« Nous sommes évangélisés par les pauvres ». Sous la plume des sœurs d’Erié, ce n’est pas une belle phrase, c’est une réalité. Comme elles le disent elles-mêmes : elles écoutent les pauvres avec « l’oreille du cœur » et leur vitalité leur permet d’inventer 1000 moyens pour guérir et sauver.
Guérison et salut font vraiment partie intégrante de la vie bénédictine quel que soit le lieu et quelle que soit la manière dont cela est vécu. Dans sa Règle, Benoît ordonne à la cellérière de « prendre le plus grand soin des malades, des enfants, des hôtes, et des pauvres, en sachant, sans doute possible, qu’elle aura à rendre compte pour tous ceux-là au Jour du Jugement ».
Dans un commentaire du Chapitre 36 de la Règle, à propos des malades, sœur Joan Chittister affirme : « L’important pour nous toutes peut-être est de ne jamais dire non à la vie, de ne jamais douter que chaque acte de gentillesse, chaque geste de tendresse que nous posons au bénéfice d’une personne peut guérir ce qui autrement aurait pu mourir, certainement chez cette personne, mais aussi peut-être en nous-mêmes ».
Il y a réciprocité dans l’hospitalité bénédictine – c’est le don d’une personne à une autre personne – les deux sont changées au travers de cette expérience. Souvent, celui qui pratique l’hospitalité à l’égard de l’étranger, du pauvre, du marginalisé, reçoit plus qu’il ne donne.
Dans les ministères exercés par notre communauté, nous sommes évangélisées par les pauvres. Ce sont des lieux privilégiés où nous rencontrons le Christ.
Depuis 1856, les sœurs bénédictines d’Erié répondent constamment aux besoins de la population locale. Notre mission à l’origine était l’éducation des enfants d’immigrés allemands, mais les temps ont changé et les besoins aussi. Nos ministères se sont élargis pour atteindre les gens de tous âges et répondre à tous les besoins, mais tous cependant impliquent un souci particulier envers les pauvres, les marginalisés et les plus vulnérables.
Après Vatican II, comme toutes les communautés concernées par le renouveau, nous avons connu un formidable transfert des œuvres institutionnelles vers des ministères individuels. Notre communauté ne se définissait plus spécifiquement par le seul ministère de l’éducation. En 1979, nous avons élaboré une déclaration d’engagement solidaire visant à mieux définir notre témoignage communautaire. Cet engagement solidaire est une vision que nous nous engageons à promouvoir, en tant que communauté et en tant qu’individus, quel que soit le lieu et quel que soit le ministère dans lequel nous sommes engagées. Tous les quatre ans nous faisons une évaluation de notre engagement solidaire à la lumière des besoins perçus autour de nous.
En 2007, notre communauté a adopté cet engagement solidaire : « En tant que sœurs bénédictines d’Erié, nous nous engageons à offrir une présence de GUERISON et un témoignage prophétique en faveur de la paix en travaillant dans une optique de pérennité et de justice, tout spécialement en faveur des femmes et des enfants ». Cet engagement nous a conduites à être fortement présentes au cœur de la cité d’Erié, sur le site de notre ancien monastère. Ce bâtiment est maintenant le point d’ancrage du « Quartier bénédictin » où se situent beaucoup de nos services.
La soupe populaire Emmaüs nourrit les pauvres d’Erié depuis 36 ans. C’est un endroit accueillant pour les oubliés, les anonymes. Ici, ils trouvent dignité, respect et une attention personnalisée en même temps qu’un repas substantiel cuisiné sur place. Plus de 1000 repas chauds sont servis chaque semaine et l’épicerie solidaire distribue plus de 30 000 colis de nourriture par an. Emmaüs est le plus grand centre de distribution alimentaire « sur place » dans l’Etat de Pennsylvanie.
Beaucoup de nos services sont tournés tout spécialement vers les enfants. Le Comté d’Erié connaît le plus grand taux de pauvreté aux Etats-Unis pour les enfants issus des minorités, donc les besoins sont immenses !
Le « Café des Enfants de sœur Gus » a démarré il y a 10 ans. C’est un endroit merveilleux pour les enfants entre 6 et 17 ans, où ils peuvent profiter après l’école d’un repas de qualité dans un cadre bien adapté pour eux. L’accueil, une nourriture saine et les distractions en font un endroit très populaire auprès de quelque 60 enfants chaque jour.
En 1995, notre communauté a ouvert la Maison des Arts du Quartier « Centre-Ville » parce que nous croyons que « les besoins artistiques dans la vie des gens pauvres sont aussi réels que les besoins de pain ». Cinq sœurs et une légion de bénévoles coordonnent et donnent des cours gratuits en arts plastiques, arts de la scène et littérature. Le choix des cours s’est agrandi au fil des ans. Les arts plastiques comprennent diverses activités manuelles, la céramique, les tissus, la peinture acrylique et l’aquarelle. Des cours de musique, de chant et de danse sont proposés en groupes, ainsi que des cours individuels de piano, de tambour et de guitare. La section littéraire comprend des ateliers de poésie, d’écriture et un programme de lecture intitulé « Hooked on books » (« Accros aux livres »). L’objectif de cette Maison est de permettre aux enfants de faire l’expérience du Beau, de développer de façon positive la conscience de soi-même et l’autodiscipline qui leur permettront de devenir des êtres humains productifs à part entière. Ce ministère est spécialement tourné vers les enfants à risque. Ils viennent de familles où il y a peu ou pas de contrôle parental car beaucoup des parents sont eux-mêmes impliqués dans la drogue, le crime et la violence. Ce sont 600 enfants chaque année qui fréquentent cet oasis au milieu de la ville où, pendant quelques heures, ils sont guidés par des adultes attentifs dans un environnement offrant la sécurité. Les talents qui se révèlent chez ces enfants témoignent du pouvoir de l’art et de la beauté comme nourriture de l’âme. Des récitals de musique, des expositions d’art, des festivals de poésie offrent aux enfants des occasions merveilleuses pour faire valoir leurs créations artistiques.
De superbes jardins d’agrément paysagés entourent le bâtiment, offrant beauté, espoir et guérison à tous les passants. La Maison des Arts est devenue un véritable joyau dans la ville d’Erié et une de ses plus précieuses ressources.
Le Centre Saint Benoît pour le Développement de l’Enfant a été le premier établissement de la « petite enfance » d’Erié à recevoir un agrément. Il offre des programmes de crèche et de maternelle pour les familles qui travaillent et ont de faibles revenus. Il gère aussi le programme destiné aux migrants « Head Start » (« Bon démarrage ») pour la région de la Côte Est plus spécialement tourné vers une vaste population hispanique. Cinq sœurs et 38 laïcs y travaillent, créant un espace où des enfants de différentes races et cultures peuvent devenir amis, jouer, résoudre des problèmes et apprendre ensemble.
Le Centre communautaire Saint-Benoît est installé dans un ancien gymnase scolaire et une salle paroissiale que notre communauté a achetés et transformés en installations récréatives à la disposition de personnes physiquement, mentalement et émotionnellement fragiles, et de jeunes en situation à risque. Travailler en lien et au service des agences locales en charge des personnes souffrant de problèmes de développement personnel constitue un engagement essentiel de ce Centre. C’est un lieu de « re-création » pour ceux qui sont souvent des exclus de notre société.
Lorsque nous avons fermé notre Académie, lycée pour jeunes filles, en 1988, la communauté a inventé une nouvelle façon d’utiliser ce bâtiment en poursuivant son ministère dans le domaine de l’éducation. Le Centre éducatif Saint-Benoît a ouvert en 1989. Travaillant en collaboration avec les autorités de la ville et de l’Etat, nous avons pu financer un programme destiné aux parents vivant difficilement des aides sociales publiques. Neuf sœurs ainsi que 60 laïcs y travaillent actuellement, dispensant une formation professionnelle de base et aidant ces personnes à trouver un emploi. Erié a vu l’arrivée d’une vaste population d’immigrés. Depuis l’an passé, un nouveau programme enseigne l’anglais à ces réfugiés, première étape pour eux sur la route de l’autonomie. Plus de 800 personnes sont ainsi aidées chaque année. Ce programme est devenu un modèle pour les programmes éducatifs et de formation professionnelle à travers tout le pays et il a été honoré de nombreuses distinctions.
En 1981 nos sœurs ont ouvert « Benetwood Apartments », un programme d’habitat et de développement urbain fédéral destiné à des adultes âgés et handicapés disposant de faibles revenus. Construit sur un terrain situé derrière le monastère, ce bâtiment de trois étages et comprenant 75 logements est un établissement à but non lucratif, subventionné par le gouvernement et géré par quatre de nos sœurs. Elles ont créé un endroit à la fois beau et sûr où les personnes âgées peuvent profiter paisiblement de leur « âge d’or ». Les sœurs proposent aussi une variété d’activités sociales et éducatives destinées à créer un esprit de communauté et à rompre la solitude qui souvent touche les personnes âgées.
Un comité qui existe depuis longtemps dans notre communauté, les « Bénédictines pour la Paix » (BFP), porte et défend la quête très ancienne de la paix dans notre monde contemporain. Des sœurs et des oblats défendent la non violence et la justice sociale par des actes concrets, des manifestations publiques et par la prière. En 1999, nous avons commencé des veillées de prière « Reprenez le site » (« Take back the site ») qui sont devenues un témoignage public important contre la violence dans la région d’Erié. Des veillées de prière se tiennent dans la ville à l’endroit où quelqu’un est mort suite à un acte de violence. Voisins, amis et familles sont invités à prier ensemble, une façon de reconquérir cet endroit au profit de la non violence. Nous prions pour les proches de la personne assassinée aussi bien que pour les proches du meurtrier. Dans la ville, ces veillées de prière publiques sont reconnues comme des occasions de guérison et de réconciliation.
L’hospitalité a toujours été une caractéristique essentielle de la spiritualité bénédictine et ce ministère est bien vivant à Erié. Le Monastère du Mont-Saint-Benoît, au bord du Lac Erié, avec 50 ha de bois, de champs et de jardins est devenu un centre spirituel qui accueille plus de 1000 visiteurs par an venant du monde entier.
Il y a vingt-trois ans, nous avons construit trois ermitages dans les bois entourant le monastère qui sont devenus des lieux de retraite très appréciés. Ici, les hôtes trouvent un lieu calme où réfléchir, se ressourcer et admirer la beauté de la création divine – un baume apaisant pour ceux qui portent le poids de lourdes responsabilités. Beaucoup de ceux qui viennent sont en charge de leurs propres communautés : clergé, religieux et religieuses, responsables de paroisses, militants pour la paix et la justice. D’autres arrivent le cœur lourd, ayant à surmonter l’épreuve de la perte d’un être cher, d’un divorce, d’une crise personnelle. Tous viennent pour être renouvelés spirituellement, pour se recentrer et retrouver la paix intérieure qu’ils peuvent remporter avec eux dans leur vie professionnelle. La plupart d’entre eux se joignent à nous pour la prière communautaire et sont reconnaissants de la nourriture intérieure qu’ils trouvent auprès de nous.
Nous proposons aussi des journées de retraite « Femmes en Transition » pour les femmes qui connaissent des changements dans leur carrière, leur vie conjugale ou qui sont touchées par la mort, la perte d’un proche. Ces journées de réflexion apportent guérison et espérance pour faire face aux nombreux défis de la vie.Un de nos ministères les plus récents est une antenne créée par quatre sœurs qui sont parties s’installer dans un quartier de la ville ayant besoin d’être revitalisé. Travaillant avec les voisins, les entreprises et les responsables religieux, ces sœurs ont créé la Fondation de Trinity Square, un groupe à but non lucratif ayant pour objectif de redynamiser un quartier négligé et dégradé. Elles ont acheté et réhabilité six maisons qui offrent maintenant un logement sûr et accessible à plusieurs familles. Elles ont créé un jardin communautaire et établi un espace de rassemblement de quartier où les enfants viennent suivre des cours et participer à des célébrations au moment des fêtes. Actuellement, elles sont en train d’instaurer un parc de la poésie, un endroit célébrant la beauté dans ce quartier, où les habitants peuvent venir partager leurs rêves en écrivant leurs poèmes sur les œuvres d’art recyclé qui s’y trouvent.
Cette année, nous célébrons le 20e anniversaire de l’installation à Erié du service de secrétariat d’AIM-USA. Ce service a fait dilater nos cœurs en nous ouvrant à la dimension africaine, latino-américaine et asiatique de la vie monastique. Etre en communion avec cette grande communauté de frères et de sœurs à travers le monde est une véritable bénédiction pour nous toutes.
En plus de tous ces efforts collectifs, un bon nombre de nos sœurs travaillent comme aumônières d’hôpital, infirmières, assistantes sociales, aides soignantes et enseignantes. Par leur travail quotidien et les tâches accomplies, elles incarnent aussi la présence du Christ qui guérit.
Nous, sœurs bénédictines d’Erié, avons essayé d’écouter fidèlement avec « l’oreille du cœur » les gens autour de nous pour répondre à leurs besoins. Nos ministères, tout comme nos cœurs, ont grandi en réponse à ces besoins. En nous tournant vers les autres, surtout vers les pauvres, pour leur témoigner d’un amour qui guérit, nos propres cœurs ont été guéris.
Pour plus d’information, vous pouvez consulter notre site internet www.eriebenedictines.org
Traduction : Monique Steeves