect social : consommer du superflu revient à priver d’autres personnes du nécessaire. Dans une vision écologiste, il faut travailler moins pour moins détruire de ressources. C’est la décroissance. Dans une vision monastique, il s’agit moins de travailler pour produire plus que pour satisfaire ses propres besoins ou ceux de sa communauté, parce qu’il faut pouvoir partager avec ceux qui n’ont pas les moyens de produire tout ce dont ils ont besoin. Conclusion Dans cette présentation rapide de l’économie monastique comme économie alternative et durable, nous avons identifié quelques aspects qui peuvent inspirer le monde. La valeur du travail comme moyen de développement personnel, les méfaits potentiels de la compétition dans les relations économiques, la recherche de la consommation comme source de bonheur. Cela conduit à la valeur de l’idée de sobriété heureuse qui ne doit pas être considérée uniquement sous son aspect environnemental, mais aussi sous son aspect social. Dans le prolongement de cette proposition, il faudrait aborder la question des inégalités sociales. La vie monastique permet d’éviter le piège d’un déséquilibre insupportable. L’économie des besoins questionne fortement la mise en œuvre du principe d’égalité. Le mot « pax » est la devise bénédictine. Saint Benoît le présente comme un bien qu’il nous faut avidement rechercher. C’est le mot qui résume le mieux l’harmonie, caractéristique de l’existence du moine. Dans le prologue de la Règle, saint Benoît demande de chercher la paix et de la poursuivre sans cesse ; cette recherche de la paix est associée à la recherche de Dieu, comme deux buts qui se fondent l’un dans l’autre. L’économie monastique, basée sur la désappropriation, et l’économie des besoins auxquelles se rajoutent la non-compétition et la sobriété heureuse, proposent les moyens d’obtenir cette paix. Et, c’est la paix qui rend l’organisation durable. [1] Benoît-Joseph Pons est un ingénieur agronome français. Il a commencé sa carrière, dans l’industrie, comme chercheur en microbiologie alimentaire. Il a été ensuite chef d’entreprise dans la chimie pharmaceutique. Il est titulaire d’une licence de théologie et d’un doctorat en économie obtenus à la Faculté des sciences sociales et économiques de l’Institut Catholique de Paris. Il est actuellement chercheur à la chaire Jean Bastaire de l’Université Catholique de Lyon. Il a écrit un livre sur « L’économie monastique. Une économie alternative pour notre temps » (2018). [2] Règle de saint Benoît (ci-après RB) 31, 1. [3] John GALBRAITH, Les mensonges de l’économie – Vérité pour notre temps , Paris, Bernard Grasset, 2004, p. 34. [4] Dom Bertrand ROLLIN, Vivre aujourd’hui la Règle de saint Benoît – Un commentaire de la Règle , Bégrolles en Mauge, Bellefontaine, coll. Vie monastique n° 16, 1983, p. 54. [5] Les AMAP - Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne - sont destinées à favoriser l'agriculture paysanne et biologique qui a du mal à subsister face à l’agro-industrie. Le principe est de créer un lien direct entre paysans et consommateurs, qui s’engagent à acheter la production de celui-ci à un prix équitable et en payant par avance. [Note de l’Éditeur] [6] Pierre Rabhi (1938-2021), agriculteur, essayiste, conférencier français d’origine algérienne, est considéré comme un des pionniers de l’agro-écologie qui vise à régénérer le milieu naturel en excluant pesticides et engrais chimiques. Ses nombreux ouvrages ont rencontré un grand succès. Il a cofondé le mouvement citoyen Colibris qui appelle aux actions locales, comme les jardins partagés, les fermes pédagogiques ou encore les circuits d’approvisionnements courts. Il est aussi controversé pour ses méthodes non scientifiques, pour ses accointances avec la philosophie ésotérique développée par Rudolf Steiner dans les années 20 (l’anthroposophie), pour ses relations avec des patrons de grands groupes industriels. [Note de l’Éditeur] Le cellérier selon la règle de saint Benoît 9 Lire Économie et vie monastique Père Médard Kimengwa Kitobo, osb Monastère de Lubumbashi, Kiswishi (RDC) Le cellérier selon la règle de saint Benoît : Un père pour tout le monastère, comme l’abbé et avec lui Compte rendu de l’intervention du père Simon Madeko[1] à la session de l'association MAC en juillet 2021 Pourquoi nous intéresser à l’esprit, à la motivation qui doit animer l’agir du cellérier dans une communauté monastique de tradition bénédictine ? Nous appartenons à un monde qui a une conception de l’économie pas nécessairement en harmonie avec notre idéal monastique et chrétien en général. Le problème est qu’à la base nous sommes héritiers, à travers la culture grecque depuis Platon, d’une anthropologie (une vision de l’Homme, du composé humain) dualiste. Donc, négative. Il s’agit d’une conception de l’Homme qui dissocie le corps et l’esprit. Cette anthropologie dualiste détermine la conception courante de l’économie jusqu’à une simplification à outrance, au point de prendre la forme d’une caricature. Cette conception opère une séparation sèche entre vie économique (temporelle) et vie spirituelle. De ce fait, couramment, le supérieur religieux, l’abbé/l’abbesse ou le prieur/la prieure, dans notre contexte bénédictin, est la personne qui a juste et exclusivement la charge du soin des âmes, soi-disant sans rapport avec la vie matérielle, la vie temporelle (tout ce qui concerne la production des biens, la provision des moyens pour y arriver, leur vente et leur répartition ainsi que leur gestion), qui serait, elle, la chasse-gardée de l’économe, du cellérier - de la cellérière. Mais est-elle vraie, dans le contexte de la spiritualité bénédictine, cette conception qui fait que le supérieur religieux n’ait rien à voir avec la vie matérielle comme l’économe n’aurait rien à voir avec la vie spirituelle ? On trouverait alors normal que ce dernier sacrifie des heures de prière ou d’autres activités spirituelles pour accomplir sa tâche administrative et autre ? Cette conception est simpliste et faussée. Rien n’est plus faux que cette caricature, particulièrement selon les données de la RB. En effet, dans la spiritualité bénédictine, il n’y a pas de séparation entre les deux domaines. Concrètement, dans la RB, l’abbé n’est pas seulement identifié à son rôle en matière spirituelle, mais à l’ensemble de ce qui touche la personne humaine, y compris dans sa vie matérielle. Il doit bien sûr s’occuper de la vie matérielle, sinon la vie spirituelle ne saurait s’épanouir. La vie monastique suppose une vie matérielle décente pour s’épanouir. Pour que l’abbé génère des fils qui puissent se conformer à la volonté de Dieu, leur Père, il doit veiller aux conditions matérielles nécessaires. Les anciens ne disaient-ils pas qu’il fallait un minimum de bien-être pour pratiquer la vertu ? S’agissant du cellérier, selon la RB, il lui incombe fondamentalement de s’occuper de la vie temporelle (économique) de tout le monastère (RB 31, 3). Mais saint Benoît ne s’arrête pas à cette formalisation de sa mission. Car il indique aussi l’esprit qui devrait caractériser son agir dans la gestion du temporel. Concrètement, saint Benoît dit au cellérier qu’il « devra agir en collaboration avec l’abbé et en se comportant comme un père pour tout le monastère » (RB 31, 2). C’est très important. Père comme l’abbé : sa mission est donc aussi bien spirituelle. Il participe ainsi à la charge de l’abbé dans l’exercice de sa mission. Comme aussi un père pour tout le monastère à l’instar de l’abbé, le cellérier participe dans l’exercice de son ministère à la génération des fils pour Dieu, qui est la première mission de l’abbé. Donc, le cellérier a aussi la mission de soigner les âmes des frères dans le monastère. Quand il n’a rien à donner, qu’il réponde avec une parole de bonté (RB 31, 7.13). Pas question de refuser pour refuser, mais pour laisser ses frères être engendrés à la vie dans l’Esprit. Le cellérier doit agir comme l’abbé. Il doit tenir compte des personnes. Il doit travailler en étroite collaboration avec l’abbé. Dans l’exercice de sa charge, il ne devra rien faire sans l’ordre de l’abbé et appliquer uniquement ce que ce dernier aura commandé (RB 31, 4-5 ; 12. 15). Si le moine cellérier entre dans ce rapport avec l’abbé, son obéissance est pour que dans le monastère il règne la paix. Et il lui est dit que s’il n’y a pas d’harmonie, il lui en sera aussi demandé des comptes (RB 31, 9.16). Le style de vie ou de spiritualité qu’implique la question économique dans le monastère devrait porter à avoir principalement le souci de la personne humaine et une vision sacrée des choses (il est demandé au cellérier de traiter les objets du monastère comme des vases sacrées de l’autel – RB 31, 10 – et de vendre ce qu’on produit sans cupidité – RB 57, 4-8). En d’autres termes : ce qui importe dans l’activité économique du monastère, ce n’est pas le gain mais le bien de la personne humaine par rapport au projet de recherche de Dieu. Ceux qui ont affaire avec l’organisation de la vie matérielle du monastère ont à considérer le primat de la personne humaine, sans la sacrifier sur l’autel de l’efficience économique ou de l’économie pure. Chacun d’eux, pour toute disposition et action, devrait se poser la question : Est-ce que les mesures que je prends et les actions que j’entreprends par rapport à la gestion contribuent à l’épanouissement de la personne humaine, à la paix et à l’harmonie dans la communauté ? Ayant créé l’Homme à son image et à sa ressemblance (Gn 1, 26), Dieu le veut debout ! Car il trouve sa gloire dans l’Homme qui vit dans la dignité (cf. saint Irénée de Lyon). Tous les commentateurs de la RB sont unanimes pour reconnaître que ce qui fait son actualité permanente, c’est son adaptation à chaque personne humaine à l’intérieur du jeu communautaire. Que l’Homme soit debout est tout l’horizon de la RB, dans laquelle Benoît conçoit la vie monastique comme une entreprise de conversion, de retour à Dieu par le labeur, la voie de l’obéissance, après l’asservissement à la volonté propre (RB, Prol. 2-3, 8). La nécessité de la spiritualité avec cet horizon de l’attention à l’Homme est perceptible dans un courant économique, « l’économie sociale du marché ». Le souci de la personne humaine ou l’attention à l’Homme est par contre le cadet des soucis de ce qu’on appelle le libéralisme économique, qu’on appelle aussi « capitalisme sauvage ». Si dans l’économie sociale du marché il y a de l’intérêt pour la personne humaine, dans le capitalisme sauvage l’Homme ne compte pas : ce qui est important est uniquement l’intérêt, le gain. Et justement, congolais et participant à cette session à Goma, au Nord-Kivu, dans les environs du Sud-Kivu et de l’Ituri, nous pouvons avoir l’illustration de cette conception économique en considérant la guerre à « basse intensité » (de fait, elle ne finit pas) qui embrase ces territoires, avec des gens obligés de quitter leurs terres à cause de la menace des armes… « Qu’ils meurent… » : ce n’est pas l’affaire des multinationales, et des dirigeants qui sont leurs « nègres de service ». Que l’ambassadeur italien soit sacrifié, cela ne compte rien par rapport aux intérêts. Le monde peut s’émouvoir un instant, en voyant se soulever un petit coin du voile qui ensevelit les affres de cette guerre infâme, mais aussitôt après, c’est le silence imposé par le dieu Mammon, que servent les nouveaux maîtres du monde, ceux qui contrôlent la bourse mondiale. Restauration de la chapelle des moines bénédictins de Koubri (Burkina Faso) en 2019. Toute proportion gardée, Max Weber pourrait être retenu, dans une certaine mesure, comme un ancêtre de l’économie sociale du marché avec notamment son livre : L’éthique du protestantisme et l’esprit du capitalisme (1904-1905). Il y démontre comment les pays scandinaves, sous l’influence du protestantisme, ont connu un fonctionnement de l’économie mettant l’Homme au centre. L’éthique protestante, selon lui, a généré, dans ce contexte, un capitalisme à visage humain. On comprend alors pourquoi l’économie sociale du marché a la faveur du Magistère de l’Église, à travers son enseignement social depuis Paul VI avec son encyclique Populorum progressio (1967). Mais Paul VI lui-même s’inscrivait dans une sensibilité ecclésiale sur la question, une sensibilité repérable déjà chez Léon XIII avec son encyclique Rerum novarum (mai 1891), et chez Jean XXIII, dans son encyclique Mater et Magistra (1961). Leurs successeurs n’ont pas manqué de marcher dans la même direction sur ladite question, comme on peut le constater chez Jean-Paul II ( Laborem exercens , septembre 1981 ; Sollicitudo rei socialis , décembre 1987 ; Centesimus annus , mai 1991), Benoît XVI ( Deus caritas est, 2005, 3e chapitre ; Exhortation apostolique Africae munus , novembre 2011) et François ( Laudato si’, mai 2015 ; Exhortation apostolique Querida Amazonia , février 2020). Dans ses différentes prises de position à ces occasions, sur, entre autres, la question que nous considérons, le Magistère de l’Église veut inciter les chrétiens et les hommes de bonne volonté à tenir compte de l’Homme, de sa dignité, préconisant une économie faisant attention à l’Homme. Avec tout cela, nous réalisons que l’esprit qui doit animer le cellérier dans sa charge a un fondement magistériel solide. Dans ce contexte quel esprit doit animer le cellérier ? Quel style de vie doit être le sien dans l’exercice de sa mission ? En réponse à cette réalité et en lien avec notre idéal de vie, à la base de notre conception de l’économie il y a la foi en la divine Providence. Nous réalisons que parfois nos investissements économiques, en dépit de toutes les précautions, ne donnent pas un rendement suffisant. Donc, nous devons vivre, produire, pourvoir à notre subsistance, partager et en même temps être humbles en recourant à l’aide et en nous confiant à la Providence. Et nous devons participer à une prise de conscience des enjeux économiques de l’économie mondialisée capitaliste en exploitant notre pouvoir éducateur des masses. En écho à toutes les préoccupations et inquiétudes exprimées par les participants face à la réalité du capitalisme sauvage, le père Simon nous éveille en proposant ce qui suit : Face à cette agression de l’économie libérale, pourquoi ne pas mettre sur pied un réseau de vente des produits de nos monastères (MAC) dont les conditions de production sont respectueuses de l’Homme et de l’environnement ? Promouvoir l’initiative privée, entrer en synergie entre nous et avec d’autres. Mettre sur pied une coopérative ? Un circuit éthique ! Car, avec les populations qui nous environnent, nous sommes victimes de l’économie libérale. Les supermarchés nous étranglent ! Il y a la publicité qui nous conditionne. Voilà pourquoi il nous faut sélectionner l’information que nous avons à consommer. Pour entrer dans le circuit proposé, il faut potentialiser ce qu’on a l’intention de mettre sur le marché. Qu’ils soient des produits de qualité et surtout éthiques, en mesure de séduire des clients qui s’orienteraient vers nous comme alternatives aux supermarchés. Dans le même registre, pour promouvoir la solidarité à l’intérieur du fonctionnement de l’économie dans nos monastères, nous pouvons aussi penser au projet d’une mutuelle de santé pour nos monastères MAC comme expression de notre attention à l’Homme dans notre recherche d’une santé financière. Ce serait une bonne illustration de notre effort productif, mettant l’Homme au centre. Bref, nous nous intéressons principalement à l’esprit qui doit animer ceux qui ont la responsabilité de la gestion directe de l’économie dans le monastère pensé par Benoît, l’économe et l’abbé en particulier. Il s’agît d’entrer dans l’esprit de l’économie selon les Pères des moines d’Occident. C’est la perspective d’une économie selon l’esprit de la RB. À son école, l’économie se fonde sur une spiritualité. La vie monastique selon Benoît dans sa règle Saint Benoît a conçu la vie monastique comme un chemin de conversion, de retour à Dieu. Il s’agit d’un chemin de retour à Dieu à travers le labeur de l’obéissance. Et ce, après la faillite des illusions de la volonté propre et du choix de l’autorégulation (cf. RB, Prol. 2-3.8). La destination de ce chemin de retour à Dieu (cf. RB, Prol. 1 et ss), c’est la vie éternelle, ou tout simplement la vie authentique, le royaume de Dieu, la vie de communion avec Dieu : la béatitude (cf. RB, Prol, 42, 5.3.10, 7.11 ; 72, 2.12). Quand Benoît fait de la « vie éternelle » (RB, Prol. 15, 17, 20, 42), le « royaume des lumières », des « jours heureux » (RB, Prol. 21), le terminus du chemin de retour à Dieu qu’entreprend le moine, il ne pense pas aux « fins dernières » mais à une expérience déjà dans la vie présente, l’harmonie vécue avec ceux qui partagent la vie du moine dans le même monastère. Le lieu concret de l’expérience de cette béatitude et de cette paix, c’est le vécu des commandements de Dieu : la vie éclairée par la Parole de Dieu. En d’autre termes : saint Benoît demande à ses disciples de prendre ce chemin en se laissant guider par la Parole, en tant que principale source de l’agir, et lumière sur leurs pas au quotidien (cf. RB, Prol. 10-12, 21-22, 25, 29, 33-34, 40). En conclusion, saint Benoît a voulu la vie monastique comme une « école pour apprendre à servir le Seigneur » (RB, Prol. 45), ou à être totalement donné au Seigneur. Dans le vécu de l’idéal évangélique, outre son vœu de faire de la vie monastique une école de service du Seigneur, Benoît a aussi voulu la vie monastique comme atelier (cf. RB 4, 78) à l’intérieur duquel on s’exerce à l’art spirituel (cf. RB 4, 75). Cet idéal monastique ainsi défini par Benoît, l’abbé en est le dépositaire. Il devrait l’incarner en premier et en être le garant, le répondant envers tous ceux qui, avec lui, ont intégré l’école de service du Seigneur et l’atelier d’entraînement à l’art spirituel. Profil et mission de l’abbé selon la RB (RB 2 et 64) Sur le profil et la mission de l’abbé selon la RB, les données des chapitres 2 et 64 ont à être complétées par d’autres, dont ceux, entre autres, des chapitres : 21-24, 28, 31-33, 36, 39-41, 44, 47-51, 53-57, 60, 66-68, 70. L’abbé, en tant que garant de l’idéal que saint Benoît propose à ses disciples, a la mission de guider les moines qui lui sont confiés dans la réalisation de l’idéal de retour à Dieu. C’est parce qu’il rend présent le Christ : par lui Dieu engendre, mieux, réengendre des fils. Il n’est pas le Christ, mais il le rend présent par son témoignage et par son enseignement. L’abbé a à engendrer des fils pour Dieu en enseignant, mais d’une manière particulière. Car enseigner n’est pas le problème. La question est celle de la manière d’enseigner. C’est par sa parole, habitée par la Parole de Dieu, qu’il a à enseigner. Il doit posséder cette Parole, la proclamer, l’expliquer mais, surtout, l’illustrer par l’exemple, son témoignage de vie, pour son actualisation. Par exemple, en corrigeant les autres, il se corrige lui-même. Il a à soigner les âmes, mais à condition que les moines lui ouvrent leurs cœurs, lui exposant leurs maladies spirituelles (RB 7, 44) comme, par exemple, lui soumettant ce qu’ils désirent offrir à Dieu durant le carême, pour le réaliser avec sa prière afin qu’ils ne tombent pas dans la présomption et la vaine gloire (cf. RB 49, 8-10). Cette forme de paternité de l’abbé, selon saint Benoît, est héritière de la figure du père spirituel dans la tradition des déserts d’Égypte aux origines du monachisme, figure bien immortalisée par les Apophtegmes. L’abbé, pour que s’épanouisse la vie spirituelle de ses moines, devra avoir une attention particulière sur les conditions matérielles nécessaires. Autrement dit, sur la vie temporelle, dont il est le premier responsable. Les supérieurs sont les premiers responsables de la vie temporelle des monastères qui leur sont confiés. Concrètement, saint Benoît a prévu que l’abbé veille à ce que les moines dorment dans de bonnes conditions (cf. RB 22), avec un dortoir pour eux, par exemple. Il doit même veiller à la quantité et de leur nourriture (cf. RB 39) et de leur boisson, cf. RB 40 (jamais vu un homme si réaliste que saint Benoît !). Il devra aussi faire attention aux faibles (aux vieillards, aux malades et aux enfants), cf. RB 36 et 37. Abbaye de Gedono (Indonésie), 2010. © AIM. Pour les malades, sa vigilance va plus loin : Benoît a prescrit qu’il y ait une infirmerie où ils doivent recevoir des soins appropriés (cf. RB 36, 7-8). Parmi les faibles, placés sous l’attention de l’abbé, Benoît cite aussi : les étrangers, les pèlerins et les hôtes. Il lui est demandé de veiller à ce qu’ils soient accueillis décemment, avec notamment un logis géré par un homme qui craint Dieu (cf. RB 53, 16-22). C’est vraiment la centralité de la personne qui reste en jeu dans le soin que l’abbé doit apporter à la vie matérielle du monastère. En définitive, la communauté, dans laquelle le moine doit se configurer au Christ, doit avoir tout ce qui est nécessaire sur le plan matériel (cf. RB 66, 6). Tout avoir ! C’est ici une proposition universelle. C’est une communauté dans laquelle on devrait, entre autres, trouver différents instruments pour les différents services nécessaires (cf. RB 32). L’abbé est prié d’en tenir l’inventaire (cf. RB 32, 3). Pourquoi, par exemple, ne pas penser procéder à un inventaire annuel systématique dans nos monastères ? L’abbé doit aussi faire en sorte que les moines de sa communauté puissent avoir ce qui est nécessaire à leur travail, s’efforçant notamment de s’adapter à chaque personne (cf. RB 2, 23-32 ; 33, 5). La mission de l’abbé, donc, consiste à ce que dans son monastère, tous les membres soient en paix (cf. RB 34, 5). Avec un minimum de paix dans nos communautés, ce serait le paradis. Mais c’est à cause de notre péché qu’il n’en est pas ainsi. Tous les membres, même ceux avec qui on n’a pas un bon feeling, doivent vivre en paix. Car, justement, au sein de la maison de Dieu que l’abbé gouverne, personne ne doit être triste, ni préoccupé (RB 31, 19). Chaque matin, regarder chaque sœur / chaque frère pour tester son état d’âme : est-elle/il en paix ou est troublé(e) intérieurement ? A-t-elle/il des problèmes, des soucis ? La santé économique d’un monastère est une dimension importante pour l’épanouissement de la santé psychologique et spirituelle de chaque membre en son sein. C’est un facteur de paix, d’harmonie pour chaque vocation monastique. Voilà pourquoi, dans la RB, l’abbé y apparaît comme un intendant par rapport à une autorité supérieure à qui il a à rendre compte (cf. RB 2, 1 aussi RB 64, 7-8.20-21). Il est gestionnaire de l’ensemble du monastère dans ce qui touche et la vie matérielle et la vie spirituelle, avec une attention particulière à chaque personne, en essayant de s’adapter à chacun. L’abbé est d’abord gestionnaire des personnes avant d’être celui des biens. S’il gère les biens, c’est uniquement parce qu’ils sont au service des personnes par rapport à leur processus de ré-engendrement par Dieu. Il y a donc la primauté des personnes sur les biens. Pour qu’il ne déroge pas à sa mission spirituelle, l’abbé délègue son pouvoir au cellérier et aux autres officiers, collaborant avec eux. En plus d’être un intendant, il est aussi un enseignant de la Parole de Dieu qu’il a à actualiser. Il est en outre père, en référence au Christ, et il a à veiller sur ses moines, en les aimant comme Dieu aime ses fils, et en veillant à ce qu’ils aient du pain. Il est ainsi, en dernière analyse, un pasteur, un berger, un médecin. Il est appelé à avoir de la compassion et à soigner, à « couvrir de soins » ses moines, surtout ceux qui sont en difficulté. Que les responsables des communautés apprennent parfois à perdre le sommeil pour mériter leur rôle de père, de mère. Il n’y a pas de mérite à être le seul parfait à l’intérieur d’une communauté de délinquants… C’est ensemble que nous devons arriver à la fin de la course (cf. RB 72) ! La spiritualité du cellérier devrait se dessiner à travers le profil et la mission de l’abbé par le fait que le cellérier agit comme un père, imitant son abbé, en générant des fils pour Dieu. Selon les données de la Règle, l’identité et la mission de l’abbé qui se répercutent sur la spiritualité du cellérier est celle de l’incarnation par rapport à la justice et à la paix. Cette spiritualité veut que : – le cellérier soit marqué de la crainte de Dieu, vertueux, habité par la Parole de Dieu pour être transfiguré par elle ; trouvant en elle, la consolation et la force. – Qu’il soit obéissant, soumis, docile, attentif (cf. RB 31, 4). – Qu’il soit charitable, compatissant, ayant du discernement, en vue de privilégier les faibles, parce que convaincu que les biens mis à la disposition de l’homme devraient être d’abord mis à disposition des faibles. C’est donc une spiritualité diaconale, de service. – Qu’il ait un sens de la responsabilité vis-à-vis des personnes et des biens en développant une liberté à l’égard des choses de ce monde, mais aussi en développant une confiance dans la Providence. – Qu’il soit humble, s’ouvrant à la collaboration, dans la conscience qu’il est un serviteur inutile, quelconque. – Qu’il soit honnête. Au fond, le cellérier comme l’abbé sont invités à vivre une spiritualité de la croix. Le cellérier est celui qui s’occupe du temporel pour le salut des âmes. De ce fait, l’abbé et le cellérier sont tenus à une grande collaboration, dans la confiance, la foi, la paix et l’harmonie. [1] Le père Simon Madeko est le prieur de la communauté bénédictine de Mambré (RDC). Le monachisme cistercien de rite guèze 10 Lire Liturgie Dom Négusse Woldai, ocist Abbé de la communauté d’Asmara (Érythrée) Le monachisme cistercien de rite guèze Le guèze (ou ge’ez) est la langue abyssinienne classique aujourd’hui utilisée uniquement comme langue liturgique. Dans notre monastère, nous prions les heures en guèze, mais les lectures des Écritures et des pères sont en tigrigna en Érythrée, et en amharique en Éthiopie ; toutes deux en dérivent. © AIM. Dès le début, les intentions de l’Église et de notre fondateur, le vénérable abba Fesseha Ghebreamlak, étaient d’ériger un monachisme catholique pour les catholiques indigènes, parallèlement à l’Église orthodoxe, sœur existante d’Abyssinie (Éthiopie et Érythrée). À l’initiative et par la médiation de la Congrégation pour les Églises orientales, la congrégation cistercienne de Casamari est devenue le berceau du projet en acceptant le futur fondateur abba Fesseha Ghebreamlak qui était prêtre diocésain, et d’autres qui ont suivi ses traces. Ils ont été formés selon la règle de saint Benoît, les Constitutions de la congrégation de Casamari, avec l’intention claire de suivre le rite guèze, une fois de retour chez eux, et d’établir la vie monastique cistercienne en Érythrée. En 1940, le premier groupe de cisterciens, composé de trois Italiens et de quatre Érythréens, arriva dans la capitale de l’Érythrée, Asmara, pour établir son premier monastère dans une localité appelée Beleza, à 13 km au nord de la capitale. Plus tard en 1948, le monastère a été transféré à Asmara. Ce n’était pas facile d’avoir deux rites, latin et guèze, dans le même monastère pendant les premières décennies, mais ils ont réussi à marcher ensemble sous la Règle bénédictine. En 1960, lorsque le premier moine érythréen abba Thimoteos Tesemma a été élu supérieur, seul le rite guèze était utilisé en Éthiopie et en Érythrée. Comme observance commune cistercienne, nous vivons selon la devise : « Ora et labora ». Vie liturgique Notre psalmodie comprend 150 psaumes et 15 cantiques des prophètes ; elle est continue, et elle se répartit sur deux semaines. Cela signifie que toutes les deux semaines, nous commençons par le psaume 1. La liturgie monastique des heures en semaine comprend : 1. 1er nocturne : Il comprend les psaumes et lectures respectifs de l’Écriture, suivis d’une courte prière appelée Liton . 2. 2e nocturne : Psaumes respectifs et lecture des Pères suivis de Weddasie Mariam (louange à la Vierge Marie de saint Ephrem le Syrien). 3. Laudes : Psaumes respectifs suivis de Kidan Zalalit (du Testamentum Domini ) I et II. 4. Divine liturgie (Sainte Messe). 5. Tierce et sexte à 12 h 30. 6. Vêpres à 18 h 15 tous les jours (15 h 30 les fêtes…). 7. Le chapitre et complies à 20 h 45 sont conclus avec le Salve Regina en langue guèze. © AIM. Les dimanches et jours de fête, notre psalmodie est l’Office divin cathédrale selon la liturgie du rite guèze. Comme d’habitude, la veille, les Vêpres sont chantées, puis tôt le matin la Vigile commence au chant du coq, c’est-à-dire 3 heures ou 4 heures, jusqu’à la Divine liturgie ou Sainte Messe. Les dimanches ordinaires ont leur propre thème et leur nom. Nous utilisons les instruments de musique traditionnels pendant l’office cathédrale tels que les tambours, les sistres et la canne ou le bâton de chœur de soutien, la danse liturgique accompagnée de battements de mains et de voix hurlantes de mères et de sœurs. Ici aussi les fidèles se joignent à cette psalmodie. Nous avons notre lectionnaire traditionnel et calendrier liturgique (12 mois de 30 jours chacun, plus 5 ou – l’année bissextile – 6 jours supplémentaires). Ici, nous insérons quelques fêtes de saints et commémorations de l’Église romaine et bénédictine. Selon la tradition de l’Église catholique éthio-érythréenne, la Divine liturgie quotidienne est célébrée soit à voix basse, soit chantée, tandis que la tradition de l’Église orthodoxe sœur est toujours chantée le dimanche, les jours de fête et lors d’occasions spéciales, tels que le mariage, les services funéraires ou la messe des défunts, le baptême des nourrissons où les sacrements de confirmation et de communion (c’est-à-dire les sacrements d’initiation) qui sont administrés simultanément, etc. Le jeûne est observé près de 200 jours par an avec rigueur. Dans la tradition de l’Église orthodoxe, les jours de jeûne, la Divine liturgie est célébrée à partir de midi, alors que nous la célébrons le matin. La musique et la gestuelle du rite guèze sont la reproduction du service musical et gestuel céleste. Les chantres sont séparés en deux chœurs : le côté droit est symboliquement celui des anges chérubins, le gauche celui des séraphins. La chorégraphie des chantres symbolisent la passion du Christ. Le kabaro est un tambour de bois de forme conique en peau de vache, recouvert d’un tissu qui représente le linceul ayant recouvert le corps du Christ, ou le tissu couvrant son visage lorsque les soldats romains le giflèrent. La petite membrane du tambour symbolise le Nouveau Testament, la grande membrane l’Ancien Testament. Le bâton de chœur représente la croix du Christ. La tête représente la tête de l’agneau pascal, symbole du Christ. Le sistre représente l’échelle de Jacob. Il est constitué de deux montants verticaux symbolisant l’Ancien et le Nouveau Testament, la jonction des deux au sommet formant la Bible. Selon certains, le son du sistre symbolise le bruit des ailes des séraphins et des chérubins dans les cieux. © AIM. Viktor Josef Dammertz (1929-2020) 11 Lire Grande figures de la vie monastique Père Cyrill Schäffer, osb Monastère Sankt Ottilien (Allemagne) « Pour vous, avec vous » Viktor Josef Dammertz (1929-2020) archi-abbé, abbé primat, évêque, moine Josef Dammertz est né le 8 juin 1929 à Schaephuysen, dans le Bas-Rhin. La famille maternelle était originaire des Pays-Bas. Le père, Wilhelm Dammertz, a grandi dans une ferme de Schaephuysen, jusqu’à ce qu’il reprenne, après son mariage avec Engelina Schepens, une épicerie que son beau-père, déjà décédé, avait montée. Ils eurent deux enfants, Joseph et Marga. Très engagé dans l’association catholique de jeunesse Neudeutschland où il approfondit sa foi et cultiva l’art du service, Joseph, parvenu en classe terminale, annonça à ses parents qu’il voulait devenir prêtre. C’est ainsi qu’au deuxième semestre de l’année 1950, il entra au Collegium Borromaeum , le séminaire du diocèse de Münster. Il poursuivit ses études à Innsbruck, où il résida au collège jésuite Canisianum . À l’université, il put écouter des professeurs connus comme Andreas Jungmann et Hugo et Karl Rahner. Dès l’époque d’Innsbruck, il avait fait connaissance, en troisième année d’études, du monastère missionnaire de Sankt Ottilien , en Haute-Bavière, et il se sentit attiré par l’esprit de l’Église universelle et la vie religieuse qui y régnaient. Josef Dammertz entra donc le 12 septembre 1953 à Sankt Ottilien , où il reçut le nom de Viktor, en mémoire du martyr paléochrétien Victor de Xanten. Après sa première profession, il poursuivit ses études théologiques à l’université bénédictine de Sant’ Anselmo (Rome). Après avoir terminé son parcours romain avec une licence, le frère Viktor fut ordonné prêtre en 1957. Sa devise comme abbé primat exprime clairement sa vision d’un sacerdoce de service : « Prêtre de Jésus-Christ au service des hommes ». Il lui fut demandé d’étudier le droit canonique, car l’abbé du temps, dom Suso, avait besoin d’un secrétaire ayant des connaissances en ce domaine. Il obtint son doctorat summa cum laude avec une thèse sur le « Droit constitutionnel des congrégations monastiques bénédictines dans l’histoire et le présent ». Au fond, avec cette thèse, et compte tenu de ses capacités intellectuelles, une carrière académique aurait pu s’offrir à lui, mais elle n’a manifestement jamais été sérieusement envisagée. Dès le sixième chapitre général de Sankt Ottilien en 1960, le père Viktor fut appelé au poste de secrétaire de la Congrégation, et l’archi-abbé Suso le nomma en même temps son secrétaire personnel. Même si le rôle du secrétaire abbatial est plutôt secondaire, le père Viktor a pu à bien des égards exercer une influence modératrice sur son supérieur et équilibrer les tensions entre l’archi-abbé et la communauté. En tant qu’expert en droit canonique de la Congrégation, le père Viktor a joué un rôle essentiel dans la révision des Constitutions des bénédictins missionnaires, adoptée en 1970. Sa collaboration consultative fut également appréciée par d’autres Congrégations bénédictines et non bénédictines. Il a notamment participé de manière plus ou moins intensive à l’élaboration des droits propres post-conciliaires de plusieurs Congrégations bénédictines. En raison d’un grave cancer, l’archi-abbé Suso, âgé de 65 ans, dut quitter son poste au début de l’année 1975. Lorsque le P. Viktor fut élu comme successeur le 8 janvier 1975, ce ne fut pas une grande surprise. En tant que nouvel abbé du monastère, le P. Viktor continua à prodiguer des soins personnels à son prédécesseur, qui avait tenu bon jusqu’à l’élection de son successeur, mais qui succomba à son cancer quelques jours plus tard, le 12 février. L’archi-abbé Dammertz choisit comme devise : « Iter para tutum ». Cette phrase programmatique tirée de l’hymne « Ave maris stella » exprime d’une part sa piété mariale, mais aussi la conscience de vivre en des temps de bouleversements tumultueux, dans lesquels il faut une étoile qui permette d’être guidé. En prenant ses fonctions, l’archi-abbé Viktor entra dans un grand réseau d’obligations et surtout d’attentes. Il s’agissait notamment d’interventions dans le diocèse d’Augsbourg lors de messes solennelles, de confirmations et de manifestations de toutes sortes, dans le monastère lui-même avec ses nombreux lieux annexes tels que l’école, les paroisses, les cinq maisons dépendantes, les entreprises et les ateliers, et bien sûr auprès des monastères de la Congrégation qui attendaient des orientations de la part du président de la Congrégation, en particulier dans les jeunes Églises. Même si le mandat de l’archi-abbé Viktor ne devait durer que deux ans et huit mois, il put contribuer à donner une certaine stabilité à la Congrégation dans la tourmente de l’après-Concile. Dans son propre monastère, il a notamment pu mettre en place l’intégration d’un lycée dans l’œuvre scolaire du diocèse d’Augsbourg, ce qui assura la pérennité de l’école. En septembre 1977, l’archi-abbé Viktor participa au congrès des abbés de la Confédération bénédictine à Rome, où il était déjà depuis des années secrétaire de la Commission canonique, et avait joué un rôle déterminant dans la refonte du droit propre. Outre la question de l’avenir du Collège Sant’ Anselmo, le congrès porta également sur le nouveau droit religieux des bénédictins. L’archi-abbé Viktor, en tant que canoniste, fit un exposé engagé et novateur sur ce sujet. Peu après, le 20 septembre, l’Abbé Primat Rembert Weakland surprit les abbés réunis en leur annonçant qu’il avait été nommé archevêque de Milwaukee et qu’il quittait donc sa fonction d’Abbé Primat avec effet immédiat. De nouvelles élections ont été immédiatement organisées pour lui trouver un successeur. Dès le 22 septembre, les voix des abbés se concentrèrent sur l’archi-abbé de Sankt Ottilien qui non seulement était à la tête de l’un des plus grands monastères de l’ordre bénédictin, mais apportait également la compétence dont il y avait un besoin urgent en matière de droit religieux. La communauté de Sankt Ottilien fut informée des opérations en cours à Rome. Mais lorsque le prieur Paulus Hörger envoya un fax au nom de la communauté avec ces mots : « N’acceptez sous aucun prétexte », l’archi-abbé avait déjà répondu favorablement au vote du Congrès des abbés et quittait ainsi sa fonction d’abbé du monastère et de président de la congrégation de Sankt Ottilien . Dans les années qui suivirent, l’Abbé Primat Viktor réussit à apaiser quelque peu les relations agitées au sein du Collège bénédictin. Il avait à ses côtés des collaborateurs hautement qualifiés en la personne du recteur Magnus Löhrer (1928-1999) et du prieur Gerhard Békés (1915-1999). Malgré la baisse du nombre d’étudiants issus de l’Ordre, l’université de l’Ordre connut une période de prospérité scientifique grâce un certain nombre de professeurs de qualité qui élaborèrent ensemble, entre autres, l’ouvrage de référence post-conciliaire « Mysterium Salutis » (1965-1976). Première réunion panafricaine anglophone au grand séminaire d'Harare (Zimbabwe) en 1991. Par la suite, l’Abbé Primat Viktor put apporter de multiples aides lors des révisions nécessaires des Constitutions de la Congrégation ; il participa à la refonte du droit religieux et fut membre de la Commission pour l’interprétation authentique du droit canonique. Au cours des quatorze années qu’il a passées à la tête de la confédération bénédictine, réélu à deux reprises, l’Abbé Primat Viktor a visité plus de 750 communautés de femmes et d’hommes dans le monde entier lors d’innombrables voyages. L’un des points forts de son mandat fut l’organisation du grand jubilé de saint Benoît en 1980, au cours duquel fut célébré le 1500e anniversaire de la naissance du père de l’Ordre bénédictin. À cette occasion, 500 abbés de la famille bénédictine se sont retrouvés à Rome. À Sant’ Anselmo, la bibliothèque située dans l’ancienne crypte de l’église abbatiale est le principal héritage architectural de l’activité du Primat. Dans une interview de 1992, il exprimait sa conception du ministère en disant que l’Abbé Primat devait promouvoir dans les monastères bénédictins la conscience qu’ils faisaient tous partie d’une « grande communauté mondiale ». Face aux forces centrifuges au sein de l’Ordre, l’Abbé Primat tenta de promouvoir l’unité sans pour autant réduire la diversité légitime et vitale au sein de l’Ordre. Son service de médiation comprenait également la construction de ponts entre les sœurs et les moniales de l’Ordre qui, dans la conception de l’époque, étaient séparées dans des mondes différents. Dans ses efforts de médiation, l’Abbé Primat prônait la reconnaissance mutuelle des options bénédictines légitimes, qu’il comparait à Marie et Marthe. Il suggéra que les secrétariats séparés pour les moniales et les sœurs bénédictines soient réunis, ce qui constitua un jalon important sur la voie de l’actuelle « Communio Internationalis Benedictinarum », Commission Internationale des Bénédictines. Au congrès des abbés de 1992, l’abbé de Collegeville, Jerome Theisen (1930-1995), fut élu pour lui succéder. Après l’expiration de son mandat le 20 septembre 1992, le P. Dammertz avait en fait prévu une retraite plus tranquille dans son monastère, bien qu’il ait été question d’une nomination à la Congrégation vaticane pour les religieux. Cependant, en pleine retraite privée avant Noël 1992, le nonce apostolique l’a appelé pour lui annoncer que le pape Jean-Paul II l’avait nommé 78e évêque d’Augsbourg. Dans sa résidence officielle, le palais épiscopal situé en face de la cathédrale d’Augsbourg, l’évêque Viktor aménagea une petite communauté domestique avec son secrétaire, le Dr Christian Hartl, sa sœur Marga et deux sœurs franciscaines de Maria Stern, avec lesquelles il célébrait la prière du jour et l’eucharistie. Il décrivit lui-même les conditions de logement comme un « petit couvent » et trouva agréable de poursuivre un peu de vie communautaire monastique dans l’épiscopat. Parmi les événements marquants de son mandat, il convient d’en citer quelques-uns qui tenaient particulièrement à cœur à l’évêque Viktor Josef lui-même. Parmi eux, la signature de la « Déclaration commune sur la doctrine de la justification » le 31 octobre 1999 à Augsbourg, la grande journée de la foi à l’occasion de l’Année sainte 2000 au Rosenaustadion d’Augsbourg, et la canonisation de Crescentia von Kaufbeuren à Rome le 25 novembre 2001 et, tout à la fin de son mandat, l’« année de la vocation » qu’il a proclamée en décembre 2003, au cours de laquelle on devait certes prier pour la relève ecclésiale, mais surtout découvrir chaque chemin de vie comme une vocation et un don. Comme le montrent des événements aussi divers, l’évêque Viktor pouvait et voulait jouer sur différents registres qui englobaient aussi bien la piété populaire que les nouveaux développements théologiques et ecclésiastiques mondiaux. Rencontre du père Viktor Dammertz avec le pape Jean-Paul II. Le jour de son 75e anniversaire, le 8 juin 2004, le pape Jean-Paul II accepta la demande de démission de l’évêque d’Augsbourg, et l’évêque émérite put se retirer dans un lieu qui était devenu pour lui un lieu de repos familier après de nombreuses vacances : le couvent de bénédictines et le village d’enfants Saint-Alban, où il servait les sœurs en tant que directeur spirituel de la maison. Sa sœur Marga, qui était déjà à ses côtés lorsqu’il était évêque, l’accompagna dans sa retraite à Saint-Alban. De nombreux amis et compagnons de route lui rendaient visite en ce lieu, jusqu’à ce qu’en janvier 2015, une faiblesse croissante due à l’âge lui suggéra de déménager à l’infirmerie de Sankt Ottilien . Là, on pouvait le rencontrer régulièrement dans la grande salle de séjour où il parcourait une pile de livres et de revues posée à côté de lui. Un soudain déclin de ses forces ne lui permit pas d’assister à l’ordination épiscopale de son deuxième successeur et, après quelques jours de faiblesse croissante, il prit congé en pleine conscience. Les funérailles dans la cathédrale d’Augsbourg ont été présidées par le cardinal Reinhard Marx, tandis que son successeur, Bertram Meier, prononçait l’homélie. Le défunt repose maintenant dans la crypte de la cathédrale. Après cet aperçu biographique, il convient maintenant d’examiner de plus près l’empreinte bénédictine de l’évêque religieux. Lors d’une première interview du nouvel évêque, on lui demanda de manière légèrement provocatrice si le monde monastique fermé constituait une préparation utile aux vastes responsabilités d’un évêque. Le nouvel évêque reconnut que l’espace de la vie monastique était naturellement très différent de la pastorale diocésaine. Mais il apporte aussi des avantages liés à l’expérience. Parmi ceux-ci, l’évêque citait l’importance de l’approfondissement spirituel pour l’avenir de l’Église et l’appréciation de la diversité dans l’unité, car cela exige l’acceptation mutuelle et le dialogue. À la fin de son mandat, l’évêque Viktor a souligné ces avantages de manière encore plus massive : « La vie monastique selon la règle de saint Benoît m’a profondément marqué, et les valeurs et les attitudes fondamentales qui m’ont été transmises m’ont également profité en tant qu’évêque. L’image que Benoît donne de l’abbé peut facilement être adaptée à l’évêque. La recherche d’un équilibre entre ora et labora , entre prière et travail, est aussi un défi permanent pour l’évêque (...) La vertu de sage modération – Benoît l’appelle discretio et la considère comme la mère de toutes les vertus (RB 64, 19) – retient l’évêque de chercher la solution des problèmes dans des positions extrêmes ». Sur la base de l’image bénédictine de l’abbé, Viktor-Joseph pu établir un petit miroir épiscopal bénédictin et a même estimé que la direction d’une paroisse n’était pas si éloignée de celle d’un monastère pour les questions fondamentales. La ligne de conduite de l’évêque, toujours axée sur la médiation, a également trouvé un certain nombre de détracteurs qui trouvaient que tout manquait d’énergie et de décision. Mais dans l’ensemble, le porte-parole du Conseil presbytéral d’Augsbourg résumait l’ambiance par ces mots : La « vie selon la sage règle de saint Benoît de l’évêque Viktor est pour nous un exemple et un encouragement, en particulier en ce qui concerne la spiritualité et le style de direction ». Dans ce qui suit, j’aimerais reprendre cette appréciation, tout en la remettant quelque peu en question : un titulaire de charge bénédictine des 20e et 21e siècles suit-il effectivement les directives de la règle de saint Benoît, et où commence le vaste espace de réappropriation créative et personnelle ? L’évêque Viktor décrit sa conception du ministère de la manière suivante : « C’est l’une des tâches les plus importantes d’un abbé que de préserver, de promouvoir et de recréer sans cesse l’unité de la communauté malgré toutes les oppositions. Cela n’est pas moins vrai pour l’évêque diocésain dans une Église qui souffre de plus en plus de polarisations. Les différents groupes s’accusent rapidement les uns les autres de ne plus être “catholiques” ou de former une secte. La tâche de l’évêque est de repousser les excès des deux côtés, mais pour le reste, de maintenir ensemble dans l’unité ecclésiale les groupes qui dérivent et de s’efforcer sans cesse à la médiation ». On peut déduire deux choses de cette déclaration. D’une part, pour décrire la compétence de direction ecclésiale, l’évêque Viktor recourt à l’image bénédictine de l’abbé du chapitre 2 de la Règle, selon laquelle le responsable d’une communauté doit « servir le caractère propre de beaucoup » (verset 31). D’autre part, il élargit cependant la sage considération de la diversité humaine par une aspiration fondamentale à l’unité et à la médiation, que ce soit dans les communautés monastiques ou dans l’Église locale et universelle. Même si cela correspond tout à fait à l’attitude bénédictine, un tel service pour la paix ne se trouve pas explicitement dans la règle de Benoît. Un autre trait marquant de l’évêque Viktor Josef, auquel on rend régulièrement hommage, était sa capacité de « travailler en équipe ». Les personnes impliquées soulignent sa capacité d’écoute, la patience et le temps qu’il accordait aux autres. Ils ont ainsi pu expliquer leur point de vue et ont ressenti de l’estime, même en cas de divergences persistantes. Il est bien connu que la règle bénédictine commence par une invitation à l’écoute. Elle recommande au moine d’écouter les paroles du Maître, c’est-à-dire les paroles du Christ, et de s’ouvrir à elles (RB Prol. 1). Dans le prolongement de ce principe de base, l’abbé est invité à « écouter le conseil des frères » (RB 3, 2). Par la suite, il est toutefois précisé qu’il doit décider lui-même de ce qui lui semble juste. Il faut donc aussi voir que la règle de Benoît contient certes des traces de prise de décision démocratique, mais que son modèle de domination reste essentiellement une monarchie. Les restrictions actuelles du pouvoir abbatial par le Chapitre et le Conseil sont des développements ultérieurs. Les représentations de la recherche de la vérité par le dialogue, qui nous semblent évidentes, ne correspondent pas aux réflexes du monachisme primitif. Ces brèves remarques ne visent pas à contester l’indéniable empreinte bénédictine du style de vie et de direction de l’évêque Viktor Josef, qu’il a d’ailleurs lui-même soulignée. Elles souhaitent cependant inviter à une utilisation réfléchie de la formule souvent utilisée de manière stéréotypée de « spiritualité bénédictine ». La règle de saint Benoît offre des possibilités d’interprétation presque illimitées. Les milieux traditionalistes et intégristes s’y réfèrent tout autant que les chrétiens libéraux et ouverts au dialogue. Dans le cas de l’évêque Viktor Josef, il s’agit avant tout d’une mise en œuvre très personnelle du charisme bénédictin, qui résulta de son caractère, de son expérience de vie et de sa sagesse. Elle a peut-être plus à voir avec Viktor Dammertz qu’avec saint Benoît. Peut-être plus en accord avec la tradition bénédictine, l’évêque Viktor aimait caractériser cette tradition par l’expression : « diversité dans l’unité ». Les deux sont importantes, la diversité et l’unité, mais, comme le souligne Viktor Dammertz, en mettant la diversité en avant : la diversité a une légère priorité. Les trois derniers abbés primats : Gregory Polan, Nokter Wolf, et Viktor Dammertz. La Fondation Benedictus 12 Lire News La Fondation Benedictus Père Jean-Pierre Longeat, osb Président de l’AIM Les Amis des Monastères à Travers le Monde (AMTM) et l’Alliance Inter-Monastères (AIM) ont créé ensemble la Fondation Benedictus – sous l’égide de la Fondation Caritas France . La Fondation Benedictus poursuit un objet d’intérêt général, à but non lucratif, conforme à l’objet de la Fondation Caritas France . Elle a pour mission d’apporter son concours moral et financier en vue de soutenir les activités de développement social, culturel, économique et environnemental au service de la promotion et de la dignité des populations défavorisées, en lien avec des fondations monastiques à travers le monde, vivant sous la règle de saint Benoît, en dehors de l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord. Pourquoi avoir créé Benedictus ? Pour permettre, en toute sécurité administrative, d’élargir les dons avec une possibilité de reçu fiscal notamment les dons déductibles de l’IFI (Impôt sur la Fortune Immobilière), de recevoir des legs et de toucher de nouveaux donateurs, de nouveaux amis des monastères. Liens avec l’AIM et l’AMTM Cette Fondation abritée vient en complément du travail de l’Alliance Inter-Monastères qui reçoit directement des aides financières de la part des monastères, d’organismes divers et de particuliers afin de soutenir tous les projets qui n’entrent pas dans le cadre de la Fondation Benedictus : formation, construction et rénovation de bâtiments spécifiquement religieux, activités lucratives des monastères... L’association de l’AMTM, par ailleurs, poursuivra une action de sensibilisation au soutien de la vie des monastères en Afrique, Asie, Amérique latine, Océanie et Europe de l’Est. Merci de votre fidélité ! N’hésitez pas à nous apporter votre soutien de la manière la plus adaptée à vos possibilités et soyez sûrs de notre prière et de notre fraternité. Lien vers la page de la Fondation Benedictus sur le site de Caritas France : https://www.fondationcaritasfrance.org/fondations/fondation-benedictus/ L’évolution des congrégations bénédictines d’un point de vue féminin 13 Lire Nouvelles L’évolution des congrégations bénédictines d’un point de vue féminin Mère Franziska Lukas, osb Abbesse de Dinklage (Allemagne) J’ai été invité à parler des congrégations bénédictines d’un point de vue féminin, mais j’ai pensé que vous seriez davantage intéressés par quelques échos des expériences que nous avons vécues en nous mettant sur le chemin de l’érection de la congrégation bénédictine européenne de la Résurrection. C’est bien sûr le point de vue d’une bénédictine, je n’aborde pas directement la situation des trappistes, des cisterciens ou d’autres ordres. Contexte général Tout le monde connaît l’histoire générale de Cor Orans : En 2014, un questionnaire de la CIVCSVA de Rome a été envoyé à tous les monastères de moniales. Cependant, beaucoup ne l’ont reçu qu’après un long délai et certains ne l’ont jamais reçu du tout. Cela était particulièrement vrai pour nous, les moniales bénédictines. Heureusement, cette année-là, nous étions ensemble pour le symposium de la CIB. Lors de ce symposium, une audience papale était prévue qui a été annulée par le Vatican dans un délai très court. Cela nous a donné le temps et l’opportunité de parler et de communiquer sur le questionnaire. À notre grande surprise, nous avons réalisé que nous étions d’accord dans notre réponse sur la plupart des questions de base. En 2016, la Constitution apostolique Vultum Dei quaerere a été publiée : nous ne pouvons toujours pas dire si, ou dans quelle mesure, nos réponses au questionnaire ont été intégrées dans ce document. Par la suite, en 2018, l’Instruction Cor orans a vu le jour ; cela a défini les nouvelles normes que nous sommes censées adopter dans l’obéissance. Certaines normes ont accru la responsabilité des moniales, d’autres ne sont pas compatibles avec notre vie d’aujourd’hui. Cor orans a été le catalyseur de trois mouvements : 1. Collaboration à différents niveaux, notamment en ce qui concerne l’irritation généralement causée par la longueur de la période de formation. 2. Contact avec la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée au niveau international, européen et national. 3. Développements et changements en cours parmi les communautés de moniales elles-mêmes, par exemple : – En Espagne : les communautés étaient déjà en train de former une congrégation ; aux Philippines : les trois communautés de moniales ont commencé à former une congrégation monastique ; en Europe, onze monastères ont fondé une nouvelle congrégation européenne. Les Constitutions de toutes ces congrégations ont maintenant été approuvées. – Pour les monastères individuels qui ont décidé de rejoindre une fédération ou une congrégation déjà existante, les fédérations ajustent leurs normes ; dans certains cas, elles envisagent de demander des dérogations (par exemple, pour le temps de formation prolongé). Ces quelques références peuvent suffire dans le cadre de cette perspective générale sur cette question. La congrégation bénédictine européenne de la Résurrection En ce qui concerne la nouvelle congrégation bénédictine européenne de la Résurrection, je pourrais en parler sous deux angles : Tout d’abord, le processus que notre communauté de Dinklage a traversé : chaque monastère de notre Congrégation, en effet, a dû suivre son propre processus et décider comment il voulait que Cor orans influe sur son avenir. Pour nous à Dinklage, nous avions différentes raisons qui nous ont amené à préférer créer une nouvelle congrégation. Il nous semblait que construire quelque chose de nouveau « seulement » en Allemagne serait trop étroit, parce que nous avons des nationalités différentes dans la communauté, mais que construire une congrégation vraiment mondiale nous paraîtrait un peu trop large. Deuxièmement, nous voyons une congrégation de « femmes » comme un signe qui nous est demandé en ce moment dans l’Église, alors que Rome nous a donné le pouvoir de le faire ; nos expériences à cet égard font partie d’une histoire plus longue. • Processus de développement du groupe de communautés qui appartient désormais à la Congrégation nouvellement érigée L’initiative a été prise par deux monastères en Belgique : Ils ont demandé à d’autres monastères s’ils étaient intéressés, dans les réseaux existants qui se sont développés au cours des dernières décennies (UBB, ADSUM, CIB). Depuis le commencement, il s’agissait de développer une congrégation monastique, pas une fédération. Nous étions toutes d’accord pour dire que c’était la voie privilégiée parce que nous voulions être juridiquement indépendantes de l’évêque. Nous faisions cela en pensant que c’était bon pour nous, et non parce que Rome l’avait demandé (même si Rome a finalement donné l’impulsion). Nous avons tout de suite découvert que prendre ce risque et s’ouvrir à une telle aventure nous donnaient de l’énergie. Nous voyons des avantages à construire une communauté nouvelle et plus grande de cette manière. Préserver la diversité : c’était et c’est toujours un point important pour nous toutes car chacune des communautés a une histoire, un mode de vie, une tradition et une culture très différentes. L’idée de vivre dans une « Europe » commune était partagée. • Les étapes pour l’élaboration des Constitutions Lors de la toute première réunion en octobre 2018, nous avons décidé d’avoir une Commission juridique avec quatre supérieures et sœur Scholastika Häring (Dinklage) comme coordinatrice. Cette Commission a fait différentes ébauches au fur et à mesure que les sœurs avançaient. Nous avons discuté de chacun de ces projets dans la Conférence des supérieures. Chaque projet provenant de la Commission a été envoyé aux supérieures qui l’ont discuté et ajusté. Ensuite, le texte a été transmis à chacune des communautés. Chaque fois, nous avons apporté avec nous les questions et les commentaires qui ont été en débat dans nos communautés, puis nous avons pris des décisions en fonction de tout cela lors de la réunion suivante des supérieures. Cela a continué étape par étape pour plusieurs ébauches. Avant de présenter le texte final, nous avons demandé à sœur Eleonora, ocso (Glencairn), et frère Hugues Leroy, osb (France), de relire le texte : il y avait donc une femme et un homme et d’autre part une anglophone et un francophone. Après avoir reçu leurs commentaires, nous avons eu une dernière réunion de supérieures pour en discuter. Le texte final est allé à chacune des communautés qui l’ont ensuite voté. • Contenu des Constitutions Nous avons rédigé un préambule comme « identité commune » : selon Perfectae Caritatis n° 9, notre Congrégation serait « monastique » et non pas Institut entièrement voué à la contemplation (PC n° 7). Nous soulignons l’importance des normes du monastère : mandat de l’abbesse, durée et composition du Conseil, périodicité des visites canoniques… Nous avons voulu éviter la standardisation ; ceux-ci ne sont pas possibles ou souhaités dans les domaines de la liturgie, de l’habit ou des apostolats. Tous nos monastères doivent vivre selon leur lieu et leur tradition. Nous avons commencé le processus en octobre 2018 et, au printemps 2020, les Constitutions étaient presque terminées. Puis est venu le confinement durant lequel nous avons pu nous rencontrer uniquement via Zoom . Nous avons pu faire ce travail, cependant, et avons réussi à terminer la rédaction de nos Constitutions. Novembre 2020 : réunion virtuelle des supérieures au cours de laquelle nous avons adopté les Constitutions puis les avons envoyées aux communautés pour qu’elles les votent. Même à ce stade, il restait impossible pour les supérieures de se rencontrer en présentiel. Nous nous sommes réunies virtuellement et avons pris la décision de tout préparer pour Rome, puis de l’envoyer. En plus des Constitutions elles-mêmes, nous avions le procès-verbal du Chapitre du vote pour rejoindre la Congrégation, le procès-verbal du Chapitre sur le vote pour les Constitutions, le décret de chaque monastère concernant l’érection de la Congrégation et une brève description de chaque monastère. L’une des supérieures était autorisée à parler en notre nom à toutes. Après quelques mois d’attente, un miracle nous a été accordé : l’érection de la Congrégation et l’approbation des Constitutions pour cinq ans ad experimentum . Donc nous en sommes là ! En novembre 2021, nous avons préparé le Chapitre général qui se tiendra en février dans notre communauté de Suède. Là, nous élirons la présidente, le Conseil et ainsi de suite et bien sûr, nous célébrerons le fait que nous en sommes arrivées là ! Les monastères de la nouvelle Congrégation sont : • Alexanderdorf, Allemagne • Dinklage, Allemagne • Egmond, Pays-Bas • Hurtebise, Belgique • Kaunas, Lituanie • Liège, Belgique • Montserrat, Espagne • Oosterhout, Pays-Bas • Simiane-Collongue, France • Steinfeld/Bonn, Allemagne • Vadstena, Suède Conclusion du rapport sur l’évolution de la Confédération bénédictine 14 Lire Nouvelles Conclusion du rapport sur l’évolution de la Confédération bénédictine depuis 140 ans, donné au synode des Abbés Présidents (sep 2021) Thomas Piazza[1] et P. Geraldo González y Lima, osb[2] Une vision globale de la Confédération bénédictine à partir des différents catalogi documente les grandes tendances des 140 dernières années de l’histoire bénédictine. Il semble y avoir eu quatre grandes périodes : 1880-1935 : Après le renouveau et la restauration de la vie monastique dans la deuxième moitié du 19e siècle, le nombre de moines et de monastères augmente rapidement jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Bien que l’augmentation ait ralenti pendant la Première Guerre mondiale, la tendance principale de croissance rapide s’est poursuivie jusqu’en 1935. 1950-1965 : Après la Seconde Guerre mondiale, la croissance s’est poursuivie, bien qu’à un rythme plus lent, jusqu’à ce que le nombre de membres atteigne un pic dans les années 1960. 1965-1980 : Les décennies des années 1960 et 1970 ont représenté une période d’innovation et de réforme à la fois dans les monastères et dans l’Église dans son ensemble. Cette période dynamique, avec notamment de très nombreuses fondations sur les continents extra-européens, s’est cependant accompagnée d’un départ important de beaucoup de membres (une baisse d’environ 20 % du nombre total de moines) entre 1965 et 1980. Il serait très intéressant de pouvoir analyser la structure par âge dans les monastères, avant et après cela. 1980-2020 : Après 1980, le nombre total de moines a continué de diminuer, mais à un rythme plus lent. Le nombre de moines ordonnés a diminué un peu plus rapidement, à mesure que les prêtres plus âgés décédaient et qu’une plus petite proportion de moines étaient ordonnés. Il semble que nous entrons maintenant dans une période de contraction et de consolidation. Mais notre propos n’est pas de projeter ces tendances dans le futur. Nous voulions simplement montrer la situation jusqu’à présent. Les Abbés Présidents en septembre 2021 Nous tenons à souligner que ces tendances pour la Confédération dans son ensemble ne reflètent pas nécessairement ce qui se passe dans chaque congrégation, dans chaque partie du monde. Ce n’est qu’un oiseau vue des yeux, pour ainsi dire. Nous avons l’intention d’effectuer d’autres analyses géographiques et de congrégations à l’avenir, en plus de deux de ces analyses publiées jusqu’à présent. En conclusion, nous voulons souligner la valeur des Catalogi Monasteriorum O.S.B. pour comprendre les tendances d’adhésion dans la Confédération bénédictine. Nous avons une grande dette de gratitude envers les premiers membres de la Confédération qui ont eu la clairvoyance de compiler et de publier ces documents inestimables. Il nous appartient à tous de les utiliser efficacement pour nous aider à comprendre la situation actuelle, et à planifier l’avenir. [1] Thomas Piazza est un statisticien retraité de l’université de Californie à Berkeley (USA). Il a été moine bénédictin à l’abbaye de St. Leo en Floride dans les années 1960. [2] Le père Geraldo González y Lima est moine de l’abbaye de Saint-Gérard à São Paolo (Brésil), trésorier de la Confédération bénédictine, et vice-président de la Commission internationale de l’éducation bénédictine. Rapport du Secrétaire général du DIM 15 Lire Nouvelles Rapport du Secrétaire général du DIM au Conseil d’administration de l’AIM 28 octobre 2021 Père William Skudlarek, osb Les restrictions persistantes sur les voyages et les rassemblements pour stopper la propagation du coronavirus ont à nouveau sévèrement limité les activités du DIM en 2021, celles parrainées par le Secrétariat ainsi que les activités au niveau des Commissions régionales. Un dialogue en cours avec les musulmans chiites, qui a été reporté en 2020 et devait avoir lieu à Vienne (Schottenstift) au début du mois, a de nouveau dû être reporté. Nous espérons maintenant nous rencontrer en mai 2022. La réunion annuelle des Commissions européennes du DIM devait avoir lieu à Ligugé en septembre de cette année mais a de nouveau été suspendue. Elle aurait inclu une journée avec les membres du nouveau Centre international de la Communauté Mondiale de Méditation Chrétienne (CMMC), à Bonnevaux, pour discuter de la façon dont le DIM et le CMMC pourraient collaborer dans les programmes du Centre. Le Chapitre général de la congrégation de Sankt Ottilien a également été retardé, il aurait inclu une session sur le dialogue interreligieux monastique. Les organisateurs du National Workshop on Christian Unity (USA) m’ont invité à être « théologien en résidence » et conférencier principal pour leur conférence virtuelle qui s’est tenue en avril. J’ai donné trois conférences sur la place de l’hospitalité (philoxénie, amour de l’étranger) dans le dialogue œcuménique et interreligieux. En tant que rédacteur en chef adjoint du journal en ligne du DIM, Dilatato Corde , je continue de consacrer beaucoup de temps et d’efforts à la traduction et à l’édition de documents soumis pour publication, ainsi qu’à la correspondance avec les auteurs et les réviseurs externes d’articles scientifiques. En plus des réflexions personnelles et des rapports sur les activités interreligieuses des individus et des commissions régionales du DIM, Dilatato Corde continue de publier d’importants travaux scientifiques sur le dialogue interreligieux au niveau de l’expérience et de la pratique spirituelles. Dans les deux numéros du tome 11 (2021), par exemple, vous trouverez « De Deus in adiutorium à Maranatha : Colonialisme et réforme dans la rencontre hindoue de John Main », de Nicholas Scrimenti, et deux études de Fabrice Blée : « Le dialogue chrétien-bouddhiste : Dimension prophétique du dialogue interreligieux monastique » et « L’expérience de Dieu dans l’œuvre de Panikkar : Éléments épistémologiques pour une approche contemporaine du divin ». J’ai fait une présentation sur les dimensions « conviviales » du dialogue interreligieux monastique lors d’un webinaire organisé par le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux pour les membres et consulteurs nord et sud-américains du PCID ( Pontifical Council for Interreligious Dialogue ). Le webinaire s’est tenu le 19 octobre et s’inscrivait dans le cadre de la préparation par le Conseil de l’Assemblée générale de l’année prochaine, qui sera consacrée à la convivialité et au dialogue. J’ai bon espoir que mon successeur en tant que secrétaire général du DIM sera nommé dans cette année 2022 ou au début de l’année prochaine. Je terminerai mon cinquième mandat de trois ans le 30 novembre 2022, et bien que ma santé soit bonne et que je reste déterminé à promouvoir le dialogue interreligieux entre les moines, je pense que c’est le bon moment pour un jeune bénédictin passionné et bien informé sur le dialogue interreligieux d’assumer la direction de cette importante œuvre au nom de la Confédération – un bénédictin d’ailleurs qui pourrait être autre que nord-américain ou européen. < Précédent Suivant >

  • Bulletin n°125 | AIM - L'Alliance Inter-Monastères

    < Retour 126 Bulletin La vie monastique aujourd’hui 125 Bulletin « Toute la vie comme liturgie » 124 Bulletin Les Chapitres généraux cisterciens (OCSO et OCist, sep. et oct. 2022) 123 Bulletin Vie monastique et synodalité 122 Bulletin La gestion de la Maison commune En voir plus « Toute la vie comme liturgie » Bulletin de l’AIM n° 125, 2023 Aller au sommaire Aller à l'éditorial Aller aux articles Sommaire Éditorial Dom J.-P. Longeat, osb, Président de l’AIM Lectio divina « La paix soit avec vous ! » Dom Adriano Bellini, osb Perspectives • Liturgie monastique, le grand « aujourd’hui » de Dieu Dom J.-P. Longeat, osb • Sainte Macrine, « Toute sa vie fut liturgie » Sœur Véronique Dupont, osb • La mise en œuvre de la réforme de la Liturgie monastique des Heures dans la congrégation brésilienne Dom Jerônimo Pereira Silva, osb Réflexion Les rites au cœur du lien social M. Jean-Claude Ravet Grandes figures de la vie monastique Le Saux-Abhishiktananda, un sacerdoce dans l’Esprit P. Yann Vagneux, MEP Art et liturgie Au fil de l’histoire, « Marie a gardé ces choses dans son cœur » Dom Ruberval Monteiro, osb Nouvelles • Voyage en Terre Sainte, avril-mai 2023 Dom J.-P. Longeat, osb • Voyage en Inde, février 2023 Sœur Christine Conrath, osb Sommaire Éditorial Ce numéro du Bulletin de l’AIM aurait voulu être une réflexion synthétique sur la pratique de la liturgie dans les monastères aujourd’hui : les acquis, les questions, les propositions. Nous n’avons pas réussi à relever ce défi qui aurait demandé davantage de préparation et de contacts avec plusieurs monastères des différents continents pour obtenir un instantané de la situation actuelle. Mais ce numéro porte tout de même sur la liturgie, de manière plus générale et spirituelle. Nous sommes heureux de bénéficier pour cela de l’apport de trois bénédictins brésiliens dont deux sont professeurs à l’Institut pontifical de Liturgie, à Saint-Anselme. Nous avons repris une étude de sœur Véronique Dupont, moniale de Vénières et collaboratrice infatigable de l’AIM, malheureusement trop vite décédée. Cet article traite de « la vie comme liturgie » telle qu’une Mère du désert comme sainte Macrine y invitait par toute son existence. Nous avons voulu aussi honorer la personnalité du père Henri Le Saux, en ce 50e anniversaire de sa mort, avec une contribution du père Yann Vagneux, des Missions Étrangères de Paris (MEP). Cette étude a déjà été publiée dans la revue « Vie consacrée » mais il valait la peine de le relayer. Enfin, sœur Christine, secrétaire de l’AIM, présente ici son rapport de voyage en Inde à l’occasion de la réunion de l’ISBF, suivie de la visite de plusieurs monastères, et moi-même donne quelques échos de mon séjour en Israël, à la rencontre des différentes communautés de la famille bénédictine en Terre Sainte. Dom Jean-Pierre Longeat, osb Président de l’AIM Articles La paix soit avec vous ! (Lc 24, 35-48) 1 Lire Lectio divina Dom Adriano Bellini, osb Abbaye Saint-Martin de Ligugé (France) La paix soit avec vous ! L’évangile de saint Luc 24, 35-48 : une clé pour la liturgie Jésus ne ressemble pas au Messie que les Israélites avaient imaginé, c’est-à-dire un roi, un prêtre et un prophète qui les délivrerait de l’oppression des plus puissants, pardonnerait les péchés et apporterait le salut avec lui. Pourtant l’Apôtre Pierre rappelle que Jésus est le Messie qui devait venir, qui accomplit pleinement la prophétie de toute l’Écriture. L’heure est arrivée : il faut ouvrir nos yeux pour recevoir le salut. Seuls ceux qui se laissent éclairer par la lumière du Christ ressuscité ont le cœur ouvert à l’intelligence des Écritures pour relire et redécouvrir que lui, le Sauveur, nous sauve par l’humilité, l’obéissance, la passion et la mort. C’est précisément au moment crucial et douloureux de sa mort sur la croix qu’il accomplit les prophéties. En tant que véritable prêtre, il offre le sacrifice définitif et révèle la puissance de la royauté d’un Dieu d’amour qui non seulement sauve son peuple mais reste avec lui pour toujours. Les disciples d’Emmaüs ont reconnu Jésus « à la fraction du pain », et maintenant le Seigneur se présente en personne au milieu d’eux, leur montrant les signes de la crucifixion pour chasser la peur et le doute ; ils peuvent aussi le toucher et manger avec lui. Le Christ, le Vivant, nous assure de sa présence réelle parmi nous, notamment par la Parole et l’Eucharistie. Nous pouvons et devons également éprouver la joie de rencontrer le Christ quotidiennement, afin de pouvoir communiquer avec lui et recevoir le pardon, la vie et les bénédictions dont nous avons besoin. Jésus ressuscité adresse cette salutation aux disciples : « La paix soit avec vous ! ». La paix est le don messianique par excellence, c’est le don de la résurrection du Christ. Mais ce n’est pas une paix fabriquée selon la mentalité du monde. Jésus lui-même le dit : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas troublé ni effrayé » (Jn 14, 27). La paix du Christ, c’est une paix qui transforme le doute en certitude, l’égoïsme en communion, la peur en espérance. Ce souhait de paix est profondément liturgique, c’est par lui que l’évêque ouvre toute célébration liturgique. Ce n’est pas un hasard si la devise des bénédictins est « PAX » – paix – et si saint Benoît est appelé le messager de la paix. En général, on trouve la salutation de PAX à l’entrée de tous les monastères ; quelquefois même une phrase, par exemple : Sit pax intranti, redeunti gratia sancti . ( Paix à celui qui entre ; à celui qui sort, emportez avec vous la grâce du saint [Benoît], comme dans l’entrée de l’abbaye Saint-Paul Hors-les-murs, à Rome). Ceux qui se promènent dans le cloître de l’abbaye de Saint-Martin ont devant eux des mosaïques qui leur rappellent avec insistance le don de la paix. Ce n’est pas seulement un souhait de bienvenue pour ceux qui viennent au monastère, mais le signe que la communauté accueille l’hôte et lui remet, à son entrée et à sa sortie, ce qu’elle a de plus précieux : la paix du Christ, le don pascal par excellence. La communauté monastique elle-même est appelée à vivre selon cette paix, à la rechercher, à la préserver et à la faire rayonner dans le monde : « Cherche la paix et poursuis-la », dit saint Benoît (Prol. 17). « La paix n’est pas la paresse, ni un faux désintéressement, [...] la paix est l’attitude d’une âme unie à Dieu dans la charité. » (Dom Delatte) La paix ne signifie pas toujours l’absence de problèmes ou de conflits. Au contraire, Jésus avertit ses disciples qu’ils devront endurer de nombreuses tribulations. La paix que Jésus a obtenue au prix de son sang signifie avant tout la certitude de sa présence, même lorsque nous devons traverser une mer agitée de difficultés. Jésus est vivant, il marche avec nous et nous donne sa paix et la joie de l’Esprit Saint. Cette paix se réalise lorsque nous sommes tous engagés dans la recherche de Dieu et du bien commun, lorsqu’il existe un désir sincère de communion, de charité et de don de soi. C’est cette paix, la paix du Christ ressuscité, que nous échangeons pendant la messe. « Reste avec nous, Seigneur. » Délivre-nous de l’ignorance et ouvre les yeux de nos cœurs à l’écoute de ta parole et à l’obéissance à Dieu. Donne-nous la grâce et la joie extraordinaire de te rencontrer dans le pain rompu à chaque célébration eucharistique, et que notre être soit vraiment transformé par la communion à ton Corps et à ton Sang, afin que notre témoignage de foi soit crédible, notre charité sincère, et que ta paix soit en nous. Amen. Liturgie monastique : le grand « aujourd’hui » de Dieu 2 Lire Perspectives Dom Jean-Pierre Longeat, osb Président de l’AIM Liturgie monastique : Le grand « aujourd’hui » de Dieu Les quelques réflexions proposées ici se voudraient une invitation à choisir de vivre aujourd’hui le jour qui nous est donné comme le plus important et le plus réel des jours. Aujourd’hui, comme chaque jour, tout advient de la puissance et de la vérité des êtres et des choses à condition que nos vies soient disposées à les accueillir. Comme on le sait, la liturgie met en valeur cet « hodie », cet aujourd’hui qui nous fait entrer dans le jour sans fin de Dieu. Cette proposition est faite en pensant à tous ceux qui, aujourd’hui, comme chaque jour depuis la création des humains, ont soif d’être, de vivre, de comprendre, de partager, d’aimer, d’exister intensément dans une humanité qui crie sa soif et son désir sans trop jamais savoir quels peuvent en être l’objet et le mode. Tout d’abord, nous poserons la question de l’écoute quotidienne : « Aujourd’hui, si vous entendez ma voix » ; puis celle de la nourriture quotidienne : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour », et enfin nous nous tournerons vers le Jour de Dieu, le jour au-delà des jours, le jour promis et tant désiré. « Aujourd’hui, si vous entendez ma voix, n’endurcissez pas vos cœurs » (Ps 94) Ce verset de psaume est cité au tout début de la règle de saint Benoît : « Levons-nous donc à la fin, l’Écriture nous y incite : “L’heure est venue de sortir de votre sommeil” (Rm 13, 11). Ouvrons les yeux à la lumière qui divinise. Ayons les oreilles attentives à la voix de Dieu qui nous crie chaque jour cet avertissement : “Aujourd’hui si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs” (Ps 94, 8). Et ailleurs : “Qui a des oreilles pour entendre, qu’il écoute ce que l’Esprit dit aux Églises” (Ap 2, 7). Et que dit-il ? “Venez mes fils écouter moi, je vais vous enseigner la crainte du Seigneur” (Ps 33, 12). “Courez pendant que vous avez la lumière de la vie, de peur que les ténèbres de la mort ne vous saisissent” (Jn 12, 35). » (Prol. 8-13) Le psaume 94 est ou était chanté chaque jour au début de l’office des Vigiles dans la liturgie bénédictine : c’est par excellence le psaume invitatoire, le psaume qui invite à la prière avec ses différentes composantes. Tout d’abord, un appel général à la louange : « Venez, crions de joie pour le Seigneur, acclamons le Rocher qui nous sauve ! Avançons-nous vers lui en rendant grâce ! À lui, nos chants et nos acclamations ! »[1]. Ensuite, une action de grâce pour l’œuvre de la création : « Il est le grand Dieu, lui, le Seigneur, le Roi plus grand que tous les dieux ! Dans sa main, les profondeurs de la terre ; à lui aussi les sommets des montagnes. À lui la mer, c’est lui qui l’a faite, et les continents que ses mains ont pétris ». Avant même d’être reconnu comme Créateur de toutes choses, le Seigneur est confessé comme le Dieu unique, le Dieu grand au-dessus de toutes grandeurs, de toutes hauteurs. C’est pourquoi il peut contenir en sa main tous les éléments créés, des profondeurs de la terre aux sommets des montagnes, sur toute la largeur des mers et des continents. Puis, vient une prière reconnaissante pour l’œuvre du salut en relation directe avec la marche au désert et les merveilles qui s’y sont accomplies par la main du Seigneur. Cette prière est accompagnée d’une invitation au repentir, garant de la véritable action de grâce : « Venez, inclinez-vous, prosternez-vous ! Adorons le Seigneur qui nous a faits ! Oui, il est notre Dieu et nous le peuple qu’il conduit, le troupeau guidé par sa main… N’endurcissez pas vos cœurs comme au désert, comme au jour de la révolte et du défi lorsque vos pères m’ont défié et provoqué, eux qui pourtant ont vu ce que j’ai fait ! » Cette action de grâce pour la rédemption et cet appel au repentir sont conjoints avec une nouvelle confession de foi : « Il est notre Dieu et nous le peuple qu’il conduit… ». Enfin, le psaume se termine par une évocation de la promesse faite par Dieu à l’homme de pouvoir partager sa vie dans son repos éternel, dans le sabbat dernier, si son cœur ne s’égare pas, avec une nouvelle référence au péché d’Israël dans le désert : « Quarante années, j’ai supporté cette génération ; j’ai dit : “C’est un peuple au cœur égaré ; il ne veut rien savoir de mes chemins”. Aussi je l’ai juré dans ma colère : “Jamais ils n’entreront dans le pays de mon repos !” ». Au milieu de tout cet ensemble vient le verset cité par saint Benoît : « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs ! ». Il y a donc dans ce psaume la dimension de la mémoire, celle de la promesse et celle qui donne sens aux deux, de l’actualité quotidienne. C’est là une des clés de la spiritualité chrétienne. Saint Benoît, à la suite de la tradition monastique, en est un commentateur particulièrement remarquable. De quoi s’agit-il ? Il s’agit de vivre chaque jour éveillé. Chaque matin et chaque instant de la journée sont un appel lancé par la voix de Dieu. Cet appel ne peut être perçu que par ceux qui s’y rendent attentifs. Ceux qui ouvrent les yeux et les oreilles de leur cœur pour voir et pour entendre « ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment » (1 Co 2, 9 cité par RB 4, 77). Ce qui peut nous rendre malheureux en cette vie, c’est d’être enfermé dans l’illusion des sens extérieurs. Si je ne vois qu’avec mes yeux de chair, si je n’entends qu’avec les oreilles de mon corps, je n’ai encore rien vu et rien entendu qui puissent me donner de goûter la vraie vie. Chaque jour, en chaque seconde, à travers les êtres et les choses créés, nous est donné la totalité de l’existence. Mais, souvent, nous dormons et nous ne faisons que rêver. Il est urgent, constamment urgent de se réveiller, de se lever, de ressusciter et de se mettre à écouter : « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs ». Là est un des propos essentiel de l’Évangile. Pour pouvoir écouter, il faut que soit touché le cœur, qu’il soit converti, circoncis. Il faut relire à ce propos le discours sur la montagne au début de l’Évangile de saint Matthieu. Dès le premier verset du Prologue, saint Benoît nous y invite : « Écoute, incline l’oreille de ton cœur » (Prol. 1). En commentant le verset précité du psaume 94, l’épître aux Hébreux actualise d’une manière particulièrement forte notre relation à la Parole de Dieu que l’homme reçoit pour la mettre en pratique afin de pouvoir un jour goûter le repos de Dieu : « Vivante est la Parole de Dieu, efficace et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur. Aussi n’y a-t-il pas de créature qui reste invisible devant elle, mais tout est nu et découvert aux yeux de Celui à qui nous devons rendre compte » (He 4, 12-13). Notre vie est-elle tout orientée dans cette perspective de l’aujourd’hui de la Parole qui advient en nos vies humaines afin que nous puissions dire avec le Christ : « Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture » (Lc 4, 21) ? « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » (Mt 6, 11 ; Lc 11, 3) Il ne suffit pas d’incliner l’oreille de son cœur et de ne pas l’endurcir pour pouvoir entendre l’appel du Seigneur à travers sa Parole de chaque jour, il faut aussi accepter de recevoir ce que le Seigneur prévoit pour nous au quotidien, selon sa volonté. Il est bon ici de se référer à l’expérience d’Israël au désert. Le Seigneur pourvoit gratuitement à la faim de son peuple en lui envoyant durant la nuit « une couche de rosée tout autour du camp ». Cette couche de rosée, une fois évaporée au matin, laisse apparaître sur la surface du sol quelque chose de menu et de granuleux. « C’est le pain que le Seigneur vous a donné à manger. Voici ce que le Seigneur a ordonné : Recueillez-en chacun selon ce qu’il peut manger ».Et Moïse leur dit : « Que personne n’en mette en réserve jusqu’au lendemain » ; « Ils en recueillirent chaque matin, chacun selon ce qu’il pouvait manger et quand le soleil devenait chaud, cela fondait » (cf. Ex 16, 13-21). La nourriture quotidienne de la manne descendue du ciel, voilà un élément clé de la spiritualité de l’aujourd’hui proposé par Dieu à son peuple. L’Évangile de saint Matthieu donne un beau commentaire de ce don venant du ciel : « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. […] Ne vous inquiétez pas en disant : Qu’allons-nous manger, qu’allons-nous boire ? De quoi allons-nous nous vêtir ?… Votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela. Cherchez d’abord son royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous inquiétez donc pas du lendemain : demain s’inquiétera de lui-même. À chaque jour suffit sa peine » (Mt 6, 25-34). Faut-il donc prendre ces textes au pied de la lettre ? Non, ce n’est pas suffisant, il est nécessaire de les interpréter. Mais il est aussi indispensable de savoir vivre cet abandon au jour le jour dans la confiance d’une foi toujours à renouveler. Il est bien clair que notre quête est rarement le Royaume de Dieu d’abord, et c’est bien cela qui pose problème. Si comme les Israélites dans le désert nous voulons faire des provisions de manne, si nous voulons thésauriser le don de Dieu, si nous n’acceptons pas de recevoir chaque jour les dons qui nous sont seulement nécessaires, nous ne pourrons accomplir la vie de Dieu en ce monde. Assemblée de la CIB à Rome, en 2022. Le discours sur le Pain de vie présente l’accomplissement de ce signe de la manne. Le Christ nous y révèle qu’il est lui-même le Pain de vie. « Vos pères dans le désert ont mangé la manne et sont morts ; ce pain est celui qui descend du ciel pour qu’on en mange et ne meure pas. Je suis le pain vivant, descendu du ciel. Qui mangera ce pain vivra à jamais » (Jn 6, 49-51). Notre seule véritable nourriture quotidienne, c’est le Christ, donné pour que le monde ait la vie. Nous le recevons dans sa parole ruminée et dans la prière, dans le pain de l’eucharistie et des sacrements ainsi que dans la communion fraternelle. Ainsi « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » ne peut bien se comprendre que dans cette relation chaque jour nouvelle au Christ livré. C’est ainsi que nous pouvons chercher le Royaume et sa justice, c’est ainsi que nous pouvons nous contenter de la nourriture quotidienne. Toute la vie du Christ est ainsi faite, saint Luc le rapporte à sa manière : « Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture » (4, 21) ; à la suite de la guérison du paralytique, les témoins s’exclament : « Nous avons vu d’étranges choses, aujourd’hui » (5, 26). « Voici que je chasse des démons et accomplis des guérisons aujourd’hui et demain, et le troisième jour je suis consommé ! Mais aujourd’hui, demain et le jour suivant, je dois poursuivre ma route, car il ne convient pas qu’un prophète périsse hors de Jérusalem » (13, 32-33). « Zachée, descends vite, car il me faut aujourd’hui demeurer chez toi. […] Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison… » (19, 5-9). Ainsi, il est possible de nous interroger sur notre nourriture quotidienne. Est-ce vraiment de recevoir d’abord le Christ pour accomplir la volonté qui est en Dieu, ou bien est-ce de se soucier d’une accumulation tout à fait superflue que nous ne pourrons emporter dans la tombe ? Notre vie est-elle sous le signe premier de l’eucharistie avec toutes ses dimensions spirituelle, personnelle, communautaire et sociale, ou bien est-ce autre chose particulièrement vain ? Accepter de recevoir la nourriture quotidienne du Christ, c’est accepter que nos plans immédiats soient déroutés, et le vivre joyeusement à la suite de Jésus qui monte à Jérusalem vers son Exode. Saint Benoît prescrit à l’abbé de se rappeler cet enseignement de l’Évangile, de peur qu’« il oublie que ce sont des âmes qu’il a reçues à conduire et qu’il devra en rendre compte. Ainsi il ne se préoccupera pas à l’excès de la modicité des ressources du monastère, il se rappellera qu’il est écrit : “Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice : le reste vous sera donné par surcroît” » (RB 2, 35). Le jour du Seigneur Mais l’aujourd’hui réel de la vie des croyants, c’est le grand aujourd’hui de Dieu qui s’étend sur toute l’histoire et bien au-delà. Pour le Seigneur en effet, « mille ans sont comme un jour » (Ps 89) et « mieux vaut un jour dans les parvis du Seigneur, plutôt que mille en ma demeure » (Ps 83, 11). Cet aujourd’hui de Dieu est celui de sa venue permanente. Le Seigneur ne cesse de venir, il visite sa création, il lui adresse la parole, il s’y incarne, il lui promet sa venue glorieuse lorsque le Christ sera tout en tous. Ainsi la Révélation biblique est ponctuée de l’annonce de cet aujourd’hui de Dieu qui se manifeste constamment dans la vie des hommes : « Il y eut un soir, il y eut un matin, ce fut le jour un » (Gn 1) ; « Voici le jour où le Seigneur agit » ou « Voici le jour que le Seigneur a fait » (Ps 117) ; « En ce jour-là… » ne cessent de dire les prophètes ; cette expression ne vise pas obligatoirement une projection dans l’avenir, elle est une annonce du jour d’aujourd’hui où chacun est appelé à choisir entre la vie et la mort (cf. Deutéronome). L’Évangile de saint Luc s’ouvre sur cette annonce de la Bonne Nouvelle : « Aujourd’hui un Sauveur vous est né » (Lc 2, 11) et se conclut sur cette promesse : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis » (Lc 23, 43). Mais ce qui exprime le mieux ce grand jour de Dieu, c’est l’aujourd’hui de la célébration liturgique. Dans la liturgie latine, hodie résonne comme une espérance inouïe tout au long de l’année. L’ hodie le plus célèbre est celui de Noël : « Hodie Christus natus est… » – « Aujourd’hui, le Christ nous est né ; aujourd’hui, le Sauveur est apparu ; aujourd’hui les anges chantent sur la terre, les archanges se réjouissent ; aujourd’hui, les justes exultent, en disant : “Gloire à Dieu au plus haut des cieux.” » (antienne du Magnificat des 2es Vêpres de Noël). Cette antienne trouve sa préparation dans l’office de la Veille de Noël où est annoncée l’aujourd’hui de la révélation : « Aujourd’hui, vous saurez que le Seigneur va venir, et au matin, vous verrez sa gloire ». On peut ajouter à cette antienne de Noël celle de l’Épiphanie : « Hodie caelesti sponso » – « Aujourd’hui, l’Église s’est unie à son époux céleste, car le Christ l’a lavée de ses fautes dans le Jourdain ; les Mages accourent avec leurs présents aux noces royales et les convives sont réjouis par l’eau changée en vin » (ant. du Benedictus des Laudes de l’Épiphanie). L’antienne du Magnificat des deuxièmes Vêpres reprend ce thème : « Aujourd’hui, l’étoile a guidé les Mages à la crèche ; aujourd’hui, l’eau s’est changée en vin au festin des noces ; aujourd’hui, dans le Jourdain, le Christ a voulu être baptisé par Jean, afin de nous sauver. » Dans le même esprit, l’antienne du Magnificat des deuxièmes Vêpres de la Pentecôte énonce le Mystère actualisé en ce jour : « Aujourd’hui sont accomplis les jours de la Pentecôte ; aujourd’hui, l’Esprit Saint est apparu aux disciples sous la forme du feu, et a répandu sur eux les dons mystérieux ; il les a envoyés dans le monde entier prêcher et rendre témoignage. Ceux qui croiront et recevront le baptême seront sauvés ». Entre les deux, il y a évidemment le dimanche de Pâques et le Temps pascal où retentit le « Haec dies quam fecit Dominus » tiré du psaume 117, 24, le psaume pascal par excellence : « Voici le jour qu’a fait le Seigneur, exultons, soyons dans l’allégresse en lui ». Ce jour est le Jour des jours : le véritable aujourd’hui de la vie divine. Quelques antiennes mariales récentes (8 décembre, 11 février) ont repris ce thème, et la liturgie bénédictine l’a appliqué à saint Benoît, sainte Scholastique et saint Maur. Le dimanche est le grand Jour du Seigneur, à la fois premier jour de la création, ainsi que de la rédemption dans la résurrection du Christ, et huitième jour, jour au-delà des jours, jour de Dieu transfigurant toutes choses, jour de sa venue. Le sacramental du dimanche est vraiment d’une grande importance pour l’expression de la vie du Christ. Il faut développer en chacune de nos vies une spiritualité de ce quotidien qui est l’aujourd’hui de Dieu. C’est le jour de la naissance, c’est le jour du commencement, du recommencement, c’est le jour de la résurrection et c’est aussi l’aujourd’hui de l’éternité, le jour où les apparences s’effacent pour laisser place à la réalité, le jour du discernement qui est un autre nom du jugement. En chantant les mystères dans l’aujourd’hui, la liturgie leur donne de se réaliser ici-bas en figure. Les fidèles se rendent ainsi contemporains des mystères célébrés qui ont pris chair un jour du temps et qui sont toujours d’actualité. C’est bien le sens du mémorial chrétien. Un vieux moine de notre monastère, décédé il y a quelques années, a vécu la dernière période de sa vie dans la conviction que chaque matin, c’était dimanche, et comme il était aide-sacristain, il préparait chaque jour tout ce qui était nécessaire pour la liturgie du dimanche. Bien sûr, ce moine âgé avait un peu perdu la tête, à moins en fait, que ce soit nous qui l’ayons vraiment perdue, et que lui, dans cette candeur, l’ait retrouvée après quelque soixante-dix ans de vie monastique. Un moine du désert d’Égypte, au 4e siècle, se répétait chaque matin : « Aujourd’hui, je commence ». Que ce commencement ne cesse jamais d’habiter notre action : Nous irons ainsi, selon le mot de Grégoire de Nysse, « de commencement en commencement, par des commencements qui n’ont pas de fin » et c’est ainsi que nous parviendrons au jour sans déclin que Dieu nous offre déjà en figure. Conclusion Il ne suffit pas de poser quelques principes d’analyse, il faut aussi leur donner des conséquences concrètes. Allons-nous écouter vraiment l’appel qui résonne à nos oreilles de la part de Dieu ? Allons-nous avoir le cœur assez réceptif pour entrer dans l’aujourd’hui de la Parole ? Demandons-nous vraiment si nous fréquentons la Parole divine, d’une manière ou d’une autre (lectures bibliques et spirituelles, prière, méditation, rumination, lectio divina ). Notre aujourd’hui est-il celui d’un avènement de Dieu en nous et autour de nous, cherchant et appelant son ouvrier dans la multitude d’une manière toujours inattendue ? Allons-nous faire de notre vie un compagnonnage quotidien ? Comment partager le Pain de Dieu en frères et sœurs ? Comment recevoir la manne qui est le vrai Pain de vie ? Il est clair que lorsque l’on sait que la moitié des habitants de notre planète meurent de faim, on se demande vraiment où est passée la prière : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » ; y a-t-il donc impossibilité à nous rendre disciples dans la traversée du désert de ce monde ? Enfin, comment notre vie témoigne-t-elle du Jour au-delà des jours ? Savons-nous relativiser les biens immédiats pour nous en remettre à Dieu, dans le courage d’un travail inlassable, mais défait du souci de nous faire valoir nous-mêmes ? Le jour de Dieu est toujours un jour de jugement où l’on est mis à nu pour être vraiment ce que nous devons être : de simples créatures, de simples serviteurs qui se savent enfants de Dieu pour l’éternité. Là est notre trésor, et « là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur »(Mt 6, 21). « Voici le jour que le Seigneur a fait, réjouissons-nous, passons-le dans la joie. » (Ps 117, 24) [1] Les citations des psaumes proviennent de la traduction du psautier par les moines de Ligugé parue dans « Le Psautier de Ligugé », Saint-Léger éditions, 2019. Sainte Macrine, « Toute sa vie comme liturgie » 3 Lire Perspectives † Sœur Véronique Dupont, osb Abbaye Notre-Dame de Venière (France) Sainte Macrine « Toute sa vie fut liturgie »[1] La vie de sainte Macrine Grégoire de Nysse écrit la vie de Macrine (VSM) [2] au plus tôt vers 380, au plus tard en 383, au sommet de sa carrière, aux plus belles heures de son rayonnement spirituel. Ce texte, contemporain de la Grande Catéchèse [3] , est le versant spirituel des vérités de la foi ; il en est l’illustration. On connaît l’occasion immédiate de la rédaction de ce texte : au cours d’un voyage qu’il fit en Arabie, afin d’y rendre compte des décisions du premier concile de Constantinople (381), Grégoire rencontre un moine, Olympios, auquel il parle avec émotion de la mort récente de sa sœur. Séduit, Olympios demande à Grégoire de mettre ce récit par écrit pour qu’il serve d’exemple aux moines et aux moniales. Une liturgie eucharistique Grégoire présente la vie de Macrine comme une liturgie eucharistique : Macrine prépare le pain, oint les mains pour les choses sacrées, offre les autres, et elle-même fait mémoire des magnalia Dei , appelle la sanctification (épiclèse), et meurt pendant l’eucharistie du lucernaire. Cette forme de mort, fin de prière et fin de vie, est un lieu commun tout à fait habituel dans les récits chrétiens de ce temps [4] . Macrine prêtait ses mains au service liturgique (VSM 5, p. 159) ; qu’est-ce à dire ? Peut-être préparait-elle le pain eucharistique comme beaucoup de vierges de son époque, ainsi que le précise le père Daniélou [5] ? Elle le recevait sûrement dans ses mains, qui, de ce fait, étaient ointes (Christ) et donc consacrées pour toutes les occupations de la journée. Quelles étaient les occupations de Macrine dans la journée ? « Méditer les réalités divines, prier sans cesse, chanter des hymnes jour et nuit, accomplir les tâches indispensables dont on se préoccupe en cette vie. Elle ne laisse pas aux esclaves et aux servantes le soin des travaux matériels » (VSM 11). Le primat de l’Écriture Macrine a été entraînée dès sa jeunesse à méditer les réalités divines. N’a-t-elle pas appris à lire et à écrire dans les Écritures ? N’a-t-elle pas été instruite dans les Écritures ? Tout ce qui, dans l’Écriture inspirée de Dieu, apparaît comme plus accessible au premier âge constituait le programme de l’enfant, avant tout la Sagesse de Salomon, et de préférence, dans ce livre, ce qui contribue à la vie morale. Elle n’ignorait rien non plus du psautier, et récitait chacune de ses parties à des moments déterminés de la journée ; en se levant de son lit, en se mettant au travail ou en terminant celui-ci, en prenant son repas ou en quittant la table, en allant se coucher ou en se relevant pour prier, partout elle gardait avec elle la psalmodie, telle une compagne fidèle qui ne fait pas un seul instant défaut. L’éducation de Macrine se fait entièrement par l’Écriture Sainte, et, à son tour, Basile, le frère cadet de Macrine, sera initialement formé par l’Écriture, d’où l’abondance de citations et de références aux textes sapientiaux dans les écrits de Basile. Pierre, le petit dernier (qui deviendra évêque de Sébaste) sera aussi formé de la sorte. Macrine l’élève et le fait accéder à la culture plus élevée, l’exerçant dès l’enfance aux sciences sacrées (VSM 12). Pour les Anciens, l’Écriture est une porte d’entrée dans la connaissance universelle. On y apprend à lire et à écrire, à comprendre, à découvrir l’histoire, les sciences naturelles, la cosmologie, les mathématiques, la médecine, la symbolique des nombres, et, plus que tout, la Sagesse qu’est le Christ. L’éducation de Macrine et de ses frères commence donc, lorsqu’ils sont encore petits, par l’étude des livres sapientiaux et du psautier. Macrine récitait le psautier en entier tous les jours : « Pas un seul instant il ne lui faisait défaut » [6] ; qu’est-ce à dire sinon qu’elle le connaissait par cœur (mémorisation par le cœur). On lit cette même attitude dans la Lettre 107 de Jérôme au sujet de la petite Paula : « Que sa langue encore tendre soit imprégnée de la douceur des psaumes… Qu’elle apprenne en premier lieu le Psautier » [7] . De même dans la Règle, saint Benoît donne comme premier travail aux jeunes frères l’étude du psautier [8] . Mais la pratique scripturaire de Macrine ne s’arrête pas à l’Ancien Testament. Macrine vit la vie philosophique, or, le Philosophe, c’est le Christ. Cette vie philosophique menée à Annisa [9] est la vie évangélique vécue dans son absolu. Elle rejoint les appels de saint Paul dans sa lettre aux Colossiens : « Rejetez tout cela : colère, emportement, méchanceté, injures, honteux propos, de votre bouche » (Col 3, 8), et de saint Pierre aux chrétiens : « Sanglez-vous tous d’humilité les uns envers les autres parce que Dieu s’oppose aux orgueilleux, mais aux humbles il donne sa grâce » (1 P 5, 5). La Vie de Macrine fait référence à de nombreuses autres citations de textes néotestamentaires semblables. Quant à la description qu’en fait Grégoire, n’est-elle pas, dans son style propre et caractéristique de cette époque, le signe du passage du vieil homme à l’homme nouveau (voir Col 3, 9-10) ? Quelques épisodes de la vie à Annisa nous sont présentés par Grégoire comme évangéliques, probablement pour bien établir le lien entre la vie monastique et la suite du Christ, l’imitation du Christ. Ainsi, un jour de famine, Pierre, le frère de Macrine, procure tant de provisions que la foule des visiteurs – attirée par la réputation de bienfaisance du monastère – « fit ressembler le désert à une ville » [10] ; cela n’est pas sans évoquer la foule qui accourait auprès de Jésus, par exemple en Marc 1, 45, mais aussi lors de la multiplication des pains (Mc 6, 31-44) et lors des guérisons. Macrine accomplit elle-même de nombreux miracles (VSM 36). Grégoire veut ainsi montrer que l’idéal de la philosophie, c’est la perfection de la vie chrétienne, et que la poursuite de cet idéal est la poursuite non d’une abstraction, mais d’une personne : le Christ. Prier sans cesse, chanter la louange de Dieu est, pour Macrine et ses compagnes, son travail et son repos après le travail (VSM 11). Travail/repos ; travail/détente ; vaquer à Dieu, vacances en Dieu, repos en Dieu Le labeur de la psalmodie et du chant des hymnes est source d’énergie, réfection. En ce sens, la vie à Annisa est une vie « angélique » car les anges louent Dieu sans cesse (VSM 12 et 15). Primauté toujours donnée à l’office divin. Macrine, malade, sachant que c’est la dernière fois qu’elle dialogue avec son frère, interrompt pourtant son échange spirituel (dialogue qui en fait une anamnèse des Magnalia Dei ) (VSM 20) dès qu’elle entend le début du Lucernaire. Aussitôt, elle envoie son frère à l’Église, tandis qu’elle-même se réfugie auprès de Dieu dans la prière (VSM 22). À la fin de sa prière, elle se signe « et cessa tout à la fois sa prière et sa vie » [11] . Trois célébrations Plutôt que de relever toutes les traces de « liturgie » dans la vie de Macrine, regardons trois « célébrations liturgiques » : l’accueil d’un hôte, la mort dans le Christ, la liturgie des funérailles. L’accueil d’un hôte Lorsque Grégoire, évêque, arrive à Annisa pour voir sa sœur malade, le groupe des hommes (moines installés par Basile plus loin dans l’immense propriété familiale) va à sa rencontre tandis que le chœur des vierges, rangé en bon ordre auprès de l’église, y attend l’entrée de Grégoire. Grégoire entre, prie, donne la bénédiction aux vierges qui s’inclinent (VSM 16). De la même façon, lorsqu’un hôte arrive au monastère ou dans une fraternité basilienne, on commence par prier [12] . Cela, c’est une coutume déjà bien attestée au quatrième siècle en Orient. On la retrouvera plus tard dans la règle de saint Benoît par exemple [13] . Cette coutume devint universelle dans le monde monastique. La mort dans le Christ Plus Macrine pressent sa mort biologique proche (vers la fin de la journée, ce qui est là aussi un symbole), plus elle a hâte d’aller vers son Bien-Aimé (VSM 23). Son lit est tourné vers l’Orient. C’est à l’Orient que les premiers chrétiens plaçaient le paradis ; c’est de l’Orient que l’on attend le retour du Christ, mais aussi la venue des anges qui accueillent l’âme des justes et la conduisent au paradis de Dieu. Pacôme voit à l’Orient l’âme d’un frère emporté vers les anges. Macrine contemple vers l’Orient la beauté de l’Époux, les yeux incessamment posés sur lui. Jaillit alors dans son cœur et de ses lèvres sa prière. Tout en priant, Macrine trace une croix sur sa bouche, ses yeux, son cœur : protection de tout son être contre les démons. Puis elle manifeste le désir de dire la prière de l’eucharistie du Lucernaire, autrement dit la grande prière du soir. Elle le fait par gestes et dans son cœur, ne pouvant plus parler tant elle est fiévreuse. Cette prière s’achève par une signation tandis qu’en un profond soupir cessent sa prière et sa vie (VSM 25). Cette manière de nous présenter la mort de Macrine veut dire que toute sa vie était devenue prière, toute sa vie était devenue liturgie : liturgie au sens fort, large, non pas accomplissement de rites, mais inclusion de sa vie tout entière dans la liturgie. Cela ne signifie pas que tout ce que nous accomplissons dans la vie monastique est rituel, tant s’en faut, mais que rien n’est exclu de notre vie chrétienne : « Tout est à vous, mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu » (1 Co 3, 22-23). La liturgie des funérailles Un fait relaté par Grégoire montre que la liturgie imprègne toute la vie monastique. Lors de la mort de Macrine, on entonne des chants funèbres. Macrine avait bien fixé un temps pour les larmes (VSM 27), en prescrivant de pleurer au temps de la prière, mais elle avait bien notifié que ces larmes ne devaient être ni des gémissements ni des plaintes. Autrement dit, il y a un temps pour tout, un temps pour pleurer, un temps pour rendre grâce. Mais s’il y a un temps pour tout, cela ne veut pas dire que l’on peut tout faire n’importe comment. On peut exprimer sa peine dans la liturgie ( cf . le chant des psaumes par exemple). Jésus aussi pleura. On pleure, mais on ne se plaint pas. Sous la direction de Lampadion, la maîtresse de chœur, les vierges psalmodient « car les psalmodies apaisent les gémissements », dit Grégoire de Nazianze [14] . On passe la nuit à chanter des hymnes, comme pour les martyrs. Ce trait liturgique signifie que la mort de Macrine est équivalente à celle d’un martyr, cela parce qu’elle a été fidèle jusqu’au bout ! C’est pour cette raison que la célébration d’un jubilé, voire les funérailles d’une moniale, sont une célébration plus grande que la profession monastique : la profession est grave, c’est une promesse pour l’avenir ; la mort d’une moniale, c’est la promesse accomplie. La psalmodie se chante en deux chœurs. Un chœur féminin : les moniales d’Annisa et les autres femmes (car une foule nombreuse vient, non sans troubler parfois la psalmodie), et un chœur masculin : les moines et les autres hommes. Ces chœurs chantent soit en alternance, soit ensemble, en un chœur « parfaitement homogène grâce à une mélodie commune à tous » [15] . Le convoi funèbre se met en marche vers la chapelle sise à environ un kilomètre et demi et dédiée aux quarante martyrs de Sébaste. Y reposent déjà les parents de la défunte. Le cortège est conduit par l’évêque Araxios, auquel Grégoire ouvre la route. De ce convoi, on sait essentiellement que la foule, très grande, était gênante : on mettra toute la journée pour accomplir ce petit parcours. Il s’agit d’une vraie procession liturgique (VSM 34), avec diacres, clercs inférieurs, céroféraires et autres. Pendant tout ce trajet, on psalmodie, comme les trois enfants dans la fournaise, d’une seule voix, d’une seule bouche (voir Dn 3, 51). Au moment de l’ouverture du tombeau, une vierge, puis plusieurs, se mettent à crier ; la confusion s’ensuit. Finalement Grégoire demande le silence, le chantre invite à la prière et le peuple se recueille. Comme les vierges sages (Mt 25), le cortège va à la rencontre de l’Époux, le visage de Macrine est déiforme. Pour l’ensevelissement (VSM 35), notons une coutume biblique pratiquée alors : afin que l’on ne découvre pas la nudité des parents (morts depuis très longtemps !) – les grecs répugnaient à voir de tels spectacles –, on recouvre leurs corps (ce qu’il en reste !) d’un linceul neuf [16] et l’on dépose Macrine près de sa mère, selon leur volonté commune. La vie de Macrine est une ascension mystique vers le Christ. On trouve les mêmes « échelons » spirituels dans la Vie de Moïse [17] , même s’ils sont présentés ici sous une autre forme. Les miracles accomplis par Macrine Dans l’épilogue (VSM 39), saint Grégoire fait allusion à de nombreux miracles accomplis par Macrine, miracles de diverses formes : guérisons de maladies, expulsions de démons, allusion à un miracle opéré au temps de la famine ; mais il ne raconte pas en détails tous ces miracles, pensant que la sainteté de sa sœur est déjà bien établie sans qu’il soit la peine d’en rajouter. Ainsi, au cours du récit de la vie de Macrine, seuls deux miracles sont rapportés, l’un concerne Macrine elle-même, l’autre, un petit enfant, ce second miracle étant la base, pour Grégoire, d’un enseignement philosophique (c’est-à-dire monastique). Ces miracles ne sont pas choisis au hasard par Grégoire. En effet, si l’on rappelle des miracles, dans une Vie, c’est pour montrer la similitude entre le saint ou la sainte et le Christ. Les miracles sont donc choisis selon le critère rigoureux de la référence scripturaire ; ici : guérison d’un aveugle et onction dans la foi. Le miracle concernant Macrine Ce miracle est mis en lumière après le décès de Macrine, alors que Grégoire et Vetiana, l’une des vierges d’Annisa, vont recouvrir le corps de Macrine. En effet, Vetiana raconte alors à Grégoire que sa sœur avait autrefois une grave tumeur au sein et refusait de se faire soigner malgré les injonctions de sa mère. Lorsqu’elle était en prière dans le sanctuaire, elle fit de la boue avec ses larmes et la déposa sur la tumeur. Sa mère insistant toujours pour qu’elle se fasse soigner, Macrine l’invita à faire le signe de la croix sur son mal ; ce qu’elle fit. La tumeur disparut, laissant juste une petite marque pour être « un mémorial de l’intervention divine, un sujet et un motif d’incessante action de grâces envers Dieu » [18] . À travers ce récit apparaît la profondeur de la foi de Macrine. La structure même de ce texte n’est pas sans rappeler les guérisons évangéliques opérées par Jésus : « Va, ta foi t’a sauvé » (Mt 9, 22). Le miracle de l’enfant du militaire Le récit de ce miracle est merveilleux (VSM 37-38), car il fait sans cesse le va-et-vient entre la vie philosophique et la maladie de l’enfant d’un militaire. En effet, ce militaire et sa femme se rendirent à Annisa dans le but de voir Macrine et de visiter le monastère. Ils y amenèrent leur petite fille qui souffrait d’un œil par suite d’une maladie infectieuse. Le militaire visite le monastère des hommes (dirigé par Pierre, le frère de Macrine et de Grégoire), tandis que son épouse visite le monastère des femmes (dirigé par Macrine). Au moment de leur départ, en signe d’amitié, ils reçoivent l’invitation – chacun dans leur monastère respectif – de prendre part à la table philosophique. La petite fille est avec sa mère. Macrine la prend sur ses genoux, remarque son mal et promet à sa mère une récompense puisqu’elle est venue à la table philosophique. Elle lui donne un collyre pour guérir les maladies des yeux. Après ce banquet, le couple repart chez lui et, en cours de route, ils s’aperçoivent qu’ils ont oublié le collyre ; au même instant, ils découvrent que l’enfant est guérie. La maman comprend alors que le vrai collyre, c’est la prière, remède divin. Le militaire prend alors l’enfant dans ses bras et se rappelle tous les miracles de l’Évangile ; leur foi les a sauvés. Ces deux miracles sont très évangéliques. Leur base commune est la foi. Ils sont rapportés dans un style volontairement imité des Synoptiques (voir Lc 4, 40 ; 7, 21). La vie de Macrine est une course vers le Christ et avec lui Ceci n’est pas sans rappeler le De instituto christiano attribué à Grégoire de Nysse [19] . Grégoire, et c’est tout dire du caractère de Macrine, compare sa sœur à un coureur qui arrive près du but, ayant dépassé son adversaire et annonçant déjà sa victoire, voyant la couronne du vainqueur et dirigeant son regard vers le prix de l’appel d’en haut. Macrine vit en athlète du Christ. Sa poursuite du Christ est libération progressive en vue de le voir (VSM 23). Le Christ est son Amant. Macrine éprouvait un divin et pur amour du Christ, son époux invisible. Elle nourrissait cet amour au plus intime de son être. Son cœur était tout animé par le désir de se hâter vers son Bien-Aimé pour être plus tôt avec lui, une fois libérée des liens du corps : « En vérité, c’est vers son amant que se dirigeait sa course, sans qu’aucun des plaisirs de la vie ne détourne à son profit son attention » [20] . (La paternité de saint Grégoire de Nysse n’est pas certaine.) Fascinée par le Christ, elle contemple en lui la beauté de l’Époux et elle tient les yeux incessamment fixés sur lui. Elle meurt comme elle a vécu, « vêtue comme une fiancée » parée pour son époux [21] . Resplendissant de lumière, même dans un vêtement sombre, Macrine est revêtue de Lumière, comme Adam et Ève à l’origine, avant l’aventure des tuniques de peau. Comme le Christ, Macrine vit pour Dieu (Rm 6, 10). Macrine est devenue Lumière, comme son Créateur. Sa vie n’a été qu’une ascension vers le Christ. Le but de la course, un visage : celui du Bien-Aimé. Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ! Pour conclure, disons que la vie de sainte Macrine est un progrès constant, une célébration permanente. La poursuite de l’idéal philosophique est une ascension mystique : en effet, se libérer des passions, c’est-à-dire les maîtriser, c’est être crucifié avec le Christ, clouer sa chair par la crainte du Christ ; c’est purifier son âme afin qu’elle soit trouvée sans tache devant Dieu (VSM 24) et accueillie par lui. Les valeurs mises en évidence par la vie philosophique sont aussi : la virginité, la pauvreté (la « pauvreté, nourrice de la philosophie » [22] écrira saint Basile), pauvreté qui est renonciation à une carrière, aux habitudes de luxe, et volonté délibérée d’égalité avec les pauvres, d’où le sens profond du travail ; toutes ces valeurs n’étant pas une fin en soi. Le but, c’est le Christ. Aussi s’achemine-t-on vers lui dans la vie « immatérielle » appelée aussi vie angélique. Qu’est-ce à dire ? Les anges sont ceux qui voient sans cesse la face de Dieu ; par la contemplation Macrine vit dans la société des anges, « cheminant dans les hauteurs avec les puissances célestes » [23] . Depuis que le Christ s’est assis à la droite du Père, dans son humanité ressuscitée, les hommes sont devenus citoyens des cieux : ils sont montés au ciel avec le Christ, ils sont nés à la vie nouvelle. Ceci est une vérité ontologique et non pas morale. Le baptême en a fait des habitants du ciel : « Dieu nous a ressuscités et nous a assis avec le Christ dans les régions supra-célestes » (Ep 2, 6). Nous y sommes, nous sommes concitoyens des anges, nous avons droit de cité dans le ciel. Notre appartenance à la cité céleste nous libère ontologiquement de l’emprise de la cité terrestre pour nous placer sous une autre juridiction, dans un corps politique. Mais, nous sommes encore sur la terre ! Oui, c’est vrai, mais nous ne sommes plus sur la terre, « nous sommes des étrangers sur la terre » (He 11, 13). Par le sacrement, le mysterium , les réalités du ciel viennent se communiquer dans le sensible, prendre place dans le temps, grâce à quoi nous ne sommes pas transportés au ciel par extase, comme Plotin, mais ontologiquement. Concitoyens des anges, cela veut dire affrontement au démon, l’ange tombé, l’ange dont la jalousie ne manque pas de s’exercer sur ceux qui sont devenus concitoyens des anges, d’où la place du combat spirituel qui est une réalité devant laquelle il ne faut pas se voiler la face. Tant qu’il y aura des moines, des moniales, ils lutteront contre les démons, quelle que soit la forme que ces démons puissent prendre selon les époques. La vie monastique n’est pas simple retour au paradis, elle est entrée dans la cité des anges, dans le royaume du Christ où tout est restauré, où l’ordre est rétabli. Peu à peu tout l’être du moine, de la moniale, est déifié comme le fut l’être de Macrine. Tant que nous sommes encore sur la terre, nous participons à la croix du Christ et en même temps nous exultons avec les anges. Nous vivons dans les deux mondes à la fois. La mission du monachisme dans l’Église est de tenir ouverte la porte de communication entre le ciel et la terre, porte par laquelle les anges entrent et sortent, porte par laquelle l’Église assiste et participe à la liturgie et à la vie de la cité céleste. [1] Cet article a paru, sous une forme légèrement différente, dans « Liturgie », n° 124, mars 2004, p. 23-35. (Reproduit avec l’aimable autorisation de la rédaction de cette Revue et de la communauté de Venière.) Conférence donnée à Koubri, en la fête de tous les Saints, 1er novembre 2003 ; à la mémoire de Mère Marie Hamel et de sœur Joséphine Balma. [2] Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine , « Sources chrétiennes » 178, Cerf, Paris, 1971. [3] Grégoire de Nysse, Discours catéchétique , « Sources chrétiennes » 453, Cerf, Paris, 2000. [4] Voir Grégoire de Nazianze, lors du décès de son père, de sa mère et de sa sœur Gorgonie. [5] Jean DANIÉLOU, « Le ministère des femmes dans l’Église ancienne », La Maison-Dieu 61 (1960), p. 88. www.patristique.org , page 2. [6] Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine , 3, p. 151. [7] Grégoire de Nysse, Ibidem 8. Saint Jérôme, Lettres , t. 5, 107, 4, CUB, Paris, 1955, p. 147. [8] Saint Benoît, Règle 48, 10. [9] Annisa est le nom du domaine familial, proche de Néocésarée, où Macrine fonde un couvent en 341. www.patristique.org , page 3. [10] Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine , 12, p. 185. [11] Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine , 25, p. 227. www.patristique.org , page 4. [12] Basile de Césarée, Règles monastiques , PR 312. [13] Benoît, Règle 53, 4. www.patristique.org , page 5. [14] Grégoire de Nazianze, Discours funèbre pour son frère Césaire , 7, 15, dans Discours 6-12, « Sources chrétiennes » 405, Cerf, Paris, 1995, p. 219. [15] Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine , 33, p. 249. www.patristique.org , page 6. [16] Voir Gn 9, 25 ; Lv 18, 7. [17] Grégoire de Nysse, Vie de Moïse , « Sources chrétiennes » 1 ter, Cerf, Paris, 1968. [18] Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine , 31, p. 247. www.patristique.org , page 7. [19] Grégoire de Nysse, Écrits spirituels , Migne, Paris, 1990, p. 61-100. [20] Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine , 22, p. 215-217. www.patristique.org , page 8. [21] Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine , 32, p. 247. [22] Basile de Césaréee, Lettres I, 4, CUF, Paris, 1957, p. 15. www.patristique.org , page 9. [23] Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine , 11, p. 181. La mise en œuvre de la réforme de la Liturgie monastique des heures dans la congrégation bénédictine du Brésil 4 Lire Perspectives Dom Jerônimo Pereira, osb Monastère de São Bento, Olinda (Brésil) La mise en œuvre de la réforme de la Liturgie monastique des heures dans la congrégation bénédictine du Brésil La vie liturgique apparaît comme le caractère qui, dans un certain sens, distingue la vie monastique bénédictine. Cette perspective a guidé le Congrès international des abbés et prieurs conventuels de la Confédération bénédictine, tenu à Saint-Anselme, à Rome, du 19 septembre au 4 octobre 1966, sous la direction de l’Abbé Primat Benno Walter Gut (1897-1970). L’argument central était la réforme du bréviaire monastique. La discussion toujours très animée tournait autour des thèmes de la pluralité ou de l’uniformité, du latin ou de la langue vulgaire, du chant « moderne » ou du chant grégorien, et, surtout pour le psautier, de l’application du concept de quantité ou de qualité. L’enjeu était la recherche d’un équilibre entre la lettre et l’esprit de la Règle. Le Congrès s’est terminé par la formation d’une commission – De re liturgica – chargée d’étudier la manière la plus appropriée de répondre et d’harmoniser ces impasses et d’apaiser l’ambiance. L’année suivante, la deuxième partie du Congrès a eu lieu (du 18 au 30 septembre), comme prévu. Les propositions présentées par la commission ont été votées ; le nouvel Abbé Primat, dom Rembert George Weakland, fut élu, une nouvelle commission fut formée pour poursuivre les études, et le 15 octobre de la même année le Consilium ad exsequendam Constitutionem de Sacra Liturgia approuva l’utilisation ad experimentum de l’Ordo provisoire du psautier, présenté au Congrès par l’abbé dom Emmanuel Maria Heufelder (1898-1982), abbé de Niederalteich, Allemagne. Le 10 février 1977, la Sacrée Congrégation pour les sacrements et le culte divin approuvait le document liturgique préparé par la commission et soumis à l’approbation de l’Abbé Primat le 11 novembre 1976, le Thesaurus Liturgiae Horarum Monasticae [1] . Pour la diffusion du psautier, le Thesaurus présente quatre schémas différents qui portent le nom de leurs auteurs : schéma A’ (de la règle de saint Benoît) ; B, organisé par un moine de l’abbaye suisse de Dissentis, Notker Füglister (programme « Füglister ») ; C, appelé « Scheyern » d’après l’abbaye allemande homonyme où il a été conçu, et D, structuré par le trappiste Chrysogonus Waddell, de l’abbaye de Gethsemani, Kentucky, États-Unis [2] . Le processus d’action dans les terres brésiliennes 1. La constitution de la Commission Afin de mener à bien la réforme du Bréviaire monastique en terres brésiliennes, le Chapitre général de la congrégation bénédictine du Brésil, sous la direction de dom Basílio Penido, abbé du monastère de São Bento, à Olinda, depuis 1964, et Abbé Président de la Congrégation de 1972 à 1996, a institué une commission de moines et de moniales sous la direction de Mère Maria Teresa Amoroso Lima (1929-2011), alors abbesse de l’abbaye de Santa Maria, à São Paulo. La Commission comprenait, outre l’abbesse susmentionnée, dom Timóteo Amoroso Anastácio (1910-1994), abbé du monastère de São Sebastião, à Bahia ; dom Marcos de Araújo Barbosa, poète et traducteur, de l’abbaye de Nossa Senhora do Monserrate, à Rio de Janeiro ; sœur Francisca Biolchini (1920-2012), de l’abbaye de Santa Maria à São Paulo ; et deux religieuses du monastère de Nossa Senhora das Graças, à Belo Horizonte, sœur Maria Teixeira de Lima (1913-2012) et Mère Martinha Marques Mello (1925-2020). Malheureusement, dans les archives de l’abbaye de Santa Maria, il n’y a pas de documents sur les travaux de la Commission. Bénédictins de São Bento, Salvador, Bahia (Brésil). © AIM. 2. La méthode de travail de la Commission et le résultat Le « renouvellement du Bréviaire monastique » a consisté en la traduction de textes du Thesaurus alors récemment publié. La Commission a commencé à se réunir régulièrement à l’abbaye de Santa Maria, à São Paulo. Selon le témoignage de l’abbesse actuelle de Santa Maria, Mère Escolástica Ottoni de Mattos, l’abbé dom Timóteo Amoroso Anastácio était chargée de traduire les textes de l’Écriture Sainte, cherchant un langage plus poétique, tandis que les hymnes étaient traduits par la Commission, en concurrence avec dom Marcos de Araújo Barbosa pour les ajustements du mètre et de la rime poétique. Les livres de la Liturgie des heures selon le rite monastique de la congrégation bénédictine du Brésil ont été publiés en quatre volumes. Le premier a vu le jour en 1981, destiné au cycle des manifestations, Avent, Noël et Épiphanie, y compris le Propre des saints de ce cycle liturgique [3] . Le second volume, consacré aux célébrations du temps ordinaire, dont les fêtes du Seigneur : Sainte Trinité, Corpus Christi , Sacré-Cœur de Jésus et Christ-Roi, paraît l’année suivante (1982) [4] . Au début du Carême de cette même année 1982, le troisième volume avec les formulaires des temps liturgiques, Carême, Pâques et Pentecôte, a vu le jour [5] . Le dernier volume, le Sanctoral, porte la date de sa publication en la fête de santa Rosa de Lima, le 23 août de la même année [6] . Les volumes sont présentés par Mère Maria Teresa comme une expérience et une publication provisoire, en vue d’une publication complète et définitive trois ans plus tard. En tout cas, elles ne sont guère officielles : elles n’apparaissent pas avec un nihil obstat et une présentation de la part de l’Abbé Président de la Congrégation, et n’ont aucune espèce de « Praenotanda ». 3. Caractéristiques générales des volumes D’une manière générale, les volumes, dont la publication complète et définitive promise n’a jamais vu le jour, ont la même présentation signée par Mère Maria Teresa. Certaines lignes directrices ont été observées pour cette publication « provisoire », dont nous signalons les plus courantes : schéma de la règle de saint Benoît, et schéma B (schéma « Füglister ») pour la distribution du psautier. Dans de nombreux cas, compte tenu du chant, les textes des antiennes du Thesaurus ont été remplacés par des textes du Psalterium monasticum , alors récemment édité par les moines de Solesmes [7] . Pour la même raison, seuls les mémoires obligatoires ont été inclus. Dans le numéro du temps ordinaire, les antiennes du Magnificat et du Benedictus ont été incluses ainsi que les répons pour les semaines paires (II) et impaires (I). Pour la fin des Vigiles, la possibilité a été donnée d’utiliser le schéma de la règle de saint Benoît, également présent dans le Psalterium monasticum solesmense . Les répons des Vigiles, tirés de la Liturgie romaine des Heures, ont été publiés en annexe, en attendant la publication du Lectionnaire bénédictin. 4. Questions liées au chant Avec la traduction des nouveaux livres de la Liturgie monastique des heures, le problème de l’adéquation du chant s’est posé, notamment des antiennes qui avaient subi des changements de genres les plus divers (changement de lieu et d’ordre, substitution, disparition, etc.), sans compter le nombre de nouveaux textes de répons brefs et d’hymnes, ainsi que plusieurs nouvelles fêtes. Pour combler cette lacune, Mère Maria Teresa présenta « sur commande » l’ Antiphonale Monasticum pro Diurnis Horis ( Ad instar manuscriti ) [8] . L’ Antiphonale propose « des mélodies grégoriennes pour tous les textes, tirées en premier lieu des sources indiquées dans le Thesaurus , et aussi du Psalterium Monasticum de Solesmes ». Afin de se conformer au Psalterium solesmense , les antiennes indiquées dans le Thesaurus ont été remplacées par d’autres de sens similaire et déjà mises en musique. Certains textes ont été adaptés à des mélodies préexistantes et de nombreux répons brefs publiés par les bénédictine du Saint-Sacrement de l’Autel ont été copiés. Le travail sur l’Antiphonaire peut être pratiquement divisé en trois étapes : la première correspond à la période de collecte des livres « anciens et nouveaux » parmi les communautés ; la seconde, l’expérimentation que certaines communautés ont faite au fur et à mesure que les feuilles (dépliants) étaient imprimées et, enfin, le rassemblement de tout le matériel en un volume qui dépasse le nombre de 900 pages. Le critère fondamental était que tout soit le plus proche possible de la Liturgie des heures monastiques qui était déjà en usage dans les communautés. L’Antiphonaire, imprimé de façon très artisanale, comporte deux dates. Sur la première page se trouve la date du 24 novembre 1981, où Mère Maria Teresa marque du début des commémorations du 700e anniversaire de la louange divine à l’abbaye de Santa Maria. Deux pages plus loin, à la fin de la présentation générale du volume, apparaît la date de la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix (14 septembre) 1982. Conclusion et questions ouvertes Quatre décennies plus tard, la congrégation bénédictine du Brésil n’a jamais tenté de réaliser le projet d’une édition définitive de ses livres choraux. Une série d’initiatives ont été prises séparément, amenant chaque communauté à s’organiser selon ses propres forces pour maintenir, dans la mesure du possible, une célébration chorale digne. Il est vrai que ce n’est qu’en 2018 qu’est apparue la traduction officielle de la Bible, ouvrage de la Conférence épiscopale (CNBB), dont il faudrait extraire les textes à usage liturgique et dont le psautier n’est pas adapté au chant, notamment choral. Par ailleurs la traduction des textes de prière du Missel romain ne date que de cette année 2023. En ce qui concerne le chant, il convient de noter que toutes les communautés, pour les raisons les plus diverses, n’utilisent pas abondamment le latin, et par conséquent le chant grégorien, dans leurs célébrations, tant de la messe que de l’office, ce qui, d’une part peut faire regretter la perte d’un trésor séculaire, mais ce qui d’autre part suscite de la joie, car un tel « accident » a favorisé l’élaboration d’un répertoire ajusté à la situation actuelle, même s’il y a toujours le risque de mélodies d’un goût douteux. Le grand défi d’une réédition des livres choraux pour la congrégation bénédictine du Brésil, qui est absolument nécessaire, est le maintien d’un équilibre entre une haute qualité de la prière chorale dans tous ses éléments, sans étouffer la créativité active de chaque communauté, masculine et féminine, en tenant compte de leurs caractéristiques les plus variées, et du fait qu’elles sont réparties dans un territoire multiculturel de dimension continentale appelé Brésil. Bénédictines de Nossa Senhora da Paz, Itapecerica da Serra, São Paulo. © AIM. [1] Thesaurus Liturgiae Horarum Monasticae , éd. Secretariatus Abbatis Primatis , T ipografia Leberit , Rome, 1977. [2] Cf . R. M. Leikam, « El Thesaurus liturgiae horarum monasticae de 1977 y la renovación del opus Dei benedictino », Cuadernos Monásticos 86 (1988), 299-330. [3] Liturgia das Horas Segundo o Rito Monástico I: Tempo do Advento, Natal e Epifania , éd. Congregação Beneditina do Brasil, Lumen Christi , Rio de Janeiro, 1981. [4] Liturgia das Horas Segundo o Rito Monástico II: Tempo Comum , éd. Congregação Beneditina do Brasil, Lumen Christi, Rio de Janeiro, 1982. [5] Liturgia das Horas Segundo o Rito Monástico III: Tempo da Quaresma, Páscoa e Tempo Pascal , éd. Congregação Beneditina do Brasil, Lumen Christi , Rio de Janeiro, 1982. [6] Liturgia das Horas Segundo o Rito Monástico IV: Próprio e Comum dos Santos , éd. Congregação Beneditina do Brasil, Lumen Christi , Rio de Janeiro, 1982. [7] Psalterium Monasticum cum Canticis Novi & Veteris Testamenti. Psalterium Monasticum iuxta regulam S.P.N. Benedicti et alia schemata Liturgiae Horarum Monasticae cum canto gregoriano cura et studio monacorum solesmensium ; abbaye Saint-Pierre, Solesmes, 1981. [8] Antiphonale Monasticum pro Diurnis Horis (Ad instar manuscripti), éd. Abadia de Santa Maria , São Paulo, 1981. Le Saux-Abhishiktananda, un sacerdoce dans l’Esprit 5 Lire Grandes figures de la vie monastiques Père Yann Vagneux Missions Étrangères de Paris (MEP), prêtre à Bénarès (Inde) Le Saux-Abhishiktananda, un sacerdoce dans l’Esprit À l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort du frère Henri Le Saux, nous publions ici un article du père Yann Vagneux déjà paru dans un numéro de la revue Vies Consacrées mais qui garde toute son actualité. [1] Le 21 décembre 1971, jour du trente-sixième anniversaire de son ordination, Henri Le Saux (1910-1973), plus connu en Inde sous le nom de Swami Abhishiktananda, écrivait dans son journal intime : « Consacré pour un “ministère”. Mais un ministère qui déborde ses manifestations dites ecclésiales. Ministère au service du mystère, révélation du Mystère. Révélation aux hommes de leur propre personnel mystère ( sic ) et aussi du mystère total, du mystère en soi. Le moine disparaît, passe en le mystère. Le prêtre révèle ce mystère. Mais qui peut vraiment le révéler sans y être perdu ? ». Ces lignes résument admirablement le sacerdoce du moine chrétien qui avait quitté depuis plus de vingt ans sa lointaine Bretagne pour passer sur la rive indienne où son ministère de prêtre fut vécu principalement en milieu hindou. Bien sûr, le sacerdoce d’Abhishiktananda, tout comme sa vie, ne peut être facilement transposable. Cependant, aussi unique et brûlant soit-il, son sacerdoce n’a rien perdu de sa force d’inspiration, surtout pour celui qui, comme lui, désire rencontrer profondément le cœur de l’Inde pour lui transmettre la nouveauté du Christ. Quaerere Deum En 1921, Henri Le Saux entra à l’âge de onze ans au petit séminaire de Châteaugiron. Cinq ans plus tard, il poursuivit sa formation au grand séminaire de Rennes pour se préparer à être prêtre diocésain. Cependant, suite à la mort d’un de ses amis qui voulait devenir moine, il se sentit appelé à reprendre cette jeune vocation inachevée et entra en 1929 à l’abbaye bénédictine de Kergonan. Quelques mois avant d’entrer au postulat, il confiait au maître des novices les raisons de ce nouvel appel : « Ce qui m’a attiré dès le début, ce qui m’y conduit encore, c’est l’espoir de trouver Dieu plus près que nulle part ailleurs. J’ai l’âme très ambitieuse. C’est bien permis, n’est-ce pas, quand il s’agit de chercher Dieu, et j’espère bien ne pas être déçu ». Dans cette confidence tout empreinte de juvénile enthousiasme, nous pouvons entendre en écho les mots que saint Benoît avait placés au cœur de sa Règle comme but de la vie monastique : « Quaerere Deum », « Chercher Dieu » et « Nihil amori Christi praeponere », « Ne rien préférer à l’amour du Christ ». Dans sa très belle conférence de 2008 au Collège des Bernardins, le pape Benoît XVI a expliqué ce qu’était le « quaerere Deum » des moines bénédictins : « Au milieu de la confusion de ces temps où rien ne semblait résister, les moines désiraient la chose la plus importante : s’appliquer à trouver ce qui a de la valeur et demeure toujours, trouver la Vie elle-même. Ils étaient à la recherche de Dieu. Des choses secondaires, ils voulaient passer aux réalités essentielles, à ce qui, seul, est vraiment important et sûr. [...] Derrière le provisoire, ils cherchaient le définitif ». Il nous semble lire ici les mots du jeune moine de Kergonan qui prononça ses vœux perpétuels lors de la fête de l’Ascension, le 30 mai 1935. À la fin de cette année, le 21 décembre, il fut ordonné prêtre au jour même où l’Église latine fêtait alors la fête de saint Thomas, apôtre des Indes. Il est important de souligner ici que le sacerdoce d’Abhishiktananda a d’abord été vécu dans le cadre monastique bénédictin dont il gardera jusqu’à la fin de sa vie l’empreinte indélébile. Son sacerdoce était pleinement inscrit dans la quête du « quaerere Deum » dont Benoît XVI disait encore : « Quaerere Deum : comme ils [les moines] étaient chrétiens, il ne s’agissait pas d’une aventure dans un désert sans chemin, d’une recherche dans l’obscurité absolue. Dieu lui-même a placé des bornes milliaires, mieux, il a aplani la voie, et leur tâche consistait à la trouver et à la suivre. Cette voie était sa Parole qui, dans les livres des Saintes Écritures, était offerte aux hommes ». La vie du moine chrétien est en effet charpentée par la lectio divina des Écritures. Celles-ci trouvent aussi un écho très particulier dans la liturgie avec les sept offices journaliers au chœur. Le chant grégorien, dont Henri Le Saux était passionné de par son office de cérémoniaire, est tout entier construit sur des passages bibliques – principalement les psaumes – magnifiés par un chant à l’émouvante sobriété. Abhishiktananda en garda la nostalgie jusqu’à la fin de sa vie et il pleura quand des amis lui fredonnèrent en Inde le « Dominus dixit » : l’introït de la messe de minuit qu’il n’avait pas entendu depuis des décennies... À Kergonan, Henri Le Saux était aussi bibliothécaire, c’est-à-dire en charge d’un des lieux centraux de la vie monastique. Dans le contact journalier avec les livres, il cultiva une grande proximité avec les Pères de l’Église qui, aux premiers siècles, développèrent une approche contemplative unique du Mystère révélé en Christ. Mais c’est surtout dans l’atmosphère du silence, si impressionnante à Kergonan, qu’Henri Le Saux a vécu le « quaerere Deum ». Telle était sa vocation de moine dont il écrivait bien des années plus tard : « Le solitaire est dans l’Église le ministre du Silence de Dieu ». Les dix-neuf années qu’Abhishiktananda passa dans son abbaye bénédictine furent fondatrices à plus d’un titre, en particulier pour vivre son sacerdoce en Inde dans une culture tellement marquée par la figure du moine que celui-ci soit hindou, jaïn, bouddhiste ou chrétien : « Le moine est l’homme de l’ eschaton . Il est celui qui témoigne que le temps vient de l’éternité et va à l’éternité. Qui témoigne de l’ advaita , de la non-dualité de l’être, dans la succession des temps et la multiplicité des formes religieuses ». Le sacerdoce de Melchisédech Henri Le Saux arriva en 1948 en Inde du Sud et il rejoignit près de Trichy Jules Monchanin (1895-1957) qui vivait là depuis plus de dix ans. Tous les deux fondèrent en 1950 l’ashram de Shantivanam, non loin de Kulitalai, et prirent des nouveaux noms de sannyasis chrétiens. Monchanin choisit Paramarubyananda en honneur de l’Esprit Saint et Le Saux, Abhishikteshwananda en référence au Christ, l’Oint ( abhishikta ) du Père. À travers leur humble ashram, ils désiraient que l’Église de l’Inde, déjà si riche à l’époque en institutions scolaires et médicales, puisse aussi rendre visible sa forme contemplative, comme Marie aux pieds du Seigneur pendant que sa sœur Marthe s’affairait au service de la table. Pour eux, il était essentiel que l’hindouisme soit à même de découvrir que le christianisme avait une longue tradition contemplative et monastique. Ils pensaient aussi que cet ashram pourrait être un lieu d’échanges dans lesquels eux, les chrétiens, recevraient les dons que l’Esprit Saint a déposés au cœur de l’Inde. Quelques années plus tard, en écrivant Une messe aux sources du Gange , récit de son pèlerinage à Gangotri, Abhishiktananda mit ces paroles dans la bouche de Raimon Panikkar, son compagnon de route : « Notre rôle à nous chrétiens de l’Inde, c’est de puiser en ces trésors que nous léguèrent nos rishis , nos voyants, nos sages, de scruter les Écritures, de nous abreuver aux sources les plus pures et les plus primordiales de leur expérience afin d’en transmettre à l’Église les secrets incomparables ». Dans ce livre, il écrivait encore : « L’Inde et ses Écritures font partie de l’immense Testament cosmique qui précéda l’alliance du Sinaï et celle que Dieu conclut avec Abraham [...]. C’est comme à l’intérieur de ce Testament, de cette alliance originelle que l’Esprit prépare la plénitude des temps, la venue du Verbe incarné à travers tous les peuples, tous les lieux, tous les temps de l’Univers ». En parlant de « testament cosmique », Abhishiktananda replaçait la quête hindoue dans le plan du salut, bien avant la Révélation chrétienne. Un tel regard théologique plus ample était nécessaire pour rendre raison de tout ce qu’il expérimentait dans sa découverte de l’Inde. D’une manière singulière, il découvrait ce mystérieux « testament cosmique » dans les rencontres des sannyasis qu’il faisait sur les routes ou dans les grottes d’Arunachala. Il le contemplait encore dans les prêtres brahmanes qui officiaient dans les grands temples du pays Tamoul et chez ses voisins à Uttarkashi dans les Himalayas où il acheta un terrain en mars 1961 pour y établir un petit ermitage. Abhishiktananda fut vraiment touché par cette complicité dans le sacerdoce qu’il éprouvait avec les pandits hindous. Il décrivait ainsi les messes uniques qu’il célébrait en latin dans leur voisinage : « Je t’ai parlé, je pense, de ces premières messes célébrées au village himalayen de Gyansu . J’avais beau la célébrer le plus tôt possible, le sadhou qui logeait dans la pièce en dessous était déjà levé. Il psalmodiait déjà la Gita ou bien répétait ses mantras, les ponctuant de OM éclatants. Je murmurais à mi-voix les Dominus vobiscum de la liturgie. C’étaient des namah shivaya – Gloire à Shiva – qui me montaient en réponse. Les Hari Om alternaient avec mes Kyrie et les Bhagavan répondaient à mon Sursum corda . Au temple de Shiva, en face, la cloche sonnait et accompagnait les rites que mon frère Melchisédech le brahmane célébrait avec toute sa piété. Je me figurais que notre Père du Ciel se penchait avec une joie toute particulière sur cette liturgie littéralement cosmique et universelle ». Dans sa réflexion sur l’Inde et le testament cosmique, une figure se détachait en particulier : celle de Melchisédech, le mystérieux prêtre païen qui vint à la rencontre d’Abraham pour le bénir (Gn 14,18-20). Abhishiktananda, tout comme Panikkar, n’hésitait pas à voir dans les prêtres hindous les lointains frères du grand-prêtre cosmique : « Vois-tu ces prêtres du temple de Mère Gange ici, ceux du Kédar, ceux de Badri, ceux de tous les sanctuaires de la montagne et de la plaine ? Ne sont-ils pas les frères du Melchisédech biblique, de celui qui bénit Abraham et dont le prêtre du rite romain rappelle chaque jour la mémoire au moment le plus sacré de la liturgie ? Melchisédech est en vérité le type du prêtre du Testament cosmique. C’est selon son ordre, non selon l’ordre d’Aaron, le prêtre de l’alliance d’Israël, que le Christ a voulu être prêtre – et qu’en lui, moi aussi, je le suis ». Plus encore, Melchisédech a toujours été considéré par les Pères de l’Église comme la préfiguration du Christ lui-même. Surtout, la Lettre aux Hébreux a montré comment le sacerdoce du Christ ne descendait pas du sacerdoce cultuel d’Aaron et des prêtres du temple de Jérusalem mais, dans son insurpassable nouveauté, il était rattaché au sacerdoce de Melchisédech selon un verset du Psaume 109 : « Jésus est devenu pour l’éternité grand prêtre selon l’ordre de Melchisédech » (He 6, 20 ; cf . Ps 109, 4). En mettant ainsi en lien les prêtres hindous avec la mystérieuse figure de Melchisédech et celle du Christ lui-même et en se souvenant de la mention dans le Canon romain de la messe du « sacrifice que t’offrit Melchisédech, le grand-prêtre, en signe du sacrifice parfait », Abhishiktananda découvrait lui-même la dimension cosmique de son sacerdoce et aussi l’appel à recueillir dans le sacrifice de la messe « toute la prière humaine, tout le désir humain, toute la vraie dévotion humaine, la vraie recherche de Dieu, qui se trouve finalement réalisée dans le Christ ». De nombreux témoignages illustrent cette double découverte. Ainsi, il écrivait depuis son ermitage d’Uttarkashi à un ami : « Dans la soupente aménagée dans ma hutte, j’offre chaque matin la messe, assis à la façon du prêtre brahmane, avec des rites d’offrande d’eau, d’encens, de feu. Je lis l’Évangile en sanskrit. [...] Car ici, comme jamais dans l’Église, le Christ se manifeste prêtre “selon l’ordre de Melchisedech” ». Surtout, nous possédons le magnifique récit de la messe qu’Abhishiktananda célébra avec Raimon Panikkar à Gangotri le 6 juin 1964 dans Une messe aux sources du Gange . Quelle autre cathédrale que l’origine du fleuve sacré dans les Himalayas pouvait être plus propice pour vivre le sacerdoce de Melchisédech ? « En vérité, il est peu de lieux dans le monde où l’Eucharistie soit plus attendue et plus mystiquement préparée par l’Esprit qu’ici, au lieu des sources ». C’est là en effet que l’offertoire de leur messe silencieuse pouvait rejoindre la quête millénaire de l’hindouisme qu’il voulait, avec le pain et le vin, unir à l’offrande que Jésus fit de sa vie : « Le pain et le vin que j’offrirai dans ma messe ici à Gangotri, ce sera l’appel vers Dieu de tous ces pèlerins aux sources sacrées des Himalayas, de tous ces prêtres, de tous ces renonçants, de ceux d’aujourd’hui, d’hier, de demain, car l’Eucharistie transcende les temps ». Le guru Durant vingt-cinq ans, depuis son arrivée en 1948 jusqu’à sa mort en 1973, l’Inde a profondément transformé la vision qu’Abhishiktananda se faisait de son ministère de prêtre. Son nouveau peuple a évidemment creusé la dimension monastique de son sacerdoce, particulièrement dans le « quaerere Deum » – la quête de Dieu qu’il découvrait si ardente en de nombreux moines hindous – et aussi le ministère du silence dont il était aussi le témoin dans quelques ermites silencieux ( muni ) cachés au cœur des Himalayas. Sa vie quotidienne avec les hindous a approfondi sa perception du sacerdoce et l’a dilaté en des dimensions insoupçonnées au travers de nouvelles expériences, comme il l’écrivait dans sa confidence de 1971 : « Consacré pour un “ministère”. Mais un ministère qui déborde ses manifestations dites ecclésiales. Ministère au service du mystère, révélation du Mystère. Révélation aux hommes de leur propre personnel mystère et aussi du mystère total, du mystère en soi ». Cette dernière phrase montre aussi qu’une autre figure de la tradition indienne a été déterminante pour la perception renouvelée de son sacerdoce : la figure du guru , le maître spirituel. Quelques mois après son arrivée en Inde, Henri Le Saux eut la grâce de rencontrer à Tiruvannamalai en janvier 1949, Sri Ramana Maharsi (1879-1950) dont le premier darshan lui laissa un souvenir impérissable : « Dans ce Sage d’Arunachala et de ce temps, c’était le Sage Unique de l’Inde éternelle qui m’apparaissait, c’était la lignée jamais ininterrompue de ses sages, de ses renonçants, de ses voyants, c’était comme l’âme même de l’Inde qui perçait jusqu’au plus intime de mon âme à moi et entrait avec elle en communion mystérieuse. C’était un appel qui déchirait tout, qui fendait tout, qui ouvrait tout grand un abîme... ». Dans la rencontre du guru qu’il fit d’abord avec Ramana puis, en décembre 1955, avec Swami Gnanananda, Abhishiktananda découvrit clairement qu’il est au cœur du sacerdoce non seulement un mystère de médiation liturgique entre la terre et le ciel mais aussi un mystère de transmission de l’Esprit dont le guru est la figure charismatique. Cet aspect essentiel du sacerdoce s’est de plus en plus imposé à lui, comme en témoigne son texte de 1966 : « Le prêtre que l’Inde attend, que le monde attend ». Tout prêtre catholique devrait relire ce texte qui, aujourd’hui, n’a pas vieilli. Dès les premières lignes, Abhishiktananda a donné l’essentiel de sa vision : « Dans le contexte de l’Inde, le prêtre chrétien ne peut être que guru . [...] Le guru n’est point pour un hindou un quelconque prédicateur qui répète simplement à qui veut bien l’entendre ce qu’il a appris de professeurs ou lu dans ses manuels. C’est un homme qui parle d’expérience. Le guru est celui qui dispense l’enseignement de salut ; et n’est-ce pas au fond du cœur seulement que s’entend le mystère de sagesse, que jaillit l’expérience de salut ? ». Fort de l’impression toujours vive de sa rencontre avec Ramana, Abhishiktananda pouvait aussi écrire que, pour un chrétien : « Le guru ou maître spirituel, c’est celui-là seulement qui un jour rencontra au fond de son âme le Dieu “vrai et vivant” dont parle la Bible à chaque page, et qui fut dès lors et pour la vie marqué de la brûlure de cette rencontre [...]. Le guru c’est celui-là qui ayant découvert au fond de son cœur l’étincelle de l’être – non une abstraction, mais le JE SUIS qui se manifesta à l’Horeb – ne peut plus ne pas la reconnaître partout désormais au-dehors comme au-dedans de chaque créature, de chaque homme, au plus intime de tout ce qui est, de chaque événement, de chaque mouvement du cosmos que mesure le temps ». Que ce soit en contexte hindou ou en contexte chrétien, une telle expérience est donnée par la grâce de l’unique guru , le jagadguru : Dieu résidant au fond du cœur. Cependant, la lumière de cet unique guru est comme diffractée par d’autres lumières qui sont autant d’aides sur le chemin de l’expérience spirituelle. C’est, par exemple, le cas pour ce que la tradition indienne appelle le gurugrantha : les Écritures sacrées. Abhishiktananda remarquait encore à propos du prêtre : « Sans doute les livres l’auront-ils aidé dans sa quête du Réel – les livres surtout que sa Tradition lui a légués, et qui lui communiquent, autant que communiquer se peut, l’expérience de ceux qui, les premiers, eurent accès au mystère intérieur ». Surtout, l’unique guru se manifeste dans le darshan des sages dont l’enseignement se fait avant tout dans la profondeur du silence : « Sans doute aura-t-il été aidé par des maîtres, car c’est d’autres seulement que se reçoit l’enseignement de salut. [...] Cet enseignement en effet n’est pas seulement communication, il est communion, dirait-on en langage chrétien. Mais c’est justement ici que gît le grand secret. Le rôle du Maître n’est point de transmettre des notions. Il est avant tout d’éveiller le disciple. Il est de lui ouvrir l’œil intérieur, celui qui plonge au-dedans et y reconnaît le mystère. Il est d’ouvrir l’esprit du disciple à l’esprit qui l’habite, à cet Esprit qui sonde et scrute les profondeurs de Dieu. Les mots que prononce le guru passent sans doute de bouche à oreille au-dehors, comme toute parole humaine, qui se propage nécessairement à travers l’air ambiant. Mais, plus véritablement encore, la parole du guru se transmet directement de cœur à cœur, à travers ce milieu unifiant qu’est l’Esprit, la communion de tous à la Parole éternelle. Et c’est pourquoi le silence est considéré dans l’Inde comme le milieu privilégié de l’enseignement de sagesse ». Il est évident que dans ce texte de 1966, Abhishiktananda livrait un idéal très élevé du sacerdoce mais cela était pour lui à la mesure même de l’Inde car « le prêtre que l’Inde attend, que le monde attend » est aussi « le prêtre que l’Inde entend, que le monde entend ». Il n’est pas étonnant que, comme jeune évêque de Bénarès, Patrick D’Souza (1928-2014) chercha à convaincre Abhishiktananda de le rejoindre sur les bords du Gange pour l’aider à fonder un « pilot seminary » qui formerait des prêtres catholiques capable d’être entendus par leurs frères hindous. Surtout, cet idéal de prêtre comme maître spirituel fut vécu de façon très émouvante par Abhishiktananda à la fin de sa vie avec ses disciples : deux brahmanes hindous, Lalit Sharma et Ramesh Srivastava, sœur Thérèse, une carmélite française de Lisieux qui le rejoignit en Inde, et Marc Chaduc. En 1972, il confiait à un ami dans une lettre : « Je serai à Haridwar avec Thérèse ; les dix jours suivants avec Ramesh le jeune Hindou qui lit l’Évangile et qui me fait découvrir par expérience inexplicable ce qu’est le guru pour le disciple. Cela va tellement au-delà de la direction spirituelle et même de la paternité naturelle ou même spirituelle ». L’aventure la plus brûlante d’Abhishiktananda comme guru fut vécue avec Marc Chaduc, un séminariste français qui arriva en Inde en 1971. Marc fut celui qui recueillit plus que quiconque l’héritage spirituel de son maître. Le 30 juin 1973, lors d’une diksha œcuménique dans le Gange à Rishikesh, il fut introduit dans la lignée des sannyasi hindous par le Swami Chidananda de la Divine Life Society et dans la lignée des moines chrétiens par Henri Le Saux. Mystérieusement, cette date du 30 juin 1973 fut le jour où il aurait dû recevoir l’ordination sacerdotale avec ses compagnons de séminaire en France mais l’Inde l’avait entraîné sur un autre chemin, même si Abhishiktananda espérait toujours qu’il deviendrait un jour prêtre : « Le sacerdoce ? J’ai bien l’impression qu’il t’attend sur la ligne du temps. Un sacerdoce très spiritualisé, très au-delà des limitations, un sacerdoce dans l’Esprit. Ce don de toi à ce sacerdoce-là, cette diksha du Gange le signifiera et l’Esprit, en son temps, à sa manière y répondra ». Marc Chaduc (1944-1977), devenu Swami Ajatananda, ne devint jamais prêtre mais, dans sa vie silencieuse de sannyasi , il porta à l’incandescence ce qui faisait le fond du sacerdoce d’Abhishiktananda : le « quaerere Deum », « chercher Dieu et se laisser trouver par Lui ». La mystérieuse disparition physique de Marc, quatre ans après la mort de son guru , peut d’ailleurs être lue comme l’illustration d’une nécessaire dimension cachée au cœur du sacerdoce comme de toute vie chrétienne : « Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d’en-haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu. [...] Car vous êtes morts et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu » (Col 3, 1.3). En effet, pour Abhishiktananda, le prêtre, comme tous les vrais spirituels, est un être qui, d’une certaine façon, reste secret. Cette idée étonnante signifie que le mystère de sa rencontre avec le Dieu vivant doit fuir toute publicité pour n’être manifesté et donné généreusement qu’à ceux qui l’approchent avec une authentique soif spirituelle. Il en va ici d’une véritable reconnaissance dont la tradition hindoue dit : « quand le disciple est prêt, le guru apparaît ». Ainsi, au sujet du « prêtre que l’Inde attend, que le monde attend », Abhishiktananda pouvait encore écrire : « Sans doute est-il déjà parfois, ce prêtre, dans l’Inde et dans le monde tout aussi bien ; rarement sur le pavois, sauf quand Dieu veut remuer son Église ; le plus souvent caché, ignoré, sauf de quelques-uns, de ceux en qui l’Esprit a fait sa demeure, et qui, comme d’instinct, conduits par ce même Esprit, vont à lui ». Le grand hymne védique au Purusha – l’homme primordial – affirme que : « Avec trois quartiers, le Purusha s’est élevé en haut, le quatrième est resté ici-bas. » ( Rg Veda X, 4). Cette infime manifestation terrestre de l’Absolu peut nous faire penser aux icebergs dont la plus grand part de glace est dissimulée dans l’eau. Il en va de même pour le sacerdoce dans l’Esprit dont l’essentiel – la contemplation du mystère divin à travers le silence et la prière, le « quaerere Deum » – doit rester cachée afin d’être l’âme même de son action spirituelle au cœur du monde. Tel était le message du sacerdoce d’Abhishiktananda : « Le moine disparaît, passe en le mystère. Le prêtre révèle ce mystère. Mais qui peut vraiment le révéler sans y être perdu ? »[2] [1] Avec l’aimable autorisation de l’éditeur et de l’auteur. Ce texte est aussi paru dans Portraits indiens , Médiaspaul, 2022, 215 pages. [2] Le père Yann Vagneux vient de publier aux éditions Arfuyen (2022) la correspondance du père H. Le Saux et de sœur Thérèse de Jésus, moniale du carmel de Lisieux, partie en Inde à sa suite et devenue ermite. ( Cf . couvertures des deux volumes en page 40.) Au fil de l’histoire, « Marie a gardé ces choses dans son cœur » 6 Lire Art et liturgie Dom Ruberval Monteiro, osb Monastère de la Résurrection, Ponta Grossa (Brésil) [1] Au fil de l’histoire, « Marie a gardé ces choses dans son cœur » (Luc 2, 19) Une image silencieuse qui parle Les images sont souvent considérées comme la « décoration » d’une église, d’un monastère, d’une maison, de n’importe quel espace. Au contraire, tous les éléments sont en communication continue : rien n’est neutre ! Même le vide des murs blancs a un effet sur nous, enfants du minimalisme, qui n’est pas toujours positif. Les premiers chrétiens utilisaient abondamment les images pour communiquer leur contenu symbolique, qui ne pouvait pas être traduit en concepts. Une fausse théorie très répandue a fait croire que les préceptes aniconiques de la tradition hébraïque empêchaient les premiers chrétiens d’utiliser des images. Au contraire, des études sérieuses [2] et des découvertes archéologiques ont montré comment, à l’époque gréco-romaine des premiers siècles de notre ère, où la communication se faisait par le biais d’images, tant les hébreux que les chrétiens, influencés par les premiers, les utilisaient au service de leur foi et de leur culte [3] . Ils transmettaient un accès expérientiel et non théorique à l’ineffable mystère. Dans ce bref article, nous examinerons un module iconographique qui a été utilisé tout au long du premier millénaire et qui est toujours d’actualité. Le sarcophage de Pignatta (Ve siècle), trouvé à Ravenne, porte sur son côté le plus court, la figure primitive d’une splendide Annonciation : Marie est représentée assise sur une sorte de trône, à gauche, presque entièrement enveloppée d’un large manteau, et s’adonne à l’art de tisser un fil dressé verticalement. Devant elle, à droite, l’ange est debout, légèrement incliné vers le centre, avec des ailes majestueuses qui créent une sorte de mandorle ; sa main droite semble tenir un rouleau ou un bâton de voyageur (les figures sont très détériorées) et pointe la main levée de Marie, tandis que sa gauche se dirige vers le grand panier d’osier contenant la laine teinte en pourpre. Le bras droit de la Vierge a disparu, mais le signe de sa main se déplaçant horizontalement vers l’ange subsiste. La Vierge qui file la laine Cette iconographie s’inspire de la tradition apocryphe selon laquelle Marie, à l’arrivée de l’ange Gabriel, filait de la laine pour tisser le nouveau voile du Temple de Jérusalem : Quelque temps après, il y eut un conseil des prêtres et ils dirent : « Il faut faire une tente pour le Temple du Seigneur». Le grand prêtre ordonna : « Appelez-moi des jeunes filles sans tache de la tribu de David. » (...) Le grand prêtre se souvint de Marie, une jeune fille de la tribu de David, qui était sans tache aux yeux de Dieu. Les serviteurs allèrent aussi la chercher. Ils les firent toutes entrer dans le Temple du Seigneur, et le grand prêtre leur dit : « Tirez au sort qui filera l’or et l’amiante, le fin lin, la soie, l’hyacinthe, l’écarlate et la pourpre ». La pourpre véritable et l’écarlate échurent à Marie. Elle les prit et retourna dans sa maison. (...) Pendant ce temps, Marie prit la laine écarlate, la fila et en fit du fil. Un jour, Marie prit sa cruche et sortit pour puiser de l’eau. Et voici qu’une voix dit : « Salut, pleine de grâce ! Le Seigneur est avec toi, tu es bénie entre toutes les femmes ». Elle regarda autour d’elle, à gauche et à droite, d’où venait la voix. Toute tremblante, elle rentra chez elle, posa la cruche, prit la laine violette, s’assit sur son tabouret et la fila (...) Marie acheva de travailler la pourpre et l’écarlate et l’apporta au prêtre. Et le prêtre la bénit en ces termes : « Marie, le Seigneur Dieu a glorifié ton nom, et tu seras bénie parmi toutes les générations de la terre » [4] . Ce fil apparaît très fréquemment dans l’art byzantin occidental et oriental, et ce n’est qu’après le Moyen Âge que ce détail a disparu de l’iconographie occidentale tout en restant dans l’iconographie byzantine. La question qui se pose est celle de la raison de ce détail non biblique et de la signification de sa répétition. La référence au texte des apocryphes ne suffit pas à justifier la représentation, car l’art paléochrétien ne cherche pas à montrer comment les choses étaient dans le passé (vision historique), mais leur signification dans le présent. Église Sainte-Marie-Majeure, Rome 5e siècle. Ce petit signe est chargé d’un riche contenu. Filer la laine est un geste très ancien pour l’humanité : les différentes fibres de la laine sont réunies en un seul fil, grâce au fuseau et au geste délicat des doigts qui contrôlent le nombre de fibres pour créer l’uniformité, qui est ensuite progressivement enroulé sur la bobine. Cette activité, très répandue chez les femmes de l’ancien monde préindustriel, est comprise depuis les premiers siècles par les chrétiens comme un symbole grandiose du mystère de l’Incarnation, dans lequel, dans le mouvement circulaire sacré du fuseau, la matière humaine, dans le sein de la Vierge Marie, devient le Verbe de Dieu fait chair. Elle tient dans sa main le fil impérial pourpre qu’elle a tissé : son travail sera désormais de devenir « le métier à tisser de la chair de Dieu », selon la métaphore de saint Proclus de Constantinople (+ 447). Sur le mystère de l’Incarnation, nous ne pouvons nous exprimer qu’avec des symboles, car les mots et les concepts humains en sont incapables. Le pape Benoît XVI l’a bien dit : L’évangéliste Luc répète à plusieurs reprises que la Vierge a médité en silence sur ces événements extraordinaires dans lesquels Dieu l’a impliquée. « Marie gardait ces choses, les méditant dans son cœur » (Lc 2, 19). Le verbe grec utilisé symbállousa signifie littéralement « rassemblant » et suggère un grand mystère à découvrir peu à peu [5] . Au Moyen Âge occidental, l’iconographie du filage a cédé la place à une autre image très proche du geste artisanal de la création d’un fil : la psalmodie ! Marie tient le psautier dans ses mains et « unit » la Parole et la vie. Cette « jonction » nous fait comprendre que le mystère de l’Incarnation n’est pas quelque chose qui s’est produit une fois dans le temps, mais qu’il se poursuit tout au long de la vie, celle de la Vierge Marie, celle de l’Église et la nôtre, tout au long de l’année liturgique, qui nous apprend à réunir – sans rien exclure – toutes les fibres de notre histoire personnelle, communautaire et ecclésiale, pour créer un fil qui ira jusqu’à la pièce unique devant le Sancta Sanctorum . Le rideau ou le voile symbolise la révélation d’un mystère caché [6] , le seuil de l’éternité. Annonce à Marie, Fra Angelico, 1431, Institute of Arts, Détroit (USA). Le travail artisanal de filage « symbolique » des événements historiques avec les psaumes, les prophètes et l’Évangile, poursuit le travail des Pères de l’Église, tissant l’histoire du salut avec leur contribution, aux confins du maintenant et du pas encore. Le déroulement du temps liturgique nous unifie en tant qu’êtres humains intégrés, en nous-mêmes et avec les autres, dans la trame d’une histoire qui dépasse notre compréhension au fur et à mesure que le temps s’écoule. Célébrer les fêtes liturgiques avec attention, soin et amour est toujours une façon de sortir de nous-mêmes et de nous laisser emmener hors de nous-mêmes, afin de contextualiser notre propre parcours personnel dans un contexte plus large et donc encore plus vrai. Chaque fois que nous célébrons une fête ou une simple heure liturgique, ainsi que la récitation de prières qui marquent le tournant des jours dans nos vies, nous faisons l’expérience de faire partie d’un projet qui est plus grand que nos sentiments, nos émotions, nos désirs et nos frustrations. « La liturgie a une valeur thérapeutique pour tout ce qui, en nous, risque de nous replier sur nous-mêmes, de nous fermer des possibilités d’expansion et de croissance dans la vie. » [7] L’iconographie de l’Annonciation primitive et médiévale se révèle, à la lumière de la grande Tradition, un symbole efficace pour contempler le Mystère christologique en lui-même, ainsi qu’une méthode pour une participation active à la célébration liturgique, véritable service divin pour notre unification en tant que, et avec le Corps du Christ. Après tout, suivant l’image symbolique, Dieu est lui-même le tisseur divin ! [1] Professeur de langage symbolique, art et liturgie, à l’Institut liturgique pontifical de Saint-Anselme, à Rome. [2] A. GRABAR, « Recherches sur les sources juives de l’art paléochrétien I », Cahiers Archéologiques XI, Paris, 1969, 58-71 ; A. GRABAR, Le vie della creazione nell’iconografia cristiana . Milan 1983, 5. [3] Cf . P. PRIGENT, L’image dans le judaïsme du IIe au VIe siècles , Labour et Fides , Genève, 1991, 23-42. [4] « Protovangelo di Giacomo » (X-XII), in Apocrifi del Nuovo Testamento, a cura di MORALDI, L., Unione Tipografico , Torino, 1971, 77-78. [ Protévangile de Jacque s, 10.1-12.1.] [5] Benoît XVI, Homélie pour la messe de la solennité de Marie Mère de Dieu et de la 41e journée mondiale de la paix, 1er janvier 2008. [6] H. PAPASTAVROUP, Le voile, symbole de l’Incarnation - Contribution à une étude sémantique , Cahiers archéologiques 41, Paris 1993, 141-168. [7] M. SEMERARO, La messa quotidiana , juillet, EDB, Bologne, 2015, 308. Voyage en Terre Sainte 7 Lire Nouvelles Voyage en Terre Sainte avril-mai 2023 Dom Jean-Pierre Longeat, osb, Président de l’AIM Lundi 24 avril 2023 Mieux vaut tard que jamais ! C’est la première fois que je me rends en Terre Sainte alors même que j’ai accompli tant de voyages à travers le monde. Mais finalement, n’est-ce pas préférable de bénéficier d’un peu de maturité pour aborder une telle aventure ? En tout cas, je suis dans une disposition de cœur totalement ouverte pour vivre cette étape cruciale. Je pars avec le père Andrea Serafino, de Novalesa (Italie), membre de l’Équipe internationale de l’AIM, et Olivier Dumont, trésorier de l’association des Amis des Monastères à Travers le Monde (AMTM). Le voyage se déroule sans difficulté et nous sommes attendus à Tel Aviv par le père Christian-Marie, de l’abbaye de Latroun. Ce monastère vient de vivre un moment important : la communauté a récemment changé d’abbé, dom René a remis sa charge et c’est dom Guillaume Jedrzejczak, abbé émérite du Monts-des-Cats, par ailleurs, président de la Fondation des Monastères et depuis peu administrateur de l’abbaye de Sept-Fons (France), qui vient d’être nommé abbé de la communauté par l’Ordre des Trappistes. Car en effet, nous sommes là dans une communauté trappiste. Dom Guillaume n’est pas présent au monastère en permanence et c’est le père Christian-Marie, comme prieur, qui assure la responsabilité du quotidien de la communauté. L’abbaye de Latroun se situe à 15 kilomètres à l’ouest de Jérusalem, à la frontière entre la Cisjordanie et Israël. Elle est réputée pour son vin ! L’abbaye fut fondée en 1890 par des moines trappistes venant de l’abbaye de Sept-Fons, en France. Ils plantèrent le premier vignoble en 1898, suivi rapidement par des travaux de défrichements et des plantations d’oliviers, de vignes, de céréales et d’agrumes. Les religieux furent expulsés pendant la Première guerre mondiale. L’endroit fut l’objet de vifs combats pendant la bataille de Latroun en 1948, et passa sous le pouvoir jordanien après la guerre ; actuellement le monastère est en territoire israélien. À moins d’un kilomètre à l’est de l’abbaye se trouve le site d’Emmaüs Nicopolis, un des sites souvent cité comme l’emplacement de l’Emmaüs de l’Évangile. Arrivés au monastère dans la fin de l’après-midi, nous avons juste eu le temps de dîner et nous nous sommes aussitôt rendus à la salle du Chapitre pour une rencontre avec la communauté sur l’actualité de l’AIM. Pour insister sur le sens de notre voyage, j’ai redit l’intérêt qu’il y avait pour les monastères de se rapprocher les uns des autres et de s’entraider. Sur cette terre d’Israël, il y a six communautés de la famille bénédictine. Il serait vraiment utile qu’elles puissent proposer régulièrement des rencontres de concertation, de formation et de dialogue, comme cela existe dans d’autres régions du monde. Le cloître supérieur de l'abbaye de Latroun. © AIM. Mardi 25 avril Le mardi 25 avril, lever pour les vigiles à 4 h 15 puis messe et laudes à 6 h 30. Dans la matinée nous visitons le monastère. Les bâtiments construits dans la première moitié du 20e siècle sont imposants. Ils sont bâtis en pierre. Malheureusement, le sol argileux ne permet pas une grande stabilité de l’ensemble. Les murs présentent des fissures évolutives de toutes parts. Cela entraîne des travaux importants et coûteux. Les moines sont une vingtaine. Ils sont attachés à ce lieu et souhaitent y rester, même si certains trouvent que les frais d’entretien sont disproportionnés. En tout cas, la gestion du monastère est aujourd’hui très bien conduite, en espérant que cela permettra de faire face aux besoins à venir. L'église abbatiale de Latroun. © AIM. La propriété se compose d’une centaine d’hectares dont une partie cultivée avec des vignes et des oliviers. Le monastère produit donc de l’huile d’olive et un vin très remarquable. La cave est située dans les bâtiments de l’ancienne ferme préexistante au monastère, autour d’un bâtiment primitif qui était une auberge pour les pèlerins. Après la visite des lieux et l’office de Sexte, nous partageons le déjeuner avec les moines. La table est bien fournie même si, comme il se doit, elle ne comporte pas de viande ; le vin ne manque pas et un gâteau de noix est servi en notre honneur comme dessert. Après avoir rencontré longuement le père Christian-Marie, dans l’après-midi, nous partons vers l’abbaye d’Abu Gosh. À notre arrivée, nous sommes accueillis fraternellement par le père Louis-Marie Coudray, actuel supérieur. Nous passons un long moment avec lui et le père Christian-Marie pour évoquer les différents aspects de notre voyage et le contexte des monastères de la Famille bénédictine en Terre Sainte. Il serait intéressant de renforcer la relation entre les différentes communautés pour imaginer, notamment, des actions communes, des soutiens mutuels, des concertations ou simplement des échanges de nouvelles en direct. De ce point de vue, notre venue peut être un encouragement. La sonnerie des Vêpres nous appellent à rejoindre l’église romane où nous rencontrons les sœurs de la communauté unie à celle des moines : chant des Vêpres en deux chœurs (hommes et femmes) ; bref échange avec l’une ou l’autre des sœurs. Nous prévoyons avec Mère Prieure notre expédition, demain matin, pour Bethléem. Église du monastère d'Abu Gosh. © AIM. Mercredi 26 avril Nous partons à 9 heures vers Bethléem avec une sœur de la communauté d’Abu Gosh qui doit faire une course là-bas. Elle nous conduit d’abord au Champ des Bergers. C’est en ce lieu présumé que les Bergers de l’Évangile ont entendu, par le message des anges, l’annonce de la naissance de Jésus. Le village arabe de Beit-Sahour, situé au milieu des champs de Booz, comme le rapporte le livre de Ruth (Rt 3, 5), a été identifié selon la tradition au Champ des bergers. Il n’y a pas trop de pèlerins sur place, nous pouvons nous recueillir dans une grotte et admirer le paysage de montagnes et de prairies en bordure de la ville de Bethléem. Nous nous rendons ensuite à la basilique qui est déjà envahie de touristes. Nous contemplons à l’intérieur les fresques de toute beauté récemment restaurées. La basilique de la Nativité est l’une des plus vieilles églises du monde, bâtie selon la tradition, sur le lieu présumé de la naissance de Jésus de Nazareth. Elle a été érigée au 4e siècle par l’empereur Constantin Ier et restaurée sous Justinien au 6e siècle. Elle a fait l’objet par la suite de nombreux aménagements. Elle est administrée aujourd’hui par les orthodoxes, les Arméniens et les Latins. Nous prions un moment à l’écart de la foule dans l’église paroissiale Sainte-Catherine. En ce jour de mon anniversaire, je demande de pouvoir renaître d’en-haut tel que Jésus y invite le vieux Nicodème. C’est un moment particulièrement intense. Nous nous rendons ensuite chez un commerçant d’objets religieux que la sœur d’Abu Gosh nous a fait connaître et qui, finalement, propose de nous conduire lui-même chez les bénédictines de l’Emmanuel. Elles sont établies près du mur de séparation entre Israël et la Palestine ; le check-point n’est pas loin, et personne n’aime vraiment venir dans ce quartier où les indésirables peuvent être menacés par les policiers chargés des contrôles. Mais finalement, tout se déroule bien et nous pénétrons dans la cour du monastère un peu avant midi. Monastère de l'Emmanuel, Bethléem. © AIM. Il y a là une toute petite communauté de quatre sœurs appartenant à la congrégation de Marie, Reine des Apôtres (Rixensart, Belgique). La communauté est de rite oriental. L’histoire du monastère débute en Algérie à la fin de la Seconde guerre mondiale, à deux pas de celui de Tibhirine. L’entourage étant à majorité arabo-musulman, les sœurs bénédictines priaient les offices en arabe. À la demande du patriarche Maximos V, elles acceptent de s’installer en Terre Sainte, où la vie monastique melkite est en train de disparaître, malgré la présence d’une importante communauté. Une famille de Bethléem leur ayant fait don d’un grand terrain sur une des collines entourant celle de la grotte de la Nativité, avec un superbe panorama sur la vallée du Jourdain et les Monts de Moab, elles ont pu poser la première pierre, soutenues par leur Congrégation. Au nombre de trois, les sœurs vont célébrer la première liturgie orientale dans la petite chapelle en 1963. Sur les quatre sœurs de la communauté actuelle, une est en études en France dans le cadre du STIM. Les sœurs ne sont donc plus que trois sur place et bénéficie aussi de la présence d’une laïque, familière dans la communauté. Mère Marthe, la prieure, nous accueille à bras ouverts. Elle nous entraîne directement à l’église où va avoir lieu l’office de Sexte. La chapelle est recouverte de fresques peintes par sœur Marie-Paul, du monastère du Calvaire, au Mont-des-Oliviers. L’effet est saisissant. L’office est chanté très simplement dans une atmosphère extrêmement priante. Nous sortons de là le cœur rempli d’espérance. Mère Marthe a préparé elle-même le déjeuner et nous allons prendre le temps de parler avec elle et sœur Anna-Maria ainsi que la personne laïque présente au monastère durant le temps du repas. Il manque sœur Bénédicte qui accompagne un groupe de pèlerins français. Ce sont des jeunes étudiants. Comme beaucoup d’autres groupes accueillis, ils sont hébergés sur place et couchent dans une grande salle, à même le sol. L’accueil occupe une place importante dans la vie du monastère, en plus de l’atelier d’icônes et de la fabrication de confitures ou d’autres produits d’alimentation. La présence près du mur de séparation entre Israël et les territoires palestiniens donne une couleur particulière à cette communauté. Les sœurs ne sont ni d’un côté ni de l’autre, elles restent en territoire intermédiaire et elles prient pour tous. Elles ont des liens des deux côtés et tentent toujours de travailler à la réconciliation coûte que coûte. Mère Marthe nous explique le sens de l’appartenance de la communauté au rit grécocatholique pour la beauté et le sens du sacré. Nous partageons le fait que leur fragilité même est un témoignage incontestable. Sœur Anna-Maria vient de Roumanie. Elle a eu une vie très abondante : elle a été moniale orthodoxe dans son pays et finalement a été touchée par le message des sœurs de Bethléem lors d’un voyage qu’elles accomplissaient dans les monastères roumains. Sœur Anna-Maria a fini par les rejoindre. Nous sortons très marqués par ce moment de grâce. Mère Marthe nous fait visiter les lieux et nous sommes heureux de constater que le jardin est aussi beau que les bâtiments du monastère, l’un et l’autre dans une grande simplicité d’agencement. Mère Marthe a prévu pour nous un chauffeur ami qui va nous reconduire à Abu Gosh. C’est un chrétien palestinien. Il ne parle pas couramment le français et nous avons un peu de mal à engager une vraie conversation. Nous sommes frappés par sa bienveillance et sa disponibilité. Le soir après Vêpres, nous partageons un repas festif avec les frères d’Abu Gosh au cours duquel nous parlerons un peu de l’AIM. À la fin du repas, je suis surpris par l’arrivée d’un gâteau en l’honneur de mon anniversaire. L’atmosphère est plus que fraternelle. Nous échangeons longuement, nous sommes heureux ! Jeudi 27 avril Le matin de ce jour nous visitons la maison des Frères. À l’origine il y avait là une auberge, un caravansérail construit sur les vestiges du camp romain abandonné au 9e siècle, à l’époque arabe. Il servait alors de point de surveillance sur la route menant à Jérusalem. C’est à cette époque que le village prend le nom de Karyat el-Anab. Au 12e siècle, les Croisés, identifiant le lieu à l’Emmaüs des Évangiles, construisent à cet emplacement une église et un monastère. Ces derniers sont à plusieurs reprises détruits par les armées musulmanes, turque et caucasienne. À la suite des négociations entreprises par l’empereur Napoléon III, le terrain est offert à la France en 1875. Le site est progressivement restauré par les autorités françaises et le monastère confié successivement aux franciscains, aux lazaristes puis aux moines bénédictins olivétains. Ces derniers sont envoyés en 1976 par la communauté du Bec-Hellouin et bientôt rejoints par les sœurs oblates de Sainte-Françoise-Romaine. Jusqu’aujourd’hui, la source de Eïn-Marzouk sert de crypte à l’édifice religieux. Pendant la guerre israélo-arabe, le monastère a été utilisé comme infirmerie improvisée par l’unité Harel. Le village d’Abu Gosh abrite une des mosquées modernes les plus grandes de la région. Elle se trouve en bordure du monastère. En fin de matinée, nous rejoignons la communauté des sœurs pour partager le déjeuner avec elles dans leur réfectoire. Puis nous avons une rencontre avec toute la communauté. Très bon échange avec de nombreuses questions qui nous laissent entrevoir la diversité des membres de la communauté. Vers 16 heures, nous sommes conduits à Jérusalem sur le Mont-des-Oliviers pour rejoindre la communauté des sœurs du Calvaire. Nous sommes accueillis très fraternellement et, presque aussitôt, nous participons aux Vêpres. La communauté est réduite mais bien fervente. Dès l’arrivée, j’ai été saisi par l’invitation à l’intimité en ce lieu où le Christ se retirait avec ses disciples. C’est un endroit à part, réservé, qu’il y a lieu de protéger. Nous dînons à l’hôtellerie en compagnie de deux jeunes bénévoles dont l’un, un jeune garçon, est là depuis plusieurs mois et l’autre, une jeune fille, vient de passer deux mois sur place et s’apprête à repartir en France. La communauté pratique volontiers ce genre d’hospitalité qui permet à des personnes de faire une expérience humaine et spirituelle tout à fait unique, tout en collaborant à la vie du lieu. Le soir, nous admirons en surplomb du jardin des sœurs le panorama sur la vieille ville avec l’esplanade du Temple, le dôme de la grande Mosquée et les différents clochers qui pointent à l’horizon. Sur la droite en contre-bas, il y a le cimetière juif où les morts attendent la venue du Messie dans cette vallée du Cédron. Jérusalem, vue du Mont-des-Oliviers. © AIM. Vendredi 28 avril Nous passons la matinée à découvrir les alentours du monastère. Nous allons chez les sœurs russes proches du lieu présumé de l’Ascension. Elles sont une quarantaine. Leur style est très différent de celui des moines et moniales occidentaux. Elles habitent dans des petites maisons réparties sur l’ensemble de leur terrain et les pèlerins et touristes peuvent aller et venir à leur guise. Nous sommes ici comme dans un petit village. Nous croisons une sœur ukrainienne qui s’occupe du jardin et prend soin de son père en fauteuil roulant, très âgé et complètement sourd et aveugle ; il est prêtre, nous dit-on. Il ressemble à un vieux staretz. Ils ont fui l’Ukraine et se sont réfugiés dans ce monastère de Jérusalem. Nous rencontrons aussi la sœur chantre de la communauté qui est jordanienne et sœur Myriam qui est française. Beaux échanges fraternels qui montrent la qualité de leur vie profonde. Nous passons à la mosquée qui abrite l’empreinte du pas de Jésus (au moment de l’Ascension). Nous arpentons les rues du village arabe qui entourent le monastère des sœurs du Calvaire. Après le déjeuner, nous prenons un très long moment d’échange avec les bénédictines. Elles nous expliquent leur situation et les enjeux de leur présence en ce lieu. Elles détaillent leurs projets. Lors de leur dernier Chapitre général, elles se sont donné jusqu’en 2024 pour trouver une solution de viabilité sur place. Il faut attendre de voir si d’ici quelques mois des pistes concrètes se seront ouvertes ou non qui puissent leur permettre de présenter positivement leur situation lors de leur prochain Chapitre de 2024. Il semble difficile que l’aide ou la collaboration viennent d’autres congrégations ou communautés bénédictines ; il faudrait plutôt se tourner vers des laïcs qui accepteraient de s’engager en communion avec les sœurs, pour relever le défi d’une présence active en ce lieu. Sinon d’autres sœurs prendront le relais, s’il est possible d’en trouver. En tout cas, ce serait important de maintenir une présence chrétienne dans ce lieu protégé sur le Mont-des-Oliviers. Nous partons ensuite vers la Maison d’Abraham pour une rencontre des responsables des communautés féminines contemplatives de Terre Sainte. Nous nous y rendons à pied en passant au milieu des tombes du cimetière juif avec une vue incroyable sur la vallée, sur la Cité de David et sur le vieux Jérusalem. Rencontre à la Maison d’Abraham. © AIM. La Maison d’Abraham est l’ancien monastère qu’avait fondé les moines de Belloc au 19e siècle. L’édifice est entièrement restauré. C’est une belle réussite au service de l’accueil des pèlerins qui ne peuvent envisager de loger à l’hôtel, toutes confessions et religions confondues. Il y a là deux couples de laïcs dont celui qui dirige la maison, et une quinzaine de sœurs bénédictines, carmélites, des Béatitudes et de Bethléem. Elles se retrouvent régulièrement avec une thématique et des questions pratiques concernant leur vie (administration, travaux, financement…). Je présente l’AIM, aidé par mes deux compagnons, et de nombreuses questions surgissent. Nous abordons le thème de la mixité dans le groupe formé par les sœurs, mais cela reste en suspens. Ce genre de réunion est un encouragement à envisager par ailleurs une réunion des supérieurs et supérieures bénédictins une fois ou deux par an. C’est la proposition que je formule. Samedi 29 avril Aujourd’hui, après le déjeuner, nous partons vers l’abbaye de la Dormition. Nous y allons à pied et nous traversons à nouveau la vallée de la Géhenne, nous allons à Saint-Pierre-d’Alicante, puis nous nous arrêtons au Mur des Lamentations où, de loin, le front posé sur la grille extérieure, je prie intensément pour la paix ; nous passons par le Cénacle qui, évidemment, a tout une histoire architecturale. Nous nous recueillons un moment avec émotion. Puis nous descendons au tombeau de David. Je suis touché à cet endroit, tant saint David reste pour moi l’un de mes personnage bibliques auquel j’aime tant me référer. Enfin, nous rejoignons l’imposant monastère de la Dormition. Abbaye de la Dormition. © AIM. Nous trouvons le Père Abbé qui vient juste de terminer la visite d’un groupe. Il nous accorde près de deux heures. Nous abordons toutes sortes de sujet : l’histoire et la vie du monastère, l’importance pour eux de la langue et de la culture allemandes qui les rend un peu différents des autres monastères plutôt de culture française ; l’œuvre éducatrice avec la faculté de théologie dans une perspective monastique, avec une vingtaine d’étudiants ; les travaux de rénovation du monastère entièrement pris en charge par l’Allemagne, le propriétaire étant une association de la ville de Cologne ; la complémentarité de leur fondation de Tabgha qui est un véritable centre spirituel près du Lac de Tibériade, au lieu de la multiplication des pains, et mille autres choses. Nous visitons les travaux de rénovation du monastère qui concernent la totalité des bâtiments ; c’est une réalisation ambitieuse qui se terminera dans quelques mois. Il est prévu que L’église soit prête pour la bénédiction abbatiale du père Nikodemus Schnabel, le jour de la Pentecôte. Nous participons aux Vêpres. Les moines présents ne sont que trois car sur les neuf autres, quelques-uns sont dans le monastère de Tabgha et d’autres remplissent ici ou là des ministères. L’office se déroule dans la crypte dédiée à la Dormition de la Vierge. Une représentation de celle-ci trône au centre de la salle d’une manière impressionnante. Durant le temps des travaux, c’est là que sont dits les offices. Bien sûr, tout est chanté en allemand, d’une manière très agréable dans une acoustique généreuse. Nous déjeunons ensuite avec les trois frères et la sœur Gabriele du Mont-des-Oliviers qui nous a servi de guide cet après-midi. Nous nous quittons immédiatement après, le Père Abbé devant se préparer à un départ pour l’Allemagne, tôt le lendemain matin. Sur le chemin du retour, nous traversons la vieille ville et nous nous rendons au Saint-Sépulcre qui, par chance, est ouvert. Il y a beaucoup de monde à l’intérieur. Je vénère la pierre de l’onction, à l’entrée, qui est bien accessible. Nous prions devant le tombeau, moment toujours impressionnant dont on aimerait qu’il ne cesse pas. Mais il y a beaucoup de monde et le recueillement est un peu difficile. Nous nous rendons alors à la chapelle Sainte-Hélène où est en train de chanter le groupe Harpa Dei dont les réalisations musicales m’intéressent. Il chante les Vêpres, je m’unis à leur prière, ravi. Les sœurs connaissent ce groupe et nous pourrons les rencontrer demain matin. Nous marchons encore un peu et nous rentrons en taxi, épuisés. Dimanche 30 avril Après avoir célébré la messe du Bon Pasteur, nous partons dans Jérusalem afin de rejoindre dans l’après-midi la réunion que nous avons programmée avec les Supérieur(e)s des monastères. Cette réunion aura lieu à Abu Gosh. Nous devons y aller en bus et pour cela traverser d’abord la vieille ville de Jérusalem et en profiter pour nous arrêter dans quelques lieux saints. Tout d’abord, nous faisons une station au lieu de la trahison de Judas et de l’arrestation. Il y a là une petite basilique au pied du Mont-des-Oliviers. Je suis impressionné par l’intensité de l’émotion qui me saisit en ce lieu : je ressens comme un immense vertige. J’ai envie de me prosterner à terre et d’implorer le pardon de Dieu pour toutes nos (mes) trahisons. Puis c’est le jardin de Gethsémani et la basilique style art-déco qui le jouxte. Nous nous arrêtons ensuite à Sainte-Anne, lieu présumé de la naissance de la Vierge Marie. Cette église et les bâtiments autour sont tenus par les Pères Blancs. Nous sommes reçus par l’un d’eux dont l’attention et la simplicité sont particulièrement impressionnantes. Nous marchons ensuite vers le Saint-Sépulcre, et d’abord chez les Éthiopiens dans la partie haute. Nous avons rendez-vous avec deux membres du groupe Harpa Dei. La discussion est très stimulante. Le groupe sillonne le monde, avec un aspect missionnaire par la musique. Ils doivent venir bientôt en France dans la région normande. Je pense les faire venir à Ligugé. Ils ont beaucoup à dire pour inspirer la prière monastique. L’office chanté par eux prend des allures de révélation et même ceux qui ne sont pas chrétiens sont happés par sa beauté. Entrée du monastère copte. © AIM. Nous descendons ensuite dans la partie inférieure et passons chez les Coptes où l’on peut voir des tombes creusées à même la pierre, semblables à celle où le Christ a été enseveli. Impressionnant. En sortant, nous tombons sur le père Stéphane, un franciscain français qui, « par hasard », a fait une retraite à Ligugé avant de rejoindre les franciscains. Il fait partie de la communauté affectée au Saint-Sépulcre. Il nous explique avec enthousiasme comment ce lieu montre la densité du Corps du Christ à travers toutes les personnes qui viennent le visiter. Elles sont de toutes sortes, ne savent pas toujours ce qu’elles viennent chercher ou faire, mais elles représentent le fourmillement du corps de l’humanité sauvée par le Christ. Autant le désert révèle le Père, la Galilée, le Fils, autant ici, c’est l’Esprit Saint qui se manifeste en une Pentecôte permanente ! Nous prenons une pizza dans un restaurant de la ville nouvelle et nous montons ensuite dans le bus qui doit nous conduire à Abu Gosh où vont se réunir les supérieur(e)s des monastères de la famille bénédictine de Terre Sainte. La réunion se conclut par quelques points d’attention : – il est bon que, au moins, les supérieur(e)s se réunissent de temps en temps, ne serait-ce que pour échanger les dernières nouvelles concernant les différentes communautés, l’approfondissement en commun de certaines questions liées à la vie de l’Église, du monde, de la situation en Terre Sainte et d’autres encore… – Le soutien mutuel dans les projets respectifs. – L’entraide dans la formation à tous les niveaux. – La proposition d’organiser des séjours pour des profès-professes ayant déjà un peu d’expérience. Ils pourraient passer deux ou trois mois en profitant d’enseignements, de visites et surtout de l’expérience concrète des lieux, sur place. Les participants viendraient d’Europe mais aussi d’Asie, d’Afrique francophone et d’Amérique latine. La réunion a semblé ouvrir une voie : c’était le but. Nous rentrons ensuite à Jérusalem par le bus, et au monastère du Mont-des-Oliviers par le Tram et par un autre bus. Longue expédition. Lundi 1er mai Ce matin, nous devons rencontrer le Patriarche latin de Jérusalem. Nous traversons la ville en bus et nous rejoignons le patriarcat. Le rendez- vous était fixé à 9 heures, mais par mail, le secrétaire du Patriarche avait demandé que nous soyons là à 8 h 30 et nous avions oublié. Nous sommes donc en retard si bien que Mgr Pizaballa ne peut nous recevoir. Le chancelier du diocèse se met à notre disposition et nous pouvons débattre avec lui quelques instants. Il nous dresse un tableau du développement de la vie religieuse depuis le Moyen Âge. C’est surtout au 19e siècle, après une longue période d’interruption, que les fondations se multiplièrent, principalement dans la vie religieuse apostolique. Les congrégations ainsi fondées étaient alimentées par un recrutement étranger. Seules deux congrégations autochtones se développèrent et restent bien vivantes. Les monastères, quant à eux, ont connu leurs heures de prospérité en rapport avec les succès de la vie religieuse en Europe (surtout en France et en Allemagne). Mais aujourd’hui où la vie religieuse est moins facile dans le continent européen, les communautés contemplatives de Terre Sainte sont plus fragiles et les questions d’avenir sont nombreuses. Finalement, le Patriarche peut nous rejoindre un moment. Nous lui expliquons le but de notre voyage en Terre Sainte. Il se montre attentif mais résume sa position en deux phrases : « la Terre Sainte n’est pas l’Europe, c’est un lieu de fragilité, nous avons besoin de communautés religieuses fortes et stables. Tout ce qui se cherche en matière d’avenir de la vie religieuse en France, notamment dans la collaboration avec les laïcs, n’est pas d’actualité ici, c’est trop aléatoire ». La discussion ne peut guère aller plus loin. Nous terminons assez vite la conversation. Lieu de la multiplication des pains, Tabgha. © AIM. Nous nous rendons ensuite à Tabgha sur le lieu saint de la multiplication des pains, en bordure de la mer de Tibériade. Il y a là des moines de la Dormition et des sœurs de la congrégation des bénédictines du Roi eucharistique (BSEK, Philippines). Elles nous reçoivent à leur table pour le déjeuner. Nous passons un moment extrêmement fraternel avec ces cinq sœurs qui vivent là au service des pèlerins, en coordination avec les moines. Le site est particulièrement fort. Comme beaucoup, nous sommes touchés de marcher au bord du Lac. On a l’impression qu’à tout moment le Christ pourrait se présenter avec ses disciples, là sur la mer. Souvent, dans tous ces lieux saints, c’est l’impression que j’ai eue : le Christ est là, je le vois, je voudrais être avec lui, rester avec lui, l’entendre, vivre avec ses disciples et ne plus le quitter. Après le déjeuner, nous rejoignons le centre de pèlerinage et rencontrons le père Joseph qui nous explique la mission des moines sur place, en communion avec la communauté de la Dormition, à Jérusalem, dont ils dépendent. Le lieu est vraiment bien aménagé. L’église contient des mosaïques anciennes qui illustrent l’épisode de la multiplication des pains. Nous sommes impressionnés par la fraternité de notre interlocuteur qui nous fait visiter l’ensemble de la maison. C’est une réalisation de quelques dix années, en parfait état, harmonieusement insérée dans l’espace. Nous sommes conscients du rôle important que jouent ses deux communautés sur ce lieu si visité. Plus notre séjour avance et plus nous mesurons la nécessité de soutenir ces communautés monastiques de Terre Sainte. Ce serait grave de ne pas se montrer solidaires. Les sœurs bénédictines de Tabgha, P. J.-P. Longeat, P. andrea Serafino Dester, et M. Olivier Dumont. © AIM. Nous rentrons vers Jérusalem en traversant les paysages impressionnants du désert de Juda, de Jéricho et de bien d’autres lieux. Mardi 2 mai Ce mardi matin, nous avons rendez-vous au carmel du Mont-des-Oliviers. Celui-ci est tout près du monastère des bénédictines dans lequel nous logeons. Nous célébrons la messe, puis nous visitons le site dit du Pater qui jouxte le monastère. C’est le lieu dédié à l’enseignement que le Christ a donné aux apôtres sur la prière et où il leur a transmis le « Notre Père ». Cette prière est inscrite sur les murs en 170 langues ! La chapelle du monastère est dédiée à cette « dévotion ». Le site se déploie sur une surface importante, il est propriété de l’État français qui en a la charge en matière d’entretien, y compris pour la chapelle qui nécessiterait des travaux et un réaménagement intérieur minimal. Mais les décisions tardent à venir du côté de l’État et tout reste en plan. Le couvent quant à lui est indépendant ; ce sont les sœurs qui en ont la charge et le gèrent au mieux. Nous rencontrons la communauté qui est assez nombreuse avec quelques jeunes sœurs. Je présente l’AIM et ses enjeux. Le débat est très ouvert et les questions vont bon train. Je ressors impressionné du beau témoignage de cette communauté qui tient bien sa place dans le paysage local. Après le déjeuner, nous nous rendons à l’aéroport. Dernier check-point : nous sommes contrôlés. L’un de nous veut descendre de la voiture, mais aussitôt, attirant l’attention, les mitraillettes se pointent sur lui. Il ne tarde pas à rentrer dans la voiture et à attendre patiemment que le feu vert nous soit donné. C’est ce qui arrive quelques minutes plus tard. Nous sommes prêts pour l’embarquement, la tête et le cœur encore remplis des témoignages de vérité que nous avons reçus ici ou là dans les communautés visitées. Nous avons essayé d’encourager les liens mutuels entre communautés, nous avons été à l’écoute de tous et de toutes autant qu’il était possible. C’était le but de notre voyage : mission accomplie ! Voyage en Inde 8 Lire Nouvelles Voyage en Inde 11-27 février 2023 Sœur Christine Conrath, osb, secrétaire de l’AIM À l’occasion de la réunion annuelle de l’ISBF (Fédération Bénédictine Indo Sri-Lankaise), sœur Christine Conrath, secrétaire de l’AIM, et Mère Anna Brennan, abbesse de Stanbrook et membre de l’Équipe internationale, se sont rendues en Inde. Voici quelques échos de leur séjour. Samedi 11- dimanche 12 février Après un départ sans histoire à l’aéroport Charles-de-Gaulle de Roissy, et un vol direct pour Delhi de près de neuf heures, nous arrivons le dimanche 12 février à 10 h 30 à l’aéroport de Delhi. Nous avons cinq heures de transit où nous devons accomplir les formalités de visa et récupérer nos bagages. Nous embarquons ensuite pour Cochin où nous arrivons vers 19 h 10. Le Père Abbé Clément Ettaniyil, de Kappadu, nous attend, et nous partons directement à Mariamala, Kottayam, où doit se tenir la réunion de l’ISBF : deux heures sur les petites routes du Kerala. Nous arrivons à 21 heures pour dîner et dormir. Le père Bino Tom Cheriyil, supérieur de la communauté, nous donne l’emploi du temps pour la suite du séjour. Plusieurs viennent nous saluer, dont le père James Mylackal, président de l’ISBF. Lundi 13 février À 6 h 30, nous célébrons les Laudes puis la messe. Tout est récité ou lu à la suite, il n’y a pas de temps de respiration, on reste assis pour les doxologies des psaumes – ce sera ainsi pour tous les offices. Des moustiques voraces et des ventilateurs accompagnent notre prière. La messe est présidée par le père Notker Wolf, ancien abbé-primat qui est accompagné de Mme Gerlinde. C’est une insigne bienfaitrice pour les monastères d’Inde. Nous prenons ensuite le petit-déjeuner à la table d’honneur. À 9 h 30, ouverture de la réunion de l’ISBF : rites d’inauguration, allumage de la lampe à huile, discours, distribution de fleurs, cadeaux et écharpes pour chacun. Il y a toujours un membre de l’ISBF chargé de présenter l’hôte de marque au micro, et un autre qui lui donne les cadeaux. Environ 60 personnes sont présentes : supérieur(e)s majeur(e)s ainsi que quelques moines, moniales et sœurs. La première conférence est donnée par un évêque voisin, de la famille Vallombrosienne, sur la patience. Le père Notker Wolf intervient ensuite : il dit combien dans les troubles actuels de l’Église, nous, membres de cette Église, avons perdu toute crédibilité. N’ayant plus le pouvoir, nous sommes inquiets pour l’avenir. Il y a un changement de paradigme, pour la première fois depuis le Moyen Âge. Dans ce contexte, quel chemin d’inculturation en Inde ? En fait, ce travail revient aux frères et sœurs en charge dans les communautés d’Inde. Saint Benoît est très ouvert. Voir par exemple la nourriture : on donne ceci et cela afin que chacun trouve ce dont il a besoin. Et s’il n’y a rien, on bénit Dieu. Notre outil le plus précieux est la lectio divina. Selon son expérience au cours de ses voyages autour du monde, le père Notker constate que les communautés sont plus ou moins contemplatives et plus ou moins apostoliques ; mais quelque chose nous est commun : on sent que c’est « bénédictin ». L’amour de la prière commune est un critère d’authenticité. Une communauté, c’est comme une équipe de foot : on compte les uns sur les autres et on s’aime. C’est une école de patience. L’Esprit Saint est celui qui conduit notre avenir. Avec l’amour fervent pour notre communauté et le bon zèle, nous n’avons pas besoin de réorganiser quoi que ce soit. Ce n’est pas ce dont nous avons besoin en premier. Ce qui est nécessaire d’abord, c’est la foi, l’amour et l’écoute. Notre espérance prend ses racines dans une vie authentique. Dans ce sens, on voit tout ce que Jésus a supporté, et même jusqu’au reniement de Pierre. C’est à nous maintenant de le suivre sur ce chemin. Assemblée de l'ISBF. Mme Gerlinde donne ensuite quelques indications sur sa Fondation pour venir en aide aux jeunes filles du Nord-Est, entraver le trafic des humains et combattre les violences domestiques. Elle lutte aussi pour aider les enfants livrés à eux-mêmes. Elle est venue en Inde pour la première fois en 1997. La pandémie de Covid19 a vraiment changé la face du monde. Elle insiste pour que les yeux de tous restent ouverts sur les enfants des rues. Nous assistons ensuite au spectacle donné par l’école St Kuriakose : danses éblouissantes, chants, rites d’accueil… Dans l’après-midi, présentation de l’AIM. Même s’il y a peu de questions, les participants manifestent un grand intérêt : Comment suis-je concerné par ce que nous représentons ensemble ? Comment le fait de se sentir concerné par les autres garde mon esprit en éveil ? Pourquoi est-ce que j’enferme souvent mes frères et sœurs dans leur fragilité ? Isaac de l’Étoile nous dit bien que mon frère et ma sœur ne sont pas des adversaires ; ils sont une aide, une opportunité pour moi de travailler à ma propre conversion. Le plus important n’est pas ce que nous faisons dans la Famille bénédictine mais comment nous nous connaissons, nous nous rapprochons les uns des autres. L’AIM essaie de renforcer le lien entre toutes les communautés, avec patience, comme le rappelait l’évêque en ouverture, et avec cet outil perfectionné de la lectio divina , ainsi que le mentionnait le père Notker. En Europe de l’Ouest, les communautés sont souvent âgées, les communautés du Sud sont l’avenir de notre famille religieuse. Mais plus que tout, notre avenir commun, c’est Jésus Christ. Le père Vincent Korandiarkunnel, prieur de Makkiyad, donne une conférence sur la synodalité, ouvrant sur un beau partage, avec le témoignage du père Peter Dowe, de Douai Abbey, sur la préparation très synodale de l’élection de leur nouvel abbé : c’était bien la synodalité en actes. Mardi 14 février La messe est présidée par le père Clément Ettaniyil (Kappadu) en rite syro-malabar. Mère Anna Brennan débute la journée des interventions avec un exposé sur Cor orans. Elle fait part de son expérience dans son propre monastère et dans la Congrégation anglaise. Puis le Père Abbé Clément, de Kappadu, parle des mesures de mise à l’écart dans le contexte du Covid et en rapport aux mesures préconisées par la règle de saint Benoît quant à l’excommunication. Puis vient la tenue de l’Assemblée générale de l’ISBF. Dans l’après-midi un rapport de l’activité du DIM-MID régional est présenté par le supérieur de Kumily, le père John Kaipallimyalil. Le 7 décembre 2023, on fêtera le 50e anniversaire de la mort de Henri Le Saux. Mère Vandana présente le rapport de la CIB. Puis commencent les rapports sur les différentes communautés. Une visite est organisée au monastères des petites sœurs Vallombrosiennes de Saint-Jean-Gualbert. Mercredi 15 février Le père Vincent Kundukulam, professeur au séminaire pontifical Saint-Joseph d’Aluva, évoque le travail du DIM en Inde. Le dialogue consiste, entre personnes religieuses qui ont réellement une compétence, à partager comment elles font l’expérience de Dieu. Pour commencer à dialoguer, il n’est pas nécessaire d’avoir la même représentation de Dieu. Le dialogue n’est pas une stratégie pour conquérir les autres mais une source pour remonter à l’origine de notre foi. Il applique cette pédagogie à la question de l’incarnation qui représente une réalité bien différente chez les chrétiens, les hindous ou les musulmans. Comment, à partir de visions aussi différentes, remonter jusqu’à la source de la foi en Dieu et pouvoir la partager ? La pédagogie du père Vincent m’a semblée excellente. Dans l’après-midi, une excursion en bateau conduit les membres de l’ISBF dans la lagune de Kumarakam, Une immense digue sur la mer qui ouvre ou ferme les eaux du Kerala. La profondeur est de 3 à 5 mètres. Des paysages d’une beauté insigne, et une détente fraternelle charmante. Jeudi 16 février Les élections du Bureau reconduisent frère James Mylackal comme président ; le trésorier est le père Michael Kannala (Vallombrosien, Bangalore) et le secrétaire père Pinto Irudayaraj (Shantivanam) ; le Père Abbé Clément assurera les relations avec l’AIM. La prochaine réunion de l’ISBF aura lieu du 4 au 10 février 2024 à Shantivanam. Dans l’après-midi, départ pour le prieuré de St Scholastica, de la congrégation Grace and Compassion. Les sœurs tiennent là une maison pour personnes âgées et une unité de soins palliatifs. Elles ont aussi une maison d’accueil pour des étudiants et une ferme. Ensuite, nous visitons les sœurs de Sainte-Lioba. Elles forment une communauté de trois membres qui hébergent des étudiantes en médecine. Puis c’est l’arrivée à Kappadu pour le dîner. Découverte du lieu, et le soir, réunion avec des adolescentes qui suivent un cours d’allemand en ligne. Leur professeure est venue d’Allemagne pour les encourager. Il y aura un examen, puis un séjour en Allemagne. Le monastère de Kappadu est très attentif aux étudiants et fait beaucoup pour eux de différentes manières. Vendredi 17 février La messe en rite syro-malabar est suivie d’une célébration au cimetière avant le carême. Puis nous faisons la visite du monastère. La ferme comprends une étable de 63 vaches, une vingtaine de cochons, 2 000 poules, 200 lapins. On fait la cuisine au biogaz généré par la bouse de vaches. Il y a encore une pisciculture, une plantation d’hévéas. Ces derniers temps, le prix du caoutchouc a été divisé par trois. Il y a 300 employés en tout à Kappadu ; mais les moines sont tous au travail, toute la ferme est gérée par les aspirants. À 10 heures, départ en voiture pour Kurisumala. Nous arrivons juste à temps pour l’office du milieu du jour, avec un groupe de séminaristes en retraite et leur formateur. Pour le repas de midi, nous sommes assis par terre, dans le cloître ; on avait préparé des tabourets pour nous dans la bibliothèque jouxtant le cloître. Repas sobre en silence. Les frères servent les hôtes de riz agrémenté de sauces, régime végétarien. Après le repas, nous saluons la communauté. Nous visitons la cellule du père Francis Acharya et tout le monastère. Le monastère de Kurisumala, OCSO, est maintenant lié à l’abbaye de Tarrawarra, en Australie. Ferme de Kurisumala. © AIM. Samedi 18 février En ce jour où nous célébrons les 90 ans du père Anselme Maniakupara, l’un des fondateurs de Kappadu, le Père Abbé émérite John Kurichianil est présent. Nous sommes heureux de nous retrouver. Mère Nirmala Narikunnel, abbesse de Shantinilayam, nous rejoint pour quelques jours de retraite. Il y a quelques 300 invités. Dans l’après-midi, nous partons pour Maduraï en passant par Jeva Jyothi. Nous rencontrons l’évêque émérite à l’origine du monastère, avec la fondatrice Mère Lily Thérèse, maintenant décédée. Nous constatons la fragilité de cette communauté de trois sœurs avec un aumônier carme. Nous arrivons au monastère de Kumily (St Michael’s Priory, Angel Valley, Viswanathrapuram), de la congrégation de St Ottilien. Quelques élèves de Kumily, Mère Nirmala et sœur Christine. © AIM. Dimanche 19 février Nous visitons une des activités du monastère : l’hébergement de jeunes garçons : 60 enfants sont en pension complète. Si les cours sont donnés ailleurs, les frères veillent à l’éducation de ces jeunes. Dans la matinée, promenade traditionnelle à dos d’éléphant à l’« Elephant Junction », juste à côté du monastère, après le bain de ces mastodontes d’un poids moyen de 2,5 tonnes. Ce sont des femelles, réputées douces, sans défenses, il y en a trois en tout. Les éléphantes sont domestiquées et très obéissantes aux ordres du guide : « debout, couché, marche, stop, salut ». Ce fut une petite heure de promenade ! Nous visitons le monastère en fin de matinée ainsi que le Centre spirituel. Dans le jardin, des animaux sauvages viennent la nuit, le monastère est en bas d’une pente, la jungle est juste au-dessus. Viennent à passer dans le jardin des buffles ou des tigres (?), en tout cas il y a une volière de perruches et un jardin potager. Les frères récoltent environ 50 % de leur production agricole, le reste étant mangé par les animaux sauvages. Nous avons noté que toutes les fleurs des régimes de bananes ont disparu, mangées par des singes ? Déjeuner à Kumily avant de partir pour Madurai. Visite de Madurai le soir, notamment un somptueux temple vieux de 5 000 ans. Il est très difficile de rendre compte de l’émotion en ces lieux, au milieu de cette foule indienne. Puis les frères nous conduisent à l’aéroport de Madurai pour nous envoler vers Bangalore et rejoindre l’abbaye de Shanti Nilayam. Lundi 20 février Visite de Shanti Nilayam, le jardin, la vigne. Un ouvrier dit qu’il faudrait enclore la vigne avant que le raisin ne murisse, sinon les voisins vont continuer de se servir chez les sœurs… La clôture est inexistante. La ciergerie est équipée de matériel vétuste. Avec de la cire recyclée, des femmes en difficulté (veuves, femmes battues ayant quitté leur domicile, etc.) fabriquent des cierges vendus ou cédés au diocèse. Ciergerie à Shanti Nilayam. © AIM. L’hôtellerie est devenue insalubre par suite des inondations de ces dernières années. Il faudrait la raser et en reconstruire une nouvelle, contre le mur de clôture, sur la rue ; sinon le terrain risque d’être squatté, la ville se presse le long des murs. Au moment de la fondation, les sœurs se sont installées en rase campagne, mais la ville est venue jusqu’à elles, par suite de l’explosion démographique du pays. À la rencontre du soir, nous échangeons avec la communauté. Les sœurs sont toujours en lien avec la communauté des bénédictines de Ryde, en Angleterre, qui a contribué à la fondation de Shanti Nilayam. Le monastère de Shanti Nilayam s’inscrit donc dans la tradition du monachisme de la congrégation de Solesmes, mais adapté à la culture indienne. Mardi 21 février, Mardi gras Ce matin, nous visitons l’atelier de pains d’autel. Les sœurs ont vendu toutes leurs vaches sauf deux. En raison de l’inondation, l’étable est restée sous l’eau durant huit jours et les vaches sont tombées malades. Les sœurs avaient déjà dû renoncer aux poulaillers (quatre bâtiments de 2 000 poules), en raison de la concurrence. L’inondation est causée par le débordement du fossé d’évacuation des eaux usées, bouché par tous les détritus qui arrivent des nouvelles habitations du quartier. Le réseau d’évacuation des eaux usées est hors service. Le gouvernement accueille la plainte des sœurs et dit qu’il va agir, mais il ne fait rien. Shanti Nilayam accueille les jeunes sœurs d’une fondation en Birmanie (Myanmar) pour leur formation. À la messe de ce jour, sœur Rosa Ciin, de Birmanie, a renouvelé ses vœux temporaires pour un an. Les sœurs birmanes feront profession solennelle ensemble cet été, puis rentreront en Birmanie. La communauté reçoit beaucoup d’aspirantes venant du Nord-Est. Elles ont une moyenne d’âge de 18 ans, et ne possèdent pas encore bien l’anglais. Nous visitons aussi la communauté des Vallombrosiens, à Bangalore. Communauté des Vallombrosiens, Mère Nirmala et sœur Christine. © AIM. Mercredi des Cendres, 22 février En ce jour, Mère Nirmala me demande de donner un petit exposé à la communauté sur le désir dans la RB, désir de Pâques, désir de conversion, et la discretio mère des vertus. L’exposé est suivi de la distribution des livres de carême. Chaque sœur a choisi un livre de la bibliothèque ; l’abbesse lit le titre des ouvrages choisis, avant de les remettre aux sœurs. Sœur Asha Thayyil (ce nom signifie « Espérance » en hindi), nouvelle supérieure générale des sœurs de St Lioba, qui va voyager avec moi de Bangalore à Bhopal, nous rejoint. Les sœurs de Sainte-Lioba font souvent des retraites à Shanti Nilayam au cours de leur formation. Le soir, nous avons un moment de détente en communauté avec quelques petites animations proposées par le noviciat. Jeudi 23 février Nous partons à 5 heures pour Bhopal et arrivons en milieu de matinée au monastère des sœurs de Sainte-Lioba. Nous visitons l’hôpital ( Dev Mata Hospital ), avec sœur Betty, médecin qui a achevé sa formation en Allemagne. Une aile de l’hôpital est baptisée « le Vatican » (!), car de nombreux prêtres, religieux et religieuses y sont soignés. Les chrétiens sont moins minoritaires dans cette région. Dev Matha Hospital. © AIM. Après le déjeuner, nous nous rendons à la communauté de Misrod qui tient un centre d’accueil pour femmes de la rue. Souvent handicapées, rejetées de la famille et de tous, elles sont ici au nombre de 37, hébergées sur place, alors que la maison a seulement une capacité d’accueil de 30 personnes. Et la police continue d’amener des femmes chez les sœurs. Les résidentes ont préparé quelques festivités en notre honneur. S’en suit un échange passionnant avec les sœurs de cette communauté. Les scènes de violence ne sont pas rares, en début de séjour de ces personnes tellement blessées par la vie. Nous goûtons ensuite les alentours du site : nous nous rendons au musée tribal de l’Inde, très belle réalisation qui attire beaucoup de monde. Puis nous faisons un tour en bateau dans cette ville qui porte le nom de « Bhopal City of Lakes ». Les sœurs envisagent de créer une mission au bord du lac, ce qui me porte à rêver ! Retour à la communauté, puis, après le dîner, petit spectacle offert par les candidates et les jeunes sœurs, avec des danses traditionnelles liées au temps de la récolte. Vendredi 24 février Le père Antony Dhande, supérieur de Shivpuri, nous a rejoint. Nous prenons le petit déjeuner avec lui et l’équipe de l’hôpital adjacent à la communauté. Puis nous partons en voiture pour Sanchi, centre bouddhique inscrit au patrimoine de l’Unesco. Sur la route nous franchissons le tropique du Cancer. Après le déjeuner, nous prenons le train pour Shivpuri. C’est une expérience ! La gare est noire de monde. Nous avons une place dans la classe la plus confortable où les voitures sont climatisées. C’est incontestablement plus confortable que l’avion ! À l’arrivée nous attend le frère Shivprakash qui nous conduit au prieuré de Jeevan Jiothi ( Life and Light , Shivpuri). À 21 h 30, nous sommes accueillis par une cérémonie très soignée : musique et chants interprétés par les aspirants. Samedi 25 février Le matin, nous célébrons la messe au couvent des trois sœurs de Notre-Dame du Jardin, directement dans la cour de récréation de l’école. La maison délabrée s’enfonce dans le sol. La chapelle est balafrée, les murs lézardés. Selon la requête que nous avons votée au Comité de l’AIM, un nouveau bâtiment sera construit. Je passe une matinée de rêve avec les enfants de l’école, et d’abord un spectacle ! Lever de rideau sur une prière, puis danse avec le drapeau indien, démonstration de yoga, et enfin l’hymne national. À cette date, les enfants de l’école primaire passent leurs examens, tandis que les plus grands ont terminé leur année scolaire. Nous allons à Chattry où se trouve un temple bouddhiste en marbre blanc et incrustations de pierres précieuses. Un bijou, aussi beau que le Taj Mahal que nous n’aurons pas le temps de visiter. Nous faisons un tour dans l’ancienne ville de Shivpuri et nous découvrons le temple Skit. Chattri. © AIM. Après le déjeuner, nous avons un contact avec les deux communautés de sœurs qui travaillent avec les frères. Une communauté d’Ursulines a une petite école. Leur économie est très précaire ; le gouvernement a fermé leur dispensaire. À 18 heures, nous revenons à l’école pour inaugurer et bénir un logement pour deux familles, puis retour au monastère pour les vêpres, suivies du chapelet, puis adoration du Saint-Sacrement. Dimanche 26 février Après l’office du matin et le petit-déjeuner, nous allons très vite à la paroisse pour la messe à 8 h 30. Les fidèles arrivent dès 8 heures et prient le chapelet avec les jeunes candidates, qui ont entre 17 et 23 ans : huit jeunes filles très déterminées. La messe est célébrée en hindi dans le rite romain.À la suite, nous sommes accueillis par la paroisse. On me demande de dire quelques mots à l’assemblée. La jeune qui traduit est déléguée pour les JMJ en Inde ; elle se prépare au voyage pour Lisbonne. À la sortie de la messe, les salutations vont bon train. « Que pensez-vous de l’Inde ? » me demande-t-on sans cesse. Il faut partir pour Dehli, en train. Nous sommes accueillis à la Conférence des évêques catholiques de l’Inde, pilotés par le père Jervis C D’Souza, ami du père Anthony. Dîner vers 22 heures, ce qui est normal en Inde. Nous apprenons que le père Felix Machado est là, évêque émérite de Bombay très actif pour le dialogue interreligieux, qui a passé six ans en France. Lundi 27 février Messe avec Mgr Felix Machado, puis petit-déjeuner et échanges très animés. Il s’enquiert de nouvelles du père Pierre de Béthune (Clerlande), du père Benoît Billot. Que devient le DIM francophone depuis la mort de sœur Marie-Bruno, de Liège ? Mais il faut partir vers l’aéroport ! À l’aéroport, je croise un corps de soldats des Nations Unies, partant pour une mission de six mois au Congo pour tenter de mettre un peu de paix… Voyage de retour paisible, avec tant de souvenirs, un grand nombre de photos et de vidéos, pour partager et enrichir notre médiathèque et les archives de l’AIM ! Ma gratitude est grande envers toutes les communautés monastiques rencontrées lors de ce voyage merveilleux. Shivpuri. © AIM. < Précédent Suivant >

  • Bulletin n°124 | AIM - L'Alliance Inter-Monastères

    < Retour 126 Bulletin La vie monastique aujourd’hui 125 Bulletin « Toute la vie comme liturgie » 124 Bulletin Les Chapitres généraux cisterciens (OCSO et OCist, sep. et oct. 2022) 123 Bulletin Vie monastique et synodalité 122 Bulletin La gestion de la Maison commune En voir plus Les Chapitres généraux cisterciens (OCSO et OCist, sep. et oct. 2022) Bulletin n° 124, année 2023 Aller au sommaire Aller à l'éditorial Aller aux articles Sommaire Editorial Dom J.-P. Longeat, osb, Président de l’AIM Lectio divina Luc 17, 11-16 Dom Mauro-Giuseppe Lepori, ocist Perspectives • Discours d’ouverture du Chapitre général OCSO Dom Bernardus Peeters, Abbé général • Discours du pape François aux participants du Chapitre général OCSO • Ce qui est le plus vivifiant dans l’Ordre aujourd’hui Sœur Ainzane Juanicotena, ocso • Discours d’ouverture du Chapitre général OCist Dom M.-G. Lepori, Abbé général Méditation Le caractère exemplaire de la vie monastique Pape Benoît XVI Questions actuelles Prévenir les abus dans les communautés féminines Isabelle Jonveaux, sociologue Témoignage La grâce de faire une fondation et l’expérience du retour Dom Robert Igo, osb Grandes figures de la vie monastique • Sœur Josephine Mary Miller Sœur Marie-Paule Bart, ocbe • Bienheureux dom Columba Marmion Père R.-F. Poswick, osb Histoire et patrimoine Le monastère de Tautra Sœur Hanne-Maria Berentzen, ocso Méditation Homélie pour la Mémoire de saint Aelred Père Henry Wansbrough, osb Nouvelles • Compte rendu sur la session Ananie À partir des chroniques de la session • Le DIMMID Père William Skudlarek, osb • L’association AMTM Secrétariat de l’AIM • Quelques projets soutenus par l’AIM Secrétariat de l’AIM Sommaire Éditorial La famille bénédictine est riche de trois entités qui se déploient en de multiples facettes : la Confédération bénédictine avec ses quelques 80 congrégations masculines et féminines, l’Ordre cistercien (OCist), lui-même comprenant plusieurs congrégations, et l’Ordre trappiste (OCSO). Comme dans toute famille religieuse, ces trois entités ont leur réunion générale : Congrès des abbés et Symposium de la CIB pour la première, Chapitres généraux pour les deux autres. Ce sont des moments importants où tous les supérieurs, toutes les supérieures, et éventuellement les délégué(e)s des régions ou des communautés, se retrouvent pour des temps de partage intense. Après les reports dus au confinement, les Chapitres généraux des deux Ordres cisterciens ont eu lieu au cours de l’automne dernier. Ce numéro du Bulletin donne un écho de leurs réflexions, de leurs projets, de leurs perspectives. Nous avons voulu également donner la parole à une sociologue sur le phénomène si grave des abus subis par la vie religieuse féminine. Dénoncés depuis longtemps, ces méfaits ne sont pas suffisamment pris en compte. Cet exposé suscitera peut-être des commentaires et permettra, il faut l’espérer, à des voix de s’exprimer plus librement. L’AIM se veut attentive à cette expression et accompagne autant que possible les actions mises en œuvre pour contrer de tels comportements. Le père Robert Igo, quant à lui, nous fait part de son expérience, après de nombreuses années au Zimbabwe, de devenir abbé du monastère d’Ampleforth, Maison fondatrice, dans un contexte bien différent de celui de l’Afrique. Le Père Abbé Robert tire de cette reconversion de nombreux enseignements utiles pour chacun de nous. La rubrique « Grands témoins de la vie monastique » met en valeur la grande figure du Bienheureux Columba Marmion qui, depuis sa béatification, trouve un renfort d’audience dans l’Église et dans le monachisme. De même, Mère Josephine Mary Miller, ancienne prieure générale des Bernardines d’Esquermes, qui a longtemps participé au Conseil et au Comité exécutif de l’AIM, peut être reconnue comme une grande figure qui a donné toute sa vie au service de la cause évangélique et monastique. Nous avons tenu à faire découvrir la belle histoire et la remarquable architecture du monastère de Tautra, en Norvège. Enfin, nous donnons des nouvelles du DIM, de la session de formation Ananie et de quelques projets soutenus par l’AIM. Que toutes ces propositions nous aident à aller de l’avant. Dom Jean-Pierre Longeat, osb Président de l’AIM Articles Le cénobitisme, ou les équilibres communautaires 1 Lire Dom Jean-Pierre Longeat, osb Président de l’AIM Le cénobitisme, ou les équilibres communautaires Une des principales caractéristiques de notre vie est d’être cénobitique. Nous vivons en communauté et nous témoignons ensemble ainsi de la réalité du Corps du Christ. Il y a là quelque chose de profondément mystérieux, car même si l’homme est un animal social, il faut bien reconnaître que la vie commune ne lui est pas spontanément facile. Saint Benoît s’attache beaucoup à ce problème auquel il accorde la plus grande importance. « Les cénobites sont ceux qui vivent en commun, dans un monastère, et combattent sous une Règle et un abbé ; ils sont formés par une longue épreuve dans le monastère, ils apprennent, grâce au soutien de nombreux frères, à lutter contre le démon. Ils sont là comme dans une armée fraternelle. Ils sont libres par rapport aux coutumes mondaines dans leur conduite. Ils ne sont pas renfermés dans leur propre bergerie, mais dans celle du Seigneur. Ce n’est pas la satisfaction de leur désir qui leur sert de loi » (RB 1). Ils passent leur vie dans un lien stable avec leur communauté et, sauf raison spéciale, dans le monastère lui-même. C’est ainsi que l’on peut dresser un premier portrait du propos cénobitique selon saint Benoît d’après le chapitre 1 de la Règle. Au début de la Règle, la préoccupation de Benoît reste marqué par la conversion personnelle. La communauté serait comme l’un des moyens de cette conversion pour éprouver le chemin de la charité. Mais tout au long de la Règle et surtout à la fin, on perçoit une ouverture à la dimension proprement communautaire comme un bien en soi. Si donc ce propos communautaire est si important, il nous faut essayer de donner quelques moyens pour y avancer et notamment pour parvenir à vivre les équilibres difficiles qui font que chacun puisse se retrouver dans cette communauté, à sa place, selon sa véritable personnalité. Les fonctions et les personnes Dans une communauté, l’abbé a un rôle quasi impossible à tenir. Il est là comme le vicaire du Christ. Cela veut dire qu’il doit sans cesse pointer le doigt vers celui qui est l’abbé véritable, le Christ, qui est livré comme Parole de Dieu par son enseignement et par son exemple. Il en va un peu de même pour ceux qui exercent d’autres responsabilités dans la communauté. Une des difficultés de notre vie communautaire, c’est de confondre souvent la fonction qu’exercent les uns et les autres et ce qu’ils sont en eux-mêmes. À tel point que si certains n’exercent pas de fonction majeure, ils peuvent en faire un complexe ou en éprouver une réelle jalousie consciente ou inconsciente ; un peu comme s’ils ne pouvaient exister aux yeux des autres, tant la tentation de croire que l’on est perçu uniquement par ce que l’on fait est grande. Mais il peut y avoir aussi la tentation inverse : vouloir exister pour soi-même sans coïncider véritablement avec la fonction que l’on a le devoir d’exercer. C’est-à-dire vouloir se réaliser soi-même d’abord et n’exercer la responsabilité que de surcroît. C’est le meilleur moyen de s’attribuer un pouvoir trop subjectif, y compris sous le mode de la séduction. C’est une grosse illusion que de situer le face à face de l’abbé et de sa communauté sur ce registre. Il me semble important que l’une des principales qualités des responsables soit l’honnêteté à assumer sa responsabilité, sans renier ce que l’on est, bien sûr, mais en le mettant au service de ce que l’on a à accomplir. En l’occurrence, l’attitude de l’abbé doit renvoyer constamment au Christ. En raison même de cette honnêteté, il peut exister selon la nature propre que le Seigneur lui a donnée sans trop se préoccuper des commentaires de toutes sortes qui sont inévitablement portés sur son comportement ou son action. Ainsi, Il pourrait ne pas y avoir de déséquilibre entre les aspirations personnelles de celui qui est en charge et les aspirations légitimes des autres membres de la communauté puisque tous sont appelés à se mettre vraiment au service les uns des autres, sans se cacher derrière un personnage de fonction, ou sans se mettre en avant en imposant le poids de sa subjectivité. Reste à définir en quoi consiste l’honnêteté ; saint Benoît en décrit quelques aspects : nourrir un double enseignement par des actes plus encore que par des paroles. Ailleurs, saint Benoît dit que l’abbé devra être le premier à appliquer la Règle dans sa totalité. Qu’il soit chaste, sobre, miséricordieux ; il aura toujours devant les yeux sa propre faiblesse, et se souviendra qu’il ne faut pas broyer le roseau déjà éclaté. Qu’il ne soit ni turbulent, ni inquiet ; qu’il ne soit ni excessif, ni opiniâtre ; qu’il ne soit ni jaloux, ni trop soupçonneux. Ainsi, peut-être pourra-t-il ne pas faire acception des personnes, ne pas aimer l’un plus que l’autre, ne pas préférer l’homme libre à celui venu de l’esclavage, ou d’autres catégories sociales et culturelles : car libres ou esclaves, nous sommes tous un dans le Christ et nous portons tous les mêmes armes, au service d’un même Seigneur… Il témoignera à tous la même charité. Il considérera combien est difficile et laborieuse la charge de conduire des âmes et de s’accommoder aux caractères d’un grand nombre et surtout, pour l’abbé, dans les taches qu’il distribuera, il se conduira avec discernement et modération, et se rappellera la discrétion du saint patriarche Jacob, qui disait : « Si je fatigue mes troupeaux en les faisant trop marcher, ils périront en un jour » (cf. RB 64). Cette vie honnête est un projet difficile, mais elle est la clef d’une existence libre selon la volonté de Dieu. Si jamais comme abbé, je peux parfois éprouver quelques difficultés à ressentir cette liberté d’exister c’est que par ailleurs, l’enracinement n’est pas assez « honnête ». Ce mot d’honnêteté paraît peut-être insuffisant, mais il vient de saint Benoît lui-même qui écrit au chapitre 73 : « Cette Règle que nous venons d’écrire, il suffira de l’observer dans les monastères pour faire preuve d’une certaine honnêteté de mœurs et d’un commencement de vie monastique… Qui que tu sois, qui te hâtes vers la patrie céleste, accomplis, avec l’aide du Christ, cette toute petite Règle, écrite pour les débutants. Cela fait, tu parviendras avec la protection de Dieu, aux plus hautes cimes de la doctrine et des vertus, que nous venons de parler. Amen. » Le dialogue Saint Benoît veut que chacun trouve bien sa place dans la communauté en donnant son avis. C’est le sens du chapitre 3, l’appel des frères en conseil : « Ce qui nous fait dire qu’il faut consulter tous les frères, c’est que souvent Dieu révèle à un plus jeune ce qui est meilleur. » Mais cette prise de conseil se fait avec beaucoup de sagesse : « Les frères donneront leur avis en toute humilité et soumission. » En fait, cette dimension n’est pas toujours facile à mettre en œuvre. D’une part, les questions relatives à la vie du monastère sont nombreuses et ne peuvent être toutes l’objet d’un débat ; c’est pourquoi, d’ailleurs, il existe le conseil. D’autre part, malheureusement, il est assez rare de trouver des communautés où tous sachent s’écouter mutuellement. On sait trop à l’avance ce que l’on doit penser des propos de tel ou tel. À tel point que certaines paroles ne sont pas suffisamment prises en compte. Et pourtant dans le monastère, chacun tient une place unique. Chacun possède une intelligence unique nourrie par une expérience de vie particulière. Untel est parfaitement naturel et sans complexe qui parle comme cela lui vient à l’esprit sans s’interroger davantage, tel autre est capable d’apporter une réflexion sur les principes d’une action, tel autre au contraire sur l’intelligence pratique de sa mise en œuvre. Cette écoute mutuelle est capitale pour pouvoir exister en communauté, elle n’a pas lieu uniquement en réunion de Chapitre, elle doit présider à tous les instants de notre vie. On remarque souvent que certains s’éloignent de la vie communautaire parce qu’on ne prend pas suffisamment en compte leur parole. Toute personne a envie d’exprimer quelque chose, c’est même l’originalité de la nature humaine ; si elle ne peut le faire dans le groupe où elle vit, elle dépérit et parfois cherche ailleurs un espace plus propice. Ceux qui pensent avoir quelque chose de plus intéressant à dire que les autres doivent faire effort de patience, pour entendre ce qu’ils estiment moins approprié mais qui reste pourtant utile. Ainsi chacun pourra exister dans ce dialogue qui est une composante essentielle de l’amour. Tout, bien sûr doit se faire avec discrétion, discernement. Il ne s’agit pas de dire n’importe quoi, n’importe comment à n’importe qui, sous prétexte que l’on aurait besoin de parler. Obéissance Comme une conséquence de l’écoute mutuelle, il y a l’obéissance, cette qualité d’attention les uns à l’égard des autres. « Ce n’est pas seulement à l’abbé que tous les frères doivent rendre le bien de l’obéissance : il faut encore qu’ils s’obéissent les uns aux autres. Ils sauront que c’est par cette voie de l’obéissance qu’ils iront à Dieu » (RB 71). Qu’y a-t-il de plus beau dans une communauté que des frères, des sœurs qui, indépendamment de leur âge, de leur fonction, de leur milieu et formation d’origine, s’obéissent à l’envi. Plutôt que de se toiser les uns les autres en exerçant cette tentation de pouvoir extérieur qui ne mène qu’à des incompréhensions, des conflits, voire de profondes injustices, il est merveilleux d’essayer de s’entendre, en tous les sens du terme, de se servir, de se retrouver dans un véritable service mutuel. Il est malheureux que souvent, notre regard sur l’autre porte des marques d’envie. Nous avons tous des dons différents, pourquoi vouloir posséder les dons d’autrui plutôt que de faire fructifier les nôtres qui sont toujours infiniment précieux pour tous ? Untel sait magnifiquement accueillir, tel autre compter ou organiser, tel autre chanter ou enseigner, untel encore accompagner les autres sur un chemin difficile, tel autre pratiquer un silence fructueux, ou encore supporter la maladie saintement, dire une bonne parole, conduire un tracteur, réparer une voiture ou la conduire à la perfection, certains savent écrire des livres, d’autres préparer admirablement les choses de la cuisine, ou tenir un lieu parfaitement en ordre et très propre ou que sais-je encore ? Aucun de nous n’est dépourvu de dons ou de qualités, mais elles ne sont vraiment au service de l’ensemble de la communauté que quand on accepte de les y mettre et de les y développer et surtout quand la communauté accepte de les accueillir et d’y obéir. Cela signifie qu’aucun parti pris négatif n’est valable dans une vie commune. On entend trop souvent des jugements sur les autres, des rejets parfois ; plus on refuse, et plus l’autre s’enfonce dans son impossibilité. L’amour, c’est l’espérance immense de la confiance malgré toutes les tentations de refus que l’on peut éprouver à l’intérieur de soi. Ainsi, on peut s’obéir positivement, s’accueillir, s’aimer, se reconnaître, se pardonner, se construire, s’édifier mutuellement et trouver ce bon équilibre dans une communauté ouverte, ou l’impossible est rendu possible pour un témoignage inouïe et pour une diffusion de la Bonne Nouvelle : le Christ a brisé le mur de la haine. Voilà la vraie joie dans la conversion du cœur. « L’un d’eux, voyant qu’il était guéri,… » (Lc 17, 11-16) 2 Lire Lectio divina Dom Mauro-Giuseppe Lepori Abbé général de l'Ordre cistercien (OCist) « L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix. » (Luc 17, 11-16)[1] C’est peut-être cette phrase qui peut suggérer dans quel esprit nous sommes appelés à commencer notre Chapitre général, sept ans après le dernier, alors qu’entre-temps le monde a souffert et souffre encore d’une grave pandémie, d’une guerre fratricide qui met en danger le monde entier, et d’une grande instabilité politique et économique. Chacun aura des raisons différentes, chacun a sa « maladie incurable », sa « lèpre », son « épine dans la chair », peu importe. Ce qui doit nous unir, c’est que chacun de nous a des raisons de revenir sans cesse à Jésus, de l’adorer et de le remercier. Et c’est cela qui nous rassemble. Revenir, adorer, remercier. Nous apprenons du lépreux guéri ces trois grandes dimensions de la vie et de la foi dans le Salut. Jésus lui dit à la fin : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé » (Lc 17, 19). C’est comme s’il disait que le retour à Lui, l’adoration et la gratitude sont les dimensions d’une foi qui nous sauve, qui reçoit du Christ non seulement la santé, ce qui tôt ou tard se perd à nouveau, non seulement donc la solution à nos problèmes immédiats, mais le salut de la vie, le salut pour toujours. Le lépreux guéri n'avait pas seulement besoin de santé. Il a compris que le miracle était le signe de quelque chose de bien plus grand et de bien plus précieux : c’était le signe du Christ Sauveur, c’était le signe que le Sauveur était présent et l’aimait. C’est pourquoi il est revenu vers Lui. La santé ne lui suffisait pas : il désirait le Christ, il désirait rencontrer encore et encore le Seigneur et le Sauveur de la vie. Les neuf autres lépreux guéris sont retournés à leur vie normale, certainement avec joie. Mais est-ce vraiment cela le seul sens de la vie ? Cela vaut-il la peine d’être en bonne santé juste pour survivre à la maladie et à la mort pendant un certain temps ? Le Christ nous offre tellement plus. Le Christ nous offre non seulement la santé, non seulement la solution à nos problèmes, nos difficultés et nos souffrances. Le Christ nous offre lui-même ! C’est pourquoi la foi nous sauve, parce que la foi nous conduit à adhérer au Christ, à revenir toujours à lui, à sa présence, à son amour ; à le reconnaître comme notre Dieu par l’adoration ; à le reconnaître comme la source inépuisable de notre joie, ce qui nous fait louer et remercier Dieu toujours et pour tout. Revenir au Christ, repartir du Christ, signifie aussi reconnaître que sa présence qui nous guérit et nous sauve est liée à un lieu, et que si nous voulons vraiment le rencontrer, nous devons aller là où il se trouve. Même Naaman, le commandant païen que Dieu a guéri de la lèpre grâce à l’intervention du prophète Élisée, comprend qu’il doit emporter avec lui la terre d’Israël, sur laquelle il pourra prier le vrai Dieu. Cette terre est pour nous un symbole de l’Église, de la communauté de personnes et de communautés, dans laquelle il nous est donné de revenir toujours pour rencontrer, adorer et louer le Seigneur. Cette terre sainte, c’est le lieu de notre vocation, c’est notre communauté, c’est notre Ordre. Nos pères cisterciens ont compris dès le début que le charisme cistercien, nourri du charisme de saint Benoît, serait toujours lié à la terre sainte de la communion entre les monastères nés du nouveau monastère de Cîteaux. Et que le principal moyen de revenir au Christ sur cette terre était la réunion du Chapitre général. C’est pourquoi nous ne devons pas revenir à la réunion du Chapitre général comme si nous nous assemblions à la manière d’un parlement ou organisions un congrès, mais avec la conscience de nous retrouver ensemble sur la terre sacrée de la rencontre avec le Seigneur Jésus qui nous sauve, qui nous donne son Esprit Saint et nous renouvelle dans la fraternité universelle des enfants de Dieu le Père. Le Chapitre général se déroulera bien et renouvellera la vie de l’Ordre si, au cours de ces jours, l’Esprit Saint ouvre nos cœurs à l'écoute de Jésus qui nous répète : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé » (Lc 17, 19). [1] Homélie lors de la messe votive au Saint-Esprit pour l’ouverture du Chapitre général de l’Ordre cistercien (9 octobre 2022). Discours d’ouverture du Chapitre général OCSO 3 Lire Perspectives Dom Bernardus Peeters Abbé général de l’Ordre cistercien de la stricte observance (OCSO) Discours d’ouverture du Chapitre général OCSO Assise, 2 septembre 2022 À la suite de la première partie du Chapitre général OCSO, le nouvel Abbé général avait sollicité les abbés et abbesses de l’Ordre pour exprimer leurs rêves de vie monastique tel que le Pape y appelle. En réponse, 138 rêves de supérieurs et de communautés sont revenus à la Maison généralice sur 157 monastères de l’Ordre. Cela représente donc une participation de 87 %, ce qui est très remarquable. En ouverture de la deuxième partie du Chapitre général, dom Bernadus faisait une présentation de ces réponses. Nous en donnons ici un large extrait. Cela concerne en premier lieu l’Ordre trappiste mais plus largement peut s’appliquer à la famille bénédictine en général. […] Après avoir lu tous vos rêves, je me suis senti comme saint Benoît dans la tour du Mont-Cassin, cherchant et attendant ce que la voix de Dieu dans sa bonté a à nous dire : le chemin de la vie ! (RB Prol 19-20). En regardant tous les coins du monde, le Seigneur, je pense, a ouvert quatre fenêtres pour nous. Ces quatre fenêtres nous aideront à réaliser nos rêves. J’ai essayé de relire vos rêves à partir des trois mots du prochain Synode des évêques : communion, participation et mission. J’en ai ajouté un quatrième : formation. Ce dernier, je l’expliquerai plus tard mais pour l’instant il montre simplement que la synodalité appartient à l’essence de la vie religieuse et que cette obéissance à la Parole de Dieu et les uns aux autres non seulement fonde la communion, appelle la participation et conduit à la mission mais qu’elle exige aussi une conversion continue qui nécessite une solide formation permanente. Ces rêves ont été un petit commencement de processus synodal dans notre Ordre. La synodalité, cependant, n'est pas un événement ponctuel mais un style de vie. L’un d’entre vous a rêvé, « sans trop d’illusions », que lors de la prochaine partie du Chapitre général le mot “synodalité” ne reviendra pas à chaque détour de phrase dans les rapports et les interventions. « Une question me semble importante : dans la vie concrète de nos communautés, la soi-disante “synodalité” ne va-t-elle pas étouffer ce qui peut rester d’obéissance bénédictine ? » En effet, faisons attention à ce que la synodalité ne devienne pas un mot à la mode, dépourvu de toute substance. « Parler d’un style synodal, c’est donc prendre conscience que le renouveau ecclésial dont on parle tant... touche les profondeurs de l’expérience de l’Église et ne se limite pas à des interventions se résumant à un simple maquillage ecclésiastique. [...] C’est, après tout, l’expression du besoin de l’Église d’une réforme profonde de notre manière d’être et de vivre en tant qu’Église face à un véritable changement d’époque pour le christianisme et pour le monde entier. » [1] Cette réforme profonde ne peut se faire sans une conversion permanente fondée sur notre obéissance à Dieu et les uns aux autres. Avant de regarder par les fenêtres de ces quatre rêves, je tiens à souligner qu’aucune tour ne peut être construite sans une bonne fondation. Sur cette fondation, heureusement, nous sommes tous d’accord. Aucun d’entre nous ne rêve d’une autre fondation ! Cela mérite en soi des félicitations ! Un supérieur a exprimé avec justesse ce fondement de la manière suivante : « Je rêve d’un Ordre christocentrique, passionné par l’absolu du Christ. Un Ordre qui bouge et se désinstalle en suivant le Christ » (Amérique Latine). La tour de notre Ordre est construite sur ce fondement et quatre fenêtres s’ouvrent par lesquelles rayonne la lumière, dans laquelle nous pouvons voir irradier la lumière de Dieu. Sur ce fondement reposent quatre rêves que je résume brièvement ici et que je développerai ensuite : 1. Nous rêvons d’un Ordre dans lequel moines et moniales, de cultures diverses, partagent une vision commune de l’identité contemplative, « coopèrent entre eux et s’apportent une aide réciproque de bien des manières, en respectant leurs saines différences et la complémentarité de leurs dons » (Cst. 72). L’unité dans la diversité y est chérie. 2. Nous rêvons d’un Ordre dans lequel tous sont capables et désireux de participer ; un Ordre qui est flexible dans sa structure, avec une communication ouverte et transparente à tous les niveaux et avec un grand respect de la vocation baptismale des frères et sœurs, des communautés locales et des Régions, sans perdre de vue l’ensemble. 3. Nous rêvons d’un Ordre dans lequel tous ses membres et toutes ses communautés sont des personnes et des lieux à l’engagement généreux envers Dieu, l’Église et le monde, qui rend justice à sa « secrète fécondité apostolique » (Cst 3.4). Il s’exprime dans un humble respect de tous les dons de la création de Dieu. Ainsi, en tout, Dieu sera glorifié (1 P 4, 11). 4. Nous rêvons d’un Ordre qui sache former avec enthousiasme ses membres à la « philosophie du Christ » ( Ratio Institutionis ) et au langage du Christ, et les doter des moyens adéquats pour atteindre le but ultime de leur vocation. Rêve de communion « La forme de vie cistercienne est cénobitique » (Cst. 3, 1). Appelés ensemble par la voix de Dieu, nous vivons cette communion dans une forme concrète de vie commune, dans laquelle la recherche de l’unité avec Dieu et avec tout ce qui vit et respire est centrale. Chaque membre de l’Ordre est important ! Chaque frère ou sœur est porteur du même sceau baptismal reçu et confirmé dans la profession monastique. En vertu de ce don, nous sommes tous, sans exception, coresponsables de la communion avec Dieu et entre nous. En regardant par cette fenêtre, nous entendons des rêves sur les relations mutuelles dans les communautés, dans les Régions, entre les hommes et les femmes de notre Ordre mais aussi entre les anciens et les jeunes et entre le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest. * Je rêve d’une communauté où personne ne condamne l’autre mais où tous sont écoutés. Je rêve d’une communauté où nous nous estimons les uns les autres pour ce que nous sommes – enfants de Dieu – plutôt que de nous utiliser les uns les autres pour nous-mêmes ou pour la survie des structures. (Europe) * Nous rêvons qu’il y ait davantage de relations entre nos monastères afin que l’Ordre ressemble davantage à une grande famille. Depuis quelques années, nous faisons l’expérience d’envoyer l’un d’entre nous à tour de rôle dans la maison fondatrice et nous aimerions poursuivre cette expérience, avec d’autres communautés peut-être ? et sous forme d’échanges : l’un d’entre nous part pendant un an et un aîné vient chez nous pendant plusieurs mois et nous aide à la formation. (Afrique) * La question est de savoir comment transmettre ce désir personnel à la communauté, à l’Ordre. Je reconnais que c’est un défi car nous sommes des personnes de cultures diverses et de formations très différentes. Mais nous avons une force commune, notre identité cistercienne ou charisme, qui n’est pas une pierre de musée, mais une réalité vivante. Une réalité qui nous interpelle de plusieurs côtés pour n’en citer que quelques-uns : vieillissement, diminution des vocations, fermeture de communautés. Le rêve nous dépasse, nous surprend et, sans tomber dans de fausses illusions, nous sommes appelés à créer des communautés où la simplicité, la joyeuse fraternité, la joie de la prière vivante, la rencontre avec le Seigneur dans sa Parole et les sacrements nous font sentir et vivre en plénitude la miséricorde de Dieu, à la manière de Marie, reine et mère de la miséricorde. (Amérique Latine). * Un Ordre : J’ai été impressionné dès le début par la façon dont les moines et les moniales collaboraient, et maintenant, avec un seul Chapitre, le mode de fonctionnement de notre Ordre est unique. C’est quelque chose dont il faut être reconnaissant, qu’il faut maintenir et développer pour nous-mêmes et peut-être pour l’Église. (Amérique du Nord) * Mon rêve : « Relations évangéliques ». Au niveau du ministère de l’Abbé général pour l’Ordre, il y aurait un comité d'anciens ( sempectae , RB 27) qui serait nommé par l’Abbé général pour le conseiller sur les questions pastorales plus compliquées qui atterrissent sur son bureau. Ce comité ne résiderait pas à Rome mais se réunirait régulièrement par le biais d’une salle de communication informatique sophistiquée à la Maison généralice. Ils seraient choisis pour leur long ministère et leur réponse créative à de nombreuses questions pastorales ; ils pourraient être supérieurs actifs ou retraités. Le but principal du Généralat serait de faciliter et d’offrir des ressources aux commissions pastorales des Régions. Dans les cas plus difficiles, ces commissions pourraient faire appel au Comité des Anciens. Le mouvement de consultation, d’autorité et de responsabilité deviendrait moins linéaire et plus circulaire (obéissance mutuelle, RB 71) en faisant appel à davantage de membres de l’Ordre pour la pastorale des communautés ayant des besoins particuliers. (Amérique du Nord) * Je rêve d’une plus grande attention pastorale mutuelle. Nous réagissons trop comme des maisons autonomes. Nous ne pouvons pas nous aider ou nous ne sommes pas disposés à nous aider mutuellement. Nous ne demandons pas d’aide. S’il y a un vrai problème, il nous est difficile d’aider. (Asie) Rêve de participation Nous avons tous le droit et le devoir de participer à la vie de nos communautés, des Régions et à la vie de l’Ordre avec ses diverses structures (Cf. Cst. 16, 1). Une participation enracinée dans notre tradition bénédictine dans le vœu d’obéissance. Les structures nous ont été données au fil de la tradition non pas comme des pièces de musée mais pour permettre à chaque fois d’être au service de la vie du peuple de Dieu (cf. Evangelii gaudium , 95). Nous devons donc avoir le courage de nous écouter réellement les uns les autres afin de discerner ce que l’Esprit a à nous dire. Ce n’est que de cette manière que peut naître le courage d’agir à partir de l’Esprit. En regardant par cette fenêtre, nous entendons les rêves sur le fonctionnement des communautés, des Régions et du Chapitre général. Parfois des rêves créatifs sur de nouvelles façons de faire qui essaient néanmoins de rester fidèles à l’ancien et en même temps sont entièrement nouvelles. * Je pense qu’au niveau du Chapitre, une discussion plus réfléchie des sujets s’ensuivrait, car chaque participant aurait écouté les opinions de beaucoup d’autres au préalable, pour avoir « écouté ce que l’Esprit dit aux Églises », pour ainsi dire (Ap 2, 7). (Asie) * Je rêve que le Chapitre général devienne un forum à dominante pastorale et théologique. (Europe) * Peut-on confier l’approbation des lois aux Régions plutôt que de passer autant de temps à le faire au Chapitre général ? Est-ce qu’un synode de représentants des Régions pourrait approuver des choses après que les Régions les ont mises au point ? Les décisions importantes qui affectent les maisons de la Région peuvent-elles être traitées au niveau local ? (Afrique) * J’aimerais que nos réunions Régionales et nos Chapitres généraux soient un peu moins axés sur les questions législatives et pratiques, et davantage sur le partage de nos expériences, de nos luttes, de nos espoirs, de notre vision et de nos rêves – tout cela en essayant de lire les signes des temps. (Amérique latine) * Je rêve qu’il soit possible de revoir le fonctionnement du Chapitre général afin qu’il devienne vraiment un saint aqueduc pour l’Esprit Saint et un véhicule vivifiant pour revitaliser notre Ordre cistercien et lui permettre de remplir sa vocation et sa fonction données par Dieu au sein de l’Église et, simultanément, offrir de l’espoir à notre monde en lutte et en souffrance. (Amérique latine) * Je rêve d’un Ordre qui s’inscrive dans une telle image de l’Église et qui opte radicalement pour l’égalité entre les moines et les moniales et qui, de manière cohérente, aille dans ce sens et cherche de nouvelles formes ( Matres immediatae ), dénonce l’inégalité (qu’arrivera-t-il à la législation des moines si aucune exemption de Cor Orans n’est obtenue, seront-ils solidaires ?) et que cela devienne un point d’attention permanent au Chapitre général... Je rêve de rencontres Régionales comme sanctuaires pour partager ensemble, pour penser, pour rêver à la vie monastique, en toute honnêteté et vulnérabilité... Avec beaucoup d'attention et de temps pour ce processus... (Europe). Rêve de mission La mission de notre vie cistercienne est décrite dans les Constitutions comme « une fécondité apostolique cachée ». « Leur façon de participer à la mission du Christ et de son Église, ainsi que de s’insérer dans une Église locale, est leur vie contemplative elle-même. » (Cst. 31) En regardant par cette fenêtre, nous entendons les rêves d’un sens renouvelé de nos vies pour l’Église et le monde. Des rêves qui sont centrés sur le souci de la maison commune ( Laudato Si’ ) et de tous les frères et sœurs, « voyageurs partageant la même chair » ( Fratelli tutti , 8). * Je rêve que les abbayes deviennent des pionnières dans le domaine de la durabilité et de la vie écologique et que des choix audacieux soient faits dans ce domaine. (Europe) * Au niveau écologique, l’environnement rural dans lequel nous vivons nous offre un cadre propice à ce processus de conversion écologique, qui devient urgent, et pour lequel nous devons trouver des moyens très concrets de le réaliser dans nos comportements. Des encouragements et des suggestions pratiques seraient les bienvenus, maintenant que la pandémie semble (?) derrière nous, ce qui nous permettra de revoir les détails dans les pratiques communautaires et dans l’hôtellerie, où les hôtes sont aussi très motivés pour cette démarche. Reste à s’impliquer personnellement, et aussi sans doute avec le service diocésain d’écologie intégrale, dans cette ouverture au risque, au changement, au dérangement, à la nouveauté, c’est-à-dire tout simplement à plus de confiance dans l’œuvre de l’Esprit Saint dans le « oui » de chaque jour. (Europe) * L’« Église en sortie » dont nous parle le pape François, en évitant « l’auto-référentialité ». Je pense que, pour nous cisterciens, nous pouvons traduire cela de cette manière : avoir d’abord notre regard, notre attention, notre pensée, tournés vers Dieu, vers le mystère pascal du Christ et tout ce qu’il implique ( lectio , prière, contemplation) et ensuite vers les gens, vers l’humanité (désir, intercession). Ne pas être non plus auto-référentiels en tant que communauté. Nous avons tendance à trop nous concentrer sur notre propre communauté, à consacrer trop de temps et d’énergie à « nous regarder dans le miroir », et cela est parfois encouragé par certaines structures, par exemple, les visites régulières tous les deux ans. (Amérique latine) L’écologie, cependant, est plus que le soin de la création. C’est aussi le soin que nous apportons à un écosystème entièrement distinct qui est notre vie cistercienne. Le silence et la solitude sont une caractéristique importante de cet écosystème, et beaucoup ressentent la pression que les moyens de communication modernes exercent sur cet écosystème. Ils rêvent de devenir plus conscients et de mieux manier ces moyens afin de protéger et de préserver l’écosystème de la maison commune qu’est notre vie cistercienne. * Je rêve d’un monastère éco-digital ; un monastère où il y a un équilibre entre l’ouverture et la solitude ; un écosystème de silence, d’images et de mots équilibrés ; un monastère d’ambiance monastique exempt des mauvaises influences de l’excès de sons, de mots et d’images. Je rêve d’une réflexion sincère dans l’Ordre sur l’influence d’internet sur nos vies. Que nous soyons d’accord pour faire face à la dépendance. Je rêve d’une vie contemplative dans ce monde mais pas de ce monde. (Europe) Rêve de formation Bien que la formation ne soit pas un mot clé du prochain Synode des évêques, j’ajoute ce mot ici. De nombreux rêves ont abordé ce sujet et aussi dans les rapports de synthèse de la phase diocésaine du processus synodal, que les conférences épiscopales du monde entier ont envoyés au secrétariat du Synode, il est frappant de constater que le désir de formation au sein du peuple de Dieu est grand. La transmission de la foi entre générations dans une famille ou dans une communauté religieuse n’est plus évidente. Nous manquons de discernement, de langage, de formation et même de foi pour transmettre la vie. Cela affecte également la transmission du charisme cistercien. Le rôle de la communauté, de la Région et de l’Ordre dans le processus de formation est d’aider chaque frère et sœur « à intégrer les éléments essentiels de la voie cistercienne » (Cst. 45.3). Nous devons être désireux d’offrir une aide mutuelle généreuse pour faire de cette formation une réalité pour tous (cf. St. 45.3.B). En regardant par cette fenêtre, nous entendons les rêves d’une bonne formation pour tous dans l’Ordre, pas seulement des personnes en formation initiale mais pour tous, supérieurs compris. Une formation qui soit plus que de la philosophie et de la théologie mais qui aide aussi les communautés à vivre sur le plan matériel et économique. * Une bonne formation monastique se déroule dans la où les communautés qui valorisent la tradition et le dialogue avec notre société actuelle. Cela peut certainement se produire dans le cadre d’une coopération entre les communautés, dans l’Ordre ou avec d’autres institutions, religieuses ou non. (Europe) * Je me souviens d’un programme de formation commun entre une communauté de moniales et une de moines. Je rêve que cela puisse se reproduire. Partage de nos expériences – comme le programme Experientia . Deux ou plusieurs communautés peuvent s’envoyer leurs partages par courrier ou par mail. Je désire un programme commun de formation pour toutes les communautés de l’Ordre. Je désire approfondir ma connaissance du charisme cistercien. (Asie) * Nous avons accès à l’histoire et au patrimoine de l’Ordre comme aucune génération précédente. Une grande partie du travail de base qui rend cela possible est le résultat d'une collaboration au sein de la famille cistercienne et avec des experts laïcs. La richesse du matériel disponible aujourd’hui pour l’éducation/la formation est stupéfiante. Une certaine attitude anti-intellectuelle que j’ai rencontrée lorsque j’ai rejoint l’Ordre pour la première fois a diminué. Néanmoins, il existe toujours une tendance à considérer l’intérêt pour ce domaine comme secondaire par rapport aux nécessités de la vie quotidienne. (Amérique du Nord) * Nous parlons souvent d’une crise de leadership dans l’Ordre. Mon rêve est que nous continuions à explorer les moyens de développer les qualités du leadership par le biais de nos programmes de formation, les qualités de conscience de soi, de coresponsabilité, de suivi, de bon zèle, de sacrifice de soi et de compétence en communication qui donnent la vie. Les pères du désert semblaient doués pour cela. Mon rêve est que chaque membre de l’Ordre soit enthousiaste et désireux d’une formation initiale et continue dynamique pour renforcer notre vision commune afin de donner vie à nos communautés et à l’Église. (Amérique du Nord) * Dans notre Ordre cistercien, nous connaissons aujourd’hui deux formes majeures de précarité : l’une est le manque de vocation et de vieillissement en Occident et l’autre est le manque de personnel bien formé à notre racine cistercienne en Afrique où la vocation à la vie monastique est actuellement en plein essor. Ces deux réalités menacent l’existence et la fidélité de notre Ordre ; en d’autres termes, elles favorisent respectivement l’extinction et l’affadissement de notre Ordre. La solution à cette précarité est la formation d’une synergie entre l’Occident et l’Afrique. (...) Je reconnais donc l’importance de la synergie pour la survie et la croissance de notre Ordre dans le processus synodal au sein de chaque communauté, dans les communautés inter-monastiques et entre l’Occident et l’Afrique. L’Occident devrait pouvoir aider à la formation personnelle en Afrique et les Africains devraient pouvoir alimenter les vocations en Occident malgré les déceptions de certains Africains qui ont été envoyés pour des études ou pour combler les lacunes des vocations dans le passé. Nous ne devons pas pour autant nous décourager. La formation de la synergie ... présuppose ce que Luke Timothy Johnson appelle la « communication » par opposition à la « fermeture » lorsqu’un monde symbolique interagit avec un autre dans une société pluraliste, où l’identité propre de chaque groupe est respectée. La communauté monastique qui se referme mourra. (Afrique) * Aider les communautés d’Afrique. Formation continue et initiale : obtenir des enseignants locaux d’autres congrégations qui stimuleront notre vie chrétienne, donc intégrer notre vie monastique. Pouvons-nous obtenir une école (Pères cisterciens, Pères bénédictins, et autres études) ? Cela permettra le processus synodal. (Afrique) * Que les cours et les conférences et autres ressources de formation dans l’Ordre soient traduits en différentes langues et offerts aux différentes Régions. (Amérique latine) * Je rêve de la création d’une même mentalité favorisant les cours et l’échange de professeurs et de personnes en formation dans les différentes communautés. Je rêve de la création d’une école monastique – en ligne – accessible à tous les moines et moniales, pour renforcer notre formation permanente. (Amérique latine) Conclusions Encore une fois, ceci n’est qu’un petit échantillon de tous vos rêves ! Il ne rend pas justice à la richesse du contenu, mais il me montre personnellement où la voix de Dieu se fait entendre. Au terme de cette conférence, permettez-moi de tracer quelques lignes vers l’avenir. Après tout, le rêve était nécessaire pour entendre la voix de Dieu, pour expérimenter où Dieu veut nous conduire. Après tout, après avoir vu, discerné, vient le temps de l’action. Vos rêves me mettent au défi dans le temps à venir de : – Donner la priorité à la revitalisation de la dimension contemplative de notre charisme. Tout, dans nos vies, devrait être une expression de cette dimension, y compris même, une structure comme le Chapitre général. Cette dimension contemplative devrait entraîner des conséquences dans la communion, la participation, la mission et la formation. (J’examinerai les propositions concernant le fonctionnement du Chapitre général, entre autres. Une discussion renouvelée sur la séparation du monde, l’usage privé des moyens de communication, le maniement de l’argent et des biens, etc.) – Donner la priorité à la promotion de la communion entre nous par une communication ouverte et transparente à tous les niveaux et en utilisant les moyens de communication modernes. (Propositions relatives au partage [en ligne] d’informations, à la vie spirituelle, au travail, à l’entraide, à l’écologie, etc.) – Donner la priorité à la promotion de la participation de tous les membres de l’Ordre. Trouver, avec une fidélité créative à la Tradition, de nouvelles voies qui rendront les structures de gouvernance de l’Ordre plus ouvertes et flexibles, en recherchant une représentation meilleure et égale de toutes les parties du monde et entre moines et moniales. (Propositions relatives à l’Abbé général et à son conseil, aux Mères Immédiates, au statut pour l’accompagnement des communautés fragiles, au fonctionnement des réunions régionales, à la commission centrale, au conseil des anciens, etc.) - Donner la priorité à une meilleure compréhension de notre mission dans l’Église et dans le monde. (Propositions de partage d’informations sur les meilleures pratiques ; promouvoir l’étude de notre tradition cistercienne et sa signification pour aujourd’hui ; rechercher le lien avec l’Église locale et universelle.) – Donner la priorité à l’approfondissement de la formation intégrale de l’ensemble de l’Ordre, de raviver la flamme de notre premier amour, et d’accorder plus d’attention aux besoins des différentes Régions. Une coopération plus étroite entre l’Abbé général, son Conseil et le Secrétaire général pour la formation est d’une grande importance à cet égard (propositions pour une école [en ligne] de la vie cistercienne offrant des cours en ligne, une formation spécifique pour les supérieurs, les cellériers, les maîtres des novices, les aumôniers ; plus d’attention à la formation concernant les abus, les dépendances, etc.) Là, dans cette tour, avec saint Benoît, profitant de cet unique rayon de lumière dans lequel convergeaient tous les rêves du monde, j'ai soupiré : « la moisson est grande, mais les ouvriers sont peu nombreux ». Pourtant, je ne me laisserai pas décourager par cela et je vous demande à tous de travailler avec moi pour réaliser ces priorités. Comme je l’ai dit, il est temps d’agir et de voir comment nous pouvons transformer les priorités en actions concrètes. Je compte sur votre aide pour cela, dans la prière et dans les actes. Le rêve entre vous en tant que supérieurs a été un petit commencement de chemin synodal dans l’Ordre. Le processus se poursuit et il doit devenir un style de vie à tous les niveaux. Certains d’entre vous ont également répondu à ma demande de rêver dans leurs propres communautés. J’espère que beaucoup suivront. Laissez vos frères et sœurs rêver ! Rêvez de leur propre vie, de la vie de leur communauté et de la vie de l’Ordre. Osez rêver pour entendre la voix de Dieu afin de pouvoir discerner ce qui compte et ce qu’on vous demande de faire. Mais ce qui est encore plus important – et c’est finalement le but du processus synodal – ce sont ces paroles de saint Bernard : « Nous avons formé, chers frères, un rassemblement ou synode des corps ( synodum corporum ), mais il nous reste à former un plus grand synode : l’union des âmes ( coniunctio animarum ). En effet, il n’est pas louable d’être unis de corps, si nous sommes divisés d’esprit ; il est inutile de se réunir en un lieu si nous sommes en désaccord dans nos âmes. (…) “Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux” (Mt 18, 20), s’ils sont bien réunis au nom de Jésus, c’est-à-dire avec l’amour de Dieu et du prochain : avec eux il est bon d’habiter ensemble (Ps 132, 1) » [2] . Puissions-nous le faire sous la protection de Marie, reine de Cîteaux ! [1] Mario Cardinal Grech, La synodalité comme style. In : Sequela Christi , XLVII 2021/02, p. 72-73. [2] Bernard de Clairvaux, Sententiae III , 108 (pour cette citation je suis reconnaissant à dom Yvon-Joseph du Val Notre Dame qui l’a portée à mon attention !) Discours aux participants du Chapitre général OCSO 4 Lire Perspectives Pape François Discours aux participants du Chapitre général OCSO 16 septembre 2022 Chers frères et sœurs, bonjour et bienvenue ! Je remercie l’Abbé général pour les paroles de salutation et d’introduction. Je sais que vous êtes en train de réaliser la deuxième partie de votre Chapitre général, à la Portioncule de Santa Maria degli Angeli : un lieu si riche en grâce qu’il a sûrement contribué à inspirer vos journées. Je me réjouis avec vous du succès de la première partie du Chapitre, qui s’est tenue au même endroit et au cours de laquelle le nouvel Abbé général a également été élu. Vous, Père, avez immédiatement entrepris de visiter les douze régions où se trouvent vos monastères. J’aime à penser que cette « visite » s’est déroulée avec le soin très saint que nous a montré la Vierge Marie dans l’Évangile. « Elle se leva et partit rapidement » dit Luc (1, 39), et cette expression mérite toujours d’être contemplée, afin de pouvoir l’imiter, avec la grâce de l’Esprit Saint. J’aime prier la Vierge qui est « empressée » : « Notre Dame, vous êtes empressée, n’est-ce pas ? » Et elle comprend ce langage. Le Père Abbé dit qu’au cours de ce voyage, il a « recueilli les rêves des supérieurs ». J’ai été frappé par cette façon de s’exprimer, et je la partage de tout cœur. À la fois parce que, comme vous le savez, moi aussi j’entends « rêver » dans un sens positif, non pas utopique mais planificateur ; et parce qu’ici il ne s’agit pas des rêves d’un individu, même si ce sont ceux du supérieur général, mais d’un partage, d’une « collection » de rêves qui émergent des communautés, et qui, j’imagine, font l’objet d’un discernement dans cette deuxième partie du Chapitre. Ils se résument ainsi : un rêve de communion, un rêve de participation, un rêve de mission et un rêve de formation. Je voudrais vous proposer quelques réflexions sur ces quatre « chemins ». Tout d’abord, je voudrais noter, pour ainsi dire, la méthode. Une indication qui me vient de l’approche ignatienne mais que, au fond, je crois avoir en commun avec vous, hommes appelés à la contemplation à l’école de saint Benoît et de saint Bernard. En d’autres termes, il s’agit d’interpréter tous ces « rêves » à travers le Christ, de nous identifier à lui à travers l’Évangile et d’imaginer – dans un sens objectif et contemplatif – comment Jésus a rêvé de ces réalités : communion, participation, mission et formation. En effet, ces rêves nous construisent en tant que personnes et en tant que communautés dans la mesure où ils ne sont pas les nôtres mais les siens, et nous les assimilons par l’intermédiaire de l’Esprit Saint. Et c’est ici que s’ouvre l’espace d’une recherche spirituelle belle et gratifiante : la recherche des « rêves de Jésus », c’est-à-dire de ses plus grands désirs, que le Père a suscités dans son cœur humano-divin. Ici, dans cette clé de la contemplation évangélique, je voudrais me mettre en « résonance » avec vos quatre grands rêves. L’Évangile de Jean nous donne cette prière de Jésus au Père : « La gloire que tu m’as donnée, je la leur ai donnée, afin qu’ils soient un comme nous sommes un. Moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient parfaits dans l’unité et que le monde sache que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé » (17, 22-23). Cette Parole sainte nous permet de rêver avec Jésus la communion de ses disciples, notre communion comme « la sienne » (cf. l’Exhortation apostolique Gaudete et exsultate , 146). Cette communion – il est important de le préciser – ne consiste pas en notre uniformité, homogénéité, compatibilité, plus ou moins spontanées ou forcées ; elle consiste en notre relation commune au Christ, et en Lui au Père dans l’Esprit. Jésus n’a pas eu peur de la diversité qui existait parmi les Douze, et donc nous n’avons pas non plus à craindre la diversité, car l’Esprit Saint aime susciter les différences et en faire une harmonie. En revanche, notre particularisme, notre exclusivisme, oui, nous devons les craindre, car ils provoquent des divisions (cf. l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium , 131). Par conséquent, le rêve de communion de Jésus lui-même nous libère de l’uniformité et des divisions, qui sont toutes deux très laides. Prenons une autre parole de l’Évangile de Matthieu. Dans une controverse avec les scribes et les pharisiens, Jésus dit à ses disciples : « Quant à vous, ne vous faites pas appeler “Rabbi”. Vous n’avez qu’un seul maître, et vous êtes tous frères. N’appelez personne sur la terre votre père ; vous n’avez qu’un seul Père dans les cieux. Ne vous faites pas appeler “Maître”, vous n’avez qu’un seul maître, le Messie » (23, 8-10). Nous pouvons ici contempler le rêve de Jésus d’une communauté fraternelle, dans laquelle tous participent sur la base d’un rapport filial commun avec le Père et en tant que disciples de Jésus. En particulier, une communauté de vie consacrée peut être un signe du Royaume de Dieu en témoignant d’un style de fraternité participative entre des personnes réelles et concrètes qui, avec leurs limites, choisissent chaque jour, dans la confiance en la grâce du Christ, de vivre ensemble. Même les moyens de communication actuels peuvent et doivent être au service d’une participation réelle – et non seulement virtuelle – à la vie concrète de la communauté (cf. l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium , 87). L’Évangile nous donne aussi le rêve de Jésus d’une Église entièrement missionnaire : « Allez donc, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 19-20). Ce mandat concerne tous les membres de l’Église. Il n’y a pas de charismes qui soient missionnaires et d’autres qui ne le soient pas. Tous les charismes, dans la mesure où ils sont donnés à l’Église, sont pour l’évangélisation du peuple, c’est-à-dire missionnaires ; naturellement de manière différente, très différente, selon la « fantaisie » de Dieu. Un moine qui prie dans son monastère fait sa part pour apporter l’Évangile à cette terre, pour enseigner aux gens qui y vivent, que nous avons un Père qui nous aime et que, dans ce monde, nous sommes en route pour le Ciel. La question est donc la suivante : comment peut-on être un cistercien de stricte observance et faire partie d’une « Église en marche » (cf. l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium , 20) ? Vous êtes sur le chemin, mais c’est un chemin de sortie. Comment vivez-vous la « joie douce et réconfortante d’évangéliser » (saint Paul VI, l’Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi , 75) ? Il serait agréable de l’entendre de votre bouche, vous, contemplatifs. Pour l’instant, il nous suffit de nous rappeler que « dans toute forme d’évangélisation, la primauté est toujours à Dieu » et que « dans toute la vie de l’Église, il faut toujours montrer que l’initiative est de Dieu, que “c’est lui qui nous a aimés” (1 Jn 4, 10) » (cf. l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium , 12). Enfin, les Évangiles nous montrent Jésus qui prend soin de ses disciples, les éduque patiemment, en leur expliquant, à la marge, le sens de certaines paraboles et en éclairant avec des mots le témoignage de son mode de vie, de ses gestes. Par exemple, lorsque Jésus, après avoir lavé les pieds de ses disciples, leur dit : « Je vous ai donné l’exemple pour que vous fassiez vous aussi comme je vous ai fait » (Jn 13, 15), le Maître rêve de la formation de ses amis selon le chemin de Dieu, qui est humilité et service. Et lorsque, peu après, il affirme : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour le moment vous ne pouvez pas en porter le poids » (Jn 16, 12), Jésus précise que les disciples ont un chemin à suivre, une formation à recevoir ; et il promet que le formateur sera l’Esprit Saint : « Quand il sera venu, l’Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité tout entière » (16, 13). Et l’on pourrait multiplier les références évangéliques qui attestent le rêve de la formation dans le cœur du Seigneur. J’aime les résumer comme un rêve de sainteté, en renouvelant cette invitation : « Laissez la grâce de votre baptême porter du fruit sur un chemin de sainteté. Que tout soit ouvert à Dieu et, pour cela, choisissez-le, choisissez Dieu toujours à nouveau. Ne vous découragez pas, car vous avez la force de l’Esprit Saint pour le rendre possible, et la sainteté, après tout, est le fruit de l’Esprit Saint dans votre vie (cf. Ga 5, 22-23) » (Cf. Exhortation apostolique Gaudete et exsultate , 15). Chers frères et sœurs, je vous remercie d’être venus et je vous souhaite de conclure votre Chapitre de la meilleure façon possible. Que la Vierge Marie vous accompagne. Je vous bénis cordialement ainsi que tous vos confrères du monde entier. Et je vous demande de bien vouloir prier pour moi. Ce qui est le plus vivifiant dans l’Ordre aujourd’hui 5 Lire Perspectives Sœur Ainzane Juanicotena, ocso Monastère de Quilvo (Chili) Ce qui est le plus vivifiant dans l’Ordre aujourd’hui « Nous avons reçu un esprit de fils et nous crions: Abba, Père ! » (cf. Rm 8, 15) Tout ce qui est vivifiant est un cadeau immérité et le plus grand cadeau que j’ai reçu de l’Ordre, le plus vivifiant, c ’est le don de la filiation. Comme tout don qui vient de la main de Dieu, nous le goûtons dans la conscience d’être pécheurs, pauvres, pardonnés et rachetés. Accueillis quand nous revenons vers le Père, comme le fils prodigue (cf. Lc 15, 11-32), ou comme la fillette à qui il a dit : Talitha kumi (Mc 5, 41) ou comme Lazare sorti du tombeau (Jn 11, 44). Le Père nous accueille par l’entremise du Fils qui, en ses jours mortels, s’est exclamé: « Personne ne m’ôte la vie, je la donne librement » et qui, en souffrant, a appris à obéir (cf. Jn 10,18 ; He 5, 8). Or, nous vivons au cœur d’une crise globale dans laquelle la vie s’est engagée de manière quasi imperceptible vers une désolation effarante : un monde de guerre, de pandémie, de faim, de mort, de haine, un monde d’égoïsme extrême, désintégré et désintégrant. Le monde des communications technologiques a aussi déployé ses ailes et les attractions sont instantanées, l’information est rapide, légère, abondante, variée. Nous ne parvenons pas à traiter tout ce qui est offert et d’autres propositions arrivent ; nous nous conformons peu à peu à une manière préétablie de comportement dans la société. Nous cessons de penser, de nous interroger sur ce qui est au-delà, et sur le pourquoi des choses, nous nous assoupissons, nous nous étourdissons dans la société en proie à la lassitude, nous devenons indifférents, nous perdons le goût de la vie, nous préférons n’avoir pas de problèmes, ne pas prendre de risques et nous nous fermons à l’idée que la vie se reçoit. Pourtant, en même temps, il y a au cœur humain un désir qui aspire ardemment et crie, cherchant la rencontre avec Dieu. Un désir qui reconnaît que nous avons reçu la vie et qu’à cause de cela, nous pouvons la transmettre, car personne ne donne ce qu’il n’a pas… et c’est seulement si nous la transmettons que la vie se maintient en nous et se répand vers les autres. Parce que nous sommes image et ressemblance de Dieu (Cf. Gn 1, 26) nous portons en nous-mêmes un sceau qui crie, aspirant à cette rencontre avec son Créateur, un mouvement continu nous habite qui va vers le point de rencontre entre Dieu et moi, à travers une relation entre un Tu et un Je. Par conséquent, notre vie est faite pour les autres et c’est seulement à travers les autres que nous pouvons nous rencontrer. Concrètement, nous sommes appelés à regarder, à lutter pour la vie de Dieu et à la servir dans les autres, en chaque frère de communauté, avec cet optimisme anthropologique cistercien qui affirme énergiquement que le dernier mot sur l’homme ne sera jamais le péché mais le don de Dieu, le fait qu’il est à son image et sa ressemblance. Que nous en soyons ou non conscients, chaque être humain porte en lui ce sceau parce que Dieu nous a créés et que nous sommes ses fils. C’est là le désir le plus profond du cœur humain, être pleinement en face de Dieu, adhérer à Lui en toute liberté. La vie, commencée par un désir lancinant, située dans un espace et un temps concrets, l’aujourd’hui, commence à prendre forme à travers l’éveil de notre étroite relation avec Dieu, du don de la filiation que nous avons avec Lui. Filiation reçue à travers le Fils Jésus Christ qui a laissé son sceau imprimé en chacun de nous, en chaque atome de notre être, et en toute la création. Un sceau qui réclame son Créateur et nous fait fils pour toujours. Communauté de Quilvo. © AIM. Nous sommes fils de Dieu, c’est le sceau ineffaçable, mais la relation que nous avons avec Dieu, le don d’être fils de Dieu, se forme à travers la relation avec des personnes concrètes, en un lieu concret. La contemplation du Christ, la relation directe avec Lui, dans l’écoute, comme rencontre avec la Parole vivante, est la base pour pouvoir vivre avec foi et obéissance la relation avec la communauté, l’abbé et l’Ordre. Appuyés sur la tradition de l’Ordre, les coutumes de la maison dans la continuité de la vie, sur les témoins concrets qui ont donné leur vie pour nous et qui la donnent aujourd’hui, nous vivons le don de livrer notre vie à Dieu dans la relation avec les autres. Ma vie livrée à Dieu se donne en aimant mes sœurs et le don que je reçois de Dieu se reçoit de leurs mains, ma relation aux autres reflète ma relation à Dieu et vice-versa. La gratuité du don reçu, le fait de me savoir aimée de Dieu est ma garantie, rien ne se perd quand tout est offert ; c’est seulement à travers cette action de grâce que ma vie acquiert du goût et de la couleur. Me reconnaître comme fille aimée, libre, pauvre, pécheresse, qui a besoin de pardon et d’amour. La vie commune, avec les regards tournés vers un but unique, le Christ, est une école de sagesse, une puissante énergie, et la réponse nouvelle à l’individualisme qui nous affecte tellement aujourd’hui. C’est l’expression la plus authentique du fait que nous sommes créés pour la relation ; c’est seulement à travers les autres que je peux vraiment voir qui je suis et marcher ainsi vers le Christ ; le miroir des autres me permet de me reconnaître, de me situer dans une réalité, d’éclairer mon chemin pour savoir où je suis, et me donne la lumière dont j’ai besoin pour vivre la conversion que Dieu me demande et que je ne peux déployer qu’à travers les autres. La force pour cet élan de conversion, c’est de me reconnaître misérable et de me savoir objet de miséricorde, soutenue par le Christ à travers mes sœurs de communauté, le reconnaître dans le concret de la vie, qui sert de tremplin pour me pousser à vivre le don de l’obéissance comme réponse à un amour reçu. Ce chemin d’obéissance me « christifie » car c’est la manière d’être du Fils Jésus Christ. C’est notre manière d’aimer, la condition de notre pleine réalisation. L’obéissance est notre prière, et pour que ce soit possible, il faut s’agenouiller devant le mystère du Christ fait chair, soit en le vivant dans l’Office, soit en l’écoutant dans la lectio , soit en le regardant en silence, soit dans le service qui m’est demandé chaque jour. Il est le chemin, le soutien, la source de notre foi dans le Fils de Dieu fait chair. Et pour que ceci soit possible, il faut que l’obéissance s’accompagne d’une joie, une joie ni artificielle, ni d’apparence, dans laquelle je me montre heureuse mais où je me morfonds au-dedans, pas exempte non plus de souffrance, Mais une joie qui est toujours pascale, faite de la croix et de la gloire de chaque jour. Si l’obéissance ne se vit pas de manière joyeuse, ce n’est pas une vraie obéissance ; celle-ci doit partir de la racine d’être fils, héritiers et aimés ; et, comme fils, nous sommes libres, heureuses et désireuses de répondre à cet amour de la manière la plus pleine, comme le Christ l’a fait et nous l’a enseigné, à travers l’obéissance. La confiance, la certitude d’être fille de Dieu, vivant dans un temps et un espace concrets, où chaque seconde est une nouvelle renaissance à la vie pleine avec le Christ, c’est la respiration de notre organisme, le battement de notre cœur. Vivre en sa présence, jouir du déroulement de la journée et de la communauté que Dieu m’a donnée, cultiver la joie en nous-mêmes et en ceux qui viennent, en les aidant à reconnaître leur désir personnel et communautaire de bonheur et de vérité, qui ne réside pas dans de bonnes règles ni dans une plus grande quantité de sœurs. Mais qui va plus loin, en cherchant la qualité et la profondeur de la relation avec le Christ, le fruit d’une manière de sentir et d’une volonté communes, pour marcher sur le sentier de la plénitude présente et pour aller ainsi toutes ensemble à la vie éternelle (RB 72, 12). Il ne s’agit pas de réussite ou de dépendance à l’égard des « fruits spirituels » du chemin de la communauté, ni non plus de la mort ou de la vie de celle-ci, mais d’une parfaite conformité à la volonté de Dieu. Sans cette conscience de la joie de vivre vers Dieu, nous devenons arides, sans goût, sans enthousiasme. Nous perdons l’étincelle qui nous fait désirer la vie et vivre comme de vrais chrétiens ; nous devenons pleins d’amertume, cette ennemie de la vie. Parce que celui qui vit vraiment est prêt à mourir. Combien de fois nous cramponnons-nous à nos sécurités et à nos schémas pour ne pas mourir, et oublions-nous de chercher à vivre ? Nous devons vivre avec le désir d’accompagner le Christ dans sa passion jusqu’à la résurrection. Il doit y avoir dans nos cœurs une allégresse prête à jaillir pour vivre une vie ouverte à la nouveauté, pour nous reconnaître libres et ainsi ouverts afin de recevoir et donner le pardon. M’ouvrir à des formes nouvelles, de nouveaux objectifs, m’examiner moi-même et voir que ces choses qui, jadis, donnaient la vie, ne la donnent peut-être déjà plus. Éliminer les préjugés, courir des risques, oser, innover, ne jamais se limiter, s’identifier aux autres, être jeune avec les jeunes, enfant avec les enfants, vénérer les anciens. Chercher toujours la vie… Il faut se laisser faire par les autres ! Combien de fois nous cramponnons-nous à nos critères et ne pouvons-nous laisser entrer la grâce nouvelle que Dieu nous offre en chaque événement ? Combien de fois nous cramponnons-nous à nous-mêmes et ne savons-nous pas reconnaître le bien derrière les actions des autres ? Combien de fois nous cramponnons-nous aux structures et oublions-nous que les structures doivent servir à la vie nouvelle infusée par l’Esprit Saint dans notre cheminement ? Combien y a-t-il de souffrance dans le monde… et moi, combien de fois ne suis-je pas compatissante envers la sœur qui est à côté de moi ? Nous devons apprendre (comme le Fils a appris, cf. He 5, 8-9) de chaque événement et des autres, avec toute la nouveauté et la particularité qui le distingue, à reconnaître que l’autre est un apport dans ma vie. Je dois être une source disponible pour tous, être réceptive et recevoir, en vivant ouverte aux autres, en les aimant à chaque instant, sans ces fantaisies romantiques à propos du bien, qui canonisent notre mal et dissimulent notre besoin de conversion, mais avec réalisme. Sans critiques, sans plaintes ni résistances, mais avec une miséricorde lucide, en les valorisant et ne nous laissant pas entraîner par le mal qu’on a pu commettre, mais en croyant à la bonne volonté et au désir de bien qui se trouve en chaque frère que Dieu a mis près de moi, heureuse de les aimer et de les accepter pleinement comme ils sont. Et ainsi, me laisser faire et former par les autres. C’est seulement à travers des personnes concrètes, avec des noms et des visages concrets, que je peux me laisser former par Dieu, seulement à travers la médiation humaine des autres que je peux laisser Dieu agir en moi et prendre chair en moi. L’autre est le sacrement de la volonté de Dieu dans ma vie. Vivre dans l’obéissance filiale, de façon concrète et selon le charisme de notre Ordre, dans une communauté, sous une règle et un abbé (RB 2), le regard fixé sur la vie éternelle et avec le condiment savoureux de la foi est une règle de vie dans nos monastères. La filiation divine se fait chair grâce à ces trois piliers fondamentaux : – Communauté : C’est le lieu où je peux me laisser faire par le Seigneur à travers les autres. C’est le Corps-Église où se produit la rencontre avec Dieu, où tous, nous sommes membres, et le Christ est la tête. Notre propre communauté est Corps du Christ, c’est une Église monastique qui vit en communion avec l’Église universelle. C’est le lieu où je reçois le pardon et la vie quotidienne, c’est le lieu où ma misère vient au jour, où je fais l’expérience de mes faiblesses, de mes limites, de mes péchés et où je me sais soutenue, je me reconnais aimée malgré ma pauvreté. C’est le lieu où je peux déployer mes ailes vers le Christ à travers le service des autres, par le travail et le don de moi-même. – Abbé/abbesse : C’est la personne qui tient la place du Christ dans le monastère (RB, 1), c’est l’abbé, l’abbesse de la communauté, qui vit pour la servir ; et la communauté forme son abbé, son abbesse. La pureté de cœur est fondamentale dans ma relation avec mon abbé/abbesse, la vérité avec moi-même pour vivre cette relation, reconnaître mes amertumes, mes obscurités, mes inconséquences, mes lumières et mes réussites, pouvoir être transparente à son égard, me savoir fils/fille de cette personne concrète comme représentante du Christ. – La Règle : C’est la structure vitale de notre vie ; sa forme est christocentrique et nous donne la manière concrète de vivre l’Évangile – vivre, non accomplir ! Parce que toutes nos actions ont un rayonnement pour le monde entier. Rayonnement qui ne dépend pas de notre mérite ou démérite, mais de la rencontre avec le Christ, comme dit le psaume 33, 5 : « Contemplez-le et vous serez rayonnants ». La radicalité de notre vie pour vivre la rencontre avec le Christ à partir d’une humanité, en un temps et un monde concrets nous établit dans la rencontre avec nos frères actuels. Dans l’ici et l’aujourd’hui qui regardent vers l’éternité. Tous les éléments de notre vie se rencontrent dans cette réalité d’aujourd’hui. Faire ce que j’ai à faire et être là où je dois être, c’est là notre offrande, c’est là notre prière. Dans notre Ordre, nous pouvons reconnaître ces aspects. La paternité et la maternité spirituelles sont vécues en nous aidant et nous engendrant mutuellement, mais elles sont toujours aussi un défi. La filiation que nous devons offrir au Christ à chaque moment est un témoignage vivant à l’intérieur de l’Ordre, la relation avec l’Abbé général, la Maison mère, le Père immédiat, les maisons filles et sœurs, l’interdépendance mutuelle, où la respiration de chaque cœur et du cœur commun sont le Christ. Nous sommes fils d’une communauté concrète, qui appartient à un Ordre concret, régi par une structure solide, où ce qui domine toujours est cette union filiale d’amour que nous avons entre nous. Ceci exprime le fait réel d’être engendré, de recevoir son identité, son visage, des mains d’un autre qui tient la place du Christ. Cette filiation n’est pas sentimentale mais évangélique ; par conséquent, c’est un chemin de foi, beaucoup plus profond que les apparences. L’amour du Christ pour chacun de nous, se reconnaître aimé de Dieu et reconnaître l’amour de Dieu dans les autres, et le vivre dans l’éternel présent de la réalité quotidienne, c’est le don le plus précieux dont nous pouvons jouir, la vie même. Vivre enracinés dans la réalité présente, avec la conscience claire d’être immergés dans une vie transitoire dont la destination finale est Dieu. Nous sommes venus vivre avec le Christ, et la mort au moi est la condition pour vivre ; la vie est bouillonnante, renouvelée, toujours un cadeau dont il faut rendre grâce, parce que le plus grand don que Dieu nous a fait est la vie, et la capacité d’en jouir nous donne la paix pour assumer consciemment et avec joie le sentiment de notre destinée librement choisie, comme réponse à un amour qui nous aime et nous a choisis le premier (1 Jn 4, 19). C’est seulement en grandissant nous-mêmes que nous pouvons aider les autres à grandir dans le Christ et déployer une paternité ou maternité spirituelles, comme réponse au fait d’être filles et fils de Dieu. Nous devons vivre vraiment dans un monde au-delà, où les rêves deviennent réalité, voir déjà dans le présent le scintillement de l’amour de Dieu qui sera le tout de la vie à venir, c’est cela vivre unie au Christ, le regard fixé sur Lui, affrontant le quotidien dans cette lumière, avec le regard tendu vers une christification totale en Lui, avec tout et tous. Être reconnaissant pour ce que nous ne méritons pas, pardonner ce qui nous a déjà été pardonné., et par-dessus tout, aimer toujours et à chaque instant avec l’amour que seul un enfant de Dieu peut comprendre, celui du Christ. Que la Vierge Marie nous guide par son amour de Mère à l’union intime, audacieuse, vive, reconnaissante, avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Amen. Discours d’ouverture du Chapitre général de l’Ordre cistercien 6 Lire Perspectives Dom Mauro-Giuseppe Lepori, OCist Abbé général de l'Ordre cistercien Discours d’ouverture du Chapitre général de l’Ordre cistercien Sept ans se sont écoulés depuis le dernier Chapitre général. Ces années n’ont pas été faciles, elles ont été marquées par la pandémie du Covid-19, la fragilité croissante de nos communautés et un certain nombre de démissions de supérieurs suite à de graves irrégularités et abus de pouvoir. Nous rencontrons beaucoup de nouveaux visages dans la composition de notre Chapitre général : sept Abbés Présidents ont changé, et nous avons une Congrégation de plus, la congrégation de Sainte Gertrude la Grande. L'Abbé Président Eugenio Romagnuolo de Casamari nous a malheureusement quittés en avril 2020, victime du Covid. Il y a quelque 43 nouveaux Supérieurs hommes et femmes (autant que la moitié des membres du Chapitre Général), dont 7 administrateurs. 13 communautés ont perdu leur statut de sui juris pour diverses raisons. Il n'existe à ce jour qu'un seul Supérieur d'un nouveau monastère sui juris , celui de Phuoc Hiep, au Vietnam. De grands Supérieurs de l'Ordre ont mis fin à leur fidèle service. Mère Gemma Punk, de Regina Mundi , a démissionné après 75 ans comme Supérieure. Nous savons maintenant qu'elle a « régné » plus longtemps que la reine Elizabeth ! Mère Rosaria Saccol, de San-Giacomo-di-Veglia, a déposé sa charge abbatiale après 51 ans, et est retournée saintement au Père le 23 novembre 2021. Mère Irmengard Senoner de Mariengarten a récemment mis fin à son service après 39 ans d'abbatiat. Je voudrais nommer les supérieurs qui, en plus de ceux déjà mentionnés, sont retournés à la Maison du Père au cours de ces années : l’Abbé Président émérite de la congrégation supprimée de Marie Médiatrice de toutes les Grâces, dom Gerardus Hopstaken ; l’Abbé Président émérite de la congrégation de la Sainte Famille, dom Jean Lam ; l’Abbé Président émérite de la congrégation de San Bernardo, en Italie, dom Ambrogio Luigi Rottini ; Mère Consolata, de Frauenthal ; Mère Assunta, de Santa Susanna ; le P. Abbé Bao, de My Ca ; le P. Abbé Christian, de Rein ; le P. Abbé Denis, de Dallas ; Mère Presentación Muro, de Santo Domingo de la Calzada ; Mère Agnès, de Kismaros. Une autre perte douloureuse pour l’Ordre a été le décès prématuré du père Sebastiano Paciolla le 22 juin 2021. En sept ans, le nombre de membres du Chapitre général ayant le droit de vote est passé de 100 à 87. Les membres de l’Ordre sont passés d’environ 2500 à 2217, et ce nonobstant quelques pays comme le Vietnam et quelques communautés d’Europe et des États-Unis qui ont suffisamment de vocations. Comme je l’ai dit au Saint-Père lorsque je l’ai rencontré le 13 juin dernier : « Nous marchons plus péniblement mais nous marchons davantage ensemble ». François m’a répondu en citant un dicton africain : « Si tu veux marcher vite, marche seul, mais si tu veux marcher en sécurité, marche avec les autres. » Oui, je pense que nous marchons davantage ensemble mais pas toujours et pas avec tout le monde. En fin de compte, nous verrons au cours de ce Chapitre général si j’ai dit au Pape la vérité ou un mensonge. J’espère que vous ne me forcerez pas à aller me confesser ! À quoi doit servir un Chapitre général ? La Carta Caritatis nous le répète depuis 903 ans : « IIs y traiteront du salut de leurs âmes : qu’ils prennent des dispositions pour l’observation de la sainte Règle ou des prescriptions de l’Ordre, s’il y a quelque chose à corriger ou à ajouter ; ils rétabliront entre eux la paix et la charité » (CC VII,2). En cela, elle reprend de nombreuses exhortations apostoliques, comme celle que saint Paul adresse aux Éphésiens : « Moi qui suis en prison à cause du Seigneur, je vous exhorte donc à vous conduire d’une manière digne de votre vocation : ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix. Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il y a un seul Corps et un seul Esprit. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous. (…) En vivant dans la vérité de l’amour, nous grandirons pour nous élever en tout jusqu’à celui qui est la Tête, le Christ. Et par lui, dans l’harmonie et la cohésion, tout le corps poursuit sa croissance, grâce aux articulations qui le maintiennent, selon l’énergie qui est à la mesure de chaque membre. Ainsi le corps se construit dans l’amour » (Ep 4, 1-6.15-16). Dans toutes ses exhortations à raviver la nature synodale de l’Église, le pape François nous aide à redécouvrir notre charisme cistercien précisément comme un « chemin commun » de communautés unies par une même vocation, une même espérance, une même foi, une même charité. Dans mes lettres et certaines conférences de ces quatre dernières années, j’ai essayé de stimuler parmi nous cette conscience synodale de notre vocation et de notre mission, indépendamment des différences d’observance et de style que nous vivons dans nos communautés ou congrégations particulières. En cela, j’ai été grandement aidé par la participation à diverses rencontres de l’Église : le synode des évêques de 2018 consacré aux jeunes, la rencontre au Vatican en février 2019 sur le thème des abus dans l’Église, puis le début du parcours synodal de toute l’Église les 9 et 10 octobre 2021, parcours qui culminera avec le synode des évêques l’année prochaine. J’ai également été stimulé par la surprise d’être élu au Conseil exécutif de l’Union des Supérieurs généraux et la surprise encore plus grande d’être élu vice-président de cette Union. Ce n’est pas une tâche qui me demande beaucoup, heureusement, mais elle m’aide à être plus attentif à ce qui palpite dans l’Église universelle et dans le monde. J’ai essayé de faire participer l’Ordre à cette conscience. J’ai réalisé combien les autres Ordres religieux sont attentifs à notre expérience monastique et à notre sensibilité pour affronter les problèmes et surtout pour vivre la mission de l’Église. Il est important que nous en soyons conscients, car ce n’est pas tant le rôle d’Abbé général qui me qualifie pour cette tâche mais la vocation que je partage avec chacun d’entre vous. Dans son discours du début du processus synodal, le pape François a dit, il y a exactement une année : « Communion et mission risquent de rester des termes un peu abstraits si l’on ne cultive pas une pratique ecclésiale qui exprime la réalité concrète de la synodalité, à chaque étape du chemin et du travail, favorisant l’implication effective de tous et de chacun. Je souhaite affirmer que célébrer un synode est toujours une chose belle et importante, mais celui-ci ne porte réellement de fruits que s’il devient l’expression vivante de l’être de l’Église, dans un agir caractérisé par une vraie participation. Ce n’est pas là une exigence de style, mais de foi : la participation est une exigence de la foi baptismale. Comme l’affirme l’apôtre Paul : “C’est dans un unique Esprit, en effet, que (…) nous avons été baptisés pour former un seul corps” (1 Co 12, 13). Voilà bien la seule origine dans le corps ecclésial : le Baptême. C’est de lui, notre source de vie, que découle l’égale dignité des enfants de Dieu, dans la diversité des ministères et des charismes. C’est pourquoi, tous sont appelés à participer à la vie de l’Église et à sa mission. S’il manque une réelle participation de tout le Peuple de Dieu, les discours sur la communion risquent de n’être que de pieuses intentions » (discours du Saint-Père François du 9 octobre 2021). Participer à la mission de l’Église « Tous sont appelés à participer à la vie de l’Église et à sa mission », dit le pape François. Je voudrais insister sur cette phrase, parce qu’elle nous fait prendre conscience que nous rencontrer et travailler en commun n’est pas une tâche pour nous seulement mais doit être animée d’un souffle universel. Certes, comme nous le demande la Carta Caritatis , nous devons nous occuper du salut de nos âmes, donner des dispositions concernant l’observance de la sainte Règle ou de l’Ordre, corriger ou favoriser la vie de nos communautés et rétablir entre nous le bien de la paix et de la charité (cf. CC VII, 2). Mais si dans tout cela nous ne pensons pas à la mission de toute l’Église, c’est-à-dire si nous ne pensons pas au salut du monde entier, tout le travail sur nous-mêmes sera narcissique, stérile et ne portera aucun fruit, pas même pour nous-mêmes. Parce que depuis le début, notre Ordre est resté uni et travaille à sa propre conversion, « désirant être utile à tous les membres de l’Ordre ainsi qu’à tous les fils de la sainte Église – prodesse illis omnibusque sanctae Ecclesiae filiis cupientes » (CC I, 3). Les enfants de l’Église signifient toute l’humanité. Nous sommes appelés à être des pères et des mères, des frères et des sœurs de toute l’humanité. Pas d’une humanité abstraite, mais de l’humanité qui naît, vit, travaille, souffre, meurt dans le monde d’aujourd’hui. Nous ne devons pas nous sentir stériles et inutiles si nous n’avons pas de vocations ou si nous devons fermer un monastère. Nous devons nous sentir stériles et inutiles si nous vivons notre vocation sans cette passion pour l’ensemble de l’humanité. Le Pape parle toujours de « l’Église sortante », c’est-à-dire de la passion missionnaire qui fait que toute l’Église tend à rejoindre chaque brebis désorientée et éloignée du troupeau du Christ. Nous aussi, en respectant les caractéristiques plus contemplatives ou plus apostoliques de chacune de nos congrégations et communautés, nous devons retrouver et raviver ce rayonnement missionnaire, afin de rester vivants et surtout de nous réjouir de la joie de l’Évangile. Comme l’écrit encore le Pape dans Evangelii Gaudium : « Tout chrétien et toute communauté discernera quel est le chemin que le Seigneur demande, mais nous sommes tous invités à accepter cet appel : sortir de son propre confort et avoir le courage de rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Évangile » (EG 20). Parfois nous devenons sombres et mécontents, susceptibles et capricieux, simplement parce que nous oublions la souffrance dans le monde, nous oublions la pandémie, la pauvreté, la guerre, la faim, la vie dépourvue de sens de tant d’hommes et de femmes, de tant de jeunes. Nous oublions la douleur innocente de trop d’enfants, l’insécurité dans laquelle vivent tant de familles, les difficultés économiques et sociales auxquelles sont confrontés les laïcs. Nous oublions les chrétiens persécutés, nous oublions les martyrs. Nous oublions les migrants. Nous oublions la tristesse des pécheurs qui ne rencontrent pas leur Rédempteur. En somme, nous oublions toutes les brebis perdues sans berger, c’est-à-dire que nous oublions la compassion du Christ pour l’humanité (cf. Mc 6, 34). Combien de fois, confrontés, avec certains d’entre vous, à des problèmes jamais résolus où les conflits, les revendications, les désobéissances, les infidélités sont sans cesse ravivés, nous nous sommes dit : mais qu’est-ce que tout cela a à voir avec le salut du monde et donc avec le Christ qui est venu vivre, souffrir, mourir et ressusciter pour nous sauver ? Mais il est réconfortant de voir que la majorité des communautés et des personnes vivent avec cette conscience missionnaire, et cela rend leur vie grande et radieuse, même et surtout lorsque les circonstances, les conditions, la santé les obligent à réduire l’activité. Ceux qui aiment beaucoup, même s’ils ne peuvent rien faire, agissent comme Dieu ! Beaucoup de frères et de sœurs ont, pour ainsi dire, un « cœur sortant », c’est-à-dire un cœur ecclésial, missionnaire, même et surtout s’ils ne peuvent que prier et surtout, tout offrir pour le salut du monde. Je suis ravi de voir que tant de jeunes de nos communautés ont ce sens universel de notre vocation, et cela me remplit d’espoir. C’est avec cette espérance que j’ouvre notre Chapitre général sur lequel nous avons déjà invoqué l’Esprit Saint et nous continuerons à l’invoquer, en faisant épiclèse sur tout ce que nous vivrons, dirons, penserons et ressentirons durant ces jours, afin que tout soit offert à l’Esprit pour qu’il incarne le Christ Rédempteur, Miséricorde du Père, comme dans le sein de Marie, Mère de l’Église, Mère de Cîteaux. Extrait du discours du Pape Benoît XVI (2008) 7 Lire Méditation En hommage au pape Benoît XVI (1927-2022) Le caractère exemplaire de la vie monastique dans l’histoire Extrait du discours du pape Benoît XVI adressé à la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique (20/11/2008) […] Récemment encore (cf. discours au monde de la culture, Paris, 12 septembre 2008), j’ai voulu rappeler le caractère exemplaire de la vie monastique dans l’histoire, en soulignant combien son but est à la fois simple et essentiel : quaerere Deum , chercher Dieu et le chercher à travers Jésus Christ qui l’a révélé (cf. Jn 1, 18), le chercher en fixant le regard sur les réalités invisibles qui sont éternelles (cf. 2 Co 4, 18), dans l’attente de la manifestation glorieuse du Sauveur (cf. Tt 2, 13). Christo omnino nihil praeponere (cf. RB 72, 11 ; Augustin, Enarr . in Ps. 29, 9 ; Cyprien, Ad Fort 4). Cette expression, que la règle de saint Benoît reprend de la tradition précédente, exprime bien le trésor précieux de la vie monastique pratiquée jusqu’à nos jours, aussi bien dans l’Occident que dans l’Orient chrétien. C’est une invitation pressante à façonner la vie monastique jusqu’à la faire devenir mémoire évangélique de l’Église et, quand elle est authentiquement vécue, « exemplarité de vie baptismale » (cf. Jean-Paul II, Orientale lumen , no 9). En vertu du primat absolu réservé au Christ, les monastères sont appelés à être des lieux où l’on fait place à la célébration de la gloire de Dieu, où l’on adore et l’on chante la présence divine dans le monde, mystérieuse mais réelle, où l’on cherche à vivre le commandement nouveau de l’amour et du service réciproque, en préparant ainsi la « révélation des fils de Dieu » (Rm 8, 19) finale. Lorsque les moines vivent l’Évangile de manière radicale, lorsque ceux qui sont entièrement consacrés à la vie contemplative cultivent en profondeur l’union sponsale avec le Christ, sur laquelle s’est largement arrêtée l’Instruction de cette Congrégation Verbi Sponsa (1999), le monachisme peut constituer pour toutes les formes de vie religieuse et de consécration, une mémoire de ce qui est essentiel et qui possède la primauté dans chaque vie baptismale : chercher le Christ et ne rien placer au dessus de son amour. La voie indiquée par Dieu pour cette recherche et pour cet amour est sa Parole elle-même, qui, dans les livres des Saintes Écritures, est offerte avec abondance à la réflexion des hommes. Le désir de Dieu et l’amour pour sa Parole se nourrissent donc réciproquement et engendrent dans la vie monastique l’exigence irrépressible de l’ opus Dei , du studium orationis et de la lectio divina , qui est écoute de la Parole de Dieu, accompagnée par les grandes voix de la tradition des pères et des saints, et ensuite prière orientée et soutenue par cette Parole. La récente Assemblée générale du synode des évêques, qui s'est tenue à Rome le mois dernier sur le thème : « La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église », en renouvelant l’appel à tous les chrétiens à enraciner leur existence dans l’écoute de la Parole de Dieu contenue dans les Saintes Écritures, a en particulier invité les communautés religieuses et chaque homme et femme consacrés à faire de la Parole de Dieu leur nourriture quotidienne, en particulier à travers la pratique de la lectio divina (cf. Elenchus praepositionum , no 4). Chers frères et sœurs, celui qui entre dans un monastère y cherche une oasis spirituelle où apprendre à vivre en véritable disciple de Jésus dans une communion fraternelle sereine et persévérante, en accueillant également des hôtes éventuels comme le Christ lui-même (cf. RB 53, 1). Tel est le témoignage que l’Église demande au monachisme également à notre époque. Nous invoquons Marie, la Mère du Seigneur, la « femme de l’écoute », qui ne place rien avant l’amour du Fils de Dieu qui est né d’elle, pour qu’il aide les communautés de vie consacrée, et en particulier les communautés monastiques, à être fidèles à leur vocation et mission. Puissent les monastères être toujours davantage des oasis de vie ascétique, où l’on ressent la fascination de l’union sponsale avec le Christ, et où le choix de l’Absolu de Dieu est entouré par un climat constant de silence et de contemplation. Alors que je vous assure pour cela de ma prière, je donne de tout cœur la Bénédiction apostolique à vous tous qui participez à l’Assemblée plénière, à ceux qui travaillent dans votre dicastère et aux membres des divers instituts de vie consacrée, en particulier à ceux de vie entièrement contemplative. Que le Seigneur déverse sur chacun l’abondance de ses consolations. Copyright 2008 - Libreria Editrice Vaticana. Copyright Dicastero per la Comunicazione - Libreria Editrice Vatican. Prévenir les abus dans les communautés féminines 8 Lire Questions actuelles Isabelle Jonveaux Sociologue Prévenir les abus dans les communautés féminines Interroger les structures des communautés Le sujet des abus, notamment de prêtres sur des enfants, est actuellement omniprésent dans l’actualité ecclésiale. La question des abus sur les moniales et religieuses a mis plus de temps à accéder à la visibilité médiatique. En Europe, c’est essentiellement avec le documentaire d’Arte[1] en 2019 que ce sujet a fait son entrée dans la conscience du grand public. La lutte des religieuses contre ces abus et pour les porter au regard de l’Église a cependant commencé bien avant, rencontrant cependant de nombreuses difficultés. En tant que sociologue de la vie monastique, j’ai été confrontée au cours de mes enquêtes menées depuis 2004 en Europe, et depuis 2013 en Afrique, à plusieurs situations d’abus. Mais les abus ne commencent en général pas avec les agressions sexuelles, les abus d’autorité et abus spirituels préparent en quelque sorte le terrain. N'étant pas psychologue, je ne travaille pas sur les victimes ou sur les cas directs d’abus, mais m’interroge sur les structures qui les rendent possibles. Je cherche à mettre en lumière les éléments structurels qui ouvrent la porte à ces dérives, parfois invisibles. Il ne s’agit naturellement pas ici de considérer que toutes les communautés féminines présentent indistinctement les mêmes risques, mais plutôt d’identifier des modes de fonctionnement qui peuvent favoriser des abus d’autorité, spirituels ou sexuels. 1. Interroger les structures des communautés féminines J’identifie ici cinq niveaux de structures, dont la combinaison peut rendre possibles des formes d’abus et éventuellement favoriser le silence des victimes. • Structure interne de l'autorité dans les communautés féminines Il m’est apparu clairement au cours de mes enquêtes que les structures de l’autorité sont en moyenne plus strictes dans les communautés féminines en comparaison des communautés masculines. L’autorité s’y trouve beaucoup plus centrée sur la figure de la supérieure. Il m’est souvent arrivé dans les communautés de moniales, lorsque je demandais quelque chose à une sœur, par exemple de faire un entretien, de recevoir la réponse : « Il faut demander à Mère Abbesse », alors que les hommes étaient plus souvent en mesure de me donner leur propre réponse. Cette structure d'autorité conduit à ce que la cistercienne Michaela Pfeifer nomme « la mentalité d'hôpital »[2] où les sœurs ne se prennent plus en charge, mais abandonnent toute leur volonté d’adulte à la supérieure. Pourquoi l’obéissance est-elle vécue différemment dans des communautés qui vivent pourtant, si l’on prend celles de la règle bénédictine par exemple, la même règle ? La sœur bénédictine américaine Shawn Carruth met en lumière que l’obéissance a été développée dans l’Église comme une vertu proprement féminine, associée à l’humilité, dans une structure patriarcale « Obedience is given to the patriarchal structure by giving is to those who understand power as control. Silence keeps women from expressing our own reality and our own understanding of the world’s reality. […] Humility enjoined upon women teaches us to accept a subordinate position and the label of incapacity placed upon us by patriarchal presuppositions . »[3] Les structures d’autorité plus sévères dans les communautés féminines seraient en ce sens un résidu de l’autorité masculine sur les monastères féminins. • Structures hiérarchiques institutionnelles et systèmes d’accompagnement En raison des structures hiérarchiques institutionnelles en place, la majorité des communautés féminines se trouvent sous l’autorité de figures masculines. Beaucoup d’entre elles sont placées directement sous la juridiction de l’évêque. Dans certains ordres mixtes, les communautés féminines sont systématiquement accompagnées de communautés masculines, tandis que les communautés masculines le sont toujours par des communautés également masculines. Les structures d’autorité concernent également la prise de décision et la gestion des biens. En outre, dans certains diocèses, l’emploi de religieuses est régulé par des contrats spécifiques où la sœur sera moins payée qu’un laïc ou un frère à emploi égal. • Relations entre les communautés masculines et féminines Les relations de genre entre les communautés masculines et féminines s'observent dans les événements de la vie quotidienne, notamment dans les différences de statut données aux supérieurs masculins. Par exemple, lors d’une célébration dans un monastère bénédictin en Autriche où des représentants des monastères voisins avaient été invités, les abbés étaient assis dans le chœur avec les moines, tandis que la prieure du monastère de bénédictines voisin se trouvait avec quelques sœurs dans l’assemblée. Il demeure encore rare, comme le regrettait un bénédictin autrichien en entretien, que des sœurs prêchent des retraites aux moines, alors que les retraites pour les moniales sont en grande majorité prêchées par des hommes. Par ailleurs, il est fréquent, y compris en Europe, que des sœurs apostoliques soient au service de prêtres ou de communautés masculines, par exemple pour le ménage et la cuisine, ce qui implique directement un rapport non égalitaire. Certaines communautés féminines ont même été fondées dans ce but. • Relations entre communautés de sœurs et prêtres Dans certaines communautés féminines, notamment les communautés nouvelles, la figure du prêtre reste une autorité incontestable. Cela signifie qu'un prêtre qui se serait comporté de manière inappropriée envers une sœur ne se verra pas remis en question. Ainsi, une sœur autrichienne d’une communauté nouvelle – sortie depuis – me racontait que lorsqu’un prêtre venait rendre visite à la communauté, les sœurs devaient arrêter tout ce qu’elles étaient en train de faire pour se mettre à son service. • Structures spatiales et organisation de l’espace Les structures spatiales peuvent parfois favoriser les abus ou le silence qui les suit, notamment concernant les lieux où les sœurs rencontrent les prêtres, mais aussi la manière dont l’autorité du prêtre est mise en scène dans l’église. J’ai pu observer par exemple dans une communauté nouvelle une élévation d’environ deux mètres du presbyterium au-dessus du chœur des stalles des sœurs, tandis que d’autres communautés féminines réaménagent au contraire leur chapelle pour induire une plus grande égalité entre le prêtre et les sœurs, ainsi qu’entre la liturgie de la Parole et celle de l’eucharistie à l’autel lors de la messe. 2. La sœur dans la structure religieuse Le deuxième niveau d’interrogation concerne la place de la sœur individuelle dans ces structures. Les structures d’autorité et d’obéissance opèrent ainsi à trois niveaux : intellectuel, spirituel et corporel. a. Niveau intellectuel L’abus d’autorité s’avère plus facile lorsque la distribution du savoir est inégale. J’ai identifié lors de mes enquêtes une inégalité importante dans l’accès des moines et moniales aux études. L’accès plus important des frères aux études est tout d’abord lié à la fonction de prêtre qui implique au moins cinq années de philosophie et de théologie. Ainsi en Autriche, 95 % des moines bénédictins ont au moins un master. Les moniales ont plus de difficultés à accéder aux études et aux formations soit parce que certains ordres ont cultivé dans l’histoire un refus de l’étude par humilité (comme les clarisses), soit parce que la clôture plus stricte des communautés féminines rend plus difficile l’accès aux études hors du monastère. Or le manque de formation intellectuelle et de connaissances peut conduire à différentes formes d’abus. Une trappistine en Afrique qui avait assisté à l’enseignement d’un psychologue me disait en entretien : « Parfois chez nous, comme on ne connaît pas son droit, il y a certaines choses qui ne sont pas normales. […] Ça, j’ai vu dans la vie au monastère, parfois, certaines choses que l’abbé impose, qui ne sont pas normales. Parfois, c’est le jeune qui a le droit. […] Mais parce que l’abbé ne connaît pas bien son droit ou parce que le jeune ne connaît pas son droit, le jeune va subir les affaires. Mais avec le docteur, là, vraiment on voit clair que parfois il y a certaines choses qu’on subit, qu’on ne doit pas subir. » Le manque de connaissance sur les droits définis pour le profès, le novice ou le supérieur peut conduire à des situations d’abus qui ne sont pas identifiées comme telles par la victime. Les études ou autres formations peuvent au contraire permettre de réduire ces dérives. b. Niveau spirituel Dans la vie religieuse féminine, l’autorité spirituelle est portée autant par la supérieure que par le prêtre en charge de l’accompagnement spirituel des sœurs. L’abus spirituel entre principalement en jeu lorsque des dérives sectaires ou abus d’autorité sont justifiés de manière religieuse. Dans le cadre des communautés de sœurs, cette forme d’abus apparaît notamment lorsque le prêtre accompagnateur de la communauté ou de sœurs particulières est une autorité incontestable et que l’accompagnateur spirituel ou confesseur est imposé par la supérieure. Centraliser le pouvoir spirituel auprès d’un monastère de moniales sur un seul prêtre présente un risque accru d’abus spirituel. c. Niveau corporel et intimité Le niveau corporel de l’intimité dans les structures d’autorité de la vie religieuse féminine est celui qui apparaît le plus critique dans la possibilité de réalisation de différentes formes d’abus. Le renoncement à la possession entraîne habituellement dans une grande part des monastères l’absence d’un compte bancaire personnel. Selon les configurations, les moines et moniales reçoivent de l’argent de poche pour acheter ce dont ils ont besoin, peuvent se servir dans un local matériel ou font la demande de ce qui leur est nécessaire. Les enquêtes ont montré que la configuration où absolument tout est reçu et/ou demandé est plus fréquente dans les monastères de sœurs. Il est aussi plus fréquent que les moniales doivent demander par écrit à l’économe voire parfois à la supérieure ce dont elles ont besoin. Ce système devient problématique lorsqu’il touche à l’intimité des sœurs individuelles. Ainsi la sœur autrichienne citée auparavant, disait s’être lavée sans savon pendant dix ans, car un seul type était disponible et elle ne pouvait en avoir un autre. La question devient encore plus intime lorsqu’elle touche à l’hygiène menstruelle. Cette sœur racontait aussi que seul un type de protection hygiénique était proposé et qu’il n’était pas possible d’en demander d’autres. De même, un bénédictin au Kenya, qui accompagne spirituellement une communauté de sœurs que j’ai étudiée, me disait que les sœurs doivent demander par écrit l’intégralité de ce dont elles ont besoin. Celles qui n’osent pas demander les produits d’hygiène menstruelle doivent se débrouiller avec ce qu’elles trouvent malgré les risques encourus pour leur santé. Le contrôle des corps dans leur intimité entre actuellement dans une forme d’ascèse qui n’est non seulement plus plausible, mais s’apparente aussi à un abus d’autorité. Le corps et l’intimité sont donc des lieux particulièrement centraux pour observer les risques d’abus d’autorité dans les monastères de femmes, qui conduisent pour les moniales à une dépossession de leur corps qui peut ouvrir sur d’autres types d’abus. Conclusion Il s’agit ici d’un rapide panorama des différents niveaux de structure des communautés féminines qui peuvent – encore une fois il ne s’agit pas de les considérer comme systématique, car l’abus est ensuite perpétré par des personnes particulières – entraîner des abus d’autorité, spirituels ou sexuels. La prévention des abus de différents types, commis de manière interne dans les communautés, ou par des prêtres ou religieux sur des sœurs, doit donc passer par l’interrogation de ces structures. Ces dernières sont pour la plupart héritées de siècles de domination masculine dans l’Église ainsi que de spiritualité de l’obéissance et de l’humilité exacerbée dans les monastères de femmes qui ont eu tendance à amoindrir le libre-arbitre. Interroger ces structures signifie donc d’une part mettre en lumière ce qui peut favoriser les dérives, et qui, pour une part, ont sans doute des effets sur le recrutement, mais aussi mettre en évidence le travail de certaines communautés pour réajuster ces structures et réduire ainsi les risques. [1] Arte : chaîne télé culturelle franco-allemande. [Note de l’Éditeur] [2] Michaela PFEIFER, « Le renoncement conduit-il à la liberté ? Réflexion systématique sur l’ascèse dans la RB », Revue de spiritualité monastique , vol. 68 (1), 2006, p. 11. [3] Shawn CARRUTH, “ The monastic virtues of obedience, silence and humility : a feminist perspective” , The American Benedictine Review, 51(2), 2000, p. 126. « L’obéissance est livrée à la structure patriarcale en étant donnée à ceux qui la comprenne comme un pouvoir de contrôle. Les femmes gardent le silence quant à leur propre réalité et leur propre compréhension de la réalité du monde. (…) L’humilité qui est demandée aux femmes leur enseigne à accepter une position de subordination et la réputation d’incapacité qui pèsent sur elles du fait des présupposés patriarcaux. » La grâce de faire une fondation et l’expérience du retour 9 Lire Témoignage Dom Robert Igo, osb Abbé d’Ampleforth (Royaume-Uni) La grâce de faire une fondation et l’expérience du retour Quand on m’a demandé en 1995 d’aller au Zimbabwe et de faire une fondation monastique, j’avais cinq bonnes raisons pour lesquelles je n’étais pas la bonne personne. Heureusement, j’ai écouté la voix du Saint-Esprit et j’ai dit : « oui ». Si j’avais écouté la voix du doute et de la peur, j’aurais raté la plus grande grâce de ma vie. Quatre ans d’investigation minutieuse par la communauté d’Ampleforth ont conduit les frères à faire un pas dans la foi, mais peu ont probablement pleinement compris ce que cette décision signifierait, notamment ceux à qui on a demandé d’aller faire la fondation. Il n’y a pas de livres qui décrivent clairement les règles de base pour faire une fondation monastique. C’est vraiment un voyage dans la foi. Les fondations sont loin d’être faciles et, comme l’accouchement, elles sont désordonnées, douloureuses, pleines de peur et d’anticipation, mais en même temps, elles changent la vie. Qu’est-ce que vingt-cinq ans m’ont appris ? La réponse simple et véridique est que j’ai appris plus que ce que je peux dire dans une brève réflexion. Le séjour au Zimbabwe m’a ouvert l’esprit et le cœur et a approfondi ma foi chrétienne et ma compréhension de la vie monastique. Dès le départ nous sommes allés au Zimbabwe respectueux de la nouvelle culture que nous étions en train d’adopter. Nous avons appris très tôt à être flexibles et créatifs, nous gardant ouverts à ce que l’expérience quotidienne nous présentait. Nous étions convaincus cependant qu’il nous fallait être très clairs sur l’essentiel de la vocation monastique que nous souhaitions partager avec les autres : une vie de foi, fondée sur la Parole de Dieu et guidée par la Règle. Une vie nourrie par l’office divin et vécue dans une communauté forte qui vivait du travail de ses propres mains. Nous sentions que nous avions une graine à semer, appelée « sagesse monastique » et que notre priorité était d’écouter et d’apprendre sur le sol dans lequel cette graine devait être lancée. L’écoute et la volonté d’apprendre étaient des valeurs clés. Avant même de mettre le pied sur le sol zimbabwéen, nous avions commencé à revenir à l’essentiel et à revoir les différents éléments de la règle de saint Benoît. Cette réflexion collective nous a amenés à la conviction que nous devions être une communauté « en formation » pour devenir une communauté capable de former les autres. Pour cette raison, nous avons accordé une grande importance à nous édifier en une véritable communauté de frères, une famille qui non seulement priait ensemble mais qui travaillait ensemble en prenant la responsabilité de la cuisine, du nettoyage, de l’entretien, etc. Nous pensions que c’était notre vie ensemble qui était le plus grand outil d’évangélisation. Nous avons décidé de ne pas accepter de postulants dans notre communauté pendant dix ans, nous laissant le temps d’apprendre la langue, la culture et de construire ensemble une famille dans laquelle d’autres pourraient s’intégrer. Chapelle du monastère Christ the Word, Macheke, Zimbabwe. © AIM. En essayant de devenir une telle communauté, tout en s’adaptant à une culture différente, le climat n’était pas toujours agréable ou confortable. Cela a impliqué du temps, de la tolérance, des erreurs, des malentendus et de la persévérance. Les gens ne deviennent pas nécessairement une communauté simplement parce qu’ils vivent côte à côte dans le même bâtiment. Nous nous rappelions constamment que la dimension communautaire était prioritaire et que de cette base solide découlerait notre apostolat. Penser et réfléchir sur la formation a été un don supplémentaire. À travers notre réflexion nous avons réalisé que nous voulions avant tout transmettre la vie et pas seulement des coutumes. J’ai appris de manière concrète le risque d’inviter les gens à devenir membres d’un groupe plutôt que de conduire les gens dans un cheminement de disciple. Cette réflexion commune était elle-même une formation vitale de la communauté. Finalement, notre document de formation, « Une vie de transformation », est né et, dans un sens réel, toute la communauté s’était approprié cette formation ; nous avons certainement été enrichis par toute cette expérience. La troisième expérience séminale était la relation avec l’Église au sens large et la localité dans laquelle nous vivions. À travers les retraites au monastère et ailleurs, à travers le partage avec nos visiteurs et la confiance que les évêques nous ont témoignée, nous nous sommes sentis partie intégrante de l’Église locale et avons donc beaucoup mieux apprécié les défis et les problèmes auxquels les autres étaient confrontés. C’était également vrai pour les gens des environs. Notre action caritative (aider à financer la scolarisation des enfants, nourrir les familles dans le besoin, un peu d’assistance médicale) que nous pouvions apporter ont permis de renforcer une vraie relation avec la population locale. Les gens de la région connaissaient le monastère et ils connaissaient les frères. Nous faisions partie de leur vie. Un voyage de foi vivant dans un cadre où la foi était vibrante, vivante et croissante était passionnant et plein de défis, mais ce n’était pas sans problèmes. Chaque jour, nous devions faire confiance à Dieu. Ce que j’ai trouvé à mon retour en Europe, c’est une Église qui semble souvent fatiguée et vieillissante. Une Église qui semble ficelée par son infrastructure, qui se donne trop souvent à elle-même sa mission. Une Église où la conversation porte sur la chute des nombres plutôt que sur les possibilités futures. Revenir à un monastère de longue tradition sédentaire, de plus grande taille et confronté à une période de transition n’a pas toujours été simple. Le contraste entre une petite communauté évolutive qui permettait la spontanéité et le sens de la famille et une communauté imprégnée de modes de vie institutionnels m’a demandé d'être patient, humble et sensible. La comparaison n’est jamais utile si elle conduit à privilégier une chose plutôt qu’une autre. J’ai appris à respecter la différence et à la voir comme une opportunité et non comme une menace. J’ai toujours aimé ma communauté, que ce soit au Zimbabwe ou à Ampleforth. En fait, l’une des plus grandes leçons que j’ai apprises est que l’essentiel est la qualité de notre vie ensemble, peu importe où nous nous trouvons. Le témoignage que nous donnons à la foi et le soin que nous nous donnons les uns aux autres sont notre témoignage de l’Évangile de la vie. Mon séjour au Zimbabwe dans un monastère jeune et en plein développement m’a cependant permis de rêver. Je rêve donc d’une famille monastique, pas seulement d’une collection de moines qui vivent dans le même bâtiment. Une famille passionnée par l’Évangile et qui apprécie une rencontre vivante avec Jésus. Disciples de Jésus dont la vie de prière est une porte qui les attire, eux et les autres, dans la grande soif de Dieu et du service du monde. Une communauté de frères qui reconnaît les dons individuels, les besoins et les limites de chacun des membres de sa famille en prenant soin les uns des autres de manière créative et pratique, en travaillant à la construction d’une compréhension et d’une confiance mutuelles. Une communauté où l’amour n’est pas seulement un mot pieux mais une expérience vécue et ressentie. Une communauté où nous travaillons pour créer un sentiment d’appartenance. Conseil de l’AIM à Ampleforth, en novembre 2022. © AIM. Je rêve d’une fraternité monastique accueillante et ouverte aux autres, en particulier à ceux qui sont en quête de foi, de sens et de finalité. Des fils de saint Benoît qui voient dans la pratique fidèle des vœux le premier outil d’évangélisation et qui ont une véritable mission à introduire les autres dans une relation avec le Christ. Une communauté qui est une ressource spirituelle dynamique pour le diocèse et au-delà, et qui cherche des occasions de célébrer la foi avec une diversité de personnes. Une communauté qui veut être sainte et encourager les autres à faire de même. Une communauté qui veut vivre pleinement sa vie. C’est ce que mon expérience dans une fondation m’a apporté : la capacité de rêver à quelque chose de différent ; mon expérience de retour là où ma vocation a commencé, maintenant comme abbé, est de partager humblement ce rêve avec les autres. Sœur Josephine Mary Miller 10 Lire Grandes figures de la vie monastique Sœur Marie-Paule Bart, ocbe Cistercienne Bernardine d’Esquermes Sœur Josephine Mary Miller (1948-2022) Josephine Miller naît le 16 avril 1948 à Exeter, dans le Devon. Alors qu’elle est encore très jeune, ses parents rejoignent la côte Est et s’installent à Southend-on-Sea, en Essex. C’est cette ville, sur l’embouchure de la Tamise, qu’elle considèrera comme sa terre natale. Toute sa vie, elle lui gardera un profond attachement. Trois filles composeront la famille : Josephine est la seconde ; elle a été précédée d’Elizabeth et sera suivie par Anne. Toutes les trois fréquentent St Bernard’s Convent High School à Westcliff-on-Sea. Cette école est tenue par les Cisterciennes Bernardines d’Esquermes. Le premier contact de Josephine avec les Bernardines a eu lieu dès ses quatre ans, lorsqu’elle devient élève à Lindisfarne Preparatory School, petite école primaire également dirigée par les Bernardines. Selon ses dires, c’est très jeune qu’elle a commencé à désirer être religieuse. À 18 ans, en septembre 1966, elle entre au noviciat chez les Bernardines, au monastère Notre-Dame de La Plaine, en France. Expérience fondatrice qu’elle relit ainsi : « Je suis entrée au noviciat en France juste après le Concile alors que l’on commençait à peine à parler d’ aggiornamento , encore moins d’inculturation. Étant anglaise et très jeune, j’étais incapable de discerner ce qui était monastique et cistercien, ce qui était style de vie français, ce qui pouvait et devait changer, j’étais perdue ; avec une maîtresse des novices très sage et très sainte, mais qui avait plus de trois fois mon âge. Nos conversations étaient plutôt brèves ! Et pourtant, le Seigneur a pris les affaires en main ; il m’a fait découvrir les antiennes de l’Avent puis les antiennes “O”, puis les répons des Vigiles de Noël, en latin, et j’étais en route. Mon amour de la liturgie, puis de la Bible, puis de la vie monastique date de cette expérience-là. « À mon avis, ce que je vous ai décrit était une expérience très cistercienne, même si je ne m’en rendais absolument pas compte à ce moment-là. Le Seigneur a pris l’initiative, il a ravivé une foi qui commençait à chanceler, il a donné une première expérience de joie spirituelle, il m’a appris à goûter, à savourer la Parole de Dieu sans négliger l’intelligence, même si celle-ci n’était que le point de départ. C’était une expérience cistercienne : humaine, spirituelle et très simple. »[1] Expérience sur laquelle elle va bâtir toute sa vie, creusant ce sillon patiemment, avec persévérance, en toute simplicité. Effectivement, sœur Josephine Mary aimait la vie monastique qu’elle vivait avec cœur, simplement et authentiquement. Elle aimait la liturgie dont elle se nourrissait quotidiennement : les lectures, les antiennes et les oraisons étaient fermement ancrées dans sa mémoire et façonnaient sa vie quotidienne. Elle participait à cette liturgie communautaire comme chantre (elle était dotée d’une belle voix) et comme responsable. C’est pourquoi elle a joué un rôle déterminant dans le renouvellement de la liturgie des Bernardines anglaises dans les années qui ont suivi le concile Vatican II. Sa foi était profonde et sa vie spirituelle nourrie par sa passion pour les écrits de saint Bernard. Si elle gardait une certaine réserve en communauté, sœur Josephine Mary possédait une autorité morale naturelle, à la fois appréciée et respectée par ses sœurs. Elle portait une grande attention aux personnes, et savait écouter. Aussi, sœurs, oblats, amis, autres supérieurs monastiques, clercs d'autres confessions recherchaient ses conseils, appréciaient son accompagnement et valorisaient son soutien. Elle voulait le meilleur pour chacun, les encourageant dans leur cheminement spirituel et humain. Très douée pour les langues, elle a d’abord enseigné à Saint Bernard’s Convent , Westcliff-on-Sea, puis à Slough, jusqu’à son élection comme Prieure générale en 1990. Grande pédagogue, bon professeur, bon guide, elle savait tirer le meilleur des autres, leur faisant confiance tout en étant exigeante à leur égard. Dès 1978 elle a servi l’Ordre comme maîtresse des novices à Slough de 1978 à 1990, prieure générale de 1990 à 2008 et prieure à Hyning de 2008 à 2020. Comme prieure générale, elle a porté le délicat fardeau de la restructuration en France, suite à la diminution des vocations : fermeture d’un lycée professionnel, retrait de la communauté de Cambrai et passage de l’école sous tutelle diocésaine. En Angleterre aussi, il a fallu accompagner le discernement qui aboutira au retrait de la communauté de St Bernard’s Convent Grammar School à Slough, transférée au diocèse, et à l’implantation d’une communauté à Brownshill dans le Gloucestershire. De même au Japon, la communauté vieillissant, le temps était venu de transmettre les écoles à une autre congrégation, et établir la communauté dans un autre lieu. Plus difficile encore : le souci des communautés de Goma et Buhimba lors des événements de 1994 au Rwanda, puis dans la foulée de ces événements, en 1996, la fuite des sœurs de Buhimba, dont quelques-unes impossibles à localiser pendant de longues semaines, si loin de la Maison générale… Elle a aussi accompagné, soutenu la recherche d’un nouveau lieu en Afrique et la fondation du monastère Notre-Dame de Bafor, au Burkina Faso. En fin de mandat, elle a accueilli le désir des sœurs du Japon : que l’Ordre fonde un autre monastère en Asie pour que le charisme des Cisterciennes Bernardines demeure sur ce continent et que le monastère du Japon, en disparaissant, donne encore vie à un nouveau germe. C’est la Prieure générale suivante qui le mettra totalement en œuvre. Sœur Josephine Mary écrivait, en relisant ces années : « Elles ont été une période très mouvementée… Notre foi et notre espérance ont été mises à l’épreuve, parfois très rude, et nous avons la quasi-certitude que cela va continuer ainsi… Nous avons à chercher, à découvrir progressivement et ensemble les chemins que nous aurons à prendre. Nous pourrions facilement baisser les bras et nous décourager ; il me semble que le Seigneur nous invite plutôt à tenir bon, à prier davantage, à purifier notre foi, à faire confiance, à construire ensemble quelque chose de très modeste mais qui soit authentique »[2]. Les différents services qui lui ont été demandés, d’abord en communauté et dans l’Ordre, ensuite à l’extérieur, au-delà des frontières, lui ont permis de partager largement et fraternellement les fruits de son expérience au monde monastique : intervenante lors de conférences et de sessions, animatrice de discernement communautaire, accompagnatrice au cours de nombreuses visites régulières tant chez les Cisterciens que chez les Bénédictins, membre de plusieurs « commissions d’aide », conférencière à la session des formateurs OSB et cisterciens à Rome, dix ans au Conseil de l’AIM, dont cinq ans au Comité exécutif… Pour elle, les communautés devaient vivre ouvertes sur le diocèse, l’Église universelle, attentives aux transformations du monde : femme de foi, bien enracinée dans le Christ, elle regardait lucidement les changements de notre époque, sans défaitisme. Voici ce qu’elle disait en 2003 aux supérieurs monastiques de la Région des Iles : « Cette situation en pleine évolution qui nous semble menaçante est, en fait, une grande grâce[3] , si seulement nous avons suffisamment de foi pour la regarder de cette façon. Nous sommes obligés de redéfinir nos priorités et de nous demander comment, concrètement, nous allons mettre notre recherche de Dieu à la première place dans nos vies quotidiennes. « En d'autres termes, ce serait reconnaître que, à travers ce que nous expérimentons comme “amoindrissements”, Dieu nous invite à rendre compte de façon plus explicite des valeurs du Royaume, valeurs que notre monde a besoin de voir. »[4] Après dix-huit ans de priorat général, elle a été nommée prieure de Hyning, en Angleterre. Là, elle a continué le même genre de services : responsable de la Commission chargée de la révision des Constitutions de l’Ordre, présidente de l’Union des supérieurs monastiques du Royaume-Uni et d’Irlande (UMS), accompagnatrice de plusieurs communautés en chemin de discernement d’un nouvel avenir, visiteur apostolique d’une communauté belge, etc. En 2018, alors qu’elle était encore prieure, comme toujours bien active au service de sa communauté, de l’Ordre et de l’Église, un cancer lui a été diagnostiqué. D’emblée, on lui a précisé qu’il n’était pas guérissable. Elle l’a affronté avec lucidité ses quatre dernières années de vie. Courageuse et solidement appuyée sur le Seigneur lorsqu’elle portait de lourdes responsabilités, elle a été la même durant la maladie. Sa forte foi en la Résurrection et une acceptation paisible de la volonté de Dieu au long de sa vie l’ont aidée dans les dernières semaines. Sa riche et forte personnalité s’est adoucie, simplifiée durant son dernier priorat, point culminant d'une vie donnée si généreusement à l’école du service du Seigneur. Elle est morte paisiblement le 16 février 2022 à l’hospice St John, à Lancaster, prête à rencontrer le Seigneur qu'elle avait aimé, désiré et servi si fidèlement. [1] Conférence donnée en mai 2000 à Lérins sur le thème de « La formation ». [2] Introduction du Rapport fait au Chapitre en 2002. [3] C’est nous qui soulignons. [4] « Chaos et paix » Conférence donnée à la réunion des supérieurs monastiques de la Région des Iles Hawkstone Hall – Angleterre, Octobre 2003. Le Bienheureux dom Columba Marmion 11 Lire Grandes figures de la vie monastique Père Réginald-Ferdinand Poswick, osb Abbaye de Maredsous. Vice-postulateur de la Cause du Bienheureux Le Bienheureux dom Columba Marmion (1858-1923) La communauté bénédictine de Maredsous a eu le privilège d’avoir, parmi ses membres, son 3e abbé (1909-1923) reconnu comme « bienheureux » par l’Église universelle lors du grand Jubilé de l’an 2000. Joseph Marmion, Irlandais né à Dublin en 1858, fut d’abord prêtre du diocèse de Dublin après de brillantes études théologiques à Rome. Attiré vers le monastère de Maredsous par un de ses compagnons d’études belge, il est séduit par ce monastère qui concrétise le renouveau catholique de cette fin du 19e siècle. Il entre à Maredsous en 1886. Dès 1899, il est envoyé pour renforcer l’équipe des fondateurs de l’abbaye du Mont-César à Louvain (Leuven). Il y développe ses dons de prédicateur et de directeur spirituel, devenant, notamment, le confesseur, confident et ami de celui qui allait devenir le cardinal Mercier, Primat de Belgique. Comme abbé de Maredsous (élu en septembre 1909), il devra gérer avec prudence tous les problèmes d’un grand monastère en pleine expansion. Dès 1917, on publie une version écrite de ses conférences spirituelles sous le titre Le Christ, vie de l’âme . Ce recueil sera suivi de deux autres : Le Christ dans ses mystères et Le Christ, idéal du moine . Ces écrits auront une influence considérable sur la formation spirituelle des séminaristes, du clergé, des religieux, des religieuses et des laïcs engagés, grâce à une présentation de la foi chrétienne centrée sur la personne de Jésus Christ et bien ancrée dans les Saintes Écritures. Le cœur de son message : faire mieux prendre conscience que le baptisé peut devenir, tout de suite et réellement, enfant (fils ou fille) de Dieu en Jésus Christ. Après la guerre de 1914-18, il créera, avec l’abbaye du Mont-César (Louvain) et l’abbaye de Saint-André (Bruges), la congrégation bénédictine belge de l’Annonciation, par distinction de la congrégation allemande de Beuron qui avait fondé Maredsous (1920-1922). Dom Marmion présidera les célébrations du cinquantenaire de la fondation de Maredsous le 15 octobre 1922. Mais il mourra, lors d’une épidémie grippale, le 30 janvier 1923. Son procès de béatification s’ouvre au diocèse de Namur en 1957. Son corps est transféré du cimetière monastique dans une des chapelles latérales de la basilique abbatiale en 1963. C’est lors d’une visite à cette tombe en 1965 qu’une dame américaine aura la faveur miraculeuse de la guérison d’un cancer. La béatification de dom Columba Marmion par le pape Jean-Paul II a lieu à Rome le 3 septembre 2000. La célébration liturgique de sa fête est fixée par Rome au 3 octobre. Des pèlerins de plus en plus nombreux viennent l’invoquer sur sa tombe, ou le prient un peu partout sur la planète. Une publication annuelle ( Le Courrier du Bienheureux dom Columba Marmion ) tient les personnes qui le souhaitent au courant des informations, des publications et des événements autour de cette personnalité désormais proposée au culte public de l’Église catholique. EXTRAITS Le Christ, Vie de l’âme « Je vous enverrai l’Esprit Saint », nous a promis Jésus ; « Lui-même vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 26). L’Esprit de Vérité nous « rappelle les paroles » de Jésus. Qu'est-ce que cela signifie ? Quand nous contemplons les actions du Christ Jésus, ses mystères, il arrive qu’un jour telle parole, que nous avons maintes fois lue et relue sans qu’elle nous ait particulièrement frappés, prend tout à coup un relief surnaturel que nous ne lui connaissons pas auparavant. Cette parole divine, l’Esprit Saint, que la liturgie appelle « le doigt de Dieu », la grave, la burine dans l’âme ; elle y demeure toujours pour être une lumière et un principe d’action ; si l’âme est humble et attentive, cette parole divine y fait son œuvre, silencieuse mais féconde. La source de la paix intérieure Je désire beaucoup que vous puissiez acquérir le calme et la paix. Le meilleur moyen d'acquérir ce calme est une résignation absolue à la sainte Volonté de Dieu : c’est là la région de la paix... Tâchez de ne rien désirer, de n’attacher votre cœur à rien sans l’avoir auparavant présenté à Dieu et placé dans le Sacré Cœur de Jésus, afin de le vouloir en Lui et avec Lui. Une des principales raisons pour lesquelles nous perdons la paix de l’âme est que nous désirons quelque chose, que nous attachons notre cœur à quelque objet, sans savoir si Dieu le veut ou non ; et alors, quand un obstacle s’oppose à nos désirs, nous nous troublons, nous sortons de la conformité à la sainte Volonté, et nous perdons la paix. Quand nous sommes fidèles à consacrer chaque jour un temps plus ou moins long, suivant nos aptitudes et nos devoirs d’état, à nous entretenir avec notre Père céleste, à recueillir ces inspirations et à écouter ces « rappels » de l’Esprit, alors les paroles du Christ, les Verba Verbi (les paroles de Celui qui est Parole), comme les nomme saint Augustin, vont se multipliant, inondant l’âme de Lumière divine, et ouvrant en elle, pour qu’elle puisse toujours s’y abreuver, des sources de Vie. Ainsi se réalise la promesse du Christ Jésus : « Si quelqu'un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive ; celui qui croit en moi, de son sein couleront des sources d’Eau Vive ». Et, ajoute saint Jean, « Il disait cela de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croient en Lui » (Jn 7, 37-38). Histoire et patrimoine 12 Lire Histoire et patrimoine Sœur Hanne-Maria Berentzen, ocso Monastère de Tautra (Norvège) Le monastère de Tautra, Mariakloster : des anciennes ruines au monastère moderne « Bon retour », ont déclaré les habitants de la ville lorsque nous sommes arrivées sur l’ancienne île monastique de Tautra en février 1999 pour fonder le premier monastère cistercien de Norvège depuis la Réforme en 1537. « Nous ne savons pas ce qu’est un monastère, mais s’il doit exister, il doit être ici », a déclaré le maire de notre ville lorsqu’en 1992 il a entendu parler d’un groupe de soutien pour un futur monastère cistercien en Norvège, priant chaque jour à 18 heures pour sa réalisation. Sœur Ina Andresen, ocso, de Notre-Dame de la Coudre, à Laval (France), avait passé un an en Norvège, se sentant appelée à ramener la vie cistercienne dans son pays d’origine. Lors d’une courte retraite pour la solennité de saint Olav, le saint national de la Norvège, le 29 juillet 1991, elle a partagé sa vision quand plusieurs personnes se sont demandées comment elle avait été autorisée à quitter sa vie cloîtrée pour cette occasion. Tout le monde a répondu avec le désir de prier chaque soir à 18 heures pour une fondation cistercienne dans le futur, si Dieu le veut. L’année suivante, pour la solennité de saint Olav, le nouveau roi et la reine sont venus dans notre ville Frosta pour commencer leur deuxième moitié de voyage sur la côte, saluant les gens (Frosta était le centre de l’une de nos plus anciennes assemblées législatives, depuis au moins le 8e siècle). Le maire devait prononcer le discours et, en ouvrant le journal ce matin-là, il vit les gros titres : « Un nouveau monastère à Tautra ». Pas de grande nouvelle, juste le choix du site par une étudiante architecte pour son travail de diplôme. Mais dans notre région, c’était un succès. Un nouveau monastère sur Tautra ? Vraiment ? Le journal a cité la dirigeante du groupe de soutien priant pour un monastère : « Nous ne savons pas ce qu’est un monastère, nous prions simplement pour qu’il soit un jour », a-t-elle déclaré. Cela suffisait au maire. Quelques mois plus tard, sœur Ina est venue vivre dans une ancienne ferme, à côté des ruines du monastère cistercien de Tautra fondé en 1207 à Lyse, près de Bergen (Lyse était une fondation de Fountains en Angleterre, à partir de 1146). L’été suivant, sœur Marjoe Backhus, de l’abbaye Notre-Dame du Mississippi, Dubuque, Iowa (USA), est venue la rejoindre. Leur petite expérience monastique s’est terminée un an plus tard lorsque sœur Ina est tombée malade. Mais une graine avait été semée. Le groupe de soutien comptait maintenant quelques centaines de membres qui continuaient à prier. L’abbesse de Marjoe, Mère Gail Fitzpatrick, avait visité Tautra et croyait que Dieu voulait quelque chose en Norvège. Avant que sa communauté ne vote à l’unanimité en 1998 pour une fondation en Norvège, le Conseil municipal de Frosta décida à l’unanimité également de soutenir les religieuses si elles revenaient dans leur ville. Avec leur aide, nous avons acheté la propriété avec de petites fermes sur cette île, au milieu du large fjord de Trondheim, à vingt minutes à pied des ruines médiévales, soutenues à la fois par l’évêque catholique et l’évêque luthérien de Trondheim. Vue d’ensemble du monastère de Tautra. Nous étions sept fondatrices, cinq de la Maison mère de Dubuque. Sœur Ina, de Laval, et moi, également norvégienne de naissance, de Mount St. Mary’s Abbey , Wrentham (USA). Mère Gail nous a demandé d’attendre un an avant de choisir un architecte et de commencer le processus de construction. C’était important. Vivre dans des maisons norvégiennes traditionnelles en bois nous a fait comprendre à toutes que nous ne voulions pas construire en brique ou en béton, mais en bois – et en pierre, si possible. Les belles pierres roses que nous avons vues dans les murs des ruines étaient trop chères. Après avoir travaillé avec trois architectes pendant plusieurs années, Jan Olav Jensen, qui a conçu le monastère, a choisi de recouvrir la façade d’ardoise, ce que nous pouvions nous permettre : un monastère en bois avec une façade en ardoise. Sept années entassées dans les vieilles maisons ont été difficiles à vivre, mais ont fait de nous une seule communauté. Traverser la cour entre les maisons pour chaque bureau tout au long de la journée nous a fait découvrir le climat et les vents forts de l’île. Lorsque notre architecte a proposé onze jardins intérieurs dans le monastère, nous avons pensé que c’était une excellente idée. L’économie a réduit le projet à sept, donnant plus de lumière dans la maison et nous gardant connectées. Travaillant seule dans la cuisine ou la roberie, vous pouvez regarder à travers le jardin et voir d’autres sœurs sur leur lieu de travail. Nous avons longuement travaillé pour nous mettre d'accord sur une proposition de conception de l’église. Encore et encore, nous avons dit : « Non, pas ce projet ». Jusqu’à ce que l’architecte propose une église dont la forme était proche de celle des granges de nos voisins, mais avec une verrière sur poutres croisées, donnant des ombres en damier. Et nous avons dit : « Oui ». Notre chef de projet nous a prévenues qu’il ferait froid l’hiver et chaud l’été. Mais nous avons quand même dit oui. Nous voulions que l’église se démarque clairement, qu’elle soit un phare sur cette île plate. Avec le toit en verre, il reflète les nombreuses serres de notre ville, comme une serre spirituelle. Surtout pendant les mois d’hiver les plus sombres, le jeu de la lumière à travers les poutres nous rappelle l’architecture cistercienne médiévale. Intérieur de l’église des sœurs, en bois et verre. La reine Sonja de Norvège s’était intéressée à notre fondation et est venue poser la première pierre en mai 2003. « Savez-vous pourquoi je suis ici aujourd’hui ? » a demandé l’une de nos amies du groupe de soutien. « Nous étions six femmes réunies en août 1991, se demandant quoi faire en tant que groupe de soutien. Quelqu’un a dit : “Ils auront certainement besoin d’argent”. Nous avons donc déposé chacune dix couronnes norvégiennes sur la table et ouvert un compte bancaire ». La reine est revenue pour la consécration de notre église en 2007. Son soutien et la bonne volonté des voisins et des gens, de près et de loin, ainsi que de nos fidèles amis du groupe de soutien, ont été importants pour s’enraciner dans cette ville et ce pays. Lorsque nous sommes devenues autonomes et que six d’entre nous ont changé leur stabilité pour Tautra, sœur Ina découvrit que sa vocation était de retourner à Laval. Une des fondatrices était revenue à la Maison mère auparavant, et au fil des ans, elles avaient envoyé deux autres sœurs nous rejoindre. Trois de celles qui sont entrées à Tautra ont fait leur profession solennelle, et notre actuelle prieure, sœur Brigitte Pinot, de France, a changé sa stabilité pour Tautra en 2017 ; nous sommes donc maintenant onze sœurs professes solennelles de six pays différents. Sept autres femmes de sept pays différents sont entrées, mais n’ont pas persévéré. Grâce au temps qu’elles ont passé avec nous, elles ont grandement contribué à ce que nous sommes aujourd’hui et, espérons-le, nous ont ouvert davantage à une société multiculturelle. En comptant notre postulante, nous venons de sept pays différents. À un moment où nous étions douze dans la communauté et que quatre femmes demandaient à étudier leur vocation, sœur Gilchrist Lavigne, qui était la prieure à l’époque, a réalisé que notre monastère conçu pour 16-18 sœurs n’était pas assez grand. Lorsque nous avons construit le monastère, nous avons reçu une aide enthousiaste à la fois de notre Ordre, de la collecte de fonds de nos sœurs de la Maison mère, et surtout de plusieurs donateurs catholiques allemands, Bonifatiuswerk étant le plus important d’entre eux, et nous avons pu terminer la construction sans contracter aucun emprunt. Lorsque l’idée d’un ajout pour une infirmerie et quelques cellules supplémentaires a surgi, nos conseillers financiers ont dit qu’il était très difficile de trouver des fonds pour cela. Nous avons prié comme avant et avons fait confiance à Dieu qui nous aiderait si c’était ce que nous devions faire. En janvier 2021, nous avons commencé le nouveau bâtiment creusé dans le sol de la colline vers le fjord, avec un toit en herbe gardant notre pelouse et la belle vue sur le fjord et les collines à travers. Et il fut entièrement financé. L’architecte Runa Bjerke a soigneusement réalisé cette nouvelle aile adaptée à la partie la plus ancienne du monastère, mais clairement nouvelle et différente, avec une façade en bois de kebony. Alors que Jan Olav Jensen avait choisi des couloirs longs et étroits reliant les différentes pièces, Runa Bjerke a créé des couloirs larges et courts avec un plafond très haut et des puits de lumière. Cela donnait une idée de l’espace dans ce petit ajout de quatre chambres d’infirmerie (selon les normes des maisons de retraite), dispensaire, chapelle, quatre cellules ordinaires, un salon tel que nous n’en avions jamais eu auparavant, avec une petite kitchenette, une buanderie, une salle d’exercice et – ce dont on n’a jamais assez – de l’espace de rangement ! Il est intéressant de voir comment cette nouvelle aile a changé la vie de la communauté. Dans une petite communauté, nous n’avons pas beaucoup de travail en commun ; pourtant ce genre d’activité est normalement un bon moyen de mieux se connaître. Dès le début, nous avons compris que nous devions tendre la main à nos visiteurs, les inviter au café après la messe dominicale, et que nous-mêmes, en tant que communauté, aurions un café commun avec eux à l’église, les solennités et le jour de la fête des sœurs. Notre réfectoire est long et étroit, car nous voulons toutes nous asseoir face au fjord, aimant cette vue extraordinaire et changeante. Lorsque nous avions nos pauses café debout, il était difficile de se rassembler en une seule conversation. Pour le nouveau salon, nous avons hérité d’un canapé de six places et d’une table. C’est maintenant là que nous nous réunissons pour le café après la messe, tout le monde inclus dans le cercle et tout le monde prenant part à la conversation. Dès la première année de notre fondation, notre production de savon, élargie par la suite à d’autres produits pour la peau, a couvert une grande partie de nos dépenses. Les ventes par internet nous ont aidés à traverser la période Covid sans pertes dangereuses, bien que la maison d’hôtes ait été fermée par périodes. Au cours des dix-huit dernières années, nous avons eu des volontaires du monde entier vivant dans notre maison d’hôtes pendant quelques mois, nous apportant une aide précieuse dans notre travail. Une de nos sœurs les accompagne tout au long de leur séjour, et elles sont profondément reconnaissantes de ce temps passé en milieu monastique. Le volontariat nous a aussi donné des vocations. Notre aumônier, le père Anthony, de Roscrea (Irlande), a fait un beau potager, nous fournissant des légumes frais toute l’année. Nous chérissons également le verger et les nombreux arbustes à baies de la propriété. La beauté de notre monastère et l’interaction avec la beauté qui nous entoure est une source quotidienne de joie et d’encouragement, et nous sommes heureux de partager cela avec nos bénévoles, invités et visiteurs. Peu d’églises, dans la Norvège dominée par les luthériens, sont ouvertes, sauf pour les offices, et beaucoup sont reconnaissants de trouver une église ouverte de 4 heures du matin à 8 heures du soir. À tel point que notre Conseil municipal, en 2011, a élu le monastère comme la chose la plus importante qui soit arrivée dans notre municipalité depuis la Seconde Guerre mondiale. Et leur raison invoquée était principalement que l’église est toujours ouverte aux visiteurs pour venir prier. Nous sommes reconnaissantes de voir combien de personnes viennent partager notre liturgie et utilisent l’église pour la prière silencieuse tout au long de la journée. Homélie pour la Mémoire de saint Aelred 13 Lire Méditation Homélie pour la Mémoire de saint Aelred à l’abbaye d’Ampleforth Père Henry Wansbrough, moine d’Ampleforth (Royaume-Uni) Aujourd’hui, nous célébrons la Mémoire de saint Aelred. Nous avons tous, je suppose, une affection particulière pour Aelred à cause de Rievaulx que nous connaissons si bien. Sa plus grande réalisation architecturale est la salle capitulaire de Rievaulx où l’on peut l’imaginer prononçant ses homélies tant appréciées. Je veux donc dire quelques mots sur le travail qui est souvent considéré comme sa réalisation écrite spéciale, « De l’amitié spirituelle ». Au tout début de son œuvre, Aelred admet qu’il est fortement dépendant du traité de Cicéron sur l’amitié adressé à Hortensius, mais l’œuvre d’Aelred est spécifiquement chrétienne. Il commence : « Nous y sommes, vous et moi, et j'espère qu'un troisième, le Christ, est parmi nous », et on sent la présence du Christ tout au long du livre. Il y a des différences fascinantes avec Cicéron – ou en fait avec n’importe quel dialogue ancien que j’ai lu – en ce que l’interlocuteur, le partenaire de dialogue n’est pas fait pour passer pour un imbécile que le chef corrige, ce qui est la norme dans les dialogues de Platon sur Socrate : Ivo, dans le premier dialogue, Walter (plus tard son biographe) et Gratien dans les deuxième et troisième respectivement, ont leurs propres bons points à faire valoir. On sent que le Christ est vraiment présent partout, regardant par-dessus l’épaule d’Aelred. Il y a bien des touches d’humour chaleureux et amical (2. 17 ou 3. 1), mais surtout une merveilleuse douceur dans tout le livre, et une appréciation non seulement de la Bible, de Cicéron et d’Augustin, qu’il lit depuis sa jeunesse, mais de d’autres avis aussi. Il insiste constamment sur le fait que le véritable amour humain est une image de l’amour éternel de Dieu. Il va même jusqu’à adapter le « Dieu est amour » de saint Jean en « Dieu est amitié ». Il pense par lui-même ; il ajuste donc la déclaration de Cicéron selon laquelle les amis doivent être d’accord sur toutes les questions, en supprimant le « tout » : il est important que les amis soient d’accord, mais pas nécessairement sur toutes les questions. Il n’y a pas de peur de l’amitié comme il y a dans tant d’écritures monastiques une peur de « l’amitié particulière », et en effet on sent que pour Aelred, l’amitié est une partie vitale de la vie monastique. Il dit : « Un homme doit être comparé à une bête s’il n’a personne avec qui se réjouir dans l’adversité, personne à qui décharger son esprit si une gêne croise son chemin ou avec qui partager une inspiration exceptionnellement sublime ou éclairante. » Il appelle l’amitié « la médecine de la vie » (comme Ben Sira 6, 16 – et une série de citations en 3. 14), et considère qu’elle améliorerait de nombreux aspects du comportement fraternel : « Qu’y a-t-il donc de plus agréable que d’unir à soi l’esprit de l’autre, et de deux pour n’en former qu’un, qu’aucune vantardise n’est ensuite à craindre, aucun soupçon à redouter, aucune correction de l’un par l’autre pour causer de la douleur, aucune louange de la part de l’un pour porter une accusation d’adulation de la part de l’autre ? » (2. 12). Aelred résume ainsi les avantages spirituels de l’amitié, « un homme, étant l’ami de son prochain devient l’ami de Dieu ». Il y a trois sortes de baisers, le baiser corporel par l’impression des lèvres, le baiser spirituel par l’union des esprits, et le baiser du Christ quand « l’âme prend plaisir au baiser du Christ seul et se repose dans son étreinte » (2. 27). J’espère qu’on me pardonnera d’avoir tant cité Aelred, même le jour de sa fête, mais la chaleur et la sagesse de sa conversation sur l’amitié augmentent l’admiration pour lui et rapprochent le lecteur de Dieu. Abbaye de saint Aelred, Rievaulx. © AIM. Compte rendu sur la session Ananie 2022 14 Lire Nouvelles Compte rendu sur la session Ananie 2022 à partir des chroniques d’Ananie (cf. site web des bénédictines de Vanves) Du 7 septembre 2022 (arrivée) au 1er décembre (départ), s’est déroulée Ananie IV. La session avait été prévue pour 2021, mais la situation sanitaire en avait nécessité le report. Nous sommes touchés de constater que ces sessions sont désormais connues et rendent service aux communautés : les retours que nous avons sont très positifs. L’épisode Ananie IV, très attendu, fut une grande réussite : les bilans, tant des participants que des membres du Bureau, le montrent avec évidence. Les participants sont appelés à créer entre eux une vraie fraternité durant leurs trois mois de vie commune : c’est la base nécessaire pour tout ce qui sera vécu. Les sessions sont de vie, et pas seulement d’information. Cette année, dès les premiers jours, traditionnellement consacrés aux présentations, le groupe s’est soudé rapidement : le fait que beaucoup arrivaient, chargés des difficultés, parfois lourdes, liées à leurs communautés, leurs pays… n’est sans aucun doute pas étranger à la qualité de l’esprit fraternel, très fort durant les trois mois. L’accueil dans les monastères est choisi dans un double but : garder un cadre monastique durant ces trois mois et permettre de découvrir différents visages de la vie monastique en Europe. Les Ananistes sont allés d’abord à la Pierre-qui-Vire (c’est devenu une habitude de commencer avec nos frères du Morvan, qu’il n’est pas inutile de remercier ici encore), puis à Pradines, Tamié et Aiguebelle. Lors du bilan, les frères et sœurs ont unanimement regretté que l’alternance habituelle (monastères de moines/moniales, bénédictins/cisterciens) n’ait pu être respectée. Une série de contingences l’a empêchée. L’accueil de chaque communauté a grandement compensé ce regret. Un mot du programme : au fil des sessions, il s’affine. Les piliers restent les mêmes : - Vie monastique et Évangile (le disciple du Christ vit avec la Parole). - La liturgie, expérience monastique. - Saint Benoît. - Histoire du monachisme. - Accompagnement spirituel. - Développement humain. Psychologie et vie spirituelle, etc. - Vie communautaire. - Pour conclure : reprise des fondamentaux monastiques. De plus, le souci d’une réflexion sur l’écologie intégrale a coloré ces mois. Les intervenants sont surtout des moines et moniales ; depuis le début (2013), quelques professeurs laïques, pas toujours les mêmes, participent à la formation. Quant à l’accompagnement du groupe, frère Cyprien, de la Pierre-qui-Vire, l’a assuré cette année encore ; pour la prochaine édition Ananie, nous réfléchissons à un binôme moine/moniale, demandé avec sagesse par nos Ananistes eux-mêmes. La participation du pasteur Pierre-Yves Brandt, qui intervient trois fois au cours de la session, a de nouveau été appréciée. « Il nous apprend à transmettre et à être libre en appuyant nos choix sur la Parole. » Extraits des chroniques La session Ananie 2022, quatrième édition (après 2013, 2015, 2018) a eu lieu du 8 septembre au 29 novembre 2022. Elle s’est déroulée en quatre abbayes : La Pierre-Qui-Vire ; Pradines, Tamié et Aiguebelle, sous la responsabilité ordinaire de frère Cyprien (PQV), sœur Marie (Martigné) et Mère Scholastique (Pradines). Elle a accueilli 24 participants (Ananistes) (16 moniales, 8 moines) : de divers pays (Afrique du sud 1, Bénin 3, Burundi 2, Burkina Faso 2, Côte d’Ivoire 1, Madagascar 4, Rwanda 1, Vietnam 4, France 6). Le frère Albéric (Maromby, Madagascar) qui aurait dû participer à cette session est décédé le 21 août dernier. Sœur Elisabeth-Marie, clarisse, s’est jointe au groupe. La Pierre-qui-Vire (8–29 septembre 2022) Chacun a apporté des productions de son monastère : cartes, porte-clés, dizainiers, foulards ou petites trousses, miel, liqueur (de la montagne d’Ambre, framboise de Madagascar), gari, mangues ou bananes séchées, galettes aux graines de sésame, cacahuètes, batik de sœur Beata Winkler…. Couleurs locales assurées ! Abbaye de la Pierre-qui-Vire, commencement de la session. Les attentes étaient variées, elles suscitaient l’enthousiasme au-delà des charges et fardeaux portés par chacun. Au début de la session, la projection du documentaire sur les « 40 martyrs de la fraternité » de Buta (Burundi), en raison de la présence de deux frères du Burundi, fut saisissante et fut suivie d’un partage fort. Dans chaque monastère, des temps de détente (musique, danse, visites de Vézelay, Cluny, Taizé, Autun, Paray-le-Monial, Hautecombe…, projection de films) et de partages ont été préparés, et ont réjoui et enrichi tous les participants. Comme aussi la vie commune du groupe, qui est un des éléments de la formation. Mais bien sûr, ce sont les exposés et les groupes de travail qui ont eu la plus grande importance. Sœur Marie (Martigné) a présenté les Pères de Cappadoce, sur les traces de Basile le Grand, pour aider à comprendre ce que veut dire « plaire à Dieu » : terme important s’il en fut dans la vie monastique pour tous mais spécialement pour ceux qui en sont au commencement et pour ceux qui sont en charge de la formation dans leur communauté. Puis le frère Patrick (PqV) balaya la panoplie d’outils bibliographiques pour se former en liturgie et débuta par : Qu’est-ce que la liturgie pour moi ? Les réponses riches des participants recueillaient bien des trésors. En lisant des passages d’articles de la PGMR (Présentation Générale du Missel Romain), cela a permis de percevoir que la liturgie est une « épiphanie de l’Église en prière » (pape Jean-Paul II), ou en se référant au tympan de Vézelay où la tête du Christ se trouve dans une échancrure : « Notre tête, le Christ, est déjà dans les cieux, en attendant que le corps y passe tout entier » (saint Léon le Grand, SC 62). C’est ensuite au tour de Pierre-Yves Brandt, pasteur protestant réformé, de donner quelques enseignements. À partir des Institutions cénobitiques de Cassien, comparées au chapitre 58 de la règle de saint Benoît, ou à partir de situations concrètes, il a été question de : l’accueil réservé au nouveau-venu pour affermir son désir et préserver sa liberté, être obéissant : avoir pour repère le regard de Dieu sur chacun et chercher à construire tant la personne que la communauté, ou encore : susciter une véritable autonomie de décision. Il pointa invariablement comment, dans la RB, l’adaptation à la diversité des personnes n'est pas une option mais offre un cadre d’apprentissage et de processus de transmission à la fois sécurisant et responsable. « Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient » (proverbe africain). Frère Jean-Louis (PqV) commença par évoquer la légitimité de l’étude de l’histoire du monachisme et en parcourut des aspects majeurs. Le Père Abbé Luc (PqV) guida le groupe sur la route de la lectio, chemin de vie, de joie… et chemin ardu comportant ses écueils, et ses balises. La Parole saisit la vie tout entière du disciple. Par la rumination savoureuse s’établit une relation de cœur à cœur. « Là où est notre trésor, là est notre cœur » (Mt 6, 21). « Les fruits de demain sont dans les plants d’aujourd’hui » (proverbe africain). La sortie prévue pour cette étape a fait découvrir Taizé aux Ananistes : frère Alois prit son temps pour les recevoir dans la chambre même de frère Roger. Tout au long des deux jours, le groupe participa aux célébrations de la vénération de la Croix le vendredi soir, de la lumière de la Résurrection le samedi soir, et de la messe de Pâques. L’esprit prophétique de frère Roger, le souci de simplification de la liturgie pour « élargir », accueillir tous les jeunes et moins jeunes, là où ils en sont, se perpétue depuis 1957-58. Pradines (29 septembre – 20 octobre 2022) Mère Pierre-Marie, abbesse de Pradines, parla de la désappropriation dans l’Écriture Sainte et la Tradition : la pauvreté monastique dans la mise en commun et le travail. Elle a approfondit la question de la « sobriété heureuse » selon Cassien, le pape François et la RB. Frère Bruno, d’Acey, montra comment s’approprier les outils nécessaires pour aborder un texte et naviguer dans le monde numérique. Il assura que cela n’éloigne pas de la vie spirituelle, en s’appuyant sur des auteurs variés. Mère Hannah, du prieuré de Loppem (Belgique), lança la question de la relation que chacun entretient avec la RB. Elle proposa une étude claire, ordonnée, vécue, vivante et interactive. Et en la confrontant à la règle du Maître et aux Écritures, comment entendre à nouveau : « Choisis la vie » (Dt 30, 19). L’exégèse de RB 72 oriente le regard vers le respect mutuel, la patience, la « conversatio », vue comme « un processus dynamique qui implique la disponibilité à se convertir continuellement ». Cela comprend toutes les phases et tous les aspects concrets de la vie monastique où seule l’humilité permet d’accueillir la grâce donnée à tout instant. Une visite à l’Institut des Sources Chrétiennes, qui fête son 80e anniversaire, a permis aux participants de découvrir cette réalité : Laurence Mellerin leur a fait découvrir l’histoire et l’actualité de l’Institut. Marie-Laure Chaieb a poursuivit avec une présentation de saint Irénée de Lyon, déclaré Docteur de l’unité le 21 janvier 2022 par le pape François. Sœur David et sœur Bertille-Pacôme sont intervenues sur : « Comment transmettre au novice sans chavirer et boire la tasse avec lui ? ». Le maître des novices se tient sur la berge, il tient ferme, encourage avec sollicitude, conscient de sa propre faiblesse et confiant dans l’agir divin et la grâce de l’Esprit. En communauté, « le chemin de Dieu passe par la mer » mais nul n’en connaît la trace (Ps 76) et chaque être est unique. Sœur Maria-Jose Arandia et frère Jean-Chrysostome ont abordé le thème de l’inculturation de la foi. « Toute culture est appelée à un passage de mort et de résurrection dans le Christ » qui, par son incarnation, s’incultura le premier. Aucune culture n’épuise à elle seule le mystère de la Rédemption ( Evangelii Gaudium 118). Toute culture évolue et est appelée à être transfigurée jusqu’à devenir « apéritif du ciel » ! selon l’expression de frère Jean-Chrysostome. Mère Marie-Madeleine consacra son intervention à l’accompagnement spirituel : toujours repartir du Christ, dans la liberté et la confiance. Premier accompagnateur, Dieu s’est incarné, englobant toute notre vie dans une marche dynamique de retournement. Tout accompagnement s’inscrit dans le mystère pascal. Dieu nous rejoint par des médiations : sa Parole, la RB, la communauté et l’abbé… les anges Gabriel, Raphaël, icônes de l’accompagnement. Tamié (20 octobre - 9 novembre 2022) Julie Saint-Bris, sœur Siong et frère Michael Davide, de Novalesa, ont introduit les participants dans les profondeurs de la persona, du moi, de l’ombre (inconscient) et du soi. Accueillir les émotions, en prendre conscience, discerner le besoin sous-jacent et reconnaître les différents mécanismes de défense. La conversion consiste à renoncer à la perfection pour être en vérité. « Soyez parfaits » (en grec : « Soyez complets ») signifie que nous avons à incarner notre vie spirituelle. Que dire du bonheur de la vie monastique ? Il est dans la solitude partagée en communauté, dans des relations chastes, dans l’espérance d’une plénitude de vie. Ceci passe par le renoncement pour recevoir le centuple, que nous ne pouvons ni contrôler ni imaginer. Plusieurs termes ont été clarifiés : fonction maternelle et paternelle ; initiation et formation ; emprise, abus ; pouvoir et service de l’autorité (du latin augere : faire grandir) ; immortalité et éternité… Dans la confiance que Dieu est notre Accompagnateur permanent par son Esprit, qui seul vient combler notre incomplétude. Visite de l’église de l’abbaye de Tamié avec le Père Abbé Ginepro. À partir de sa vaste expérience, le père Victor, abbé émérite de Tamié, a évoqué ce qui construit ou divise une communauté. Frère Didier a partagé ensuite la vie et l’œuvre de frère Christophe, Bienheureux martyr de Tibhirine, dont il était particulièrement proche. Père Abbé Luc (PqV) a proposé de suivre Évagre le Pontique (346-399) : frère aîné dans la foi qui participa en 381, avec Grégoire de Nazianze, au concile de Nicée-Constantinople et transmit, par son labeur de copiste, de nombreuses œuvres. Avec sœur Claire (Martigné-Briand), c’est Maxime le Confesseur (580-662), digne descendant d’Évagre (346-399) qui a reçu les honneurs. Pierre-Yves Brandt aida à relire une situation de transmission, en analyser le problème, les difficultés, voir ce que l’on peut attendre d’un formateur dont l’intention est de vivre selon l’esprit évangélique et la règle de saint Benoît. La sortie a conduit le groupe à l’abbaye royale de Hautecombe, contemporaine de celle de Tamié (12e siècle) : depuis 1992, elle est prise en charge par la Communauté du Chemin Neuf, communauté catholique à vocation œcuménique. Le repas a été pris avec les membres de la communauté et les jeunes de tous pays en formation biblique et spirituelle partageant leur vie quelques semaines ou mois. Les Ananistes ont été impressionnés par leur disponibilité dans l’accueil, la simplicité de leur vie mêlant modernité et respect du patrimoine architectural et spirituel. Les Ananistes et la communauté du Chemin Neuf. Aiguebelle (10 novembre - 1er décembre 2022) L’étape a fait une large place à la vie fraternelle, sous différents aspects. Frère Cyprien a fait part des joies, difficultés ou attraits liés à la vie fraternelle, telle la valeur du silence. Voltaire († 1788) n’avait pas forcément raison quand il disait : « Les moines se rassemblent sans se connaître, vivent sans s’aimer et meurent sans se regretter ». Frère Columba (En-Calcat), en passant par Denis Vasse, a précisé comment passer de la peur à la foi et à la confiance (son antidote), et de la jalousie (possession du don) à la louange (lieu de rencontre et d’unité). Bannir la comparaison, reconnaître nos failles, pardonner, garder le lien, sortir de soi, persévérer : tels sont les moyens pour approcher de la Trinité de Dieu. Pour Christian de Chergé, « La joie secrète de l’Esprit sera toujours d’établir l’unité et de rétablir la ressemblance en jouant avec les différences ». Dom Mauro-Giuseppe Lepori (Abbé général des cisterciens) est intervenu autour du thème des vœux ; il nous réunit par-delà nos différences : par un regard vers le Christ, par la présence sacrée de Dieu exprimée dans le rite de profession. Église abbatiale d’Aiguebelle. Avec dynamisme et clarté, père Pierre-André (abbé de Cîteaux) a exposé le délicat équilibre entre autorité et obéissance. L’autorité (du latin : autoritas > augere : faire grandir) est un service de la croissance de l’obéissant. Une authentique autorité se vit dans un climat de charité et motive une vraie liberté et autonomie du disciple : elle autorise autrui à être acteur de sa vie, libérant son potentiel. L’obéissance (latin : ob-audire : écouter, tendre l’oreille) est tout un art de l’écoute. L’écologie intégrale a été comme un fil rouge de ces trois mois. En fin de parcours, il a été bon de chercher à approfondir le lien avec une théologie de la vie monastique : Elena Lasida, Mère Marie-Madeleine, père Luc et frère Cyprien s’y sont employés. Elena Lasida a présenté la nouveauté de l’encyclique Laudato Si’ (juin 2015), prélude à la COP 21 (Paris, décembre 2015) : son impact au-delà des chrétiens ; sa notion centrale : l’écologie intégrale ; son enjeu environnemental, humain, sociétal et spirituel. Deux expériences de « conversion écologique » ont été proposées : les dominicaines de Taulignan et les sœurs orthodoxes de Solan. Tels furent les principaux ingrédients de l’enseignement de cette session. L’essentiel reste caché aux yeux des témoins, il se vit dans le cœur de chacun. Mère Marie-Madeleine Caseau, Père Abbé Luc Cornuau, Elena Lasida. Le DIMMID 15 Lire Nouvelles Le DIMMID Dialogue Interreligieux Monastique Père William Skudlareck, osb Secrétaire général En juin, le père William Skudlareck a fait une présentation, par vidéo, à l’Assemblée plénière du Dicastère pour le dialogue interreligieux. Le thème de la session plénière de cette année était : « Dialogue interreligieux et convivialité ». La présentation se trouve dans la section Vidéos du site DIMMID. Le dialogue permanent du DIMMID avec les musulmans chiites a repris en septembre à l’abbaye trappiste Notre-Dame d’Acey (France). Un nouveau livre sur Shigeto Vincent Oshida, op, sortira aux éditions Liturgical Press en mai. Il aura pour titre : « Jésus entre les mains de Bouddha ». Son auteur est Lucien Miller, professeur retraité à l’université du Massachusetts, à Amherst. Des projets sont en cours pour établir des commissions régionales pour le DIMMID en Afrique de l’Est et de l’Ouest. Il y aura une rencontre monastique-musulmane à Nairobi, en juin 2023. Elle sera principalement destinée aux femmes qui mènent la vie monastique et à des musulmanes, et sera suivie de sessions de planification en Tanzanie (dirigée par le père Maximilian Musindai) et au Sénégal (dirigée par le père William). La Commission DIMMID pour la Grande-Bretagne et l’Irlande a été réactivée avec le frère Justin Robinson de Glenstal en tant que coordinateur. Les Commissions européennes prévoient de reprendre leurs réunions cet été, probablement à l’abbaye de Ligugé (France) avec une excursion d’une journée au centre de la Communauté mondiale pour la méditation chrétienne à Bonnevaux, à proximité, pour discuter d’une éventuelle collaboration future. Le Dr Mohammad Ali Shomali rencontrera en décembre le professeur Bernhard A. Eckerstorfer, osb, recteur de l’Athénée Pontifical Saint-Anselme, pour discuter de la possibilité de faire étudier des étudiants musulmans à Saint-Anselme. Deux moines bouddhistes de Thaïlande vivent et étudient à Saint-Anselme au cours de ce semestre. Ils sont parrainés par le Dicastère pour le dialogue interreligieux. La Commission italienne reste la plus active des commissions régionales du DIMMID. Des réflexions sont en cours pour la nomination d’un nouveau Secrétaire général L’association AMTM 16 Lire Nouvelles L’association AMTM Les Amis des Monastères à Travers le Monde Secrétariat de l’AIM L'AMTM est une association (loi française de 1901), ayant pour objectif, en collaboration avec l’AIM, d’aider par la prière et matériellement les jeunes monastères vivant sous la règle de saint Benoît qui se sont fondés et se fondent à travers le monde dans les pays les moins favorisés. L’implantation de la vie monastique a pour effet, dans chaque région où un monastère s’implante, de favoriser le développement agricole et économique. Cela représente souvent une chance pour les habitants de la région. Les monastères rayonnent d’abord spirituellement et permettent de faire connaître le christianisme aux populations qui l’ignorent. Ils rayonnent aussi économiquement par la capacité des moines et moniales à transformer par leur travail les lieux où ils s’installent, et d’être ainsi pour le voisinage un exemple et un soutien sur lequel il est possible de s’appuyer. Ainsi depuis 50 ans l’AMTM accompagne et encourage ce développement. L’association a tenu sa dernière Assemblée générale au prieuré Sainte-Bathilde de Vanves, le 29 janvier dernier. L’AMTM a pu soutenir au cours de l’année passée plusieurs projets intéressants en Tanzanie, en Pologne (pour l’accueil des réfugiés ukrainiens) et en Côte d’Ivoire. Mais depuis la création de la Fondation Benedictus qui récolte les fonds rassemblés par l’AMTM (pour permettre en toute légalité l’émission de reçus fiscaux), le rôle de l’AMTM consiste surtout à stimuler, informer et communiquer les différentes actions menées à bien en lien avec la Fondation. C’est l’occasion d’un élargissement des donateurs et d’une meilleure présence dans le paysage social. Les projets soutenus seront liés à des actions de développement : santé, éducation, environnement. Ce beau service de l’AMTM appelle de nouveaux associés, n’hésitez pas à nous rejoindre. Quelques projets soutenus par l’AIM 17 Lire Nouvelles Quelques projets soutenus par l’AIM Secrétariat de l’AIM La congrégation des Moniales bénédictines du Roi Eucharistique (Philippines) En parlant de cette Congrégation, nous sommes heureux de donner quelques nouvelles de sœur Mary-Placid qui fut longtemps présente à Vanves au Secrétariat de l’AIM. Sœur Mary-Placid est devenue en effet présidente de cette structure récemment organisée en congrégation de moniales. En 1929, avec le soutien de l’évêque Santiago Sancho, Mère Edeltraud Danner, provenant de la congrégation des Sœurs bénédictines missionnaires de Tutzing (Allemagne), a ouvert une maison aux Philippines ayant pour particularité de regrouper deux formes de vie: les sœurs moniales contemplatives observant la clôture et les sœurs exerçant des activités caritatives. En 1986, par décret de Rome, les sœurs actives ont accédé à leur autonomie. Les moniales sont devenues les Moniales bénédictines du Roi eucharistique ( BNEK, Benedictine Nuns of Eucharistic King ) qui, finalement, se sont regroupées en congrégation approuvée en 2021. Elle comprend une centaine de sœurs. La Congrégation regroupe trois abbayes : Vigan, Cogon, San Rafael. En 2020, à la demande de l’évêque du diocèse de Tagum, la communauté de Cogon a envoyé sept sœurs pour y fonder un monastère. La jeune Congrégation a tenu son Chapitre général au monastère de San Rafael (Calapan) du 25 au 30 septembre 2022 ; il a regroupé seize participantes. La Présidente, qui est passé à Vanves dans la fin de l’année 2022, se porte bien et assume sa responsabilité avec toutes les qualités qu’on lui connaît. L’institut de théologie monastique de l’association BECAN (Nigeria) L’association BECAN (Association bénédictine et cistercienne du Nigéria) est un forum pour le dialogue continue sur la façon d’être des moines et moniales bénédictins et cisterciens au Nigéria. L’association a créé un parcours de formation pour les moines et les moniales ouvert à tous les monastères d’Afrique anglophone se déroulant durant deux mois continus sur deux ans. D’abord affilié à l’université privée Madonna tenue par les Missionnaires du Saint-Esprit, les étudiants étant hébergés au centre de pèlerinage Elele de ces mêmes missionnaires, il a paru opportun de trouver un autre lieu de formation pour aider à conserver la vie monastique durant le parcours. La recherche d’affiliation à un Institut catholique d’Afrique pour délivrer les diplômes est en cours. L’association a décidé d’établir le lieu de formation à la maison d’accueil du monastère de Ewu-Ishan. En août et septembre 2022 a eu lieu la première session de formation qui a regroupé vingt étudiants et étudiantes. Tous les professeurs sont membres de l’association. Le studium théologique Inter-Congrégations (STIC) Monastère de Mvanda (République Démocratique du Congo) Le monastère de Mvanda organise le Studium Théologique Inter-Congrégations (STIC) pour les membres des communautés cisterciennes et bénédictines de RDC ayant achevé leur noviciat. Le studium est aussi ouvert à d’autres consacrés ainsi qu’aux laïcs engagés désirant approfondir leur foi et leur connaissance. Le parcours de formation s’étale sur trois ans et fonctionne par sessions de dix jours, à raison de trois sessions par an. Il s’achève par une session d’examens pour les étudiants réguliers. Thème des cours : anthropologie, théologie fondamentale, théologie morale fondamentale, droit canonique, patrologie, la révélation chrétienne et les traditions africaines. Pour l’année 2022-2023, les trois sessions sont programmées pour novembre (philosophie), janvier 2023 (introduction à saint Augustin), puis avril 2023 (Ancien Testament). L’Union bénédictine-cistercienne du Mexique (UBCM) L’Union Bénédictine-Cistercienne (UBCM) est composée de toutes les communautés bénédictines et cisterciennes, masculines et féminines, canoniquement établies sur le territoire national du Mexique (treize communautés), et fondée sur un principe de communion, de solidarité et de service mutuel entre les communautés intégrées. C’est donc un organisme de collaboration pour promouvoir la vie bénédictine, coopérer à la construction de l’Église, mais aussi collaborer au développement intégral du peuple mexicain. En raison de la pandémie de la COVID, les sessions de formations proposées annuellement par l’association ont été suspendues durant près de trois ans. Les restrictions ayant été levées, une session de cinq jours a eu lieu en juillet 2022. Les sœurs bénédictines de Twasana (Afrique du Sud) À la demande de Mgr Thomas Spreiter (osb), Vicaire apostolique d’Eshowe, les Sœurs bénédictines missionnaires de Tutzing ont commencé à recruter des candidates locales en vue d’établir une communauté de sœurs sous la règle de saint Benoît. Les premières candidates furent acceptées le 29 décembre 1929. Sœur Victorine Mandl, bénédictine missionnaire de Tutzing, a été chargée de la formation de ces candidates. La Congrégation romaine Propaganda Fide a donné sa reconnaissance officielle à la communauté bénédictine des sœurs africaines nouvellement fondée dans son texte du 5 décembre 1933 qui incluait l’autorisation d’ouvrir un noviciat. Le 3 janvier 1985, les sœurs élurent la première supérieure, sœur Johanna Ntuli, parmi leurs propres membres. La Maison mère, Twasana, se trouve à 80 km de Vryheid (Kwa-Zulu Natal). À côté se trouve une école secondaire et un pensionnat pour jeunes filles tenus par les sœurs. Les sœurs ont six autres maisons de mission. Beaucoup de sœurs ont des apostolats dans les paroisses, les écoles. Elles possèdent une ferme qui leur permet de subvenir à leurs besoins, mais aussi d’aider la population locale en lui offrant du travail ou de la nourriture à bas prix. La maison de formation construite en 1999 menace de s’effondrer : les murs sont fissurés et les fondations se décalent de la maison. Les sœurs ont quitté la maison de peur qu’elle ne s’effondre durant une tempête, assez fréquente en été. Les jeunes en formation sont logées dans un autre bâtiment déjà occupé par d’autres sœurs ; il n’y a pas assez de place pour les deux groupes qu’elles forment. Les ingénieurs et architectes pensent que la maison peut être solidifiée par un étayage et par quelques autres travaux. Les moines bénédictins de Makkiyad (Kerala, Inde) Le monastère bénédictin de Saint-Joseph, à Makkiyad, au nord du Kérala, a été fondé en 1962 par cinq moines indiens qui ont choisi de quitter le Sri Lanka pour établir un monastère en Inde. Il fait partie de la congrégation sylvestrine. Le prieuré de Makkiyad a fondé six monastères : Vanashram (Karnataka), Iritty (Kerala), Shivpuri (Madhya Pradesh), Teok (Assam), Navajeevan (Andhra Pradesh), et Kizhakkumbhagan (Kerala) en 2022. La communauté comprend cinquante-sept frères dont dix-huit profès temporaires. La communauté a en charge un certain nombre d’activités dans l’éducation à travers l’école de la Sainte-Face, et l’Institut de philosophie Saint-Joseph. La communauté gère aussi un centre de retraites fréquenté par des milliers de personnes chaque année. L’Institut de philosophie Saint-Joseph est affilié à l’Athénée de Saint-Anselme (Rome) depuis juillet 2018. Actuellement, l’Institut comprend cinquante étudiants, jeunes moines bénédictins mais aussi étudiants de différents diocèses et congrégations de rite latin, syro-malabar et syro-malankar, destinés au sacerdoce. Les étudiants partagent la vie de la communauté bénédictine. Celle-ci leur offre des occasions d’apprentissage dans différents domaines grâce à des expositions, du ministère pastoral et diverses autres activités parascolaires et extra-scolaires. Le nombre croissant d’étudiants oblige à agrandir la bibliothèque. L’espace actuel ne pouvant être augmenté, il faut déménager la bibliothèque dans un autre lieu. L’ancienne bibliothèque sera convertie en petites salles pour des retraites individuelles. La toiture et les murs ont déjà été refaits. Il faut maintenant aménager l’intérieur : peinture, électricité, sanitaire, air conditionné, etc. < Précédent Suivant >

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