Père Médard Kimengwa Kitobo, osb
Monastère de Lubumbashi, Kiswishi (RDC)

Le cellérier selon la règle de saint Benoît  :

Un père pour tout le monastère,
comme l’abbé et avec lui

 

Compte rendu de l’intervention du père Simon Madeko

à la session de l'association MAC en juillet 2021

 

Pourquoi nous intéresser à l’esprit, à la motivation qui doit animer l’agir du cellérier dans une communauté monastique de tradition bénédictine  ?

Nous appartenons à un monde qui a une conception de l’économie pas nécessairement en harmonie avec notre idéal monastique et chrétien en général. Le problème est qu’à la base nous sommes héritiers, à travers la culture grecque depuis Platon, d’une anthropologie (une vision de l’Homme, du composé humain) dualiste. Donc, négative. Il s’agit d’une conception de l’Homme qui dissocie le corps et l’esprit. Cette anthropologie dualiste détermine la conception courante de l’économie jusqu’à une simplification à outrance, au point de prendre la forme d’une caricature.

Cette conception opère une séparation sèche entre vie économique (temporelle) et vie spirituelle. De ce fait, couramment, le supérieur religieux, l’abbé/l’abbesse ou le prieur/la prieure, dans notre contexte bénédictin, est la personne qui a juste et exclusivement la charge du soin des âmes, soi-disant sans rapport avec la vie matérielle, la vie temporelle (tout ce qui concerne la production des biens, la provision des moyens pour y arriver, leur vente et leur répartition ainsi que leur gestion), qui serait, elle, la chasse-gardée de l’économe, du cellérier - de la cellérière.

Mais est-elle vraie, dans le contexte de la spiritualité bénédictine, cette conception qui fait que le supérieur religieux n’ait rien à voir avec la vie matérielle comme l’économe n’aurait rien à voir avec la vie spirituelle  ? On trouverait alors normal que ce dernier sacrifie des heures de prière ou d’autres activités spirituelles pour accomplir sa tâche administrative et autre  ? Cette conception est simpliste et faussée.

Rien n’est plus faux que cette caricature, particulièrement selon les données de la RB. En effet, dans la spiritualité bénédictine, il n’y a pas de séparation entre les deux domaines. Concrètement, dans la RB, l’abbé n’est pas seulement identifié à son rôle en matière spirituelle, mais à l’ensemble de ce qui touche la personne humaine, y compris dans sa vie matérielle. Il doit bien sûr s’occuper de la vie matérielle, sinon la vie spirituelle ne saurait s’épanouir. La vie monastique suppose une vie matérielle décente pour s’épanouir. Pour que l’abbé génère des fils qui puissent se conformer à la volonté de Dieu, leur Père, il doit veiller aux conditions matérielles nécessaires. Les anciens ne disaient-ils pas qu’il fallait un minimum de bien-être pour pratiquer la vertu  ?

S’agissant du cellérier, selon la RB, il lui incombe fondamentalement de s’occuper de la vie temporelle (économique) de tout le monastère (RB 31, 3). Mais saint Benoît ne s’arrête pas à cette formalisation de sa mission. Car il indique aussi l’esprit qui devrait caractériser son agir dans la gestion du temporel. Concrètement, saint Benoît dit au cellérier qu’il « devra agir en collaboration avec l’abbé et en se comportant comme un père pour tout le monastère » (RB 31, 2). C’est très important. Père comme l’abbé  : sa mission est donc aussi bien spirituelle. Il participe ainsi à la charge de l’abbé dans l’exercice de sa mission. Comme aussi un père pour tout le monastère à l’instar de l’abbé, le cellérier participe dans l’exercice de son ministère à la génération des fils pour Dieu, qui est la première mission de l’abbé. Donc, le cellérier a aussi la mission de soigner les âmes des frères dans le monastère. Quand il n’a rien à donner, qu’il réponde avec une parole de bonté (RB 31, 7.13). Pas question de refuser pour refuser, mais pour laisser ses frères être engendrés à la vie dans l’Esprit.

MadekoKoubri2019Le cellérier doit agir comme l’abbé. Il doit tenir compte des personnes. Il doit travailler en étroite collaboration avec l’abbé. Dans l’exercice de sa charge, il ne devra rien faire sans l’ordre de l’abbé et appliquer uniquement ce que ce dernier aura commandé (RB 31, 4-5  ; 12. 15). Si le moine cellérier entre dans ce rapport avec l’abbé, son obéissance est pour que dans le monastère il règne la paix. Et il lui est dit que s’il n’y a pas d’harmonie, il lui en sera aussi demandé des comptes (RB 31, 9.16).

Le style de vie ou de spiritualité qu’implique la question économique dans le monastère devrait porter à avoir principalement le souci de la personne humaine et une vision sacrée des choses (il est demandé au cellérier de traiter les objets du monastère comme des vases sacrées de l’autel – RB 31, 10 – et de vendre ce qu’on produit sans cupidité – RB 57, 4-8).

En d’autres termes  : ce qui importe dans l’activité économique du monastère, ce n’est pas le gain mais le bien de la personne humaine par rapport au projet de recherche de Dieu. Ceux qui ont affaire avec l’organisation de la vie matérielle du monastère ont à considérer le primat de la personne humaine, sans la sacrifier sur l’autel de l’efficience économique ou de l’économie pure. Chacun d’eux, pour toute disposition et action, devrait se poser la question  : Est-ce que les mesures que je prends et les actions que j’entreprends par rapport à la gestion contribuent à l’épanouissement de la personne humaine, à la paix et à l’harmonie dans la communauté  ?

Ayant créé l’Homme à son image et à sa ressemblance (Gn 1, 26), Dieu le veut debout  ! Car il trouve sa gloire dans l’Homme qui vit dans la dignité (cf. saint Irénée de Lyon). Tous les commentateurs de la RB sont unanimes pour reconnaître que ce qui fait son actualité permanente, c’est son adaptation à chaque personne humaine à l’intérieur du jeu communautaire. Que l’Homme soit debout est tout l’horizon de la RB, dans laquelle Benoît conçoit la vie monastique comme une entreprise de conversion, de retour à Dieu par le labeur, la voie de l’obéissance, après l’asservissement à la volonté propre (RB, Prol. 2-3, 8).

La nécessité de la spiritualité avec cet horizon de l’attention à l’Homme est perceptible dans un courant économique, « l’économie sociale du marché ». Le souci de la personne humaine ou l’attention à l’Homme est par contre le cadet des soucis de ce qu’on appelle le libéralisme économique, qu’on appelle aussi « capitalisme sauvage ». Si dans l’économie sociale du marché il y a de l’intérêt pour la personne humaine, dans le capitalisme sauvage l’Homme ne compte pas : ce qui est important est uniquement l’intérêt, le gain. Et justement, congolais et participant à cette session à Goma, au Nord-Kivu, dans les environs du Sud-Kivu et de l’Ituri, nous pouvons avoir l’illustration de cette conception économique en considérant la guerre à « basse intensité » (de fait, elle ne finit pas) qui embrase ces territoires, avec des gens obligés de quitter leurs terres à cause de la menace des armes… « Qu’ils meurent… »  : ce n’est pas l’affaire des multinationales, et des dirigeants qui sont leurs « nègres de service ». Que l’ambassadeur italien soit sacrifié, cela ne compte rien par rapport aux intérêts. Le monde peut s’émouvoir un instant, en voyant se soulever un petit coin du voile qui ensevelit les affres de cette guerre infâme, mais aussitôt après, c’est le silence imposé par le dieu Mammon, que servent les nouveaux maîtres du monde, ceux qui contrôlent la bourse mondiale.

Toute proportion gardée, Max Weber pourrait être retenu, dans une certaine mesure, comme un ancêtre de l’économie sociale du marché avec notamment son livre  : L’éthique du protestantisme et l’esprit du capitalisme (1904-1905). Il y démontre comment les pays scandinaves, sous l’influence du protestantisme, ont connu un fonctionnement de l’économie mettant l’Homme au centre. L’éthique protestante, selon lui, a généré, dans ce contexte, un capitalisme à visage humain.

On comprend alors pourquoi l’économie sociale du marché a la faveur du Magistère de l’Église, à travers son enseignement social depuis Paul VI avec son encyclique Populorum progressio (1967). Mais Paul VI lui-même s’inscrivait dans une sensibilité ecclésiale sur la question, une sensibilité repérable déjà chez Léon XIII avec son encyclique Rerum novarum (mai 1891), et chez Jean XXIII, dans son encyclique Mater et Magistra (1961). Leurs successeurs n’ont pas manqué de marcher dans la même direction sur ladite question, comme on peut le constater chez Jean-Paul II (Laborem exercens, septembre 1981 ; Sollicitudo rei socialis, décembre 1987 ; Centesimus annus, mai 1991), Benoît XVI (Deus caritas est, 2005, 3e chapitre  ; Exhortation apostolique Africae munus, novembre 2011) et François (Laudato si’, mai 2015  ; Exhortation apostolique Querida Amazonia, février 2020). Dans ses différentes prises de position à ces occasions, sur, entre autres, la question que nous considérons, le Magistère de l’Église veut inciter les chrétiens et les hommes de bonne volonté à tenir compte de l’Homme, de sa dignité, préconisant une économie faisant attention à l’Homme. Avec tout cela, nous réalisons que l’esprit qui doit animer le cellérier dans sa charge a un fondement magistériel solide.
Dans ce contexte quel esprit doit animer le cellérier  ? Quel style de vie doit être le sien dans l’exercice de sa mission  ?

En réponse à cette réalité et en lien avec notre idéal de vie, à la base de notre conception de l’économie il y a la foi en la divine Providence. Nous réalisons que parfois nos investissements économiques, en dépit de toutes les précautions, ne donnent pas un rendement suffisant. Donc, nous devons vivre, produire, pourvoir à notre subsistance, partager et en même temps être humbles en recourant à l’aide et en nous confiant à la Providence. Et nous devons participer à une prise de conscience des enjeux économiques de l’économie mondialisée capitaliste en exploitant notre pouvoir éducateur des masses.

En écho à toutes les préoccupations et inquiétudes exprimées par les participants face à la réalité du capitalisme sauvage, le père Simon nous éveille en proposant ce qui suit :

Face à cette agression de l’économie libérale, pourquoi ne pas mettre sur pied un réseau de vente des produits de nos monastères (MAC) dont les conditions de production sont respectueuses de l’Homme et de l’environnement  ? Promouvoir l’initiative privée, entrer en synergie entre nous et avec d’autres. Mettre sur pied une coopérative  ? Un circuit éthique  ! Car, avec les populations qui nous environnent, nous sommes victimes de l’économie libérale. Les supermarchés nous étranglent ! Il y a la publicité qui nous conditionne. Voilà pourquoi il nous faut sélectionner l’information que nous avons à consommer.

Pour entrer dans le circuit proposé, il faut potentialiser ce qu’on a l’intention de mettre sur le marché. Qu’ils soient des produits de qualité et surtout éthiques, en mesure de séduire des clients qui s’orienteraient vers nous comme alternatives aux supermarchés.

Dans le même registre, pour promouvoir la solidarité à l’intérieur du fonctionnement de l’économie dans nos monastères, nous pouvons aussi penser au projet d’une mutuelle de santé pour nos monastères MAC comme expression de notre attention à l’Homme dans notre recherche d’une santé financière. Ce serait une bonne illustration de notre effort productif, mettant l’Homme au centre.

Bref, nous nous intéressons principalement à l’esprit qui doit animer ceux qui ont la responsabilité de la gestion directe de l’économie dans le monastère pensé par Benoît, l’économe et l’abbé en particulier. Il s’agît d’entrer dans l’esprit de l’économie selon les Pères des moines d’Occident. C’est la perspective d’une économie selon l’esprit de la RB. À son école, l’économie se fonde sur une spiritualité.

 

La vie monastique selon Benoît dans sa règle

Saint Benoît a conçu la vie monastique comme un chemin de conversion, de retour à Dieu. Il s’agit d’un chemin de retour à Dieu à travers le labeur de l’obéissance. Et ce, après la faillite des illusions de la volonté propre et du choix de l’autorégulation (cf. RB, Prol. 2-3.8). La destination de ce chemin de retour à Dieu (cf. RB, Prol. 1 et ss), c’est la vie éternelle, ou tout simplement la vie authentique, le royaume de Dieu, la vie de communion avec Dieu : la béatitude (cf. RB, Prol, 42, 5.3.10, 7.11 ; 72, 2.12).

Quand Benoît fait de la « vie éternelle » (RB, Prol. 15, 17, 20, 42), le « royaume des lumières », des « jours heureux » (RB, Prol. 21), le terminus du chemin de retour à Dieu qu’entreprend le moine, il ne pense pas aux « fins dernières » mais à une expérience déjà dans la vie présente, l’harmonie vécue avec ceux qui partagent la vie du moine dans le même monastère. Le lieu concret de l’expérience de cette béatitude et de cette paix, c’est le vécu des commandements de Dieu  : la vie éclairée par la Parole de Dieu. En d’autre termes : saint Benoît demande à ses disciples de prendre ce chemin en se laissant guider par la Parole, en tant que principale source de l’agir, et lumière sur leurs pas au quotidien (cf. RB, Prol. 10-12, 21-22, 25, 29, 33-34, 40).

En conclusion, saint Benoît a voulu la vie monastique comme une « école pour apprendre à servir le Seigneur » (RB, Prol. 45), ou à être totalement donné au Seigneur.

Dans le vécu de l’idéal évangélique, outre son vœu de faire de la vie monastique une école de service du Seigneur, Benoît a aussi voulu la vie monastique comme atelier (cf. RB 4, 78) à l’intérieur duquel on s’exerce à l’art spirituel (cf. RB 4, 75).

Cet idéal monastique ainsi défini par Benoît, l’abbé en est le dépositaire. Il devrait l’incarner en premier et en être le garant, le répondant envers tous ceux qui, avec lui, ont intégré l’école de service du Seigneur et l’atelier d’entraînement à l’art spirituel.

 

Profil et mission de l’abbé selon la RB (RB 2 et 64)

Sur le profil et la mission de l’abbé selon la RB, les données des chapitres 2 et 64 ont à être complétées par d’autres, dont ceux, entre autres, des chapitres : 21-24, 28, 31-33, 36, 39-41, 44, 47-51, 53-57, 60, 66-68, 70.

MadekoGedonoL’abbé, en tant que garant de l’idéal que saint Benoît propose à ses disciples, a la mission de guider les moines qui lui sont confiés dans la réalisation de l’idéal de retour à Dieu. C’est parce qu’il rend présent le Christ  : par lui Dieu engendre, mieux, réengendre des fils. Il n’est pas le Christ, mais il le rend présent par son témoignage et par son enseignement. L’abbé a à engendrer des fils pour Dieu en enseignant, mais d’une manière particulière. Car enseigner n’est pas le problème. La question est celle de la manière d’enseigner. C’est par sa parole, habitée par la Parole de Dieu, qu’il a à enseigner. Il doit posséder cette Parole, la proclamer, l’expliquer mais, surtout, l’illustrer par l’exemple, son témoignage de vie, pour son actualisation. Par exemple, en corrigeant les autres, il se corrige lui-même. Il a à soigner les âmes, mais à condition que les moines lui ouvrent leurs cœurs, lui exposant leurs maladies spirituelles (RB 7, 44) comme, par exemple, lui soumettant ce qu’ils désirent offrir à Dieu durant le carême, pour le réaliser avec sa prière afin qu’ils ne tombent pas dans la présomption et la vaine gloire (cf. RB 49, 8-10).

Cette forme de paternité de l’abbé, selon saint Benoît, est héritière de la figure du père spirituel dans la tradition des déserts d’Égypte aux origines du monachisme, figure bien immortalisée par les Apophtegmes.

L’abbé, pour que s’épanouisse la vie spirituelle de ses moines, devra avoir une attention particulière sur les conditions matérielles nécessaires. Autrement dit, sur la vie temporelle, dont il est le premier responsable. Les supérieurs sont les premiers responsables de la vie temporelle des monastères qui leur sont confiés. Concrètement, saint Benoît a prévu que l’abbé veille à ce que les moines dorment dans de bonnes conditions (cf. RB 22), avec un dortoir pour eux, par exemple. Il doit même veiller à la quantité et de leur nourriture (cf. RB 39) et de leur boisson, cf. RB 40 (jamais vu un homme si réaliste que saint Benoît !). Il devra aussi faire attention aux faibles (aux vieillards, aux malades et aux enfants), cf. RB 36 et 37.
Pour les malades, sa vigilance va plus loin  : Benoît a prescrit qu’il y ait une infirmerie où ils doivent recevoir des soins appropriés (cf. RB 36, 7-8). Parmi les faibles, placés sous l’attention de l’abbé, Benoît cite aussi  : les étrangers, les pèlerins et les hôtes. Il lui est demandé de veiller à ce qu’ils soient accueillis décemment, avec notamment un logis géré par un homme qui craint Dieu (cf. RB 53, 16-22). C’est vraiment la centralité de la personne qui reste en jeu dans le soin que l’abbé doit apporter à la vie matérielle du monastère.

En définitive, la communauté, dans laquelle le moine doit se configurer au Christ, doit avoir tout ce qui est nécessaire sur le plan matériel (cf. RB 66, 6). Tout avoir  ! C’est ici une proposition universelle. C’est une communauté dans laquelle on devrait, entre autres, trouver différents instruments pour les différents services nécessaires (cf. RB 32). L’abbé est prié d’en tenir l’inventaire (cf. RB 32, 3). Pourquoi, par exemple, ne pas penser procéder à un inventaire annuel systématique dans nos monastères ?

L’abbé doit aussi faire en sorte que les moines de sa communauté puissent avoir ce qui est nécessaire à leur travail, s’efforçant notamment de s’adapter à chaque personne (cf. RB 2, 23-32  ; 33, 5).

La mission de l’abbé, donc, consiste à ce que dans son monastère, tous les membres soient en paix (cf. RB 34, 5). Avec un minimum de paix dans nos communautés, ce serait le paradis. Mais c’est à cause de notre péché qu’il n’en est pas ainsi. Tous les membres, même ceux avec qui on n’a pas un bon feeling, doivent vivre en paix. Car, justement, au sein de la maison de Dieu que l’abbé gouverne, personne ne doit être triste, ni préoccupé (RB 31, 19). Chaque matin, regarder chaque sœur / chaque frère pour tester son état d’âme : est-elle/il en paix ou est troublé(e) intérieurement ? A-t-elle/il des problèmes, des soucis ?

La santé économique d’un monastère est une dimension importante pour l’épanouissement de la santé psychologique et spirituelle de chaque membre en son sein. C’est un facteur de paix, d’harmonie pour chaque vocation monastique. Voilà pourquoi, dans la RB, l’abbé y apparaît comme un intendant par rapport à une autorité supérieure à qui il a à rendre compte (cf. RB 2, 1 aussi RB 64, 7-8.20-21). Il est gestionnaire de l’ensemble du monastère dans ce qui touche et la vie matérielle et la vie spirituelle, avec une attention particulière à chaque personne, en essayant de s’adapter à chacun. L’abbé est d’abord gestionnaire des personnes avant d’être celui des biens. S’il gère les biens, c’est uniquement parce qu’ils sont au service des personnes par rapport à leur processus de ré-engendrement par Dieu. Il y a donc la primauté des personnes sur les biens.

Pour qu’il ne déroge pas à sa mission spirituelle, l’abbé délègue son pouvoir au cellérier et aux autres officiers, collaborant avec eux. En plus d’être un intendant, il est aussi un enseignant de la Parole de Dieu qu’il a à actualiser. Il est en outre père, en référence au Christ, et il a à veiller sur ses moines, en les aimant comme Dieu aime ses fils, et en veillant à ce qu’ils aient du pain. Il est ainsi, en dernière analyse, un pasteur, un berger, un médecin. Il est appelé à avoir de la compassion et à soigner, à « couvrir de soins » ses moines, surtout ceux qui sont en difficulté. Que les responsables des communautés apprennent parfois à perdre le sommeil pour mériter leur rôle de père, de mère. Il n’y a pas de mérite à être le seul parfait à l’intérieur d’une communauté de délinquants… C’est ensemble que nous devons arriver à la fin de la course (cf. RB 72)  !

La spiritualité du cellérier devrait se dessiner à travers le profil et la mission de l’abbé par le fait que le cellérier agit comme un père, imitant son abbé, en générant des fils pour Dieu.

Selon les données de la Règle, l’identité et la mission de l’abbé qui se répercutent sur la spiritualité du cellérier est celle de l’incarnation par rapport à la justice et à la paix. Cette spiritualité veut que  :

– le cellérier soit marqué de la crainte de Dieu, vertueux, habité par la Parole de Dieu pour être transfiguré par elle ; trouvant en elle, la consolation et la force.

– Qu’il soit obéissant, soumis, docile, attentif (cf. RB 31, 4).

– Qu’il soit charitable, compatissant, ayant du discernement, en vue de privilégier les faibles, parce que convaincu que les biens mis à la disposition de l’homme devraient être d’abord mis à disposition des faibles. C’est donc une spiritualité diaconale, de service.

– Qu’il ait un sens de la responsabilité vis-à-vis des personnes et des biens en développant une liberté à l’égard des choses de ce monde, mais aussi en développant une confiance dans la Providence.

– Qu’il soit humble, s’ouvrant à la collaboration, dans la conscience qu’il est un serviteur inutile, quelconque.

– Qu’il soit honnête.

Au fond, le cellérier comme l’abbé sont invités à vivre une spiritualité de la croix. Le cellérier est celui qui s’occupe du temporel pour le salut des âmes. De ce fait, l’abbé et le cellérier sont tenus à une grande collaboration, dans la confiance, la foi, la paix et l’harmonie.