EDITORIAL
Dom Jean-Pierre Longeat, osb
Président de l’AIM
Ce nouveau numéro du Bulletin de l’AIM prolonge d’une certaine manière le précédent. Il propose un regard concret sur la gestion de la Maison commune telle que Laudato si’ et Fratelli tutti la préconisent.
Nous sommes heureux d’ouvrir ce volume par une lectio divina de Mère Nirmala Narikunnel, abbesse de Shanti Nilayam, en Inde, sur le psaume 8 : « Les cieux proclament la gloire de Dieu ».
On trouvera une réflexion sur l’état des lieux pour la nouvelle ère qui a déjà commencé depuis le milieu du vingtième siècle et que l’on nomme de plus en plus l’ère de l’anthropocène ; un regard sur la proposition d’économie alternative telle que peuvent la vivre les monastères ; une relecture du rôle du cellérier en synergie avec l’abbé pour exercer, dans le monastère et alentour, la responsabilité d’une saine avancée, en tenant compte des questions du monde présent au regard de ce que dit la Règle.
D’autres interventions ou rubriques complètent ce numéro. Nous rapportons les propos du Père Abbé Primat, Gregory Polan, en ouverture de notre Conseil en octobre 2021, ceux de l’Abbé général des cisterciens (OCist) de même, et ceux de Mère Franziska Lukas, abbesse de Dinklage, sur l’expérience de la création d’une congrégation bénédictine européenne à la suite du document romain Cor orans.
Le Père Prieur d’Asmara, en Érythrée, nous présente ici quelques aspects de la liturgie éthiopienne ; et nous donnons un certain nombre de nouvelles monastiques.
Avançons ensemble, résolument, pour contribuer à l’émergence d’un monde neuf.
Écologie et vie monastique
Littéralement, l’écologie, selon l’origine grecque de ce mot (oikos-logos), est le discours sur la vie à l’intérieur d’une maison, en l’occurrence, l’espace et le temps dans lesquels vivent les humains.
Ce discours doit déboucher sur des actes : littéralement, ceux-ci sont regroupés sous le terme d’économie ; en effet, d’après l’origine grecque du mot (oikos-nomos), l’économie est l’ensemble des « lois » que l’on se donne pour vivre ensemble dans cet espace et dans ce temps. Il est bien dommage que ce vocable ait été réduit aujourd’hui à son seul usage financier. Il concerne pourtant tous les éléments de la vie personnelle, sociale et même spirituelle. Il y a une manière économique de vivre ensemble et, à titre personnel, une saine écologie. Les moines sont tout à fait dans cet état d’esprit.
Selon, la règle de saint Benoît, leur priorité économique, c’est l’écoute de Dieu et de leurs semblables pour le libre échange d’une parole utile touchant aux fondements. C’est pourquoi, les moines privilégient le silence autant qu’il est possible afin que les paroles échangées pèsent leur véritable poids. On pourrait dire que l’écoute essentielle, tant de soi-même que des autres et de cette Voix mystérieuse qui nous précède et que l’on nomme Dieu, est la base de toute économie écologique. Le fatras de la parole est certainement à l’origine de la toute première crise économique de la vie humaine. La parole est un bien reçu et rendu à la portée de tous. Il demande un grand désencombrement pour pouvoir être perçu dans toute sa richesse.
De ce fait, tout dans le monastère est organisé en fonction de cette écologie humaine, tant pour la vie personnelle que pour la vie communautaire.
Tout au long de la journée, les moines se rendent attentifs au bien suprême de la Parole qui vient d’En-Haut. Ils se réunissent sept fois par jour pour la prière. Ils se remettent en présence de la source active à laquelle ils veulent se connecter en premier lieu, et ils lui répondent en chantant abondamment, tant pour exprimer la louange du don de la création et de la vie que pour lancer le cri de détresse d’une humanité souvent éprouvée sur le chemin de ce monde.
Ils aménagent leurs espaces de manière à ce que chaque détail ait toute sa valeur. La règle de saint Benoît demande à l’économe du monastère de veiller à ce que l’on traite toutes choses dans le monastère avec le même soin que les vases sacrés de l’autel.
Espaces de verdure, potagers, vergers, forêts ou terrains agricoles : tout devient dans le monastère, espaces de contemplation. Beaucoup de monastères aujourd’hui sont soucieux de préserver l’espace avec les règles élémentaires sur lesquelles la mouvance écologique attire notre attention.
Le rapport au temps partagé est également vécu dans une saine économie, même si aujourd’hui, l’institution monastique, au moins en Occident, est pressurée par les mêmes impératifs de productivité que la société ambiante. Cependant, l’équilibre qui voudrait être vécu entre prière, travail et vie fraternelle gratuite reste une règle majeure qui doit être à tout prix préservée pour une bonne économie sociale. Pour se faire, les monastères s’appuient sur le potentiel de l’extraordinaire réseau de solidarité que constituent les nombreuses communautés réparties sur les cinq continents. On pourrait dire de la vie monastique qu’elle développe l’idéal écologique d’une mondialisation fraternelle.
La nourriture est également pour les moines un lieu économique et écologique important. Manger, pour eux, implique toujours la reconnaissance d’un don reçu et partagé. Manger sobrement sans excès ni gaspillage est une règle sur laquelle saint Benoît insiste. Les plats seront suffisants, sains et équilibrés pour permettre une croissance heureuse et un bon déploiement du reste des activités. S’il est un symbole d’un bon équilibre de vie, c’est bien celui de la consommation, et notamment alimentaire. Les communautés monastiques tentent vraiment d’avoir une bonne réflexion à ce sujet, même lorsqu’elles sont obligés de recourir à des services extérieurs.
Le confort de la vie ordinaire se limite à ce qui est nécessaire. On donne à chacun ce dont il a effectivement besoin. Tout est mis en commun pour une économie solidaire. Le fait de mettre en commun les ressources d’une communauté permet d’en réduire les dépenses et d’investir plus largement dans des projets développés qu’un individu ou qu’une famille isolés ne pourraient envisager.
En accueillant des hôtes pour des séjours de silence ou de retraite, les centres monastiques se présentent au cœur de nos sociétés comme des oasis où l’on peut tenter de mieux respirer, de mieux partager, de moins posséder illusoirement, afin d’être davantage soi-même en relation avec autrui.
Il est étonnant, dans la règle de saint Benoît, de constater que le chapitre le plus écologique est celui concernant l’économe du monastère :
« Pour le cellérier du monastère, on choisira parmi les frères quelqu’un qui soit judicieux, sérieux, sobre, frugal, ni arrogant, ni agité, ni blessant, ni trop hésitant, ni trop prompt à la dépense, mais qui ait le sens de la présence de Dieu toujours et partout, et qui soit comme un père pour toute la communauté.
Qu’il prenne soin de tout, qu’il ne mécontente pas les frères. Si quelque frère lui fait une demande déraisonnable, il ne l’indisposera pas en le rebutant ; mais qu’il refuse avec raison et humilité à celui qui demande mal à propos. Qu’il veille à la garde de lui-même. […]
Qu’il prenne un soin tout particulier des malades, des enfants, des hôtes et des pauvres. […]
Qu’il considère tous les objets et tous les biens du monastère comme s’il s’agissait des objets sacrés de l’autel. Qu’il ne tienne rien pour négligeable. Qu’il ne soit ni enclin à l’avarice, ni à l’excès des dépenses ; qu’il ne dilapide pas les biens du monastère, mais qu’il fasse toute chose avec mesure avec un grand sens du bien commun. » (RB 31)
Bien sûr, la vie du monastère ne repose pas sur le cellérier, mais son exemple, comme celui de tous dans le monastère, peut encourager la communauté à prendre des décisions justes pour un témoignage écologique sans cesse actualisé.