I. Introduction

Voici le rapport émanant des communautés Bénédictines de Corée rédigé en réponse aux questionnaires préparatoires aux ‘Rassemblement des bénédictines d’Asie de l’Est et d’Océanie’ qui s’est tenu à Tagaytay (Philippines) du 1 au 5 décembre 2003. Le thème du rassemblement portait sur la ‘e’ –génération et l’avenir du monachisme, avait pour objet de déterminer ce qui caractérise les jeunes – censés appartenir à cette soi-disant e-génération - qui viennent dans nos monastères et tentent de vivre selon les idéaux ancestraux du monachisme bénédictin. Ce rapport est susceptible d’intéresser les religieux d’autres pays pour deux raisons. En Corée – il s’agit en fait de la Corée du Sud, car en Corée du Nord, aucune communauté religieuse n’est autorisée – les bénédictins sont nombreux, et ce pays est à la pointe du progrès en matière d’électronique. Il n’existe pas  un seul jeune qui n’utilise pas internet ou qui n’ait un téléphone portable. C’est en cela que la Corée semble représentative des changements culturels qui affectent la plupart des pays du monde entier, mais qui sont particulièrement notables en Asie de l’Est.

Afin de savoir d’où émane ce rapport, il paraît nécessaire de donner un bref aperçu des cinq communautés bénédictines de Corée :

1. l’abbaye de Waegwan, de la Congrégation de St Ottilien ; 120 moines professes, 5 novices et 17 postulants.

2. le prieuré de Taegu, des sœurs bénédictines missionnaires de Tutzing : 318 sœurs professes, 18 novices, 14 postulantes.

3. le prieuré de Séoul des sœurs de Tutzing : 132 sœurs professes, 7 novices, 4 postulantes.

4. les sœurs Olivétaines du prieuré de Pusan : 452 professes, 221 novices, 26 postulantes.

5. le prieuré de moines Olivétains de Kosong : 13 moines professes, 5 novices, 6 postulantes.

Les réponses aux questionnaires proviennent des communautés ci-dessus, hormis le prieuré des sœurs cisterciennes trappistes de Sujong.

II. Le nombre des vocations

Si l’on compare à l’Europe et à l’Amérique du Nord, le nombre des vocations à la prêtrise et à la vie religieuse demeure élevé en Corée. Cependant, ces dernières années, la baisse du nombre des vocations a été ressentie diversement dans les différentes communautés.

A Waegwan, jusqu’à il y a deux ans, il y avait de moins en moins d’hommes. Sous l’égide du nouvel Abbé Simon Ri, élu en 2002, on entreprit un sérieux effort pour intéresser les jeunes à la vie monastique. Le nouveau responsable des vocations a su leur donner le goût de la prière, et les inciter à cette pratique. Des sessions ont lieu régulièrement où ils s’initient à la vie monastique en travaillant et en priant avec les moines, et assistent à des groupes de prière adaptés à leur sensibilité. Ainsi, fin 2003, il y avait 10 postulants. Kosong connaît une situation similaire : alors que jusqu’à récemment, on ne dénombrait que 2 ou 3 jeunes qui postulaient chaque année, ils étaient 10 en 2003. La situation est différente dans les monastères féminins. Le nombre de postulantes diminue peu à peu chez les Olivétaines de Pusan. En 1997, il y avait encore 25 nouvelles, en 2003, elles n’étaient que 17. Chez les Bénédictines Tutzing, la diminution est encore plus sensible. Le prieuré de Taegu comptait de 10 à 15 nouvelles postulantes chaque année, en 2003, il n’y en a eu que 2, et à Séoul, seulement une contre 5 en moyenne les années précédentes.

III. Le niveau d’étude des postulants

Le niveau d’études des postulants a augmenté au cours des dernières années,. La plupart ont désormais un diplôme universitaire. Et à l’exception de certains frères candidats au sacerdoce et entrant dès la fin de leurs études secondaires, la plupart ont a déjà travaillé. Chez les hommes, les professions sont très variées. Chez les femmes, on compte une majorité de professeurs ; viennent ensuite les employées de bureaux. La plupart d’entre elles ont assuré des responsabilités paroissiales. Les jeunes qui viennent dans nos communautés sont en général plus âgés que par le passé. Beaucoup ont désormais plus de trente ans. A Waegwan, la moyenne d’âge pour 2003 était de 29 ans.

Nous n’avons pas d’informations précises sur les antécédents religieux de nos jeunes membres ou de nos postulants. Mais il s’avère que la plupart des hommes viennent de familles catholiques, tandis qu’à peu près la moitié des sœurs se sont converties au catholicisme une fois adultes. Comment ont-ils appris notre existence ? Actuellement, c’est souvent par le biais d’informations sur nos communautés recueillies sur le web. Un bon nombre de postulantes ont été influencées par les sœurs de leurs paroisses.

IV. Caractéristiques de nos jeunes postulants

Ce n’est pas sans quelque hésitation que nous tenterons de faire ressortir des traits communs à nos postulants, car les êtres humains sont depuis toujours aussi différents les uns des autres. Néanmoins, et parce qu’ils baignent dans la culture ambiante des jeunes d’aujourd’hui, nous voyons se dégager des tendances générales qui les distinguent des jeunes de la génération précédente. On les appelle la e-génération, car l’utilisation de toutes sortes de gadgets électroniques (e) fait partie intégrante de leur mode de vie. Malgré cela, ils sont aussi profondément sensibles aux changements sociaux et aux schémas de la pensée post-moderne.

Tout d’abord la structure familiale coréenne a considérablement changé ces trente dernières années. La Corée connaît désormais le taux de natalité le plus bas du monde, et déjà nombre de nos postulants sont issues de familles à enfant unique. Ils ont été surprotégés pendant leur enfance et ne sont pas armés face aux difficultés et aux épreuves de la vie. Ils manquent de volonté. Leur intelligence est vive et ils ont une personnalité affirmée, mais ils ont tendance à être très individualistes. Ils tendent à être égocentriques, et il leur est souvent difficile d’accepter les autres tels qu’ils sont, ou de céder à leurs exigences. Ils ont de grands idéaux, mais le sacrifice et la soumission ne sont pas choses faciles pour eux. Règles et habitudes sont vite ressenties comme des contraintes. Ils veulent disposer de beaucoup de temps libre et être libres de leurs choix. La plupart du temps, ils méprisent le travail manuel. Il leur est difficile d’obéir, et plus difficile encore que pour nous qui sommes de l’ancienne génération. Ils se sentent brimés par l’autorité et sont facilement prêts à la rejeter. Si dans la culture confucéenne coréenne, la position sociale a toujours été très importante, de nos jours le respect traditionnel de la personne dû à sa position sociale, son âge ou son grand âge, etc., est en train de disparaître ; ils veulent traiter d’égal à égal. C’est ce qui rend difficile leur adaptation à notre façon de vivre qui respecte la tradition. Les activités communautaires leur sont généralement pénibles. Ils ne sont pas habitués à travailler en commun. En conséquence, ils mettent plus longtemps à s’adapter à la vie en communauté.

Les jeunes qui viennent vers nous sont pieux et pleins d’ardeur, ils ont une grande soif spirituelle, mais manquent souvent de connaissances religieuses solides. Ils viennent d’un monde de l’image dans lequel le ressenti est de la plus haute importance. Ils souhaitent voir leurs désirs réalisés et parlent librement de ce qu’ils veulent et de ce qu’ils pensent. Pour les femmes, rares sont celles qui ont une forte personnalité. Elles sont facilement influencées par des facteurs extérieurs et sont plus enclines à réagir qu’à agir. Sur le plan émotionnel, elles sont souvent instables, elles aiment les distractions, le changement et une atmosphère détendue. Elles craignent de découvrir leur moi profond, et de s’engager dans ce voyage intérieur qui conduit vers Dieu. Habituées à vivre avec ce qui s’offre à leurs yeux, il leur est difficile de croire à l’invisible, et de rechercher des réalités invisibles.

Les jeunes vivent aujourd’hui dans un monde en pleine mutation. Rien d’étonnant donc qu’ils manquent de patience et préfèrent le changement à la répétition des tâches quotidiennes. Tout ce qui est nouveau les attire, les nouveaux événements, les nouveaux cadres de vie. Ils sont avides de nouvelles informations. Sans perspective de sorties, l’ennui les gagne vite. Habitués à la pluralité de choix et au changement, ils détestent l’uniformité. La détermination n’est pas leur point fort. Ainsi lorsqu’ils restent, ils ne sont parfois que faiblement motivés. Ils partent assez facilement, et parfois reviennent faire une autre tentative.

Influencés par la culture post-moderne, ils n’acceptent pas facilement les valeurs absolues et les vérités objectives. Il leur faut ressentir la vérité de façon personnelle. Ils collectent toutes sortes d’informations sur la vie religieuse, les rassemblements monastiques, etc., sur internet, mais hésitent à s’engager. Habitués à la culture informatique, ils se lancent facilement et sur-le-champ dans quelque nouvelle entreprise, mais abandonnent tout aussi facilement lorsque ça ne les intéresse plus. Par le fait que leur culture est en quelque sorte ‘instantanée’, d’emblée gratifiante, la patience n’est pas une de leurs qualités premières. Habitués à des stimuli puissants, la vie simple des sœurs et des frères ne présente que peu d’attraits pour eux.

Et pourtant, leur soif de spiritualité et le désir intérieur sont aussi forts que par le passé. Nous voyons bien qu’ils essaient de changer et de s’adapter au mode de vie monacal. Ils veulent vraiment mettre Dieu au centre de leurs valeurs.

S’ils ont la conviction profonde de quoi que ce soit, ils s’y jetteront à corps perdu, ce qui peut aussi les amener à s’abandonner totalement au Christ, tout particulièrement si cela se double d’une expérience intime. Ils aspirent vraiment à faire cette expérience, ils veulent rencontrer Dieu concrètement dans leur vie de tous les jours. Un grand nombre de candidates ont participé à des sessions et des expériences avant d’entrer. Elles veulent ‘expérimenter’ et ‘ressentir’ Dieu. Elles veulent aussi que la vie monastique les amène à se réaliser pleinement. Pour grandir, elles ont plus que jamais besoin de l’exemple des autres sœurs, que ce soit de leurs aînées ou de leurs pairs.

V. Réponses des communautés confrontées à ces défis :

Par le biais d’activités de groupe, les jeunes sont conduits à se soumettre et à coopérer. Nous prêtons attention à leurs difficultés individuelles, à leurs dons et à leurs traits de caractère, et nous les encourageons à exprimer leur moi intime. A cette fin, au prieuré de Taegu, on utilise l’expression artistique. Différents programmes (tels que MBTI, ET, et d’autres du même type) servent à apprendre à apprendre à réfléchir sur soi et à mieux se connaître. Pour les encourager à reconnaître et à développer leurs potentialités, nous utilisons divers programmes (tels que le VCP, ou ‘Méthode de discernement’) pour leur montrer qu’en renonçant à soi-même pour laisser la place aux vraies valeurs, on trouve le vrai bonheur. C’est en leur faisant connaître la précarité, en leur demandant de se mettre au service des autres, les jeunes sœurs expérimentent la souffrance et la pauvreté que vivent tant de gens dans le monde et elles se sentiront solidaires de ces personnes. Bien évidemment, nous les aidons aussi à avoir le goût de la vie monastique en les initiant à la Prière Communautaire, la Lectio Divina, le Chant Grégorien, etc.

Taegu mentionne aussi pour la communauté existante des conférences pour mieux comprendre les jeunes et faire preuve de patience à leur égard. En racontant leurs propres expériences, les membres les plus âgées essaient de montrer aux nouvelles que cette vie vaut la peine d’être vécue, qu’elle conduit au vrai bonheur, et qu’elles sont acceptées avec amour par leurs aînées.

Waegwam note que depuis peu une plus grande place est accordée aux activités pastorales à l’intérieur plutôt qu’à l’extérieur du monastère. Mais d’autre part, le monastère s’ouvre davantage aux jeunes visiteurs pour leur montrer comment nous vivons. Il existe de nouveaux programmes pour les jeunes tels que ‘l’Ecole de vie monastique’ au cours desquels les jeunes peuvent passer plusieurs jours avec les moines, et des réunions de prière régulières auxquels peuvent se joindre les jeunes gens intéressés. Tout en vivant en clôture, la communauté essaie d’être solidaire avec le monde extérieur.

Les moines de Kosong précisent que s’il arrive que des candidats en formation éprouvent une nette préférence pour certaines manières d’être étrangères à la vocation monastique, on leur conseille parfois de se diriger vers une autre communauté religieuse.