Danièle Levrard, ocso, Conseillère de l'Abbé général, ancienne Abbesse de Notre-Dame-des-Gardes, France
"Une fois l'an, l'Abbé de l'Église-mère visitera toutes les communautés qu'il aura fondées. S'il les visite plus fréquemment, les frères y trouveront un surplus de joie.
Tous les Abbés de ces Églises viendront une fois l'an au Nouveau Monastère, au jour qu'ils conviendront entre eux. Ils y traiteront du salut de leurs âmes : ils décideront de ce qui doit être redressé ou ajouté dans l'observance de la Sainte Règle et des prescriptions de l'Ordre ; ils rétabliront le bien de la paix et de la charité mutuelle.
Si l'une ou l'autre Église tombe dans une pauvreté intolérable, l'Abbé de cette communauté s'appliquera à exposer cette situation en présence de tout le Chapitre. Alors, tous les Abbés, enflammés du feu très ardent de la charité, se hâteront, chacun selon ses possibilités, de subvenir à la pénurie de cette Église avec les ressources que Dieu leur a départies."
(Extrait de la Charte de Charité - 1119)
Après l'Évangile et la Règle de saint Benoît, voilà la source, le fondement de notre solidarité cistercienne.
Interdépendance au sein de l'Ordre
Au cours des siècles, les Chapitres généraux ont toujours réactualisé cette relation mutuelle, cette interdépendance au sein de l'Ordre tout entier, moines et moniales.
Ainsi les Constitutions, approuvées en 1990, affirment :
Les communautés de l'Ordre répandues à travers le monde sont rassemblées dans l'unité par le lien de la charité. Associées les unes aux autres par une telle communion, elles sont en mesure de s'entraider pour mieux comprendre et exprimer plus efficacement leur patrimoine commun. De même, elles peuvent s'apporter mutuellement réconfort et soutien dans leurs diverses difficultés (C 4, 1).
Cette communion prend forme juridique dans le gouvernement de l'Ordre selon la Charte de Charité ... Abbés et Abbesses, assemblés en deux Chapitres, exercent une sollicitude commune pour toutes les communautés de l'Ordre, dans les choses divines et humaines. Cette charge pastorale est mise en oeuvre selon la tradition à travers les institutions de la filiation, de la visite régulière et du Chapitre général. En outre, d'autres organes de dialogue, de coopération et d'entraide mutuelle ont vu le jour ; ils favorisent la communion de tout l'Ordre et permettent d'adapter effectivement les desseins des fondateurs aux conditions actuelles (C 4, 2).
Concrètement, comment se réalise cette solidarité, cette sollicitude, dans quels domaines s'exerce-t-elle ? Pour répondre à cette question, le plus simple et sans doute le plus "parlant" est de donner quelques exemples.
La visite régulière
Il est une sollicitude qui s'exerce régulièrement à l'égard de chacune des communautés : c'est la visite régulière. Chaque communauté de moines et de moniales est visitée au moins tous les deux ans, par son Père Immédiat. Elle peut l'être aussi par l'Abbé général ou un autre Abbé ou Abbesse délégué(e). Cette visite a pour but d'aider le Supérieur local dans sa charge pastorale et de stimuler les frères et les soeurs afin qu'ils mènent leur vie monastique dans une vigilance spirituelle toujours renouvelée.
Les Régions
Les communautés de l'Ordre sont regroupées en Régions. Ces Régions tiennent, en général, une rencontre annuelle. Ces Conférences régionales stimulent la communion et la coopération fraternelle dans leur zone géographique et dans l'Ordre entier.
Ainsi, pour donner un exemple très récent, les communautés d'une Région d'Europe aident de façon très particulière une fondation d'une communauté africaine. Il est arrivé également que des communautés d'une Région, mettant en commun leurs ressources financières et en personnel, fondent ensemble une autre communauté.
Les fondations sont en effet le lieu privilégié où s'exerce la sollicitude pastorale. Les Abbés/Abbesses qui approuvent une fondation entourent la jeune plantation de leur soin fraternel (C 69,1). Ainsi lorsqu'une fondation est affrontée à quelque difficulté, les Abbés et Abbesses essaient de lui venir en aide. Il y a actuellement dans l'Ordre plusieurs Supérieurs de fondations, de moines ou de moniales qui ne sont pas originaires de la maison fondatrice, mais que leur communauté a généreusement "envoyés" pour rendre ce service.
Plusieurs Supérieurs de communautés d'une Région peuvent aussi aider une communauté dans un processus douloureux de dissolution, et accueillir très fraternellement les membres de la communauté dispersée.
La formation
Chaque communauté assure la formation de ses membres : formation initiale et formation continue. Cependant, au niveau régional, il est organisé des sessions, des rencontres, spécialement pour les formateurs et les jeunes en formation. Là, les échanges d'expériences se révèlent bénéfiques. Chaque Région a un secrétaire de formation qui travaille en lien avec le secrétaire central à la formation (qui est actuellement une secrétaire). Par ailleurs des moines et des moniales peuvent être invités à donner des sessions ou des retraites dans des communautés.
Au niveau de tout l'Ordre, à l'occasion du 9e centenaire de la naissance de Cîteaux (1998), un programme de réflexion et d'études à suivre, selon les possibilités, dans chaque communauté, a été élaboré sur la proposition des Chapitres généraux de 1996.
Père Immédiat et maisons filles
De droit, le Père Immédiat veille au progrès de ses maisons filles (74,1). Ce progrès ne peut se développer si certaines conditions matérielles, financières et en personnel, ne sont pas réalisées. Mais le Père Immédiat ne peut pas faire tout, tout seul... C'est pourquoi, en certains cas, il fera appel soit à d'autres communautés, soit à l'Abbé général et à son Conseil pour trouver l'aide dont il a besoin pour aider ses maisons filles. Il en est ainsi, par exemple, lorsqu'une communauté n'est pas prête à élire un Abbé/une Abbesse issu(e) de son sein : le Père Immédiat peut aller frapper à la porte d'une autre communauté susceptible de se séparer d'un moine/d'une moniale pouvant remplir le service de Supérieur(e) ad nutum.
Les communautés de moniales bénéficient des services d'un moine de l'Ordre qui remplit les fonctions d'aumônier et de confesseur (C 76). C'est au Père Immédiat qu'il revient de procurer ce moine à ses maisons filles de moniales. Là aussi, il peut frapper à la porte d'une autre communauté s'il n'a pas dans la sienne le moine pouvant remplir cette fonction. Ce service est certainement un lieu très important où prend forme la sollicitude pastorale, même si, à l'heure actuelle, en raison du manque de moines prêtres, certaines communautés de moniales bénéficient du service d'un aumônier prêtre séculier.
Entraide financière
Au niveau de l'aide financière, tout spécialement, les communautés qui ont des revenus importants n'hésitent pas à aider très généreusement les communautés dans une situation précaire, soit temporairement, soit de façon permanente. De même des communautés qui ne peuvent faire face avec leurs seuls revenus à des dépenses de constructions, d'aménagements, d'installations nécessaires, peuvent être aidées de la même façon.
Une communauté qui fonde ne peut généralement assurer toutes les dépenses d'une telle entreprise. Les communautés de l'Ordre, selon leurs possibilités, participent à la construction de l'édifice matériel et, par le fait même, à la construction de l'édifice spirituel. C'est un monastère, et surtout une communauté de moines, que vous nous aidez à construire, écrivait récemment un Abbé.
Solidarité, nouveau nom de la pauvreté
Au cours des Chapitres généraux de 1999, l'Abbé général, dom Bernardo Olivera, dans une de ses conférences, attirait l'attention de l'assemblée à propos justement de la solidarité cistercienne :
Arrivant à la fin de ce millénaire, le Seigneur de l'histoire nous invite à donner une réponse créative aux faits suivants qui nous interpellent :
Situation de pauvreté et crise économique de quelques monastères du Tiers-monde qui ont besoin d'une aide continuelle de l'Ordre. Cette situation implique qu'il faut chercher, trouver et établir une structure de travail et d'économie adaptée à la réalité locale. Quand l'aide nécessaire dépasse les possibilités des maisons-mères, il faut procurer des moyens d'assistance venant du reste de l'Ordre. Ainsi la solidarité sera le nouveau nom de la pauvreté.
Les Chapitres généraux, lieu de la solidarité
Pour conclure ces quelques lignes, il convient de noter que le lieu où s'exercent au plus haut degré, dans notre Ordre, la sollicitude pastorale, la solidarité, c'est assurément l'assemblée des Chapitres généraux interdépendants qui se réunissent conjointement tous les trois ans.
Là, Abbés et Abbesses de tout l'Ordre exercent leur sollicitude commune pour toutes les communautés de l'Ordre, dans les choses divines et humaines (C 4, 2). À travers les rapports que chaque communauté établit en vue de cette rencontre, elle donne un reflet de ce qu'elle vit, présente ses points forts et ses points faibles, indique les défis auxquels elle est affrontée. Ces rapports sont étudiés par les capitulants et capitulantes répartis en commissions, et sont complétés par le témoignage du Supérieur ou de la Supérieure concerné(e) et, si besoin, par celui du Père Immédiat. Là s'exerce véritablement le souci pastoral pour chaque communauté. C'est là qu'un discernement fraternel peut s'effectuer, dans le respect de l'autonomie de chaque monastère, pour aider chaque communauté à se développer harmonieusement et à grandir dans la voie où le Seigneur a appelé chacun de ses membres.