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Bulletin

Formação monástica hoje
(Primeira parte)

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Bulletin

A vida e a morte no ideal monástico

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Bulletin

Venerar os mais velhos, amar os mais moços

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Bulletin

Miroir de la vie monastique

Miroir de la vie monastique

Bulletin n° 116, année 2019

Índice

Éditorial

Dom J.-P. Longeat, osb, Président de l'AIM


Lectio divina

De Caïn à Joseph, ou l'intervention de la fraternité

Dom Jean-Michel Grimaud, osb


Perspectives

• Comment utiliser le document « Un miroir de la vie monastique »

Dom Paul Stonham, osb


• Entretien avec le père Mark Butlin

Dom Jean-Pierre Longeat, osb


« Un miroir de la vie monastique », outil de discernement

Sœur Christine Conrath, osb


• Le « Miroir de la vie monastique » à partir d'une lectio divina

Dom Jean-Pierre Longeat, osb


• Le « Miroir » à partir de la règle et de la vie de saint Benoît

Dom Geraldo Gonzáles y Lima, osb


Témoins de vie chrétienne et monastique

Assasinés là où ils œuvraient

Dom Armand Veilleux, ocso


Liturgie

La musique, moyen privilégié de chercher Dieu et de le trouver

+Dom Dominique Catta, osb


Une page d'histoire

Aperçu de la vie monastique à Madagascar

Dom Christophe Vuillaume, osb


Art et cultures

Le père Alwin Schmid (1904-1978)

Dom Cyrill Schäfer, osb


Nouvelles

• Rencontre de l'association BEAO

Dom Jean-Pierre Longeat, osb


• Nouvelles du DIM-MID

Dom William Skudlarek, osb


• Nouvelles de la CIB

Sœur Thérèse-Marie Dupagne, osb

Sommaire

Editorial

Éditorial

 

Ce numéro du Bulletin présente un caractère tout à fait particulier. Il propose un document de travail présenté par l’Équipe internationale de l’AIM pour accompagner la réflexion des communautés sur différents aspects de leur vie tels qu’ils se présentent aujourd’hui. Le bulletin lui-même, en plus des rubriques habituelles, donne quelques clés d’utilisation de ce document. Ce livret, intitulé : « Un miroir de la vie monastique pour aujourd’hui », accompagne ce bulletin afin de permettre au plus grand nombre de communautés d’y avoir accès.

Il s’agit donc d’un miroir qui permet de se regarder en face et d’apporter les aménagements nécessaires pour donner le meilleur de soi-même. C’est un miroir pour la communauté. Chaque communauté en effet peut utiliser cet outil de relecture pour mettre les choses à plat et avancer vers une visée commune des membres du groupe. Au-delà des communautés, ce texte peut servir à d’autres types de rassemblements comme les réunions des différentes associations monastiques à travers le monde ou bien encore des sessions de formateurs.

Les différents thèmes de ce miroir sont particulièrement actuels : communauté, autorité, formation, vocations, travail, autonomie financière, rapport à la société. Les membres de l’Équipe internationale, qui visitent régulièrement les communautés sur tous les continents, se rendent compte à quel point ces questions se posent au jour le jour. Bien des situations ne vont pas toujours de soi et nécessitent un retour sur image et surtout un approfondissement de l’engagement de chaque membre du groupe et de la communauté tout entière. Le « Miroir » voudrait y aider pour sa modeste part.

On aura compris que ce document n’est pas à prendre trop littéralement. Il est plus un prétexte qu’un texte. D’une certaine manière, chaque communauté, chaque groupe qui l’utilise devrait réécrire pour lui-même un texte qui lui soit adapté.

La balle est dans le camp des utilisateurs, désormais. L’Équipe internationale de l’AIM reste à la disposition de ceux qui le souhaiteraient pour aider à la réflexion et à la mise en œuvre de ce « Miroir ».

Pour se mettre en condition, nous proposons une lectio divina signée par le Père Abbé Jean-Michel Grimaud, de Landévennec, sur le thème de la fraternité. On retrouvera la rubrique « Liturgie », « Témoins de vie monastique », « Histoire » ainsi que quelques échos de nouvelles récentes.


Dom Jean-Pierre Longeat, osb

Président de l’AIM



Artigos

De Caïn à Joseph, ou l’invention de la fraternité

1

Lectio divina

Père Jean-Michel Grimaud, osb

Abbé de Saint-Guénolé de Landévennec (France)

 

De Caïn à Joseph,

ou l’invention de la fraternité

 


La fraternité est dans la Bible tout à la fois une grâce et une épreuve : une grâce quand le psalmiste s’exclame : « Qu’il est bon, qu’il est doux pour des frères de vivre ensemble et d’être unis » (Ps 133, 1), et une épreuve quand Dieu y lance à Caïn cette question terrible : « Qu’as-tu fait de ton frère ? ». De la solitude de Caïn à la communion fraternelle restaurée par Joseph, fils de Rachel, et chantée par le psalmiste, il y a tout un itinéraire spirituel à parcourir où Dieu s’invite pour nous faire passer de la solitude à la communion.

Si donc la fraternité apparaît comme un bien précieux, c’est peut-être parce que justement elle ne s’acquiert que de haute lutte ! Car de fait, la première évocation de la fraternité dans la Bible surgit comme un rendez-vous manqué et garde le goût amer d’une blessure meurtrière.

Selon le philosophe Paul Ricœur : « Le fratricide, le meurtre d’Abel, fait de la fraternité elle-même un projet éthique et non plus une simple donnée de la nature ». Cette remarque est importante qui vient nous dire que la fraternité au sens biblique du terme ne se réduit pas aux liens du sang, elle est une réalité éthique et spirituelle. Elle transcende les frontières géographiques, ethniques, raciales, culturelles, religieuses même ! Autrement dit, la question de la fraternité, quand elle apparaît dans la Bible, se pose d’emblée comme universelle, et interpelle la responsabilité de l’humain dans sa relation à son semblable.

Le livre de la Genèse, à travers l’histoire de Caïn et Abel puis celle de Joseph et ses frères, montre bien que la fraternité est un enjeu essentiel pour le devenir du peuple de Dieu et qu’elle colore même son identité de peuple de Dieu.

 

Caïn et Abel

« L’homme connu Eve, sa femme ; elle conçut et enfanta Caïn et elle dit : “J’ai acquis un homme par le Seigneur”. Elle donna aussi le jour à Abel, frère de Caïn. Or Abel devint pasteur de petit bétail et Caïn cultivait le sol » (Gn 4, 1-2).

Ce verset initial indique une complémentarité entre les deux frères : l’un s’occupe du bétail, l’autre de la terre, deux activités non concurrentielles qui devraient contribuer au bien vivre ensemble. Mais ce verset laisse aussi transparaître une difficulté : Caïn est bien accueilli pas sa mère qui exprime sa joie : « J’ai acquis un homme par le Seigneur ! » ; par contre, la naissance du cadet semble, elle, insignifiante, elle ne prête lieu à aucune parole de bienvenue… Voilà un silence révélateur d’une injustice patente alors même qu’elle ne se dit pas. Le malaise ainsi installé fait apparaître la fraternité naissante comme un défi inconfortable ! À l’enfant unique le partage ne s’impose pas, il est l’unique héritier de ses parents et l’unique destinataire de leur affection. La naissance d’un cadet fait sauter ce bel équilibre et impose l’accueil de cet autre auquel il faut donner une place et avec qui il revient d’apprendre à partager. Nos familles, nos communautés monastiques font cette expérience décapante mais surtout féconde et humanisante de donner au nouveau venu sa place. Et c’est une bonne nouvelle, puisqu’elle libère de la tentation de toute puissance possessive. Mais cette libération ne va pas sans arrachement comme le suggère le prénom donné à l’aîné, Caïn, puisque ce prénom est tiré du verbe qanitî (j’ai acquis) prononcé par Eve, qui, par assonance se rapproche du verbe qana’, signifiant « être jaloux »[1] ! Ainsi d’entrée, la fraternité qui surgit comme un « faire place à l’autre » éveille-t-elle la jalousie de qui est déjà là et se sent menacé !

Apparemment attendu par personne, que va-t-il arriver au cadet, Abel ? Son prénom qui en hébreu veut dire « souffle, buée, ce qui ne pèse pas, ce qui est fragile, faible et sans force », est révélateur de sa précarité.

C’est alors que Dieu intervient. Le Dieu d’Israël se révèle comme celui qui vient au secours du faible. En préférant l’offrande d’Abel à celle de Caïn, il impose Abel, ignoré jusque-là, comme l’autre incontournable de Caïn. Cette différence de traitement vient rétablir la justice entre les deux frères, même si elle est potentiellement porteuse de vengeance. Mais nier la différence serait une façon de nier le réel. Et la réalité pour Caïn comme pour nous c’est de reconnaître que nous n’avons pas tous les mêmes talents et que chacun doit accueillir les talents d’autrui sans se sentir désavoué ni rejeté, mais en les regardant comme complémentaires plutôt que concurrentiels. En agissant comme il le fait, Dieu offre à Caïn la chance d’une ouverture à l’altérité qui seule peut l’arracher à l’illusion de la toute puissance. C’est la condition nécessaire pour l’ouvrir à la relation avec autrui et lui permettre ainsi d’accéder à sa pleine humanité car l’humain, être de langage, se réalise dans la relation.

« Caïn en fut très irrité et eut le visage abattu », signale le narrateur. Le voilà jaloux. « L’envie nous fait souffrir d’un bien s’il est à un autre et nous fait le savourer si les autres en sont privés » signale Paul Beauchamp[2] ! Pourtant, Dieu n’abandonne pas Caïn à sa souffrance narcissique. Il vient à son secours par le dialogue ; il le prévient que s’il ne surmonte pas sa jalousie « le péché est à sa porte comme une bête tapie prête à bondir ». Et il l’invite à être plus fort que l’animalité qui est en lui : « Pourras-tu la dominer ? ». C’est ainsi seulement qu’il pourra réaliser en lui l’image de Dieu, vocation de l’homme et de la femme, qui selon Genèse 1, 26, reçoivent mission de dominer sur les bêtes sauvages… y compris donc celles tapies en soi ! Le défi de la fraternité apparaît ainsi comme un défi d’abord spirituel. Suis-je assez fort pour consentir avec bonne grâce à ce que mon frère reçoive ce que moi-même je convoite ?

Caïn, au lieu de répondre à Dieu, et ainsi d’entrer dans un dialogue apte à canaliser la violence, et au lieu de « relever la tête » comme Dieu le lui suggère – attitude qui signifierait le consentement au face à face, au vis-à-vis sans lequel il n’y a pas de fraternité possible, adresse à son cadet, apparemment sans même le regarder, une injonction à sortir. Et sitôt arrivé dehors, il le tue. La souffrance qu’il n’a pas su dire est devenue violence qui éclate. En évitant de regarder son frère, Caïn a manifesté son refus de le considérer comme un autre homme. Mais en refusant l’humanité de l’autre, il s’est déshumanisé lui-même ! L’animalité l’a emporté en lui sur l’humanité ! La première expérience de fraternité se conclut par un échec, Caïn demeure seul avec sa souffrance, celle de n’avoir pas su oser la fraternité !

Telle est l’impasse où conduit la convoitise, qui est ce que devient le désir humain lorsqu’il ne consent pas à la limite qui le structure. Sans juste limite, le désir tend à prendre toute la place jusqu’à envahir l’espace d’autrui, ouvrant la voie à toutes sortes de conflits. L’autre devient un objet à prendre ou un concurrent à neutraliser, voire à éliminer. Nié en tant que sujet, il ne peut devenir partenaire d’alliance. Il est remarquable que la règle de saint Benoît insiste sur le sens de la mesure et de la limite. Sage façon de rogner la tentation de la toute-puissance et de favoriser la fraternité !

Être frère c’est renoncer à dominer l’autre, que ce soit par un refus violent ou par une main mise séductrice. La vraie fraternité rend libre. C’est ce que l’histoire de Joseph et ses frères donne à saisir (Gn 37, 2 – 50, 26).

 

Joseph et ses frères

Le premier verset est significatif :

« Joseph avait dix-sept ans. Il gardait le petit bétail avec ses frères – il était jeune –, avec les fils de Bilha et les fils de Zilpa, femme de son père, et Joseph rapporta à leur père le mal qu’on disait d’eux » (Gn 37, 2).

Joseph est présenté comme pasteur, comme l’était Abel avant lui ; le berger est celui qui exerce sur les animaux une maîtrise sans violence, et dans la symbolique biblique l’image du pasteur connote celle du protecteur, du guide, figure dont l’aboutissement conduit à Jésus, le bon Pasteur par excellence qui donne sa vie pour ses brebis.

Autre enseignement de ce verset introductif : Joseph se trouve non avec les fils de Léa, la première épouse de Jacob, mais avec ceux des deux servantes qui lui ont aussi donné des fils. Pourquoi ? Une tradition juive explique que déjà soucieux de l’unité du groupe familial, Joseph cherche à faire le lien entre les deux groupes de la fratrie, celui issu des épouses officielles (Léa et Rachel) et celui issu des servantes. En toute hypothèse sa position dans la fratrie est singulière. La préférence dont il fait l’objet de la part de son père n’y est sans doute pas pour rien. La belle tunique que Jacob lui a offerte cristallise la jalousie : « Ses frères virent que son père l’aimait plus que tous ses autres fils et ils le prirent en haine, devenus incapables de lui parler amicalement ». La jalousie provoque l’incapacité à se parler correctement.

On connaît la suite, Joseph est jeté dans la citerne et vendu en Égypte comme esclave où sa sagesse et sa capacité à interpréter les songes l’élèvent providentiellement comme intendant des biens de Pharaon. Tout au long de sa longue descente aux enfers puis de sa remontée, le narrateur note à plusieurs reprises que « le Seigneur était avec Joseph ». Vivre la fraternité c’est être capable de subir, longtemps parfois, le rejet de ses frères sans se laisser abattre mais en demeurant dans la confiance d’être en la main de Dieu. La fraternité, ainsi comprise, se construit donc aussi dans l’épreuve, dans l’échec traversé avec patience et espérance. Notons le contraste entre Joseph et ses frères : d’un côté la passion, de l’autre la sagesse. La fraternité ne se construit pas en se laissant gagner par ses émotions mais en sachant se comporter avec sagesse et raison.

Par différentes péripéties, quand ses frères descendent en Égypte y chercher de la nourriture, Joseph met à l’épreuve, à leur insu, la solidité de leurs liens fraternels : ainsi, verra-t-on Judas demander à être retenu esclave à la place du jeune Benjamin (fils de Rachel comme Joseph), ce qui indique le déplacement intérieur qui s’est opéré chez ces frères, mûris par les difficultés. Devant ce constat d’une fraternité restaurée, Joseph peut se laisser reconnaître d’eux. Il leur explique alors que leur faute passée à son égard a été transformée par Dieu en dessein providentiel, puisque toute la famille se retrouve maintenant à l’abri de la famine : « C’est pour préserver vos vies que Dieu m’a envoyé au devant de vous » (Gn 45, 5), leur dit-il. Mais bien sûr, la fraternité retrouvée n’est pas moins importante que la famine surmontée, et c’est cette fraternité gagnée sur la jalousie qui clôt le récit et justifie la reconnaissance adressée à Dieu qui a changé le mal en bien. Ainsi la fraternité apparaît-elle comme un don de Dieu. On remarquera que Joseph, en interprétant ainsi les événements dont il a été la victime, a la délicatesse de ne faire aucun reproche à ses frères, il ne leur retourne pas le mal qu’il a subi de leur fait. Ce refus de la vengeance arrête la propagation de la violence. Déjà précédemment, faussement accusé par la femme de Putiphar, Joseph avait préféré le silence à l’accusation, s’en remettant à Dieu. Cette attitude de juste désarmé adoptée par Joseph est un puissant ferment de réconciliation et de fraternité. C’est elle qui va permettre à ses frères d’une part de reconnaître leur péché et d’autre part de demander pardon. En effet, à la toute fin du récit, à la mort de Jacob, leur père à tous, ses frères rapportent à Joseph la dernière volonté du patriarche : « Pardonne à tes frères leur crime et leur péché, tout le mal qu’ils t’ont fait ! » (Gn 50, 17). Par ces mots qui les accusent, ils reconnaissent implicitement leur culpabilité et offrent à Joseph la possibilité de leur pardonner vraiment et donc aussi de reconnaître que leur attitude à son égard l’avait blessé. Joseph, en pleurant en entendant ces paroles, leur découvre sa vulnérabilité. Le pardon est plus que l’acquittement, il est guérison mutuelle de l’offenseur et de l’offensé. C’est ainsi qu’il devient chemin de fraternité.

La solitude, où avait été jeté Joseph par son exclusion, était à vrai dire une solitude habitée puisque le Seigneur était avec lui, signale le narrateur à plusieurs reprises. Et cette solitude habitée l’a conduit à la communion restaurée avec ses frères. La fraternité apparaît ainsi comme le fruit spirituel d’une vie fondée sur l’amour de Dieu.

Il sera aisé, pour les évangélistes puis pour les Pères de l’Église, de voir en Joseph une préfiguration du Christ, celui qui est rejeté par les siens devient, en raison de sa justice et de sa fidélité à Dieu, cause de leur salut. C’est en les sauvant qu’il se révèle véritablement leur frère si bien qu’il devient le modèle de toute fraternité. L’évangile selon saint Jean l’a bien compris où Jésus ne donne à ses disciples le titre de frère qu’après la résurrection au matin de Pâques, quand, se faisant reconnaître à Marie Madeleine, il l’envoie annoncer qu’il est vivant par ces mots : « Va dire à mes frères » (Jn 20, 17).


[1] André Wénin, D’Adam à Abraham ou les errances de l’humain, Lecture de Genèse 1, 1 – 12, 4, Cerf, Paris, 2007, p. 140.

[2] Paul Beauchamp, Psaumes nuit et jour, Seuil, Paris, 1980, p. 72.

Comment utiliser le document « Un miroir de la vie monastique pour aujourd’hui »

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Perspectives

 Père Paul Stonham, osb

Abbé de Belmont (Angleterre) etmembre de l’Équipe internationale de l’AIM

 

Comment utiliser le document « Un miroir de la vie monastique pour aujourd’hui »

Témoignage

 

 

J’ai utilisé le « Miroir » avec un certain nombre de communautés de moines sur deux continents et dans différentes langues. Bien qu’invité à prêcher une retraite traditionnelle, il me semblait qu’utiliser le « Miroir » pouvait être vraiment bénéfique pour encourager la communauté à engager une discussion sérieuse sur des questions vitales liées à la vie monastique aujourd’hui.

Le « Miroir » se compose d’une introduction, d’une section sur l’état général du monde et de la vie monastique aujourd’hui, et de sept courts chapitres sur des sujets spécifiques. Le chapitre 7 sur les relations avec le monde se divise en deux parties. Tous ces chapitres sont suivis de questions qui peuvent constituer la base d’un dialogue et d’une discussion au sein de la communauté. Il y a suffisamment de matériel pour au moins neuf sessions et certaines communautés aborderont aussi d’autres sujets qu’elles jugent importants ou bien encore un défi particulier d’aujourd’hui.

Je commence chaque réunion par une prière, suivie d’une introduction de quinze minutes sur le thème sur lequel devra porter la discussion qui suit. La communauté se divise en petits groupes pour dialoguer ou bien simplement par deux, puis revient pour une dernière demi-heure de discussion générale basée sur les réactions des petits groupes. Le débat final est toujours animé et intéressant et tend à être ouvert, ne se terminant que par le repas qui sonne ou l’heure de la prière. Les discussions libres continuent souvent plus tard dans la journée.

À chaque fois, j’adapte mes courtes conversations introductives aux circonstances particulières de chaque pays et de chaque communauté. Je suggère également qu’il y ait peut-être d’autres questions dont les petits groupes voudraient éventuellement débattre. Chacun d’eux devrait donc se sentir libre de choisir ses propres questions ou même discuter d’un autre sujet connexe s’il se sent porté à le faire.

Ce qui est étonnant, c’est la véritable soif de dialogue et de discussion dans les communautés monastiques. Dans un monastère, un moine a déclaré : « Aujourd’hui, les moines veulent être entendus ». Cela est devenu la force motrice des retraites que je partage avec les communautés.

Entretien avec le père Mark Butlin

3

Perspectives

Père Jean-Pierre Longeat, osb

Président de l’AIM

 

Entretien avec le père Mark Butlin,

moine d’Ampleforth et membre de l’Équipe internationale

 

Père Mark, cela fait trente-quatre ans que vous travaillez pour l’AIM, pouvez-vous nous dire votre expérience sur le long terme : qu’est-ce qui vous paraît le plus important ?

Je crois que le plus important est de créer du lien au sein de chaque communauté et entre les communautés, de déployer une fraternité en partageant autant que possible le concret de la vie des groupes.

Quelles sont les régions que vous visitez habituellement ?

L’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Angola, l’Inde et le Sri Lanka, les Philippines, le Japon, l’Indonésie, l’Éthiopie, le Vietnam.

Que diriez-vous sur le document travaillé par l’Équipe internationale, le « Miroir » ?

Ce document a pour but d’aider nos frères et nos sœurs à mener à bien une réflexion sur leur vie, en se donnant quelques poteaux indicateurs, pour trouver leur chemin. Il y a tant de problèmes et aussi de réussites dans les communautés. Mais on peut vivre une routine sans réflexion, et tout particulièrement sur le but de tout ce que l’on fait, de tout ce qu’on vit. La régularité donne souvent l’habitude de vivre en pilote-automatique.

Il y a des pays par exemple où il y a une insistance sur les œuvres pastorales ou missionnaires ; la vie monastique n’est pas suffisamment prise en compte pour elle-même. La transmission sur le sens de notre vie est bien souvent assez faible.


Avez vous déjà utilisé le « Miroir », comment cela s’est-il passé ?

J’ai eu l’occasion de m’en servir lors d’une réunion de l’ISBF[1] en Inde : mon intervention était basée sur les sept points du « Miroir » sans trop de discussion, mais tout le monde a été intéressé. L’ISBF rassemble surtout les supérieurs et formateurs des nombreuses communautés de l’Inde et du Sri Lanka et plusieurs étaient sensibles au fait que ce document permette un travail d’approfondissement sur des points majeurs de la vie monastique aujourd’hui.

Quels conseils d’utilisation donneriez-vous ?

Il faudrait développer des questions qui se posent dans chaque contexte, par exemple sur la vie communautaire. Quels types de préoccupations y a-t-il dans une culture donnée avec ses caractéristiques propres ? Il est important de réfléchir aux obstacles et aux points d’appui nécessaires dans chaque contexte.

Le texte est assez général, comment l’adapter aux diverses circonstances ?

La personne qui présente le texte doit être capable d’interpréter les données de ce document dans le contexte où vit la communauté. Il s’agit de donner vie au texte, de l’articuler avec les réalités du moment et du lieu. Aborder ce texte à la lettre n’est pas suffisant. Comme d’autres textes de la tradition monastique, depuis les Pères du désert jusqu’à nos jours, l’interprétation est nécessaire pour transmettre l’héritage dans des univers concrets toujours spécifiés. Le « Miroir » est un outil qui dépend beaucoup de la personne qui s’en sert et qui aide une communauté à s’en servir.

Quel avenir voyez-vous aujourd’hui pour la vie monastique ? Sous quelles formes ?

Cela dépend toujours du Saint-Esprit. La vie monastique est une dimension essentielle de la vie de l’Église, à côté d’autres propositions tout aussi importantes pour témoigner en vérité de l’expérience ecclésiale au service de l’annonce du Royaume. Comme le dit le pape François, les traditions de la vie religieuse sont une mémoire évangélique de la vie de l’Église. Benoît XVI disait à propos de saint Jean Climaque : « Il présente en majuscules ce que le monde vit en minuscules ».

L’avenir dépend de la manière dont la vie monastique est bien insérée dans la vie de l’Église, au cœur de nos sociétés, en contact avec des personnes concrètes en communion les unes avec les autres et pas seulement avec des idées. En ce sens, la question de l’hospitalité dans un esprit d’ouverture est importante aussi.

Dans tout ce que vous avez vécu à l’AIM depuis tant d’années, qu’est-ce qui vous a marqué le plus ?

Je suis assez mal à l’aise avec cette question. J’y réagis de la même manière que lorsqu’on me demande quelle est la pièce musicale que j’aime le plus. Toutes les musiques ont leur charme ; certaines me plaisent plus que d’autres, mais j’ai bien du mal à choisir. Cependant je peux dire que ce qui m’a marqué le plus, ce sont les rencontres avec des personnes et des communautés.

À titre personnel, d’ailleurs, dès le commencement de ma vie monastique, j’ai eu la chance de rencontrer de grands témoins qui m’ont transmis leur expérience de moines : cela a été pour moi le plus bel enseignement. Je pense à Basil Hume, Denis Huerre, Antoine Bloom, Bernard de Soos. Des personnes très humaines et très uniques. J’ai aussi connu des moniales qui furent pour moi de grands témoins. Mais j’ai dans le cœur également des communautés de moniales et de sœurs qui m’ont beaucoup marqué.

Pour ce qui est de l’enracinement dans une culture locale, je pense à l’exemple de l’Éthiopie. Les communautés cisterciennes de ce pays conjuguent une belle compréhension de la vie monastique dans un profond dialogue avec leur culture. C’est la nature de l’Église d’être dans cette disposition. La question de l’âge des membres de nos communautés n’est pas aussi importante qu’on le dit. Il n’est pas obligatoire d’avoir beaucoup de jeunes. À Kurisumala, en Inde, il y a des gens mûrs et c’est une très belle communauté. Il y a de plus en plus de vocations chez des personnes mûres.

Une réflexion d’un évêque syro-malabar m’a beaucoup frappé au cours d’une de mes visites en Inde : « Il faut connaître son fondement chrétien pour répondre à sa vocation monastique ». Avant même d’être moine, il est important d’avoir la capacité de s’insérer dans un style de vie chrétien, sinon, la vie monastique risque d’être sans racine et de ne pas pouvoir tenir dans la durée avec un témoignage adapté.


Voyage aux Philippines dans les années 90 du père Bernard de Soos, alors président de l'AIM, et du père Mark Butlin ; ici avec la communauté de Zambales. �© AIM.
Voyage aux Philippines dans les années 90 du père Bernard de Soos, alors président de l'AIM, et du père Mark Butlin ; ici avec la communauté de Zambales. © AIM.

[1] ISBF : The Indo Sri-Lankan Benedictine Federation.

« Un miroir de la vie monastique », outil de discernement. L’exemple de la formation

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Perspectives

Sœur Christine Conrath, osb

Secrétariat de l’AIM

 

« Un miroir de la vie monastique »,

outil de discernement. L’exemple de la formation

 


Ayant la chance de travailler à l’AIM, je rencontre des frères et sœurs qui visitent régulièrement les communautés à travers le monde. Il m’arrive aussi de voyager. Ces contingences permettent une vision de la réalité monastique relativement large. Les situations dans les monastères sont diverses mais le propos est identique : courir sur la voie des commandements de Dieu en mettant en pratique l’Évangile selon la règle de saint Benoît. L’objectif : arriver tous ensemble, omnes pariter, dans la maison où Dieu nous attend et nous espère.

La proposition bénédictine demeure intacte. Nous la croyons vitale pour notre monde en quête de communion. Il est urgent de nous confronter à la réalité et de mener un travail de réflexion et de conversion, personnel et communautaire. Plutôt que de rédiger une somme sur la vie monastique (rêvée, espérée ou vécue bon an mal an), l’Équipe internationale de l’AIM a arrêté un objectif modeste et élaboré une trousse à outils élémentaire : sept entrées dans un mini-manuel de 32 pages. Chaque thème présente la même structure : un énoncé général dans lequel toute communauté bénédictine devrait plus ou moins se retrouver, et quelques questions pour lancer un débat en communauté. Le « Miroir » est un outil, pas un texte à abandonner sur l’étagère.

Le premier thème est la communauté, fondement de la vie monastique bénédictine ; ensuite vient le leadership, car sans chef une communauté ne peut avancer. S’ensuivent les thèmes courants : formation, vocation, travail, stabilité économique et financière, place dans l’Église locale et dans la société. Ce n’est pas original. Chaque mini-chapitre est suivi de trois questions. Pourquoi ? Nous sommes tous d’accord sur les valeurs de la vie monastique. Les difficultés commencent quand on entre dans le concret.

À titre d’exemple, lisons ensemble le chapitre 3 sur la formation, thème qui a le vent en poupe puisque Cor Orans (texte normatif de la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée concernant les moniales) est réputé « le premier document de la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée à traiter véritablement la question de la formation ». Posons les ingrédients : une bonne direction et des formateurs bien préparés. Il est déjà fort difficile de joindre les deux dans une communauté ; pourtant cela ne suffit pas. La communauté dans son ensemble est le premier formateur. Comment ? Par son mode de vie, la justesse de son comportement, son engagement et sa prière. Parlons en « je » : depuis mon entrée en vie monastique et jusqu’à la mort (usque ad mortem, RB Prol. 50), je suis responsable de ma propre formation, par ma manière de m’adonner à la prière, à la lecture, à l’étude, au travail et à la vie communautaire. Nous affirmons avec force qu’aucune communauté ne survivra sans un programme de formation sérieux, soutenu par l’effort sincère de chaque membre à vivre fidèlement sa vocation cénobitique. Le monastère est une école du service du Seigneur (RB, Prol. 45) et un centre d’évangélisation. Chacun doit s’y engager à fond et maintenir son engagement dans la durée. Pour l’avenir du monachisme, le dilettantisme est proscrit. En revanche, nous pointons l’activisme dans le travail, maladie typiquement contemporaine. Nos anciens peinaient au travail des champs et la cloche d’appel aux vêpres soulageait les mains et le dos. Aujourd’hui on peut demeurer assis sans lassitude devant un écran, au point de le lâcher péniblement pour se rendre à l’office. Nous notons le discernement nécessaire à chaque étape de la formation qui induit un échange authentique entre les candidats et leur formateur, et aussi avec les membres de la communauté. On ne naît pas chrétien, on le devient ; la vie monastique n’est jamais qu’une forme parmi d’autres de vivre en chrétien. Nous soulignons la gravité dans le discernement des candidats. Connaître les antécédents d’un nouveau venu et jauger ses aptitudes à la vie communautaire. En Occident, les familles nombreuses sont devenues rares et l’enfant unique n’est pas toujours préparé à la vie commune qui, osons le dire, est parfois âpre pour son petit ego. Les quelques mots sur l’affectivité sont essentiels et incontournables aujourd’hui. L’Église n’a pas été assez vigilante dans le passé récent.

« Nous devons exceller dans la pratique de l’Évangile. »

L’expression est audacieuse, nous ne la regrettons pas. Placer le Christ seul au centre de ma vie m’oblige à un comportement évangélique au quotidien, dans l’humble labeur de chaque jour. Cet art de vivre monastique s’apprend en tissant des liens en communauté et la responsabilité en incombe à chacun. Quant aux études, les sœurs ont été trop longtemps maintenues à l’écart des études théologiques et philosophiques sérieuses, souvent réservées aux futurs clercs. Avec l’allongement de la vie, c’est un devoir d’armer les intelligences pour qu’elles puissent durer dans la prière et la lectio quand le Seigneur semble « absent ». Il est important d’apprendre à se servir de la bibliothèque du monastère. Une recherche sur Google ne remplacera jamais un bon livre. Face aux urgentes nécessités, nous n’hésitons pas à investir dans des formations profanes techniques, par exemple en comptabilité et en gestion. Aidons aussi les candidats à développer leurs dons artistiques, musicaux, etc. Il n’est pas permis d’être pingre dans le registre de la formation.

Après ces généralités, le texte décline les valeurs incontournables.

« Tout cela n’a de sens que si les membres en formation sont perméables à l’éthique du silence dans la vie monastique ; la prière contemplative ne peut s’épanouir que dans un climat de silence. Les candidats venant d’un monde très bruyant et encombré de gadgets auront à découvrir la valeur et la beauté du silence, de la solitude avec Dieu, et de la consécration de plages substantielles chaque jour à la prière et à la lectio. »

Silence est répété trois fois en trois lignes – reflet de l’interrogation des membres rédacteurs devant le bruit envahissant nos cloîtres. Les lieux réguliers où l’on se croise en se souriant sont un baume pour le cœur de ceux qui le vivent. Osons sauvegarder notre trésor d’intimité avec le Seigneur.

À la suite de ces affirmations, nous proposons quelques pistes pour démarrer une discussion. La première partie déclarative est proposée aux monastères du monde entier, il convient donc de l’ajuster aux contingences locales. Les interrogations portent sur ici et maintenant. Dans ce chapitre 3 nous avons relevé cinq points d’attention.

1) La formation est idéalement remise à toute la communauté puisque les candidats entrent dans la vie monastique par osmose. Est-ce aujourd’hui vraiment le cas dans ma communauté ? Comment puis-je m’impliquer davantage ? Suis-je fidèle à la lectio, à la prière, aux engagements souscrits le jour de ma profession ? Il revient à chacun de s’interroger droitement.

2) La formation peut toujours être améliorée ; cherchons ensemble comment. Les groupes bibliques en communauté, lectios partagées, comptes rendus de lectures sont autant de petits moyens pour partager le meilleur de ce qui nous tient ensemble en communauté au service d’un même Seigneur.

3) Des moyens financiers adéquats sont-ils réservés à ce qui touche la formation ? En ce domaine, la parcimonie est néfaste. L’AIM est prête à soutenir des projets de formation.

4) Il faut bien aborder la question de la sélection. Vivre c’est choisir, tout le monde n’est pas fait pour vivre au monastère. Nous en appelons à la vigilance et au discernement de tous. Il est préférable de discerner le plus rapidement possible si l’on doit remercier un candidat. Il faudra du courage et de l’audace à une communauté fragile et peu nombreuse pour ne pas retenir un candidat inadapté. Les fragilités psychiques ne s’arrangeront pas dans le monde clos du monastère, bien au contraire ; l’expérience nous l’enseigne. Cela vaut pour les communautés masculines et féminines.

5) Comment mieux montrer le Christ vivant au milieu de nous ? Nous aimerions répondre à cette dernière question. Mettons-nous en chantier, interrogeons-nous en communauté et laissons jaillir les suggestions pour le bien et la joie de tous ; cela pourra générer un magnifique « feu d’artifice » !

Merci à tous.


Statut de saint Benoît au monastère de Lamanabi, Indonésie. © AIM.
Statut de saint Benoît au monastère de Lamanabi, Indonésie. © AIM.

Le « Miroir de la vie monastique » à partir d'une lectio divina

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Perspectives

Père Jean-Pierre Longeat, osb

Président de l’AIM

 

Le « Miroir de la vie monastique »

à partir d’une lectio divina

 


Il m’est arrivé d’utiliser le texte du « Miroir » comme support pour l’animation de rencontres ou de retraites avec des communautés. Il m’a paru important en chacune de ces occasions d’enraciner le débat dans un partage initial de lectio divina concernant chacun des chapitres de ce document. Je voudrais en donner ici un écho à titre d’exemple ; d’autres pistes et d’autres références de textes sont possibles.


Introduction

C’est l’amour de Dieu et du prochain qui est au centre de la vie monastique chrétienne. Il est indispensable de repartir de ce fondement. Tout au long de notre vie, le Christ nous a révélé cet amour sous mille formes. Son appel nous a bouleversés. Nous avons voulu y répondre pour devenir membres de son Corps afin d’être unis à Dieu et à tous dans l’Esprit Saint. Le moine est celui qui n’a rien de plus cher que le Christ et qui fait tout par amour du Christ afin que tous puissent goûter les fruits de sa passion et de sa résurrection.

Jésus a dit : « Convertissez-vous, le royaume de Dieu est tout proche » (Mt 4, 17 et par.). L’un des plus grands défis pour nous aujourd’hui est de prendre au sérieux cette invitation. Il s’agit d’un retournement radical pour vivre à partir du cœur profond, celui où la vie émerge en nous au niveau le plus viscéral. Il s’agit de passer de l’intellect au cœur pour vivre ensemble selon la logique de l’Amour créateur et pour accueillir tous les fruits de cette disponibilité dans la vie la plus quotidienne au cœur de nos sociétés. Les principales difficultés de notre monde, tout comme de l’Église catholique, sont liées à cette exigeante conversion.


1) Communauté

À la veille de sa passion, Jésus a prié : « Que tous soient Un, comme toi, Père, tu es en moi et moi, en toi » (Jn 17, 21). Pour être « un » ensemble, il est nécessaire d’être « un » avec Dieu. Le commandement de l’amour est double et le deuxième est semblable au premier : « Celui qui dit aimer Dieu et qui n’aime pas son frère est un menteur » (1 Jn 4, 20). Il est étonnant que nous développions de beaux discours sur l’amour de Dieu et que nous ne soyons pas en mesure de considérer que l’amour des autres fasse autant partie de notre vie spirituelle.


2) Exercice de l’autorité, leadership

En matière d’autorité, le Christ dénonce le pouvoir de domination. Il dit : « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir » (Mt 20, 28 et par.). L’exercice de l’autorité nécessite vraiment la prise de conscience d’une telle disposition. Cela demande du temps et de la patience pour que l’assouplissement du cœur permette un tel service auprès de chacun des membres de la communauté et de la communauté tout entière.


3) Formation

Pour Jésus, la formation a quelque chose à voir avec cette proposition faite au soir de la Cène : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez vous aussi comme j’ai fait pour vous » (Jean 13, 15). La formation ne peut se limiter à la transmission d’un savoir notionnel, elle est liée à l’expérience. À partir d’une telle base, elle introduit sur la voie de la conversion dans l’amour et permet d’y progresser.


4) Vocations

Le Christ lui-même nous lance son appel, comme le dit saint Benoît dans le prologue de sa règle – « À toi donc, qui que tu sois, s’adresse mes appels » : « Viens, suis-moi » (Mc 10, 21). Ainsi nous n’avons pas à nous préoccuper des vocations. Dieu appelle et nous sommes disponibles pour accueillir les fruits de son appel.

Les personnes qui perçoivent l’appel de Dieu doivent être encouragées à rencontrer le Christ pour ensuite traduire cela de manières diverses dans leur vie.

Nos monastères ne sont pas des bureaux de recrutement pour que l’institution vive à tout prix. Nos monastères sont des lieux où l’appel du Christ se fait entendre d’une manière forte et claire. Chacun peut voir ensuite comment y répondre avec le discernement qui s’impose. Certains membres de nos communautés peuvent aider à ce discernement.


5) Travail

Le Christ a dit : « Venez travailler à ma vigne » (Mt 20, 4). Pour saint Benoît, toute la vie du moine est un travail, un travail de conversion.  C’est la practiké des Anciens. La contemplation est envisagée comme au-delà de ce travail de conversion. La liturgie, la lectio, le travail manuel ou intellectuel sont pratiqués pour que s’accomplisse l’œuvre du Seigneur dans le monastère qui est un atelier et une école du service du Seigneur.


6) Stabilité financière

Dans une parabole, le Seigneur loue un intendant qui se fait des amis avec l’argent trompeur (Lc 16, 1-13). On peut trouver à redire sur l’utilisation d’une telle parabole pour approfondir la stabilité financière des monastères. Mais en fait, il s’agit de ne pas absolutiser la valeur de l’argent et de la mettre au service d’une fraternité permettant la communion. La bonne gestion et la stabilité financière sont nécessaires pour un sain développement de la communauté.


7) Le monastère et le monde

Les moines vivent comme les autres chrétiens selon la parole du Christ : « Dieu n’a pas envoyé le Fils de l’homme dans le monde pour juger le monde mais pour qu’il soit sauvé » (Jn 17, 14-18). Il dit aussi : « Je suis venu dans le monde, mais je ne suis pas du monde ». Les moines sont dans le monde mais leurs références ultimes ne sont pas celles d’un monde sans Dieu. C’est pourquoi il garde un certain recul pour mieux discerner quels choix ils ont à faire.


Conclusion

Il y a, bien sûr, d’autres domaines de la vie monastique et d’autres défis. Chaque communauté ou congrégation devra élaborer son propre programme de discussion interne. Nous sommes là pour vivre le commandement de l’amour en convertissant nos perceptions et nos décisions selon le cœur profond. Le grand défi pour aujourd’hui et demain est de travailler à cette perspective pour participer à un monde nouveau qui fasse signe du Royaume qui vient. Cela demande un vrai partage de fond en communauté sur, d’une part, l’accueil du feu intérieur de l’amour divin, et sur la mise en œuvre concrète de l’organisation qui en découle. Nous espérons que les points soulevés seront utiles pour favoriser ce travail et ces prises de décision communautaires afin que nous soyons réellement des témoins de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ pour le monde d’aujourd’hui.

Le « Miroir » à la lumière de la règle et de la vie de saint Benoît

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Perspectives

Père Geraldo González y Lima, osb

Membre de l’Équipe internationale


Le « Miroir » à la lumière de la règle

et de la vie de saint Benoît


 

« Y a-t-il quelqu’un ici qui aspire à la vie et désire voir des jours heureux ? » (RB, Prologue 15)


Ce document est une tentative de plus pour répondre à cette question et, d’un point de vue général, il a été écrit comme une réflexion à lire et à discuter lors d’occasions communautaires telles que des journées de réflexion ou même des retraites, il est néanmoins possible de l’utiliser d’une manière personnelle.

En termes pratiques, tout d’abord, il est recommandé de lire l’introduction et « L’état général du monde et de la vie monastique aujourd’hui » afin de comprendre le cadre de ce document.

Pour faciliter l’utilisation de ce document, quelques questions sont suggérées à la fin de « L’état général... » et à la fin de chaque thème ou sujet développé dans les réflexions suivantes.

Chaque thème prévoit un temps de réflexion personnelle, puis de discussion communautaire, de sorte que, selon la taille de la communauté, il faudra peut-être au moins deux heures pour lire et discuter chaque thème. Pour chacun des thèmes, je propose ici quelques textes de la règle de saint Benoît et du Livre II des Dialogues de saint Grégoire : La vie et les miracles de Benoît.

Et puis, comme l’a fait saint Benoît, après cette réflexion, nous pouvons avancer dans notre vie monastique « savamment ignorants et sagement incultes » (Livre II des Dialogues de saint Grégoire : La vie de Benoît, Prologue).


Suggestions

« L’état général du monde et de la vie monastique aujourd’hui »

Règle :

– Prologue

– Chapitre 73 : Sur le fait que la pleine observance de la justice n’est pas établie dans la présente règle.

Dialogues :

– Prologue

– Chapitre 17 : Comment l’homme de Dieu, Benoît, a prédit la suppression d’une de ses propres abbayes.

– Chapitre 35 : Comment il voyait le monde entier représenté sous ses yeux ; et aussi l’âme de Germanus, évêque de Capoue, montant au ciel.

– Chapitre 36 : Comment saint Benoît a écrit une règle pour ses moines.

– Chapitre 37 : Comment le vénérable Benoît a-t-il prophétisé à ses moines le moment de sa propre mort.


1. Communauté : « Construire la vie communautaire et la vivre pleinement »

Règle :

– Chapitre 1 : Sur les espèces de moines.

– Chapitre 3 : L’appel des frères à donner leur avis en Conseil.

– Chapitre 4 : Quels sont les instruments des bonnes œuvres ?

– Chapitre 5 : Sur l’obéissance.

– Chapitre 6 : De l’esprit du silence.

– Chapitre 7 : De l’humilité.

– Chapitre 68 : Si l’on enjoint à une frère des choses impossibles.

– Chapitre 69 : Que les moines prétendent ne pas se défendre les uns les autres.

– Chapitre 70 : Que personne ne s’aventure à punir à tout propos.

– Chapitre 71 : Que les frères soient obéissants les uns aux autres.

– Chapitre 72 : Sur le bon zèle que doivent avoir les moines.

Dialogues :

– Chapitre 1 : Comment il a rendu un tamis cassé entier et sain.

– Chapitre 2 : Comment il a surmonté une grande tentation de la chair.

– Chapitre 3 : Comment Benoît, par le signe de la Sainte Croix, brisa un verre à boire en morceaux.


2. Leadership : L’éducation et la formation des responsables monastiques

Règle :

– Chapitre 2 : Ce que doit être l’abbé.

– Chapitre 21 : Sur les doyens du monastère.

– Chapitre 64 : Sur l’établissement de l’abbé.

– Chapitre 65 : Sur le prieur du monastère.

Dialogues :

– Chapitre 5 : D’une fontaine qui jaillit au sommet d’une montagne, selon les prières de l’homme de Dieu.

– Chapitre 9 : Comment le vénérable Benoît, par sa prière, a enlevé une énorme pierre.

– Chapitre 22 : Comment, par vision, le vénérable Benoît a disposé l’édifice de l’abbaye de Terracina.


3. Formation : formation initiale et continue et formation des formateurs

Règle :

– Chapitre 23 : Sur l’excommunication en cas de faute.

– Chapitre 24 : Ce que devrait être la mesure de l’excommunication.

– Chapitre 25 : Des fautes plus graves.

– Chapitre 26 : Sur ceux qui, sans ordre de l’abbé, s’associent à l’excommunié.

– Chapitre 27 : La sollicitude de l’abbé à l’égard des excommuniés.

– Chapitre 28 : Au sujet de ceux qui ne modifieront pas leur comportement après des corrections répétées.

– Chapitre 29 : Faut-il accueillir de nouveau les frères qui quittent le monastère ?

– Chapitre 30 : Comment les enfants doivent être corrigés.

Dialogues :

– Chapitre 20 : Comment saint Benoît connaissait la pensée d’orgueil d’un de ses moines.

– Chapitre 25 : Comment un moine, abandonnant l’abbaye, rencontra un dragon sur son chemin.


4. Vocations : discernement et promotion des vocations monastiques

Règle :

– Chapitre 58 : L’accueil des candidats dans la communauté.

– Chapitre 59 : Les enfants offerts par les nobles ou par les pauvres.

– Chapitre 60 : L’admission des prêtres au monastère.

– Chapitre 61 : Comment recevoir les moines étrangers.

Dialogues :

– Chapitre 6 : Comment la tête de fer d’un bec, du fond de l’eau, est retournée sur la poignée.

– Chapitre 7 : Comment Maur marchait sur l’eau.


5. Travail : travail monastique adapté et développement d’une éthique de travail sérieuse

Règle :

– Chapitre 48 : Travail manuel quotidien.

– Chapitre 49 : Ceux dont le travail les éloigne de l’oratoire.

– Chapitre 57 : Les artisans du monastère.

Dialogues :

– Chapitre 27 : Comment Benoît a miraculeusement trouvé de l’argent pour soulager un pauvre.

– Chapitre 28 : Comment une burette de verre a été jetée sur les pierres et a été trouvée non brisée.

– Chapitre 29 : Comment un baril vide a été rempli d’huile.


6. Stabilité financière : devenir une communauté financièrement viable – de la dépendance à l’autonomie financière

Règle :

– Chapitre 31 : Ce que doit être le cellérier du monastère.

– Chapitre 32 : Les outils et les objets du monastère.

– Chapitre 33 : Si les moines doivent avoir quelque chose en propre.

– Chapitre 34 : Répondre équitablement aux besoins de tous.

Dialogues :

– Chapitre 21 : De deux cents boisseaux de farine trouvés devant la cellule de l’homme de Dieu.


7. Le monastère et le monde, séparation et immersion

Règle :

– Chapitre 53 : L’accueil des hôtes.

– Chapitre 56 : La table des supérieurs et des hôtes du monastères.

– Chapitre 66 : Le portier du monastère.

– Chapitre 67 : Ceux qui sont envoyés en voyage.

Dialogues :

– Chapitre 15 : Prophéties faites à Totila ainsi qu’à l’évêque de Canuse.

– Chapitre 33 : D’un miracle accompli par sa sœur Scholastique.

Assassinés là où ils œuvraient. Béatification des martyrs d’Algérie

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Père Armand Veilleux, ocso

Abbé émérite de N.-D. de Scourmont (Belgique)

 

Assassinés là où ils œuvraient

Béatification des martyrs d’Algérie


 

L’Église d’Algérie fut drastiquement réduite en nombre au moment de l’indépendance du pays en 1962. Les conversions de l’islam au catholicisme étant interdites, toute forme d’activité missionnaire, considérée comme du prosélytisme, était également exclue. L’Église se trouvait donc réduite à l’essentiel : vivre l’Évangile.

L’activité des religieux venus de l’étranger consistait essentiellement à mettre en pratique le chapitre 25 de l’Évangile de Matthieu : « J’ai eu faim... j’ai eu soif... j’étais malade..., etc. ». Dix-neuf de ces témoins de la charité chrétienne, morts entre mai 1994 et août 1996, ont été béatifiés à Oran le 8 décembre dernier. Ils s’étaient mis au service du peuple algérien, sans distinction de race ou d’appartenance religieuse. Il convenait de les béatifier comme « martyrs », car ils furent tous d’authentiques témoins de l’amour universel. Ce qui est offert à l’Église et au monde, dans cette célébration, ce n’est pas simplement l’exemple de témoins individuels, mais bien celui de la sainteté d’une Église locale.


Proximité coupable

Parmi les services rendus à la jeunesse algérienne par l’Église, se trouvent quelques bibliothèques où les jeunes étudiants, presque tous musulmans, peuvent venir étudier. C’est dans une de ces bibliothèques, fréquentée par plus de mille jeunes du quartier populaire de la casbah, que les premiers de cette lignée de martyrs, le frère Henri Vergès et la sœur Paul-Hélène Saint-Raymond, furent assassinés le 8 mai 1994. Il est significatif que, comme plusieurs autres après eux, ils furent tués là même où ils œuvraient au service de la population algérienne.


Une Église réduite à l’essentiel

Avec la béatification de Pierre Claverie et de ses dix-huit compagnons, c’est le témoignage de toute une Église locale qui était donné en exemple.Quelques mois plus tard, en octobre, deux augustines missionnaires espagnoles, les sœurs Esther Paniagua Alonso et Caridad Álvarez Martín, tombaient sous les balles en se rendant à la messe près de l’endroit où elles s’occupaient de jeunes handicapés. Le 27 décembre, quatre Pères blancs étaient assassinés à Tizi-Ouzou, là où ils offraient de nombreux services à la population locale. Il est évident que c’est cette proximité même que voulaient faire disparaître les commanditaires de ces assassinats.

Après environ une année d’accalmie, trois religieuses dont toute la vie était consacrée à l’aide aux plus nécessiteux connaissaient le même sort. Ce furent deux sœurs de Notre-Dame des Apôtres, Denise et Bibiane, en septembre 1995, et Odette, petite sœur du Sacré-Cœur, en novembre. Le sort des moines de Tibhirine est mieux connu. Ils ont été présentés par le pape François comme un exemple de « sainteté communautaire », dans son instruction apostolique de 2018 sur la sainteté. Ils furent arrachés de leur monastère, durant la nuit du 26 mars 1996, et tués environ un mois plus tard. Leurs têtes réapparurent à peu près un autre mois après leur mort, près de Médéa.

Le fait qu’on n’ait pas retrouvé leurs corps possède une valeur hautement symbolique. Leurs restes se trouvent ainsi mélangés, dans le sol algérien, avec ceux de plus de deux cent mille victimes algériennes de la même violence.


Deux figures d’évêques

Pour clore cette triste et noble liste, c’est Pierre Claverie, évêque d’Oran, qui fut assassiné le 1er août 1996, avec son jeune chauffeur musulman, Mohamed, à la porte de son évêché. Né en Algérie, il y était revenu comme dominicain et s’était occupé lui aussi, durant plusieurs années, avant d’être évêque, d’une bibliothèque mise au service des jeunes Algériens, celle des Glycines.

Il convient de mentionner, en terminant, un autre « témoin » de la charité, l’évêque Henri Teissier, âgé aujourd’hui de 89 ans, qui était présent à la béatification du 8 décembre. Il fut à la tête de l’Église d’Alger durant toutes ces années tragiques, et fut le pasteur attentif de presque tous ces martyrs de la charité chrétienne.


Pèlerinage au monastère de Tibhirine le 9 décembre 2018, lendemain de la béatification des moines.
Pèlerinage au monastère de Tibhirine le 9 décembre 2018, lendemain de la béatification des moines.

La musique, moyen privilégié de chercher Dieu et de le trouver

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Liturgie

† Père Dominique Catta, osb

Abbaye Saint-Benoît de Keur Moussa (Sénégal)

 

La musique, moyen privilégié

de chercher Dieu et de le trouver


 

« La recherche de Dieu a conduit les moines du Moyen Âge à une culture de la Parole » disait en résumé le pape Benoît XVI au monde de la culture à Paris (12 septembre 2008 au Collège des Bernardins). Relisons ses paroles très importantes :

« La recherche de Dieu requiert, intrinsèquement, une culture de la parole. (…) Pour prier sur la base de la Parole de Dieu, la seule labialisation ne suffit pas, la musique est nécessaire. Deux chants de la liturgie chrétienne dérivent de textes bibliques qui les placent sur les lèvres des anges : le Gloria qui est chanté une première fois par les anges à la naissance de Jésus, et le Sanctus qui, selon Isaïe 6, est l’acclamation des séraphins qui se tiennent dans la proximité immédiate de Dieu. (…) Pour saint Benoît, la règle déterminante de la prière et du chant des moines est la parole du Psaume : Coram angelis psallam Tibi, Domine – en présence des anges, je veux te chanter, Seigneur (cf. 138, 1). Se trouve ici exprimée la conscience de chanter, dans la prière communautaire, en présence de toute la cour céleste, et donc d’être soumis à la mesure suprême : prier et chanter pour s’unir à la musique des esprits sublimes qui étaient considérés comme les auteurs de l’harmonie du cosmos, de la musique des sphères. Les moines, par leurs prières et leurs chants, doivent correspondre à la grandeur de la Parole qui leur est confiée, à son impératif de réelle beauté ».

 

1) La musique religieuse doit être le fruit de la musique émise  par le Créateur dans le monde

Benoît XVI, en parlant de la musique médiévale fruit de l’écoute amoureuse de la Parole de Dieu, nous invite à repenser la musique religieuse et surtout la musique liturgique, prière officielle de l’Église « non comme l’œuvre d’une “créativité” personnelle où l’individu, prenant comme critère essentiel la représentation de son propre moi, s’érige un monument à lui-même ». Il s’agit plutôt, dit encore Benoît XVI, « de reconnaître attentivement avec les “oreilles du cœur” les lois constitutives de l’harmonie musicale de la création, les formes essentielles de la musique émise par le Créateur dans le monde et en l’homme, et d’inventer une musique digne de Dieu qui soit, en même temps, authentiquement digne de l’homme et qui proclame hautement cette dignité ».

Ces paroles de Benoît XVI, qu’en 1963 les moines de Keur Moussa ne pouvaient alors soupçonner, font maintenant comprendre leur étonnement et même leur émerveillement lorsqu’ils retrouvèrent certains modes grégoriens dans des musiques populaires du Sénégal de cette époque. Car ces chants populaires certainement très anciens sont un langage, tout comme les modes de la musique ancienne, antérieure à la Renaissance, sont un langage qui a servi aux compositeurs du chant grégorien à traduire leur foi en musique. À un niveau plus simple, les chants de la brousse du Sahel et d’autres régions de l’Afrique sont l’expression d’une vie sociale, où le divin se mêle à l’humain. Ils rythment les saisons, les travaux et les fêtes, insérés dans le cours de l’existence, depuis la naissance de l’enfant jusqu’à la mort du vieillard qui rejoint ses ancêtres toujours présents au cœur de la Nature. Il n’est donc pas surprenant qu’on retrouve certaines parentés entre les mélodies populaires de l’Afrique noire, non encore touchée par la musique contemporaine des villes, et les mélodies grégoriennes, au point que celles-ci ont servi aux moines de Keur Moussa de « grille » de lecture pour retenir tel où tel chant africain comme base d’une mélodie liturgique.

Il reste cependant que la Parole de Dieu, lorsqu’elle s’incarne dans le chant profane, si beau soit-il, agit sur lui, à la manière dont un parfum s’empare d’un vase jusque-là destiné à garder l’eau pure, mais destinée aux usages profanes. Il ne faut pas l’oublier lorsqu’on applique sans réflexion la Parole sacrée à des musiques qui n’étaient pas destinées à cela. D’où les réflexions qui suivent sur la musique sacrée.

 

2) Musique sacrée

Ce qui sépare la musique profane de la musique liturgique sacrée, c’est que celle-ci chante la Parole de Dieu. Dans la Liturgie, qui est le chant de l’Église, la musique chante Jésus Christ, présent dans les psaumes et les cantiques de l’Ancien et du Nouveau Testament. C’est pourquoi, sur la base de musiques populaires, expressions de la vie des hommes, le souffle de l’Esprit Saint doit purifier et élever le cantique en y incarnant Jésus Christ et ses Mystères. C’est un travail auquel Dieu et les compositeurs comme les chanteurs et les instrumentistes collaborent intimement par la méditation et la prière.

Saint Benoît désigne la prière liturgique (les Offices) par l’expression Opus Dei, Œuvre de Dieu. Dieu est, en effet, le premier Ouvrier de la prière. D’abord parce qu’en tant que créature, nous ne sommes pas capables de l’atteindre en profondeur, à moins qu’il ne nous en donne la grâce, et ensuite, parce que, pécheurs, nous sommes encombrés de notre moi, obstacle à l’élévation du cœur vers Dieu et le prochain. Mais, si la grâce nous porte à l’attention à Dieu, à ses saints, à ses anges, et aux mystères du Seigneur que nous célébrons au chœur, nous entrons dans l’œuvre même de Dieu, et cela se traduit par la façon de composer la musique sacrée, de la chanter ou de l’accompagner sur des instruments du pays.

 


3) Applications pratiques

1- Comprendre le texte qu’on chante ou qu’on lit. Connaître le sens d’un chemin, c’est savoir où il va et marcher sans hésitation vers son terme. On ne chante pas des mots, mais des phrases qui groupent ou séparent des mots qui ont un sens. Un des obstacles du chant choral quotidien, comme c’est le cas dans les monastères, c’est celui de la routine et de l’inattention au sens global des phrases. De là vient cette tendance quasi générale à s’appesantir sur la fin de chaque mot, comme s’il était isolé, indépendant du reste, parce que l’attention au sens s’est relâchée. Il faut rester présent au texte, qui, avant de sortir des lèvres, est passé par l’esprit et le cœur.

2- La bonne musique donne aussi un sens, qui s’ajoute à celui donné par le texte et l’amplifie. Le chant grégorien dans ses meilleures pièces en donne maints exemples : les musiques du Sanctus XII (mode de RE) et du Sanctus III (mode de MI) donnent deux expressions musicales totalement différentes du Mystère trinitaire. Mais cette richesse d’expression ne se traduit dans les faits que si le chœur a saisi l’esprit qui anime la musique d’un texte et l’exécute en conséquence. Peut-on donner des pistes qui donnent un accès facile à cette richesse d’expression ?

3- C’est souvent la ligne mélodique qui fait découvrir l’esprit ou le sens d’une musique. La musique n’est pas une pure succession de notes qui montent et qui descendent. Une phrase musicale peut tendre vers un sommet pour redescendre à son point de départ. Elle peut aussi jaillir dès le départ d’un sommet, comme on le voit souvent dans les airs populaires mandingues, pour descendre la gamme par paliers successifs. Elle peut aussi progresser en intensité par la répétition de la même note, à l’image d’un sauteur qui prendrait appui sur une planche élastique pour bondir par-dessus l’obstacle. Toutes les formes sont possibles et bonnes si la ligne mélodique « parle » pour ainsi dire, si l’on sent que le compositeur a quelque chose à dire à travers sa ligne mélodique. Une fois compris « le sens », les voix doivent exprimer la « marche » ou la « course », ou la « méditation » ou la « descente », par une intensité et un mouvement continuellement contrôlés par le sens en question.

4- Benoît XVI a rappelé que, pour saint Benoît, les moines prient et chantent en présence de toute la cour céleste, et donc soumis et unis à la musique des esprits sublimes… « Les moines, par leurs prières et leurs chants, doivent correspondre à la grandeur de la Parole qui leur est confiée, à son impératif de réelle beauté. »

On a reproché à l’École grégorienne de Solesmes de pratiquer un chant éthéré, qui manque de virilité et de naturel. Or, l’un des principes de cette École, qui, à une époque et jusqu’à nos jours, a permis à beaucoup d’hommes et de femmes de cultures très diverses de trouver Dieu et de le prier, c’est de suivre le texte et la ligne mélodique, d’en exprimer le sens, montant en force de plus en plus intense vers le sommet en adoucissant l’intensité lorsque les voix atteignent le but. La violence, qui est souvent recherchée dans le chant profane pour exprimer l’intensité des sentiments, est en contradiction avec l’humilité de la prière. L’image la plus parlante de cette maîtrise de la force est celle de l’encens opposé au jet de pierres qui retombent lourdement sur l’objet atteint. Lancé avec force, l’encens monte vers Dieu en volutes de plus en plus légères, souples, qui s’évanouissent sous les voûtes de la cathédrale. Ce principe est valable, pour une bonne part, de tout chant religieux, y compris pour les chants sacrés en langues africaines sur des rythmes authentiquement africains. Il y a une « conversion » de l’art, lorsqu’il est au service de la Parole de Dieu. Les percussions de tam-tam, balafon, kora ou calebasse qui accompagnent la Parole, sont au service du Christ, doux et humble de cœur, présent dans la Parole. Cela ne signifie pas la mièvrerie et l’insignifiance. La force contrôlée par l’esprit peut se manifester avec éclat pour exprimer la douleur ou l’enthousiasme. Mais le chanteur chrétien n’est ni agressif en s’adressant à Dieu, ni attentif aux applaudissements du public. Le bon batteur se met au service de la Parole, et entraîne le chœur à suivre avec entrain le rythme du chant, sans écraser ni dominer le chant, comme c’est souvent le cas dans la musique profane, où la percussion est l’âme de la fête. Pour la musique sacrée, l’âme du chant choral, c’est la Parole de Dieu.

5- La musique moderne déversée avec force et agressivité par les médias depuis plusieurs décennies dans le monde entier influe plus ou moins consciemment sur les compositeurs chrétiens et les chorales paroissiales. Par opposition à la musique modale du Moyen Âge ou de l’Afrique ancienne, la musique moderne n’a pas sa source dans la société familiale antique ou le divin se mêle à l’humain. Adoptée par des chanteurs chrétiens, qui s’en inspirent pour proclamer la Parole de Dieu, soutenus par des synthétiseurs, des guitares électriques et des sonos, cette musique est très répandue maintenant dans les chorales de jeunes et moins jeunes. La générosité, le courage de la foi et l’élan apostolique incontestable des animateurs de cette musique qui s’empare des églises sont hors de doute. Mais, à l’inverse de ce que nous avons dit de la musique profane antique qui doit se mettre au service de la Parole de Dieu pour en être purifiée et anoblie par l’incarnation de Jésus Christ, on a l’impression ici que c’est la Parole de Dieu qui se met au service de la musique profane… Pourquoi la Parole de Dieu incarnée en Jésus Christ ne purifierait-elle pas cette musique, plutôt que l’inverse ? C’est peut-être un chemin de conversion à trouver et une piste pour une véritable créativité musicale.


Keur Moussa, 7 octobre 2007, en la fête de Notre-Dame du Rosaire



Aperçu de la vie monastique à Madagascar

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Une page d’histoire

Père Christophe Vuillaume, osb

Prieuré de Mahitsy (Madagascar)

 

Aperçu de la vie monastique

à Madagascar

 


1) Un peu d’histoire

Lorsqu’un petit groupe de sœurs bénédictines (missionnaires) de Sainte-Bathilde arrive en 1934 dans la Grande Île, la vie monastique y est pratiquement inconnue. Les congrégations déjà présentes, parfois dès le milieu du 19e siècle : jésuites, sœurs de Cluny, etc., sont toutes de type « apostolique ». À tel point que, pour ne pas totalement décevoir les attentes de la population d’Ambositra où elles s’installent, nos sœurs doivent ouvrir une petite école et y donner un enseignement pratique. Ce sera d’ailleurs le terreau de leurs premières vocations locales. Ce monastère, situé en pays Betsileo, à 300 km au sud d’Antananarivo, va connaître assez vite une belle croissance, si bien qu’il pourra fonder un deuxième prieuré à Mananjary, sur la côte Est, dès 1955, et un troisième, tout à fait au Nord, à Diego Suarès (Antsiranana), en 1976.

Il faut attendre 1954 pour que les moines de la Pierre-qui-Vire, qui ont déjà fondé au Vietnam dès 1947, arrivent à leur tour à Madagascar. Accueillis par les jésuites, ils s’installeront sur les terres d’une de leur ferme, dans les montagnes (1500 m), à 7 km de Mahitsy et à une trentaine d’Antananarivo. On est encore, depuis 1896, en régime colonial, ce qui facilite certainement l’implantation. Quatre frères, dont le supérieur n’a que trente-deux ans, inaugurent, en pleine campagne et avec de très pauvres moyens, leur petit monastère en y reproduisant pratiquement, selon les vues de l’époque, la vie qu’on menait alors à la maison-mère.

Quelques années après, et sans doute encouragés par leurs frères bénédictins, nous arrivèrent les cisterciens (on disait alors « trappistes ») envoyés par dom Louf, déjà abbé du Mont-des-Cats en 1958. Ils choisissent de s’implanter eux aussi sur les Hautes Terres centrales (souvent appelées les Hauts-Plateaux), mais en région Betsileo, à quelques kilomètres seulement de la capitale régionale, Fianarantsoa, à 400 km au sud d’Antananarivo. C’est le monastère de Maromby.

Enfin, c’est de Campénéac (Bretagne) que viendront en 1996 nos sœurs cisterciennes, qui s’établiront à quelque distance de leurs frères, au lieu-dit Ampibanjinana : « le lieu de la contemplation » !

 

2) La vie religieuse dans la Grande Île

Les apôtres du catholicisme à Madagascar sont incontestablement les jésuites. Bien que plusieurs missions aient été lancées aux 15e, puis au 17e siècle, notamment avec les lazaristes de saint Vincent de Paul, l’impulsion décisive n’a été donnée qu’au milieu du 19e siècle. La monarchie souvent autoritaire qui règne à l’époque sur la partie centrale de l’île commence à s’ouvrir alors à l’influence occidentale. D’abord par le biais du commerce, de l’industrie, de l’équipement militaire, puis, mais non sans méfiance, au christianisme catholique et protestant que véhicule la culture européenne. La France et la Grande-Bretagne se livrent alors une guerre d’influence qui rejaillit sur le terrain, parfois assez durement, entre anglicans, bientôt rejoints par plusieurs branches du protestantisme, et catholiques romains. C’est finalement la République française qui entreprendra la conquête de Madagascar en 1896, permettant du même coup l’unification d’une vingtaine de tribus en une seule nation. La colonie, comme partout, ne fut pas seulement une entreprise militaire, mais une œuvre de réel développement sur tous les plans où se sont illustrés les maréchaux Gallieni et Lyautey.

L’extraordinaire efflorescence de la vie religieuse en France au cours du 19e va rapidement s’étendre à la Grande Île où les fondations se multiplient tout au long du 20e siècle et ne tarissent pratiquement pas jusqu’à ce jour. On y compte actuellement plus de cent quinze congrégations féminines et près de trente-sept masculines, souvent très fécondes. La vie contemplative y est bien représentée, puisqu’en dehors des fils et filles de saint Benoît, six carmels et quatre monastères de clarisses se sont installés à Madagascar, avec un bon recrutement. On note aussi la présence d’autres communautés contemplatives : trinitaires de Rome, fraternité contemplative du père de Foucauld, etc.

Le christianisme, solidement implanté sur les Hautes Terres (tribus Merina et Betsileo), poursuit son œuvre d’évangélisation, souvent difficile, sur les côtes, dans le grand Sud et le grand Nord. Bien qu’une seule langue soit parlée par tous les Malgaches, des dialectes et surtout des mentalités assez différentes peuvent encore créer des obstacles à un réel brassage de la population, y compris dans les communautés religieuses.

 


3) Les caractères de la vie monastique malgache

Fils et filles de saint Benoît, nous vivons, bien sûr, de par le monde une même vie monastique, basée sur l’observance de sa règle et de nos traditions, mais avec des variantes qu’il est bon ici de préciser.

a) La liturgie

Restée longtemps très proche des modèles français, la liturgie s’est peu à peu inculturée sous l’impulsion de Vatican II. Le père Gilles Gaide, moine de Mahitsy, fut un des principaux acteurs de cette tâche avec son équipe d’Ankalazao ny Tompo (« Louez le Seigneur »). Ce qui aboutit non seulement à la composition d’un équivalent de « Prière du Temps Présent » : Vavaka isan’andro (VIA), mais encore à un répertoire considérable d’hymnes et de cantiques connu presque par cœur et très utilisé dans toute l’île, y compris dans les paroisses. Tout en utilisant ce recueil à certaines occasions, les communautés monastiques ont cependant chacune composé leurs propres livres de prière, en fidélité à leurs traditions propres. Actuellement quelques-unes continuent à dire les vigiles en français, tandis que d’autres célèbrent toute la liturgie en malgache.

La musique traditionnelle n’y est que rarement introduite (tambour et valiha). Par contre, il existe un recueil en malgache pour les célébrations pascales, du dimanche des Rameaux à la Pentecôte, et des livrets pour les autres temps.

b) Les observances

Elles ne se distinguent guère de ce que l’on vit en France. L’ascèse y est la même. Les repas y sont partout assez frugaux, associant coutumes malgaches et occidentales. L’habit monastique traditionnel est porté dans tous nos monastères sans la moindre difficulté. Il faut cependant noter une plus grande attention aux rites traditionnels, notamment lors du décès d’un frère ou d’une sœur. On est très sensible ici à la qualité des relations humaines, à la bonne entente entre voisins (le fihavanana) qui implique aussi une réelle solidarité. De ce fait, le silence est peut-être plus difficile à observer, tant la relation directe, dans une tradition encore très largement orale, est privilégiée. D’une façon générale, la société malgache est encore fortement encadrée par de nombreux rites et coutumes ; ce qui aide sans doute les nouveaux venus à entrer dans les observances monastiques.

c) Le recrutement

Il a longtemps été assez lent, surtout chez les moines. Mais un tournant a été pris ou est en train de se prendre et nos effectifs s’étalent désormais de vingt-cinq à trente-cinq environ. Nos frères de Maromby ont envoyé, il y a une dizaine d’années, quelques frères aux îles Seychelles pour y ouvrir une « maison » annexe du monastère  de Fianarantsoa (cinq frères actuellement). Chez les sœurs, en dehors d’Ambositra (une trentaine de sœurs), les communautés comptent une bonne dizaine de sœurs chacune. Le recrutement est surtout local et l’on demande habituellement le niveau du baccalauréat, avec de possibles exceptions. Dans un pays où l’économie peine à se développer, un prudent discernement des vocations est essentiel,  mais toujours délicat. Rappelons que, sur les côtes, le christianisme est encore très récent, ce qui y explique aussi la relative rareté des vocations ou le manque de persévérance. Avec l’extension et la prolongation de la scolarisation, le type de recrutement est déjà en train de se modifier, sans doute en faveur de vocations plus typées et d’esprits plus aguerris.  Actuellement, la prieure d’Ampibanjinana est française, et il reste deux frères français à Mahitsy.

d) La formation

En dehors du tronc commun enseigné dans tous les noviciats, un gros effort a été entrepris dans les années 2000 pour mettre en place un studium monastique, avec le soutien de l’AIM, sur le modèle du STIM et commun à nos six monastères. Plusieurs moines et moniales y enseignent (ou y ont enseigné) à côté de quelques professeurs de séminaire. Mahitsy a la chance de pouvoir maintenir jusqu’ici son propre studium de théologie et ce depuis les années 90. On n’hésite pas, surtout chez les frères, à envoyer de jeunes moines étudier en France, mais aussi à l’Institut Catholique de Madagascar, ainsi qu’au cycle d’études pour les formateurs religieux. Mahitsy a également traduit en malgache un grand nombre de textes de la tradition monastique ancienne et contemporaine[1].

e) L’économie

Elle est saine et stable en général, même si certains monastères peinent davantage. Là encore, peu de différences avec nos monastères français : élevage, exploitation de la forêt, vins et liqueurs, confiserie et biscuits ou fromage, artisanat local, petite librairie religieuse. Le monastère Saint Jean-Baptiste, situé sur le haut-lieu touristique de la baie de Diego, reçoit aussi la visite de bien des touristes qui savent apprécier la présence d’une communauté monastique accueillante.

f) L’insertion dans l’Église locale

On est certainement plus sensible à ce lien à Madagascar qu’en Europe. Cela se manifeste par la participation mutuelle à quelques célébrations ou à des rencontres diocésaines et par une cordiale relation avec nos pasteurs qui, habituellement, comprennent et respectent notre charisme monastique. Nos hôtelleries sont habituellement bien fréquentées, surtout à l’approche des grandes fêtes liturgiques. Notons aussi l’existence d’une assemblée des supérieur(e)s monastiques de l’île qui s’étend depuis quelques années aux communautés de carmélites et de clarisses. Elle se tient tous les deux ans, incluant, en dehors des échanges entre responsables, un temps de formation.

g) L’insularité

Un dernier trait à évoquer est celui du relatif isolement de nos monastères, dû en partie à l’éloignement géographique de Madagascar (à plus de 9 000 km de la France) et sans liaisons aisées avec les pays africains. Soulignons que la culture et la mentalité malgaches n’ont d’ailleurs pas grand-chose à voir avec les cultures africaines, même si l’on peut leur trouver quelques points de ressemblance. À bien des points de vue, on pourrait les rapprocher davantage d’une mentalité asiatique. Les lointains ancêtres d’une part importante de la population malgache, en particulier pour la région d’Antananarivo et au-delà, sont originaires de Polynésie dont ils gardent les traits physiques et un héritage linguistique autant que culturel. On ne s’étonnera pas d’y retrouver dans la culture locale tous les éléments caractéristiques de l’insularité, qui ne jouent pas toujours en faveur d’une réelle ouverture, d’échanges féconds et donc d’avancées culturelles autant qu’économiques. Notons que le séjour, pour études ou complément de formation monastique de quelques frères et sœurs dans nos monastères français, ainsi que des sessions (entre autres Ananie, Sainte-Anne) contribuent à faire évoluer les choses.

h) L’avenir

On peut dire que, désormais, nos communautés sont presque toutes, et en tout cas très majoritairement, composées de frères et sœurs malgaches. C’est dire que le travail d’inculturation va se poursuivre, lentement mais sûrement. Les coutumes évoluent selon le changement des mentalités, la composition des communautés, la personnalité de leurs supérieurs, voire la qualité de leur environnement. L’étape délicate est toujours le moment où les frères et sœurs autochtones prennent en main les responsabilités majeures de la communauté. Jusque-là, les fondateurs ou leurs successeurs et souvent les habitudes de la maison-mère fournissaient un cadre de références, voire un critère de discernement ; dès lors, le dialogue doit s’effectuer entre la Règle, la tradition monastique reçue et la conscience du supérieur avec sa communauté dans le contexte précis où elle vit. On s’est rendu compte que c’était souvent une étape délicate, d’initiatives parfois maladroites, de tâtonnements nécessaires à un mûrissement des mentalités et à un approfondissement de la vocation monastique. C’est un passage indispensable que saint Benoît lui-même et toutes les communautés ont connu. Il s’agit de traduire un idéal, une vocation, dans le concret de la vie. La Règle, les Constitutions et la tradition monastique sont là, mais ne suffisent pas à ordonner les mille et un aspects de la vie quotidienne en communauté, au jour le jour.

Que dire en conclusion sinon que nous vivons à Madagascar un moment crucial où notre unique vocation à « chercher Dieu » dans la vie monastique va devoir s’exprimer pleinement, et sans doute s’enrichir aussi, dans et à travers la culture locale, chez des moines et des moniales qui auront à la traduire selon leurs grâces propres et celles de leur peuple. Une tâche à la fois délicate et passionnante, une responsabilité que nul ne peut assumer à leur place. Il en va en effet de la transmission d’un charisme comme de la mise au monde d’un enfant : nourri, formé, encouragé par ses parents, et avant même qu’il ait atteint l’âge adulte, il lui revient de prendre sa vie en main et d’avancer, confiant en l’amour du Seigneur qui jamais ne saurait lui manquer. L’image la plus juste de ce mystérieux processus est sans doute celle du grain semé en terre. Fécondé par un coin de terre unique par ses caractères, la plante qui va germer, puis donner sa fleur et enfin son fruit sera à la fois semblable à la semence, d’une même nature, et légitimement différente, marquée de ses composantes propres. C’est là une loi naturelle sans doute voulue par le Créateur pour donner lieu à une infinie variété non seulement de formes et de couleurs, toutes plus belles les unes que les autres, mais aussi de saveurs, de parfums et de qualités d’une infinie richesse. En réalité, cette étonnante métamorphose nous replace au cœur du mystère pascal, car rien de cet enfantement, qui finalement rendra gloire à Dieu et sauvera le monde, ne saurait advenir si d’abord le grain ne meure[2].


[1] Actuellement disponibles, grâce à l’aide de l’AIM : la vie et la règle de saint Benoît, une vie de saint Benoît en BD et une sélection thématique d’apophtegmes.


[2] Le vrai missionnaire que fut le père Charles de Foucauld a progressivement découvert cette loi évangélique en la laissant s’inscrire jusque dans sa chair.

Le père Alwin Schmid

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Art et cultures

Père Cyrill Schäfer, osb

Moine de Saint-Ottilien (Allemagne)

 

Le père Alwin Schmid (1904-1978)[1],

pionnier de la construction d’églises modernes

en Corée

 

En Corée du Sud, lorsqu’on entre dans une église catholique, on peut être heureusement impressionné par l’architecture simple, élégante et moderne. Cette remarque vaut pour les édifices religieux et les centres paroissiaux. Le père Alwin Schmid (1904-1978), bénédictin profès de l’abbaye de Münsterschwarzach en Bavière, a passé la majeure partie de sa vie en Corée. Il a fait œuvre de pionnier dans la construction d’édifices religieux.

Né en 1904, au sud de l’Allemagne, au sein d’une famille nombreuse qui comptait beaucoup d’enseignants, il fut attiré dès sa jeunesse par les disciplines artistiques. Il étudia l’art plastique, successivement à Munich, à Berlin et à Vienne, dans des milieux en dialogue avec la modernité, au cours des années tumultueuses marquant le début de la Première Guerre mondiale.

En 1931, il entre à l’abbaye de Münsterschwarzach. Ses années de formation monastique ne sont pas vraiment paisibles, en raison de sa sympathie pour les écrits de Nietzsche et de son aversion ou au moins un certain scepticisme envers ce qu’il percevait comme le carcan d’un cléricalisme traditionnel. Il se lance toutefois dans des études de théologie, à Würzburg, dans les années 1933-37. Il est ordonné prêtre en 1936 ; en mai 1937, moine missionnaire, il est envoyé au nord de la Chine, dans la région de Yanji dont les missionnaires bénédictins exercent la responsabilité pastorale. Si le vicariat apostolique de Yanji était bien localisé en Chine continentale, les chrétiens du secteur étaient néanmoins pour la plupart des Coréens émigrés. Attendu que la Mandchourie – au nord de la Chine - était à l’époque sous occupation japonaise, les missionnaires de Yanji devaient apprendre trois langues asiatiques à la fois, à savoir le chinois, le coréen et le japonais.

À son arrivée en Chine, le père Alwin fut immergé dans une activité missionnaire passionnante. Le zèle apostolique était alors si fervent que, au moment de l’interruption brutale de l’année 1945, pas moins de vingt-cinq paroisses avaient été fondées. Très peu de temps après son arrivée, il reçut la charge d’une paroisse ; mais en raison de compétences linguistiques déficientes, son ministère de prêtre ne fut pas franchement satisfaisant. Parallèlement à ses activités pastorales, le père Alwin se mit à dessiner et à concevoir plusieurs églises paroissiales, arrivant à combiner d’une manière originale des éléments de « l’art nouveau » ou Jugendstil avec l’architecture classique, tant européenne qu’asiatique. En mai 1946, les soldats du nouveau gouvernement communiste arrêtèrent tous les moines, qui furent condamnés et envoyés en camps de travaux forcés sous le chef d’accusation de collaboration présumée avec les anciens occupants japonais. Le père Alwin fut libéré en 1949 et retourna alors en Allemagne.

De retour à Münsterschwarzach, le père Alwin s’investit comme professeur d’art plastique au collège de son monastère pendant douze ans, précisément à l’époque du grand mouvement liturgique qui l’enthousiasma. Il ne put laisser libre cours à ses aptitudes artistiques car ses œuvres étaient perçues comme un style d’avant-garde, à une époque où l’on était frileux et bien plus en quête de restauration que de nouveauté. Sur le plan architectural, dans une Allemagne de l’Ouest ravagée par la guerre où tout était à reconstruire, il fut fortement influencé par deux grandes figures de l’architecture : Rudolf Schwarz (1897-1961), à Cologne, et Hans Schädel (1910-1996), à Würzburg, deux architectes qui ont su introduire la modernité dans la construction des églises, en Rhénanie comme dans le sud de l’Allemagne.

L'église de Beomil (1965) à bussan, de forme trapézoïdale ronde.
L'église de Beomil (1965) à bussan, de forme trapézoïdale ronde.

Entre-temps, les bénédictins missionnaires – expulsés de la Chine du nord et de la Corée du Nord – avaient fondé un nouveau monastère  en Corée du Sud, à Waegwan, près de la grande ville portuaire de Daegu. Le père Alwin reçut à Waegwan en 1958 la mission de dessiner et de réaliser une nouvelle église paroissiale.

Voilà pour ainsi dire le début de sa carrière, car cette commande fut suivie de beaucoup d’autres. Le père Alwin s’installa au monastère de Waegwan en décembre 1961 et ouvrit un cabinet d’architecte. Non seulement on lui commanda la construction d’édifices religieux, mais il eut aussi à concevoir la décoration d’églises, l’élaboration de fresques, d’autels, de sculptures, etc. Dans les années 1960, lorsque l’Église coréenne prit son envol, le père Alwin dut faire face simultanément à plusieurs projets. Dans les formes architecturales, il adopta la structure des églises modernes de l’après-Concile qu’on retrouve notamment chez Rudolf Schwarz, mais il sut l’adapter aux contingences de la Corée du Sud. Comme l’enveloppe budgétaire des municipalités était souvent parcimonieuse, il chercha des solutions plus économiques. Il ajustait volontiers le modèle des églises à leur environnement paysager. Jusqu’en 1978, l’année même de sa mort, il avait encore la responsabilité du chantier de sept églises en même temps.

Au cours de son ministère en Corée, le père Alwin a conçu cent quatre-vingt-cinq édifices religieux : des églises, des centres paroissiaux, des monastères et des chapelles. Les salles lumineuses, simples et fonctionnelles, qu’il a construites manifestent évidemment sa théologie  de la « communion ». Tous les sièges sont orientés vers l’autel. Comment ? grâce à des aménagements intérieurs en forme d’éventail  ou d’ovale. La distance entre l’autel et l’espace communautaire est aussi minimalisée que possible ; d’ailleurs l’autel n’est pas structurellement  séparé de l’assemblée qui célèbre. Les fonts baptismaux sont ramenés vers le centre, tandis que le tabernacle se trouve légèrement en retrait. L’ambiance générale est conviviale et familiale, baignant dans une harmonie de lumière. Pour ce faire, le père Alwin combine avec habileté des éléments symétriques et asymétriques. Les visiteurs se sentent délibérément accueillis. Dans les églises, le mobilier est franchement sobre. Les formes géométriques restent abstraites pour préserver cette impression de « sainte sobriété ». Les bâtiments sont construits selon un maillage lâche et aéré, induisant une certaine discrétion, modestie, excluant en tout cas la pesanteur majestueuse autant que l’exhibition triomphaliste ressentie comme une menace écrasante. Dans la structure intérieure, les lignes trahissent le praticien liturgique, un moine qui maîtrise parfaitement l’action liturgique et sait guider l’œil et établir un lien de fonctionnalité entre la sacristie et l’espace entourant l’autel. Le souci pastoral de l’artiste est patent, dans l’intégration harmonieuse des espaces prévus pour les activités paroissiales, reliés de manière originale à l’église proprement dite. D’ailleurs l’église peut aussi être partiellement transformée à dessein, pour servir à des activités non directement cultuelles. Selon la conception théologique du père Alwin, la « maison de Dieu » n’est pas exclusivement construite pour servir à des fins sacramentelles ; c’est aussi un centre pour héberger différentes activités de la communauté paroissiale.

De nos jours, un nombre assez conséquent d’églises construites par le père Alwin est démoli – il est financièrement plus économique de construire un nouveau bâtiment que de mettre aux normes les anciennes bâtisses. Notons toutefois le rôle essentiel joué par ces édifices en Corée ; ils ont permis de passer d’une forme d’église perçue un peu comme une « administration » à l’édification d’une communauté vivante de croyants. Au fond, l’architecture religieuse du père Alwin a sans doute permis à la liturgie portée par le souffle de Vatican II d’entrer résolument en Corée. Est-ce le fruit du travail du père Alwin ou des grands principes théologiques ? Toujours est-il que l’Église coréenne contemporaine a un rayonnement tout à fait exceptionnel.


L'église de Jirye (1968) à Gimcheon.
L'église de Jirye (1968) à Gimcheon.


[1] En 2016, l’édition EOS Verlag Sankt Ottilien a fait paraître une version digitale allemande du livre de M. Jung Shin Kim, professeur d’architecture à l’université Dankook (Corée du Sud) : Church Architect Alwin Schmid, ©Benedict Press, Waegwan, Korea 2007. L’édition allemande est accessible sur le site https://eos-verlag.de. Le père Cyrill, membre de l’Équipe du Bulletin de l’AIM, nous en donne ici un aperçu.

Rencontre de l’association bénédictine de l’Est asiatique et d’Océanie (BEAO)

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Nouvelles

Père Jean-Pierre Longeat, osb,

Président de l’AIM


Rencontre de l’association bénédictine de l’Est asiatique et d’Océanie (BEAO)


 

 

La dernière réunion du BEAO (Association bénédictine de l’Est Asiatique et d’Océanie), a eu lieu du 26 au 29 novembre 2018 à Taïwan. Je m’y suis rendu en compagnie du père Mark Butlin, moine d’Ampleforth (Angleterre) et membre de l’Équipe internationale de l’AIM. De là, après la réunion, nous avons accompli un grand périple en Chine continentale : Pékin, Jilin, Changdou, Shangaï, pour terminer par Hong Kong et enfin Macao pour le père Mark.

Liturgie chez les sœurs bénédictines de Danshui.
Liturgie chez les sœurs bénédictines de Danshui.

La réunion avait lieu précisément chez les sœurs bénédictines de Danshui près de Taïpei. Cette communauté a été fondée par le monastère Saint Benedict, à Saint-Joseph dans le Minnesota.

Ces sœurs suivirent l’exemple des moines de Saint-Vincent de Latrobe qui vinrent s’établir à Pékin en 1925 pour fonder l’université Fu Jen. De même les sœurs établirent à Pékin un collège pour jeunes filles dans le cadre de cette université Fu Jen. Elles y furent actives jusqu’à ce que les frères perdent la direction de l’université. Pourtant les sœurs restèrent sur le lieu jusqu’en 1935, date à laquelle elles se transférèrent à Kaifeng. Elles furent confrontées au conflit sino-japonais et durent secourir les blessés chinois et venir en aide aux réfugiés. Après que les États-Unis soient entrés dans la Seconde Guerre mondiale, les sœurs furent envoyées dans un camp de concentration de mars 1943 à la fin de la guerre en 1945. Elles retournèrent alors à Kaifeng pour reprendre leurs activités jusqu’en 1948, où le pouvoir communiste s’empara de la ville. Les sœurs durent fuir, d’abord à Shangaï, puis ensuite à Taïwan en 1949. Elles enseignèrent dans une école à Tainan mais furent bientôt invités à enseigner l’anglais à l’université nationale de Taïwan à Taïpei. La communauté recruta dans la population locale, et put acheter la propriété où elles se trouvent maintenant à Danshui. Elles construisirent un monastère et un orphelinat. Elles transformèrent par la suite ce dernier en un centre de retraites qui est désormais très actif. La communauté est composée d’une dizaine de sœurs ; il y a actuellement un groupe de postulantes et de novices vietnamiennes.

Le mardi 27 novembre débute la présentation des communautés présentes à cette réunion. Il y a une trentaine de participant(e)s, supérieur(e)s des communautés monastiques des Philippines, de Corée, de Taïwan, d’Australie, du Japon et du Vietnam.

Aujourd’hui, nous entendrons la présentation des monastères des Philippines et de la Corée alors que la veille, l’Australie avait commencé ce tour de présentation. C’est un défilé impressionnant de réalités diverses. Chaque communauté présente un Power-Point ou un film sur son histoire et son actualité. Il y a toujours des communautés  habituellement florissantes dans ces deux pays avec cependant le souci de plus en plus marqué d’un moins grand nombre de vocations.

L’eucharistie est présidée par le chargé d’affaires de la Nonciature à Taïwan, Mgr Sladam Cosic. Il est né en Croatie mais est en fait bosniaque.

L’après-midi se poursuit avec la présentation des communautés du Japon, du Vietnam et de l’île de Taïwan.

Après le repas du soir, il y a des ateliers sur différents sujets : la vie et les questions des communautés contemplatives, la vie monastique et les nouveaux médias et réseaux sociaux, les crises du milieu de la vie, l’Église en Chine.

La journée du mercredi 28 novembre débute par un exposé du Père Abbé Primat sur quelques aspects actuels de la vie bénédictine. Vient ensuite la présentation de l’AIM que je fais en duo avec Mark Butlin.

L’après-midi, nous écoutons deux interventions. D’abord, celle du professeur Francis So sur l’histoire de l’Église catholique à Taïwan.

La présence chrétienne sur l’île a commencé dans le sud avec l’arrivée des Hollandais dès 1624. On aurait dénombré 70 000 chrétiens évangéliques en 1643. Une première mission catholique dominicaine espagnole arriva également dans le nord en 1626. Il y avait environ 4 500 catholiques à Taïwan vers 1639. L’île fut progressivement cédée aux Hollandais, jusqu’en 1642. En 1662, le rebelle chinois Koxinga soumettait l’île où il se replia, interdisant le christianisme, avant d’être lui-même soumis par la dynastie Mandchoue en 1683. Le christianisme resta proscrit. L’évangélisation de l’île reprit en 1859 avec des missionnaires dominicains européens venus de Chine. La convention de Pékin, imposée par les occidentaux en 1860, vit l’ouverture des portes de Formose aux étrangers, entraînant l’arrivée de missionnaires de diverses confessions chrétiennes. L’Église presbytérienne est celle qui se développera le plus. Avec la rétrocession de Taïwan au Japon en 1895, l’Église presbytérienne fut le seul courant autorisé et encouragé par le nouveau pouvoir, conscient des avantages que les missionnaires pouvaient apporter. À partir des années 1910, la diversité chrétienne fut à nouveau de mise. L’établissement d’un premier diocèse date de 1913 comme préfecture apostolique. Il dépendait de l’archevêque de Tokyo d’une manière très politique pour contrer l’influence de la Chine. En 1945, alors que Taïwan comptait environ 10 000 fidèles et quinze prêtres, la présence japonaise céda devant les nationalistes chinois, l’arrivée en force du parti nationaliste chinois et le repli de Chiang Kai-shek en 1949 sur l’île, avec l’instauration d’un régime totalitaire pour quelques décennies. Ce régime a aujourd’hui laissé la place à une démocratie qui fonctionne.

Ainsi, en 2007, pour une population totale d’environ 23 millions d’habitants, l’Église Catholique à Taïwan comptait officiellement 300 000 fidèles inscrits dans ses registres, 15 évêques pour 7 diocèses, 670 prêtres et 1 100 religieux et religieuses. À titre de comparaison, à Hong Kong, pour une population de 7 millions d’habitants (trois fois moins), on compte un seul diocèse composé de quelques 250 000 catholiques, deux évêques, 300 prêtres, et 600 religieux. Actuellement, Taïwan compte au total 3,5 % de chrétiens.

Il serait bon pour ceux qui rêvent d’une conversion massive de la Chine – une fois celle-ci libérée du méchant communisme – d’observer de plus près la société taïwanaise qui est très chinoise, riche, libre et démocratique, évangélisée depuis des siècles… mais toujours assez imperméable au christianisme.

M. Chen Chien-Jen, vice-président de la République de Chine.
M. Chen Chien-Jen, vice-président de la République de Chine.

La deuxième intervention est celle de M. Chen Chien-Jen, vice-président de la République de Chine ainsi que l’on désigne le Régime de Taïwan. Sa conférence s’intitule : « Mon expérience comme catholique dans le service du gouvernement et les relations de Taïwan avec les Philippines et la Corée ». C’est un chercheur en sciences médicales qui a contribué à faire progresser la protection contre des maladies virales et a été assez vite repéré pour jouer un rôle politique. Son appartenance à la religion catholique est respectée. Son intervention est un témoignage encourageant. Il parle aussi des relations avec les pays frères que sont les Philippines et la Corée, ce qui n’a pas manqué d’intéresser les participants de ces pays à notre rencontre.

Après le dîner, il y a à nouveau des ateliers sur :

– les bénédictins et bénédictines et le monde de l’éducation,

– les oblats bénédictins comme laïcs associés,

– une possible coopération entre les communautés monastiques de l’Est asiatique et de l’Océanie (en l’occurence surtout l’Australie).

Chaque réunion du BEAO comporte une journée de découverte de quelques réalités locales. Ce jeudi 29 novembre, nous visiterons l’université catholique Fu Jen à Taïpei et spécialement la faculté de théologie et le nouvel hôpital. L’université est placée sous la direction des jésuites. À l’origine, elle a été fondée à Pékin, comme l’académie Fu Jen, par un groupe de moines bénédictins en 1925. Deux ans plus tard, elle devenait université. Les Serviteurs du Verbe divin prirent l’administration de l’université en 1933. Elle fut intégrée à l’université de Pékin en 1952. En 1959, elle fut transférée à Taïwan par décision de la Conférence des évêques et de la congrégation des Serviteurs du Verbe divin et par la Compagnie de Jésus. Aujourd’hui, c’est une université florissante bien reconnue à tous les niveaux.

Dans l’après-midi, nous allons visiter le Palace Museum où nous découvrons avec émerveillement les splendeurs de l’art chinois en porcelaine, jade et bronze. La journée se termine par une soirée de fête où tous les groupes linguistiques donnent un échantillon de leurs caractéristiques.

Avec cette soirée festive, se termine la rencontre du BEAO. Ce fut un bon moment de rencontre, de rapprochements, de découvertes et de collaboration très bien préparé et animé par le frère Nicholas Koss, président de cette instance, prieur de la communauté du prieuré de Wimmer, à Taïpei, et professeur de littérature comparée à Pékin.

 


Le vendredi 30 novembre, nous partons le père Mark et moi avec Nicholas Koss pour visiter le prieuré de Wimmer.

Le monastère a été fondé par l’abbaye Saint-Vincent de Latrobe (USA) en 1964. Les moines n’ont jamais été plus de six ou sept. Plusieurs sont enseignants à l’université. Ce prieuré est la continuation de l’établissement qui a donné naissance à l’université Fu Jen à Pékin. Cette dernière s’étant transférée à Taïpei, la communauté a suivi le mouvement même si ce n’était plus les moines de Saint-Vincent qui en étaient responsables. Cette communauté reste un témoignage précieux au cœur de la réalité asiatique. Elle est inscrite dans un réseau de relations internationales au sein de la réalité locale y compris avec la Chine continentale.

Notre voyage va se poursuivre en Chine continentale : Pékin, la Mandchourie, le Sichuan et Shangaï. Un écho sera donné de cette expédition dans le prochain bulletin. Nous terminons notre voyage par la communauté de Lantao à Hong Kong et celle des trappistines de Macao que visitera le père Mark alors que moi-même regagnerai la France, profondément marqué par ces contacts multiples qui donnent mieux à percevoir ce qu’il en est du contexte chinois et de ses relations avec l’Église catholique et le monachisme.

Dialogue Interreligieux Monastique

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Nouvelles

Père William Skudlarek, osb,

Secrétaire général

 

Dialogue Interreligieux Monastique

 

 

 

Le premier dialogue international pour les moniales bouddhistes et catholiques a eu lieu au monastère bouddhiste Fo Guang Shan à Kaohsiung, Taïwan, du 14 au 19 octobre 2018. Le principal parrain de cette rencontre, qui a rassemblé plus de soixante-dix religieuses bouddhistes et catholiques d’Asie, d’Europe et des Amériques, était le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux. Le CPDI a demandé au DIM-MID de co-parrainer la réunion. Une délégation de quatorze moniales de neuf pays (Japon, Corée, Inde, Philippines, Allemagne, Italie, Norvège, Brésil et USA) a été présente à cette session. La plupart participaient pour la première fois à une rencontre interreligieuse. Elles ont toutes apporté une superbe contribution à cette rencontre historique. Malheureusement, aucune moniale d’Afrique ou de Taïwan n’a pu y participer. Une brève information sur la réunion figure dans la page d’accueil du site web du DIM-MID (https://dimmid.org/). Il contient un lien vers la déclaration finale de la réunion qui a été publiée par Vatican News.


Les plus récents événements du DIM-MID ont été le symposium de l’Institut Monastique sur Thomas Merton, qui s’est tenu à Sant’Anselmo en juin, et une conférence à l’Université de Georgetown en septembre sur « Les orientations futures du dialogue interreligieux » au cours de laquelle le père William Skudlarek a fait une présentation sur le rôle que le DIM-MID a joué dans le dialogue entre expérience et pratique spirituelle.

La Communion Internationale des Bénédictines

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Nouvelles

Sœur Thérèse-Marie Dupagne, osb,

Prieure de Notre-Dame d’Hurtebise (Belgique)



 La Communion Internationale des Bénédictines


 

Voici quelques points qui ont animé le monde bénédictin féminin au cours de l’année qui s’est écoulée.

La CIB a connu à l’occasion de son dernier symposium en septembre 2018, à Rome, un changement de modératrice et d’une partie du conseil d’administration. Sœur Lynn Mckenzie a été élue pour succéder à sœur Judith Ann Heble.

La publication du document romain Cor Orans a évidemment retenu l’attention, mobilisé les énergies pour voir comment y répondre au mieux.

L’appel à mieux travailler ensemble en se regroupant est une bonne nouvelle, tout spécialement pour les monastères isolés. Mais il faut reconnaître que beaucoup de monastères étaient déjà insérés dans des réseaux de collaboration plus ou moins juridiques, plus ou moins resserrés et plus ou moins efficaces.

L’appel à se regrouper ou à s’affilier est excellent, cependant, pour un grand nombre de monastères très fragilisés n’est-ce pas déjà trop tard ? Par ailleurs les communautés qui pourraient venir en aide même modestement à d’autres plus éprouvées, sont-elles assez nombreuses surtout dans l’hémisphère Nord pour faire face à une telle exigence ? En tout cas, il serait dangereux, comme cela a été évoqué, que Rome assigne d’autorité le rattachement de certaines communautés aux fédérations existantes sans que celles-ci ne puissent donner leur point de vue.

Face à la proposition de former des fédérations, la tendance bénédictine serait plutôt de se regrouper en congrégations avec une présidente, son conseil et le chapitre général. L’autorité en fédération se répartit différemment, entre une assemblée fédérale, une présidente fédérale et des évêques.

La plupart des monastères se sont mis en route : certains pour réviser les statuts de leur fédération ou congrégation en fonction de ce qui est demandé par Cor Orans, certains monastères renforcent leur lien avec la congrégation masculine à laquelle ils appartenaient déjà non sans les inévitables risques de cléricalisme que cela peut comporter et auxquels plusieurs congrégations tentent de résister. Certaines communautés ont demandé à des congrégations monastiques masculines auxquelles elles étaient associées, s’il était possible d’être incorporées à ces congrégations.

Certaines fédérations (en Italie, en Espagne…) étaient déjà en route pour transformer leur structure en congrégation, elles continuent leur labeur en révisant les constitutions préparées pour les adapter à Cor Orans.

Certaines communautés ont décidé de fonder du neuf : c’est le cas par exemple de onze monastères d’Europe qui ont choisi de s’unir pour fonder une nouvelle congrégation bénédictine féminine.

Certains monastères isolés se posent beaucoup de questions… Il y a des pays, tel le Sri Lanka par exemple, où il n’est pas évident de trouver des monastères pour former une fédération ou une congrégation, et s’associer à d’autres pour que des échanges et une collaboration soient possibles. Bref, la créativité est à l’œuvre pour trouver diverses solutions en fonction des situations.

Un point qui pose question est l’allongement systématique des temps de formation. La possibilité de temps de formation plus long existe déjà dans nos constitutions, mais que cet allongement soit automatique semble inadéquat surtout en Occident où les candidates arrivent plus âgées, pour la plupart. On espère vraiment qu’une solution pourra être trouvée.

Un autre point qui travaille les petites communautés : certaines communautés déjà en congrégation, ayant peu de membres, (mais fondées ainsi depuis toujours) ont peur de se trouver dans l’obligation de fermer, alors qu’elles ont établi un mode de vie, respectueux du petit nombre, qui va dans la ligne des skites, cella… et témoignent d’une authentique vie monastique là où elles se trouvent implantées.

Parallèlement la limite de quinze ans, pour décider l’autonomie d’une fondation ou sa fermeture parait vraiment trop brève (et pourquoi cette règle uniquement pour les moniales ?).

La question de la clôture qui a beaucoup agité lors de la réception  du questionnaire de la CIVCSVA il y a quatre ans, ne semble vraiment pas être le problème actuellement. La possibilité du choix de clôture étant clairement présentée.

Majoritairement les bénédictines se reconnaissent en Perfectae Caritatis, article 9 (concernant la « vénérable institution monastique ») et non en Perfectae Caritatis 7 (instituts intégralement ordonnés à la contemplation). Elles déplorent la confusion fréquente à ce propos.

Il est clair que dans le futur la structure même de la CIB, actuellement formée de dix-neuf régions (sur base géographique) pourrait évoluer, car elle sera formée de monastères regroupés en congrégations et fédérations. Il est clair que pour qu’une organisation mondiale puisse faire un bon travail, il faut que le niveau local, régional soit aussi organisé. On voit bien dans nos réunions tel que le symposium, combien les préoccupations sont différentes selon les continents.

Sœur Scholastika Häring, spécialisée dans le droit des moniales, est une aide précieuse pour la CIB. Elle a fait sa thèse sur l’histoire de la CIB et le droit des moniales (thèse écrite en allemand, maintenant traduite en anglais ; on espère que quelqu’un puisse un jour entreprendre la traduction en français…).

P. Gregory Polan, lors de son mot d’accueil à l’ouverture du symposium, a fait allusion à la crise que traverse l’Église actuellement, à cause de la révélation de nombreux abus commis par des membres de l’Église. Nous avons été heureuses de cette parole franche. Des problèmes d’abus se commettent aussi en certains continents plus particulièrement contre des religieuses. Un problème de ce type a été identifié et des structures mises en place pour éviter ce genre de dérives, nous en sommes reconnaissantes. Mais nous craignons que tout ne soit pas mis au jour encore, et que d’autres situations de ce type ne soient encore tues ! Si les monastères masculins connaissent parfois la douleur de découvrir qu’un ou plusieurs membres ont eu des comportements abuseurs, les monastères  féminins sont plus souvent devant la situation d’accompagner parmi leurs membres d’anciennes victimes d’abus. Tout cela demanderait sans doute de sérieuses réflexions.

Un motif d’espérance : les nouveaux membres de nos communautés présentes lors du symposium nous ont partagé leurs réflexions concernant l’hospitalité. Elles ont décrit la situation politique difficile en de nombreux pays de notre monde, et expliqué ce que cela signifie pour elles et pour leurs communautés d’être du côté des pauvres, auprès d’eux, avec courage et sagesse. Elles ont témoigné de leur désir d’être, au cœur de ce monde, témoins d’espérance.

La parution de Cor Orans, la question des abus commis à l’encontre des religieuses dans certains pays, le synode des jeunes, soulèvent chacun à leur manière la question de la place de la femme dans l’Église et sa reconnaissance. Il y a sans doute là un sérieux chantier pour penser un monachisme nouveau dans une Église nouvelle.

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